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L'atroce sensation ne dura pas, dès qu'il se fut détaché du visage du noble, Vlades Jan retrouva le peu de bon sens qu'il avait. Il s'était remis à sourire bêtement à la lueur des deux bougies qui couvraient son laid visage d'ombres. Le doute n'était plus permis pour lui, quelque chose de grave, de très grave était arrivé la nuit de l'assassinat. Seulement il était persuadé que cela dépassait de loin ce qu'avait pu s'imaginer l'enquêteur officiel, son frère Ghendes. Il l'avait deviné et les deux personnes avec lui l'avaient deviné aussi. Quill, qui le connaissait suffisamment pour être presque son ami, le secoua sans grande conviction pour obtenir une réponse. Lui et le noble voulaient partager sa découverte.
- Y s'est rien passé. Y s'est rien passé.
À chaque fois que l'apothicaire le secouait, le devin répondait invariablement ces mots. Impossible pour lui de remarquer que cette réponse ne leur était pas saisissable parce que pour lui elle résumait tout. Ou alors cela l'amusait, il ne savait jamais trop. Garder un peu de mystère, c'était important aussi, dans la vie.
- Il se moque de nous ?!
- De nous, non. répondit Quill au noble. Il est drogué en permanence, pas vraiment conscient de ce qui l'entoure.
- J'avais déjà remarqué ça.
Reprit le noble dédaigneusement, sans pouvoir cacher l'inquiétude qui le rongeait depuis des nuits pour son ami allongé. Il avait songé emmener Thorlof à son château, le Dard, mais cela serait perçu par la cour comme une fuite et K'Rahsco sauterait sur l'occasion pour les éliminer. Ici, dans le Palace des Pauvres, était encore l'endroit le plus sûr pour lui et son compagnon. Tout cela parce qu'il avait relevé un stupide défi. Le noble savait pertinemment qu'il ne pouvait pas être coupable de l'assassinat. Seulement personne d'autre ne pouvait l'avoir causé.
- Je ne vous ai pas demandé…
C'était Quill qui, curieux, et peut-être aussi à cause de la tête que lui faisait le devin, reprenait à l'attention de son hôte avec curiosité.
- … vous croyez votre ami innocent. Pourquoi ne pas engager des mercenaires pour éclaircir ce qui s'est passé, et le laver de tout soupçon ?
- Comme si j'avais la tête à ça ! jeta le noble. Dès que vous aurez soigné Thorlof, il sera bien assez fort pour se défendre lui-même.
Malgré cette réponse négative, l'apothicaire se sentit le besoin d'insister. Il obtint le même refus brutal, qui se bornait à la guérison d'un blessé, même pas d'un mourant. C'était d'autant plus raisonnable que la disgrâce dont les deux nobles souffraient actuellement rendrait toute enquête de leur part difficile, sinon impossible. Et si les gardes ne les avaient pas retrouvé encore, c'était que Thodrick K'Rahsco ne comptait pas les rendre coupables. Quand son ami pourrait se défendre, ils n'auraient qu'à se présenter au roi pour se blanchir de toute accusation. Y compris et surtout si Thorlof avait tué l'ancien roi.
Une légère excitation détourna les deux hommes, alors que le devin tournait autour du noble couché à la manière d'un charognard. Les effluves des narcotiques, la fumée légère qu'il arrivait au drogué de souffler entre ses lèvres, son haleine même affectaient le blessé dont, peu à peu, les traits se décontractaient. C'était peu, les symptômes demeuraient mais cette très faible amélioration raviva l'allégresse chez son compagnon. Quant à Quill, il n'y croyait pas, pas vraiment, il observait plutôt un effet indésirable et trompeur mais préférait n'en rien dire à son hôte. Lui-même avait déjà songé aux drogues et il savait que les doses nécessaires tueraient à coup sûr.
- Nous allons revenir. Ne vous inquiétez pas.
La main de l'apothicaire s'abattit sur le col de Vlades et le tira de l'autre côté du rideau, puis hors du taudis. À peine dans la rue, les doigts épais de son ami serrèrent le cou avec force. Il était en colère pour bien des raisons, pour les faux espoirs qu'il avait donné à son client et pour sa simple présence. Ils avaient à parler, tous les deux.

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