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En deux jours à peine le quartier ouest et le quartier nobiliaire regorgeaient d’adeptes. Leur dieu avait le visage du soleil, le masque que beaucoup portaient, ouvragés pour les vrais membres, des bricolages pour les initiés et les adeptes qui cherchaient à les rejoindre. Ce mouvement étourdissant, incapable de traverser les remparts du château comme du quartier noble, avaient déferlé parmi les villages au-delà d’Etabane, en profondeur dans la forêt. Une secte était apparue avec la violence d’un incendie déclenché par une braise, comme si son foyer avait été au préalable recouvert d’huile. Sans ordre précis ils accumulaient les informations, l’argent et les armes. Leur faiblesse demeurait cependant de n’avoir aucun soutien des nobles et en cela la secte était condamnée par avance.
Ni l’apothicaire ni le devin n’enfilaient plus leurs masques. Ils passaient la seconde soirée à la Hache Brisée, au Palace des pauvres, à écouter la prestation d’un grand artiste placé en retrait au coin de la pièce et embrumé par les fumées volatiles.
- Il y a vraiment une secte, répéta Quill pour lui-même, il y a vraiment, je veux dire vraiment, une secte.
Il se passa la main sur le visage, aussi pour chasser les odeurs imprégnées à la longue dans sa chair et qui rendaient ses idées confuses. Vlades face à lui souriait comme un enfant après sa blague. Le devin aurait trompé n’importe qui mais pas son compagnon habitué aux tours pendables qu’il était capable de faire. À présent tous deux étaient réduits à l’impuissance face à tous ces chefs de rue autoproclamés, ces têtes multiples de l’hydre qu’ils avaient contribué à faire naître, pas sans se faire broyer. Ils ne savaient pas non plus comment contacter Ghendes puisque l’enquête était close et qu’à présent la Garde Sombre ne s’intéressait plus qu’à attraper Mederick, si ce n’était déjà fait. La bière servait pour l’un à oublier toute cette histoire qui avait si mal tourné, les drogues remplissaient pour l’autre cette même fonction.
- Allez viens, rentrons tant que nous avons un toit.
- Non ! fit le drogué en s’enfonçant dans son siège.
Il se fit tirer dehors dans la ruelle froide et mal pavée du quartier sud. Eux, les chefs d’une secte ! Lui bedonnant tirant son compagnon dans la crasse et les flaques d’eau croupie, dans leurs vêtements de plusieurs mois, puants, ils avaient bâti une secte qui préoccupait la Lumière de cendres. Par le jeu du sort ils avaient également condamné leur client. Par bonheur le nécromancien était retourné à sa place derrière les murs impénétrables du château, ce qui avait calmé peut-être les ardeurs de revanche. Quant aux rumeurs, elles vivaient désormais par elles-mêmes sans qu’un mot soit nécessaire pour les aviver. Elles étaient devenues une réalité.
Quill jeta le drogué contre un mur et s’y colla à son tour, de la sueur sur son visage par l’effort et par la peur. Il avait cru entendre des bruits de course au détour de la ruelle, quelques ombres habillées du masque. La tranquillité lui revint quelques secondes après mais non pas son calme. Il en voulait à ce sac d’os de les avoir lancés dans cette histoire. Celui-là avait profité de cette pause pour sortir son livre et le feuilleter, l’air malin, la bouche dégoulinante de bave. Impossible de lire dans la pénombre de la nuit. L’apothicaire l’obligea à se relever et à ranger son ouvrage. Un frisson le raidit :
- Vous êtes partis trop tôt. Je voulais vous voir.
Elle sortit de l’ombre vêtue des simples habits du quartier, encore riches pour ces lieux. Ses cheveux châtains rebondissaient dans sa nuque en une natte épaisse. Le sourire qu’elle leur présenta avait la froideur de son visage sélène. Un doigt sur sa bouche tempéra l’envie qu’avait le plus grand de poser des questions. Elle observa attentivement le devin qui, lui, la regardait d’un air distrait, tout à fait naturel. Bien sûr, puisqu’il lisait dans la magie blanche, il avait forcément prévu cette rencontre. Comme tous les devins, il s’y résignait. Aë n’avait que peu de temps à perdre avec eux. Elle songeait à tout ce qu’ils avaient accompli et tout ce qu’ils accompliraient encore. Le plus important dans cette nouvelle partie d’échecs était de ne jamais oublier que le premier pion joué était toujours devant la reine.

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