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C’était au temps de la reverdie, à l’heure où commencent toutes les histoires. Le renard ne pouvait pas se plaindre ! Sa gaberie et ses mauvais talents l’auront servi si bien que le voilà conseiller du roi ! Sa fosse pleine, la panse bien remplie, Renart passe son temps en paix avec sa moitié Hermeline, dans son repaire de Maupertuis.

Ah vraiment, le filou s’est converti ! Qu’on ne compte pas sur lui pour repartir en quête d’aventure !

Mais bien mal acquis ne profite pas et rien n’est trop cher qui ne se perde ! Chantecler n’avait pas fini d’annoncer le jour que vient le trouver un messager du roi. C’est Brichemer qui rudoie la porte pour qu’on l’entende :

« Renart, gredin, traître. » Et le cerf le prévient : « Ouvre ta porte, au nom du roi. »

Quelles invectives ! Quelles rudes paroles chez le plus noble de tous les nobles. L’interpellé passe la tête à la fenêtre, pose les coudes et le laisse s’épuiser. Puis il répond :

« Est-ce vous Brichemer ? J’avais cru à un vilain ! »

« Cesse tes manières, coquin. Le roi te demande ainsi que tes mauvais conseils. Partons sans retard, et pas de mauvais tour. »

C’était trop demander. Tant de zèle nuit aux oreilles comme des crocs nuisent au collet ! Il aurait préféré un autre compagnon de route.

« Qu’entends-je, vous n’aimez plus mes conseils ? »

« Mes soins vous ont pourtant » lui dit Renart, « fourni un raccourci et désaltéré à l’envie ! »

« Vous m’envoyiez droit dans un puits et contre les chiens. »

« Vous n’êtes pas reconnaissant ! »

Il voit bien que le noble se méfie, à raison ! La famine et la peste valent mieux que d’épargner son compère. Le renard sort, fait mine de vouloir le suivre : sa pensée prend un chemin contraire. Avant qu’ils ne partent la discussion reprend.

« Quel dommage que ces chardons se perdent ! Le roi ne peut attendre… »

« Attendez » le coupe Brichemer, soudain curieux : « Quels chardons ? »

« Me croiriez-vous de toute façon ? J’eus la surprise voilà longtemps de voir pousser du chardon sur le plus vieux des chênes ! Est-ce si surprenant ? On voit en ce monde bien d’autres merveilles ! Cela ne dure que quelques jours mais produit les meilleurs plants de toute la forêt ! Hélas, le devoir nous appelle… »

« C’est invraisemblable : je demande à voir. »

Dit le cerf pour cacher sa gourmandise, car il n’a pas goûté à un chardon de tout l’hiver. Tous deux s’en vont au premier chêne qui se présente, quand même grand et solide, et Renart d’en désigner les plus hautes branches.

« Nous sommes en bas, il faut monter ! »

Le cerf recule plein de défiance. On lui demande de monter à l’arbre ! Il préfèrerait en brouter les racines que de s’y risquer.

« Vous êtes fou de me le proposer. »

Mais le filou n’a pas dit son dernier mot.

« Accumulons assez de pierres pour que vous puissiez grimper : les branches sont épaisses, vous n’aurez qu’à tendre le cou ! »

Cet argument apaise Brichemer qui se met à l’œuvre. En peu de temps un monticule se dresse au pied du chêne. Ils ont bien œuvré ! Le voilà qui grimpe sur cet amas branlant, la tête dans les branches. Il a la mine bien pâle !

« Je ne vois rien, Renart, je redescends. »

« Que nenni ! Tendez plus avant, le chardon est à votre portée ! »

Ces mots fielleux ont raison du cerf qui pose les pattes sur les premières branches. Aussitôt Renart donne un bon coup au monticule qui s’effondre, et Brichemer de se retrouver suspendu au chêne !

« Que se passe-t-il ? Renart, sauvez-moi, je tombe ! J’avais le sol à l’instant sous mes pieds ! Je n’y comprends rien, volez à mon aide ! »

« Vous visiez haut, vous y êtes ! Restez-y ! »

Brichemer s’accroche aux branches, il fait si bien qu’il y enlace ses pattes. Le voilà pendu sur le dos, tête en bas. Son copain lui fait la grimace.

« Renart, est-ce vous qui m’avez mis là ? »

« Ma foi non ! Qu’on me sauve, les miens ne grimpent pas aux arbres ! »

Et il lui fait des gestes obscènes. Renart jubile ! Autant que le noble s’empourpre.

« Renart, misérable, trompeur, fils du diable ! On ne peut rien attendre de votre engeance ! Faites-moi descendre sur le champ ! »

Alors le coupable joue les victimes, on ne voit pas de masque plus touchant sur les planches ! Le voilà qui s’étonne :

« Ma parole, Brichemer, j’entends bien ? Je vous ai donné conseil, vous me les reprochez, et maintenant vous m’en demandez d’autres ! On a tort d’aider les ingrats ! »

Le cerf se plaint encore, le sang lui monte à la tête ! Comment pourrait-il en être autrement ?

« Assez ! Si c’est ainsi, je rentre chez moi ! »

Il éclate de rire puis lève le camp. Ni insulte ni mot gentil ne le retiendra ! Renart tourne la tête vers Maupertuis et l’autre partie vers Brichemer.

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