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À présent Vlad riait d’un rire dément, à l’air effondré de son ami, tandis que le vacarme montait dans les couloirs comme une masse énorme qui raclait les murs et menaçait de tout écrouler. Le chroniqueur drogué riait alors que la bête s’enfonçait dans les Chroniques et que le vent fort venu du dehors soufflait la flamme des torches. Il riait sous l’effet de ses drogues qui lui donnaient une acuité de sens et une acuité de raisonnement effrayantes.
« Imbécile ! »
Son comparse Quirinal, dont le visage avait tourné au rouge, tentait en vain de s’arracher du sol dont ses pieds ne voulaient plus bouger.
« Tu vas nous tuer, tous les deux ! Tu condamnes les Chroniques ! Est-ce que tu as au moins la moindre idée de ce que tu viens de faire ? »
Bien sûr qu’il le savait. Il venait de tester le Libra. Et sur son ordre une bête était parvenue à enfoncer les portes des Chroniques, à pénétrer dans le château, à l’envahir. Cette créature se dirigeait sur eux, avec la volonté de les anéantir – c’était probable – et la puissance pour le faire. Lui-même ne pouvait plus bouger, il était une proie facile. Quirinal n’en mènerait pas large non plus. Mais le plus important restait que la créature, elle aussi, était limitée par les règles des Chroniques.
Il arrêta de rire lorsque la créature cessa sa course folle dans les couloirs. Deux dés tombèrent, ceux de Quirinal. Ce dernier se calma rapidement. Il venait sans doute, lui aussi, de réaliser la situation. Le visage flasque du loqueteux s’étira d’un abominable sourire.
« Qu’est-ce que tu essaies de faire ? Un suicide ? Ce n’est pas avec le Libra que tu arrêteras ce monstre. »
« Bah alors, Quir’ ? Tu n’vas pas dire bonjour à ton ami ? »
« Espèce de… de… mauvais joueur. Je suis Quirinal, est-ce que tu comprends ça ? Tu vas tuer ton ami. Réfléchis bien, ce n’est pas ce que tu veux. »
Le bonhomme ne bougeait toujours pas, parce qu’il ne connaissait pas le résultat de son propre jet et parce que s’il terminait son mouvement, le monstre bougerait à nouveau. C’était un trop grand risque. Mais le chroniqueur drogué se demanda s’il n’avait pas prévu, effectivement, de tuer Quirinal. C’était bien Quirinal, le seul chroniqueur encore présent avec lui, ils étaient amis et malgré leurs désaccords, ils le restaient. Cette histoire de meurtre et de piège, en fin de compte, n’y changeait rien.
« Alors, Vlad ? Qu’est-ce que tu vas faire ? »
« Là, tout d’suite ? J’vais écrire deux. »
« Deux ? »
Aussitôt dit, le loqueteux s’était remis à griffonner la phrase complète, qui donnait le prochain score du monstre. Il s’arrêta néanmoins avant d’écrire le chiffre.
« Tu sais c’que j’ai découvert ? Dans l’tas d’trucs que t’as dit, ça m’a tout d’suite frappé. Tu n’peux pas utiliser l’livre. Du coup, t’as b’soin d’moi. Pa’c’que là, j’contrôle les mouv’ments du monstre. Les tiens aussi, d’ailleurs. Alors v’là l’plan. J’vais r’ssortir des Chroniques, avec l’Libra. L’monstre va m’suivre et tout l’monde est content. T’en penses quoi, Quir’ ? Bon plan, hein ? »
La tête que tirait Quirinal signifiait au contraire que c’était le plan le plus stupide et le plus suicidaire qu’il lui avait été donné d’entendre dans sa vie en passe de s’achever. Mais Vlad ne s’arrêta pas à cette face déconfite. Il prit cela pour une approbation et écrivit le chiffre.
« Mais le porteur du Libra a gagné ! Il ne peut plus bouger ! »
« C’pour ça que l’porteur du Libra, maint’nant, c’est toi ! »
Il referma le livre et le jeta aux pieds de Quirinal. Ce dernier ébahi vit s’envoler son tour et à l’instant même, les dés roulant à nouveau, la créature se remit en mouvement. Vlad n’était pas sûr de lui, pas sûr du tout. À la moindre erreur la bête mettrait fin au jeu et à leur existence. Mais c’était quelque chose d’acquis désormais : il allait falloir prendre des risques et ce qu’ils faisaient là n’était encore que peu de chose comparé à ce qui les attendait.

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