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Il ne comprenait toujours pas pourquoi son ami tenait autant à atteindre la bibliothèque de la Lumière de cendres, pourquoi il voulait en passer les portes lui-même à présent que la recherche d’un soin pour Thorlof L’Fyls était si lointaine et qu’il s’apprêtait à trahir ces nobles. L’apothicaire se tapa le ventre, assez replet, c’était assez de justification pour avancer. La menace de la dague, dans son dos, en était une autre.
- Et si je n’étais pas venu.
Lui demanda Lametrouble. Cette question fit passer un certain trouble sur le visage rondelet de l’apothicaire. Il se massait toujours les poignets, sans s’en rendre compte.
- Encore ? Soit. Vous oubliez ce que j’ai dit à Nathan. Je suis, il insista sur ce mot, je suis le chef de la secte.
Qu’il insiste sur ce point ne faisait sens pour personne, pas même pour lui. Cependant cette confusion, pas si fausse au demeurant, donnait de lui une apparence bien plus valorisante que celle d’un simple marchand d’onguents et de promesses tombé au hasard au milieu d’un jeu complexe d’intérêts et de pouvoir. Promettre, voilà ce que son métier lui avait le mieux appris à faire, voilà ce sur quoi il misait pour se tirer de cette situation. Tant que l’assassin se méfiait, il était aussi entravé qu’auparavant attaché par la corde. Il lui répugnait surtout, malgré son penchant pour la facilité, d’user du Libra. Il n’avait plus le Libra, ni Vlades. Il était resté au taudis et personne ne s’en préoccupait plus.
- Les gardes l’ont récupéré.
Quill en resta épaté, sur le coup il crut que sa respiration allait sortir de son corps. Coupé en plein élan, il restait immobile et pantelant en pleine ruelle, à essayer de comprendre comment l’assassin qui continuait devant lui indifférent à son état avait pu comme lire dans ses pensées ! Comment avait-il deviné ? À ce coup s’en ajoutait un autre qui ouvrait plus grand l’abime sous ses pieds : la garde avait le Libra. À présent il savait pourquoi il lui fallait atteindre la grande bibliothèque de la Lumière de cendres. Mais comment, comment Lametrouble avait-il fait pour deviner ce qui le préoccupait ? Rarement l’apothicaire s’était senti si vulnérable. Il se reprit, à force de respirations, il rattrapa l’ombre vêtue de noir qui se mêlait à la foule, qui s’y confondait presque totalement. Ils n’allaient pas au château, ils passaient par les ruelles en direction du quartier nord, par l’enceinte de briques rouges, sans doute vers la caserne. Cela lui sembla suspect que l’employeur de l’assassin à la pièce se situe dans ce quartier-là, plus propice aux intrigues et plus mouvant que les solides murailles de la Lumière. La cité des seigneurs n’usurpait pas son nom.
Les gardes les virent approcher, ils ouvrirent devant eux les portes pour les laisser passer. Aussitôt le monde qui avait, il ne le savait pas, saisi Vlades même au travers du voile des drogues le saisit à son tour d’une jalousie folle. L’envie lui brûlait les tripes de remplacer un de ceux-là qui se pavanaient dans des vêtements riches, au milieu des rues propres, dans les marchés vivants, de vrais marchés avec de vrais étals, et qui habitaient des demeures vitrées et chauffées. Il souffrit en silence de cette avidité sans comprendre comment l’assassin, le visage presque insaisissable, pouvait ne pas partager ses sentiments. Un garde les accompagnait à présent, tels deux loqueteux, des immondices qui n’avaient pas leur place en ce lieu, ce garde seul justifiait leur présence. Il cacha son envie sous un faux détachement.
- Entre.
Pris dans ses pensées, il n’avait pas vu la porte dérobée au côté d’une maison que Lametrouble avait ouverte et qu’il lui désignait à présent. Le garde le pressa derrière, il entra. La porte se referma derrière lui sèchement et il se crut enfermé dans une autre prison, différente encore du silo, de ce qu’il se figurait du dongeon des cendres, une prison dorée. Un nouveau garde les mena jusqu’à un petit bureau, pièce très meublée aux objets de tous les coins du royaume, une collection au hasard et déraisonnable affichée richement et mal. Là se trouvaient deux gardes de la Garde Sombre, pas n’importe lesquels, il se sentit trembler en les voyant, et trembler plus encore en découvrant Vlades.

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