file Grouper les mots.

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il y a 9 ans 9 mois - il y a 9 ans 9 mois #19868 par Vuld Edone
Grouper les mots. a été créé par Vuld Edone
Hi'.

Tout est parti d'un constat assez bête. Ces derniers temps j'ai eu à corriger une petite série de textes amateurs assez courts et parmi ces textes j'ai repéré une erreur récurrente et assez surprenante.

1) Pourquoi machin fermerait la porte, il n'était pas un chien, il retourna sur son lit pour bouder.


Ce n'est peut-être pas immédiatement évident -- suivant les habitudes de lecture -- mais la phrase est en trois parties et la troisième partie n'a rien à faire là. Au lieu de la seconde virgule on s'attendrait à un point (ou à une autre structure). C'est en gros ce qu'on apprend à l'école, sauf que j'ai eu beau fouiller dans ma tête, je n'ai pas retrouvé la règle qu'on aurait pu me donner là-dessus à l'école.
Autrement dit, quand quelqu'un fait ça, comment je lui explique que c'est faux ?
Et comment je lui évite de refaire la même faute deux paragraphes plus loin ?

La réponse est dans la notion d'unité. Mais dire "unité" c'est faire appel à un concept super compliqué et super vague, et si j'ai appris une chose c'est que la vulgarisation aide beaucoup. Donc à la place j'ai trouvé une autre approche.
On va "grouper les mots".
1
Les parties du discours

Le texte est formé de mots. Le mot sera pour nous l'unité "minimale" en-dessous de laquelle on ne descendra pas (le caractère graphique, par exemple). Mais qu'est-ce qu'un mot ?
Okay c'est une question piège mais comparez :

2a) patate
2b) pomme de terre
2c) de temps en temps

Le cas (2a) ne pose pas de problème : un mot correspond à un mot. Mais dans le cas (2b), qui est le monde merveilleux des mots composés, un mot correspond... à plusieurs mots graphiques. "Pomme" est un mot, et on va lui mettre l'étiquette NOM (pour "nom"). "Terre" est aussi un mot étiqueté NOM, tandis que "de" est un mot et, plus précisément, une PRE, une préposition. On a donc : "NOM - PRE - NOM", trois mots... mais on sait qu'en vérité il n'y en a qu'un seul, parce que ces trois mots désignent tous le même objet.
On vient de "grouper les mots".

Je sais ! Je sais. Je suis en train de vous ramener sur les bancs de l'école primaire, ou de peu importe comment fonctionne votre système scolaire, le rapport à la grande et luxueuse littérature on ne le voit pas encore. Mais si on prend "de temps en temps"... est-ce que c'est un ou quatre mots ?
-> On écrira "PRE" ou bien alors "PRE - NOM - PRE - NOM" ?
La réponse c'est que c'est une expression figée, qu'on ne dira pas "de temps en carottes" là où, avec "de seconde en seconde" on pourrait dire "de secondes en minutes, puis en heures..." et ça passerait très bien. "Il passa de temps en moments" ça... n'a pas de sens.
Ce qu'on constate, quand on fait du découpage de texte ("part of speech"), c'est que chaque mot a sa catégorie : NOM, ADJ, ADV, PRE, VER... mais qu'ensuite, pour attester des usages réels, il faut regrouper ces mots.
Et cela ne s'arrête pas seulement à la création de mots à partir de mots (... non relisez ce qui précède) : on peut grouper des mots pour créer des fonctions. Un exemple ? Le sujet.

3) Le chevalier blanc sourcilla.

Quel est le sujet ? Ce n'est pas "chevalier", c'est "le chevalier blanc". Cet unité au-dessus du mot, qu'on va appeler par souci de simplification un "groupe", en science on l'appelle un "syntagme". Donc si tu veux te la jouer tu dis "syntagme". Un groupe tourne autour d'un mot plus important que les autres, ici "chevalier", c'est-à-dire un NOM. On appellera donc ce groupe un "groupe nominal". Ouais niveau scolaire je sais, je sais. Je sais.

4a) Le chevalier blanc sourcilla devant sa dame et bien que secoué, en même temps qu'elle bâillait, il...
4b) [groupe nominal] [groupe verbal] et [groupe pronominal], [groupe prépositionnel], [groupe...]

Je m'explique. Dans (4), "bien que secoué" commence par "bien que", qui est un pronom relatif. Pronom, donc groupe pronominal. Après, "en même temps" est un "en", une préposition. Préposition, donc groupe prépositionnel. Tout cela a l'air simple sauf que ce ne l'est pas : et si c'était "secoué" qui comptait le plus ? Si c'était "bâillait" ?
Pour un lettreux en blouse blanche comme moi, le problème est surtout que notre groupe verbal, "sourcilla devant sa dame", contient "devant sa dame". "Devant" est une préposition. Préposition ? Groupe prépositionnel. Pourquoi ? Parce qu'une préposition n'est jamais seule, et c'est la première notion clé qui va nous intéresser en littérature.
2
La portée

Grouper des mots sert à avoir une unité : que ce soit un objet ou un objet plus abstrait comme les fonctions grammaticales, type sujet ou complément ("devant sa dame" est un complément, hein).
Mais grouper des mots permet surtout de déterminer leur importance, c'est-à-dire leur influence, c'est-à-dire jusqu'où ils portent. Un mot qui est dans un groupe ne concerne que ce groupe, les autres n'en ont rien à carrer. La portée du mot, et à plus forte raison du groupe, devient alors essentielle pour comprendre le texte.

5) La comtesse face à la foule livide se mit à dicter son texte.

Qui est "livide" ? Oui c'est un bête problème scolaire, et on dira que l'absence de virgules (ou de contexte) empêche de décider, ou au contraire nous renseigne. Sans virgule, on déduit que "la foule livide" est un groupe nominal en soi, partie de "face à la foule livide" qui est un complément (et un groupe prépositionnel, techniquement), lui-même partie du groupe verbal, en bon complément de phrase qu'il est.
Mais si on change le contexte, ou qu'on met des virgules ?

5a) On allait la lyncher. La comtesse face à la foule livide se mit à dicter son texte.
5b) La comtesse face à la foule, livide, se mit à dicter son texte.

Tous ceux qui ont torturé le langage jusque dans ses derniers retranchements savent l'intérêt qu'il y a à bien dire au lecteur quel mot appartient à quel groupe : de quelle manière découper le texte. C'est même un enjeu du style de poser les règles du découpage au lecteur, de le tirer hors de ses habitudes.
Donc là pour ceux qui ne suivent pas, "livide" est un groupe adjectival partie du groupe nominal "la comtesse livide", qui n'a donc rien à voir avec la foule ou avec le verbe.

Et maintenant, si on passait à des unités supérieures, comme la phrase ?
3
La macro-syntaxe

On retombe sur notre exemple (1), que je rappelle ici :

1) Pourquoi machin fermerait la porte, il n'était pas un chien, il retourna sur son lit pour bouder.

On a trois groupes, c'est-à-dire trois phrases chacune composée de deux groupes principaux : groupe nominal pour le sujet et groupe verbal pour tout le reste. Une phrase correspond donc à un groupe de mots qui, mais là les théories divergent, peut ne faire qu'un seul mot. Un personnage qui dit "là" en pointant du doigt une porte, ou juste "café" pour commander à la cantine, a dit une phrase.
C'est juste qu'on est déjà à un niveau où la grammaire devient casse-gueule. La question, maintenant, c'est la portée de ces phrases.

Au niveau de la grammaire classique déjà, cette question se pose avec les groupes pronominaux, les fameuses conjonctions de subordinations en "que, qui", les participes présents et autres prépositions.
Riez, mais pour le débutant c'est une question épineuse. Son choix de prédilection est d'aligner toujours les mêmes phrases simples, "verbe-sujet-complément". C'est répétitif, c'est pauvre et ça manque d'effets. Et justement le genre d'erreurs qu'on voit en (1) montre une volonté, un effort pour améliorer les structures et donc la gamme d'expressions. Donc pitié continuez à faire des erreurs, on râle mais ça fait plaisir à voir, ces prises de risque.
Pour le débutant, la question c'est de savoir quelle structure choisir pour lier deux phrases :

6a) Pierre alla aux champs. Il croisa Tom sur la route.
6b) Pierre alla aux champs, et il croisa Tom sur la route.
6c) Pierre alla aux champs, croisant Tom sur la route.
6d), Pierre alla aux champs, qui croisa Tom sur la route.
6e) ...

Et oui je fais exprès de ne pas déplacer les groupes, type "Pierre qui croisa Tom sur la route alla aux champs"... tout comme je ne change pas le temps des verbes, type "Pierre allait aux champs quand il croisa Tome sur la route", qui est pour nous -- pour moi en tout cas -- l'option par défaut et banale en soi. Mais qui, pour un débutant, demande déjà un peu de travail.

Oui, je ne sais pas encore bien pourquoi mais le débutant est réfractaire à l'idée de changer l'ordre de ses groupes, ou de reformuler de façon trop profonde. Il veut bien ajouter quelques mots mais en général le groupe lui-même, pas touche. Ce qui montre bien une notion d'unité, en fait...

Bien sûr, toutes ces structures vont donner la portée des différents groupes dans la phrase. Une subordonnée dit que notre groupe (pronominal) est une partie du groupe auquel il est lié, tandis qu'une coordonnée (avec un "et, puis, etc...") dit que notre groupe n'a rien à voir -- par défaut, dans les faits il y a toujours un rapport mais bref.
Seulement je ne suis pas là pour discuter des diverses structures disponibles pour combiner des phrases, d'autant que je m'y perdrais. Je suis là pour suggérer d'aller à un niveau encore plus haut.

Et si on imaginait une unité qui serait aussi abstraite que la fonction de "sujet" ? Et si on imaginait une unité bien vague qui permettrait de former des groupes de phrases, par exemple... un paragraphe ?
Yup, c'est l'unité.
On dit souvent que chaque paragraphe a sa fonction (ou chaque phrase, déjà), et on dit aussi, à une échelle bien plus grande, qu'un texte ne devrait parler que d'une seule chose. N'avoir qu'un seul objet. Tout comme "pomme de terre" ne désignait qu'un seul objet également. "Pomme parapluie pot de fleur" n'a pas d'unité parce que ça désigne trois objets différents. Merci l'absurde, au passage.

Donc on reprend, pour la troisième fois, notre exemple (1) :

1) Pourquoi machin fermerait la porte, il n'était pas un chien, il retourna sur son lit pour bouder.

Et cette fois, réfléchissons en termes d'unité abstraite. L'unité est là : on exprime un agacement. Le refus de fermer la porte participe au fait de bouder. C'est souvent parce que l'auteur, sans même y penser, a une unité en tête, qu'il aura tendance à aligner les phrases avec des virgules et n'y verra pas de problème.
Mais si on regarde avec une autre unité abstraite : les deux premières "phrases" expriment son sentiment : il ne fait rien, on ne fait que lire dans ses pensées ; la troisième "phrase", elle, nous montre son geste. On ne sonde plus son âme, on le regarde agir. On fait donc effectivement deux choses différentes, et c'est vite testé :

1a) Pourquoi machin fermerait la porte, il n'était pas un chien, il avait sa dignité.
1b) Machin ferma la porte, se persuada qu'il n'était pas un chien, avait sa dignité !

Le problème est, dans (1b), également un problème de "portée" : "avait sa dignité" relève en fait du groupe pronominal "qu'il n'était pas un chien". C'est la structure de ce groupe qu'il répète, et non pas celle de "Machin ferma la porte".
Et cela signifie qu'en (1) le problème peut également être décrit en terme de "portée". Là où "il retourna sur son lit..." devrait échapper au reste du groupe, le fait de répéter la structure le subordonne aux autres phrases. D'où la correction courante, et flemmarde, de mettre un point au lieu de la virgule.
4
tl;dr

J'ai l'habitude, quand j'aborde ce genre de sujets, de faire un résumé pour ceux qui n'aiment pas les pavés.
J'ai ici montré comment (et pourquoi) on pouvait "grouper les mots".

Et ça m'a permis de parler de "l'unité" et de la "portée".
-> unité : un groupe de mots n'a qu'un objet, concret ou abstrait.
Exemples : "pomme de terre" désigne un seul légume, "le chevalier blanc" désigne un sujet...
-> portée : les groupes de mots peuvent à leur tour former des groupes plus grands. La question c'est, quel groupe appartient à quel autre.
Exemples : "la comtesse face à la foule livide", "il n'était pas un chien, il alla se coucher"...

La grammaire est incomplète et imprécise (désolé), mal expliquée par la science mais intuitivement chacun de nous sait s'en servir. Il serait intéressant, au moment de décrire les différents moyens de structurer un texte, ou les problèmes touchant aux paragraphes, aux chapitres ou à la planification, de parler en termes de groupes et de portée.
Tout réduire à des pommes de terre, au fond, ou alors, chroniqueurs,
à vos plumes !

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il y a 9 ans 9 mois #19889 par Mr. Petch
Réponse de Mr. Petch sur le sujet Grouper les mots.
J'aime toujours autant tes explications, et surtout tes exemples ! ;)

Et puis j'admire ta patience et ton optimisme, et j'espère que tes apprentis scribouillards te le rendent bien :

Et justement le genre d'erreurs qu'on voit en (1) montre une volonté, un effort pour améliorer les structures et donc la gamme d'expressions. Donc pitié continuez à faire des erreurs, on râle mais ça fait plaisir à voir, ces prises de risque.

5a) On allait la lyncher. La comtesse face à la foule livide se mit à dicter son texte.
5b) La comtesse face à la foule, livide, se mit à dicter son texte.


C'est marrant ton exemple parce que ça change du tout au tout le sens de la phrase. Dans le 5a, on se dit que la comtesse doit être très moche, ou avoir une voix effrayante qui plonge la foule dans la terreur. Dans le 5b, on se dit qu'elle devrait prendre un calmant, ça lui ferait du bien.

**

Plus sérieusement : ce que je trouve intéressant dans ton explication c'est le côté intuitif. Parce que dans le fond, ces histoires d'ordre des mots, on n'y fait pas vraiment attention, mais c'est comme si le fait d'écrire un texte littéraire nous poussait à théoriser ces histoires-là. Pourquoi tel ordre produit tel effet ? Pourquoi tel ordre "sonne" mieux qu'un autre ?
Je ne saurais pas le théoriser comme toi, mais je l'impression qu'il y a aussi quelque chose de l'ordre du ressenti, du rythme de la phrase, presque comme la scansion latine qui appuie sur certains mots. Mais ça c'est très subjectif.

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il y a 9 ans 9 mois #19890 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet Grouper les mots.
Et on retombe sur le "rythme".

Yup, plus ça va plus je suis persuadé que les sonorités dans le rythme sont secondaires.
J'ai encore eu récemment un cas où j'avais écrit "décor floral", ce qui en termes de sons ne pose aucun problème, mais j'ai senti que ça posait problème et je l'avais réécrit "décor de floraison". Avec ce détail intéressant que dans ma tête, je ne rajoutais qu'une syllabe. Le "rythme" joue apparemment bien sur le nombre et l'ordre des mots (et bien sûr leur forme)... et le rythme de ce très bref passage, "décor floral", dépend de son cotexte.
Sans savoir ce qu'il y avait à côté, comment décider si le rythme est bon ? Il semble qu'on ne peut pas.

Le problème, avec cette approche, c'est que le scribouillard -- comme moi -- aura aussitôt le réflexe de demander la nomenclature :
a) De toutes les étiquettes pour les mots
b) De toutes les étiquettes pour les objets

J'aimerais quand même préciser d'où je viens. Un de mes boulots a consisté à faire de l'étiquetage, ce qu'on appelle le PoS (pour "Part of Speech"). Par exemple, mettre "NOM" pour tous les substantifs.
C'est pour ça que la question "comment on découpe 'pomme de terre' ?" se pose pour moi. Comment est-ce qu'on étiquette "est-ce que" ? C'est un verbe, suivi d'un déterminant puis d'une conjonction... mais impossible de nier l'unité de l'ensemble.
Donc le débutant pourrait vouloir qu'on lui donne toutes les étiquettes pour que dans un texte il sache quel mot correspond à quoi (adverbe, adjectif...)... et surtout il voudrait savoir à quoi ça lui sert.

Je viens aussi de la macro-syntaxe, qui consiste à dire que la grammaire scolaire bien classique c'est tout pourri. Du coup on groupe les mots nous en "syntagmes" (les groupes de mots, justement), puis en "clauses" (l'équivalent des phrases, à peu près) puis, au niveau supérieur, en "périodes".
Autant pour les syntagmes on peut encore vaguement expliquer au débutant ce qui se passe, vu que c'est assez proche de la grammaire qu'il connaît, autant c'est déjà assez difficile de définir une "clause" : l'unité minimale à partir de laquelle on peut dire si "c'est vrai ou faux" ? C'est une notion logique, la "proposition", et j'ai vu que les gens étaient plutôt réfractaires à la logique vulpienne.
Mais ce qui intéresse le scribouillard, ce sont les périodes : l'unité du texte au-delà de la phrase.
En d'autres termes, le débutant aimerait qu'on lui liste toutes les fonctions que peut avoir le texte, et... on a déjà essayé, c'est une très mauvaise idée. "Description", "Explication", "Argumentation", etc... on n'a jamais réussi à vraiment classifier ça et s'y tenter est casse-cou.

D'autant que la macro-syntaxe s'intéresse à des unités encore supérieures : l'unité du discours, par exemple. Dans une discussion soudain on change de sujet -> comment sait-on qu'on a changé de sujet ?
"Ouais les fumeurs c'est très très pas bien, moi tu vois ma soeur elle fume eh bah elle a planté sa voiture." -- "En même temps les six roues c'est de la camelote."
Est-ce qu'on a changé de sujet ? Est-ce qu'au contraire on est dans une sorte de "sous-sujet" ? Les sciences du langage chercheraient des indices textuels, et là on a un "en même temps", ou alors on dirait qu'un complément devient sujet ? Mais autrement, ça relève de l'interprétation.
Et il existe autant de sujets qu'il y a jamais eu de discours.
Mais même au-delà du sujet, est-ce qu'il peut y avoir un thème ? Est-ce qu'on peut imaginer une unité supra-abstraite comme, au final, le "genre" textuel essaie de le faire entre des séries de textes ? Entendu que là les libraires vont me lyncher mais une fois encore, la classification est très périlleuse.

D'un côté j'aimerais expliquer au "débutant" les rouages du texte au sens de la grammaire non pas scolaire mais beaucoup plus concrète et applicable à nos problèmes de scribouilles.
D'un autre côté j'aimerais expliquer au "débutant" les rouages du texte au sens de sa macro-structure, sujets et thème, ambiance, atmosphère, tous ces termes qui quand on débute n'ont strictement aucun sens.

Ici, ce qui manque le plus, ce sont des cas pratiques, des anecdotes.

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il y a 9 ans 9 mois #19892 par Mr. Petch
Réponse de Mr. Petch sur le sujet Grouper les mots.

Yup, plus ça va plus je suis persuadé que les sonorités dans le rythme sont secondaires.


Oui, là-dessus on est d'accord. Le rythme va bien au-delà de la sonorité. Ce qui est amusant, c'est que le français est une langue beaucoup plus arythmique que l'espagnol, l'anglais ou l'allemand, ou il y a des accents pour organiser la façon dont on prononce la phrase, comme une sorte de grammaire rythmique.
Quand on me parle de rythme, je pense à la scansion latine... mais c'est sûrement un mauvais exemple pour un débutant !

Mais même au-delà du sujet, est-ce qu'il peut y avoir un thème ? Est-ce qu'on peut imaginer une unité supra-abstraite comme, au final, le "genre" textuel essaie de le faire entre des séries de textes ? Entendu que là les libraires vont me lyncher mais une fois encore, la classification est très périlleuse.


Quand on s'intéresse un peu à la littérature de genre, on sait bien que ça ne veut pas dire grand chose. Ce sont des béquilles de lecture, des codifications relatives à un contexte culturel, pas absolues comme peut l'être la macro-syntaxe que tu présentes. Mais en un sens, cette histoire de genre peut aussi faciliter la vie du débutant qui peut piocher dans des oeuvres existantes avant de se risquer à casser les codifications.

Et du coup ça me fait penser : ici tu évoques des règles grammaticales de construction des phrases, avec l'idée qu'il faut chercher une unité. Mais, si on dépasse le niveau du débutant, on sait bien (et toi le premier si je me souviens de certains de tes textes !) que la notion d'unité devient vraiment intéressante quand on essaie de jouer avec, de ne pas respecter strictement l'unité de la phrase mais d'en jouer.

Je pense à ta comtesse livide : ne pas mettre une virgule peut être une faute de syntaxe ; mais dans un texte adéquat, ça peut aussi être une figure de style, un jeu sur les mots. J'ai testé ce type de structure de phrase occasionnellement dans les Martyrs : des structures un peu bancales faites pour perturber le lecteur, le forcer à relire sa phrase, créer un effet de surprise.

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il y a 9 ans 9 mois #19893 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet Grouper les mots.
Effectivement : il suffit de penser au temps de Chimiomécanique où ma doctrine était de concaténer les phrases. De corne utilisait cela aussi abondamment : "clause 1, transition, clause 2"
-> "Il était dehors déjà sur les conteneurs de métal et de grisaille plus bas le matin se levait"
Avant même d'avoir un terme pour ça, je jouais sur la portée, "sur les conteneurs de métal et de grisaille plus bas" étant le complément des deux verbes, le but étant que le lecteur réinterprète à mesure.

D'ailleurs pour écrire cet exemple j'ai dû m'y reprendre à plusieurs fois :
1) "Il était dehors déjà sur les conteneurs..."
>Je devais trouver la seconde "clause".
2) "Il était dehors déjà sur les conteneurs de métal dans la grisaille le matin se levait"
> J'ai opté pour la structure ABBA (était - métal - grisaille - levait). Mais à la relecture je me suis rendu compte que "dans la grisaille" se détachait trop de "conteneurs de métal". Le premier réflexe était de juste mettre une virgule entre les deux.
3) "Il était dehors déjà sur les conteneurs de métal le matin se levait"
> J'ai abandonné la structure ABBA (même si "métal - matin"... meh) et le complément fautif pour voir ce que ça donné. J'ai eu l'impression que, là encore, on supposerait trop vite qu'il suffit de mettre une virgue entre "déjà" et "sur les..."
4) "Il était dehors déjà sur les conteneurs de métal et de grisaille le matin se levait"
> Hypothèse de l'analyse dynamique, plus le complément est long, plus il y a de chances que le lecteur oublie que, justement, c'est un complément. À force de caractériser "conteneurs" ceux-ci sont censés devenir le nouveau sujet. Je pensais m'arrêter là mais ça ne fonctionnait toujours pas...
5) "Il était dehors déjà sur les conteneurs de métal et de grisaille plus bas le matin se levait"
> Ici j'ai utilisé, pour enfin obtenir mon effet, un complément du complément ("plus bas").

( il était dehors déjà ( sur les conteneurs ( de métal ) et ( de grisaille ) ( plus bas ) ) ) / ( le matin se levait )
( il était dehors déjà ( sur les conteneurs ( de métal ) et ( de grisaille ) ) ) / ( ( plus bas ) le matin se levait )
( il était dehors déjà ) / ( ( sur les conteneurs ( de métal ) et ( de grisaille ) ( plus bas ) ) le matin se levait )
( il était dehors déjà ) / ( ( sur les conteneurs ( de métal ) et ( de grisaille ) ) ( plus bas ) le matin se levait )

Ah, ces bonnes vieilles structures casse-tête. Du temps où j'osais vraiment jouer avec la syntaxe du texte. Le bon vieux temps...
L'intérêt du "complément d'un complément" est que c'est une portée vraiment très locale : la parenthèse sur laquelle il porte n'englobe pas le sujet et du coup il le fait "oublier" sur le moment. Ce qui facilite la transition.
Bon dans les faits le coût est toujours trop élevé et le lecteur aura tendance à simplement considérer que "le matin se levait" tombe de nulle part, ou que l'effet est gratuit, donc bon.

À noter que "déjà" et "alors" étaient spéciaux aussi pour moi, ce qu'aujourd'hui j'appellerais des "articulateurs" comme "et" du reste. Si on teste :
"il était dehors déjà le matin se levait"
Ce sont des articulateurs parce qu'ils portent sur des clauses, pas sur des syntagmes.
Même si, de mémoire, j'aurais tendance à être encore plus bref :
"Dehors déjà le matin se levait"

Souvent le débutant me dit qu'il n'y a pas besoin de savoir toute cette théorie pour pouvoir écrire et c'est vrai, on le fait intuitivement, mais comment expliquer au débutant ce qu'on fait sans tout ce fatras.

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il y a 9 ans 8 mois #19894 par Mr. Petch
Réponse de Mr. Petch sur le sujet Grouper les mots.
Oui, je pensais exactement à ça.

Je me souviens avoir été positivement impressionné par ta façon de détourner la syntaxe (pas de l'ignorer, mais de la détourner) et, sans aller aussi loin, j'ai réutilisé ponctuellement cette façon de procéder dans Les Martyrs.

En fait, je crois que des textes comme Chimio et De Corne m'ont décomplexé par rapport à la syntaxe de la phrase : ils m'ont montré qu'on pouvait tordre le sens pour produire de l'effet.

Du coup, je me dis qu'apprendre à un débutant comment écrire est d'autant plus complexe qu'on sait que les règles sont faites pour être transgressées, et que, pour moi, c'est là que l'écriture commence à être vraiment intéressante. Et ça vaut pour la syntaxe, mais aussi l'utilisation des genres canoniques.

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