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Si la petite troupe qui accompagne nos deux héros pendant cette aventure vous a été présentée, rien n'a encore été dit du but de la mission confiée par le général Pompius.

Laissons plutôt Agratius s'exprimer :

« Mes amis ! Il est temps, je pense, de vous dévoiler la périlleuse mission qui nous a été confiée par la Firme. Nous nous rendons dans les colonies que nos ancêtres ont conquises il y a plusieurs décennies. C'est là-bas que l'on peut encore trouver l'aventure, si on la cherche, plutôt que sur le vieux continent. Car on y trouve des territoires encore inexplorés et des ennemis encore farouches. Là où nous allons, dans la province de Numidia, une jungle gigantesque couvre la moitié du territoire, et bien peu d'explorateurs s'y sont déjà rendus. Les cartes que nous a fourni l'état-major sont partielles, elles ne demandent qu'à être complétées. Mais ce n'est pas pour cela que nous nous rendons là-bas. Au coeur de cette jungle se trouve une tribu d'indigènes qui se nomment eux-mêmes les Ouaglah. Ils mènent, depuis notre arrivé, une guérilla terrible qui rend la province peu sûre. Pire que tout, ils refusent les plaisirs que nous leur proposons : ils semblent insensibles aux installations théâtrales, aux jouets innombrables que nous leur avons apporté, aux musiques dansantes que nous faisons résonner dans la jungle pour les amadouer. En un mot : ils refusent la civilisation. Notre mission est celle-ci : les convaincre des bienfaits que nous pouvons leur apporter pour rétablir la tranquillité dans la province. Au cas où la négociation n'aurait aucun effet, il faudra se résoudre à d'autres méthodes... »

Cette scène avait lieu sur le pont du navire qui emmenait la troupe vers les contrées ultramarines.

Pour comprendre le discours du jeune Agratius, quelques explications supplémentaires sont sans doute nécessaires à ceux d'entre vous qui connaîtraient mal nos colonies. Les grandes aventures que furent l'exploration maritime et terrestre, la conquête de terres, la découverte des populations indigènes, sont entrées dans la légende. Les histoires à leur propos sont nombreuses, les romans innombrables. Je vous invite à vous les procurer au plus vite ! Mais il faut bien avouer que ce temps est révolu : il n' y a plus de terres à découvrir, et c'est à un autre type d'aventures que nous invitent maintenant ces territoires.

Sans doute connaissez-vous les colonies grâce aux nombreux spectacles auxquels elles ont donné lieu : les remarquables ballets de danses indigènes ont remporté un grand succès dans toutes les villes du pays. Pour les plus petits enfants, il y a toutes les figurines d'animaux de la jungle à collectionner. Et, bien sûr, n'oublions pas les reproductions grandeur nature, en théâtre mécanique, des scènes quotidiennes de la vie indigène. Bientôt, le kinétographe vous transmettra de véritables images captées des plaisirs exotiques que l'on trouve là-bas ! Leurs chants, leurs jeux, leurs rituels, sont si différents des nôtres, et ont beaucoup à apporter à nos propres attractions.

Vous l'avez compris : l'heure n'est plus à la conquête mais à la découverte mutuelle. Et notre culture, basée sur le plaisir de vivre, n'est pas si éloignée des bonheurs, certes plus simples en apparence, que l'on trouve là-bas.

Prenez la Numidia, par exemple, où se rendent nos héros. La tribu vivant sur les rives du pays et où ils vont débarquer, dont la ville principale est Numis, a pour nom la tribu des Kharfafla. Quand nous avons débarqué pour la première fois sur ces terres, c'est par le chant et la danse que nous les avons amadoués. Nous avons même emmené plusieurs individus à la métropole pour les initier à nos propres plaisirs.

Ils ont été ravis.

Il n'a pas été difficile, par la suite, d'installer chez eux toutes les merveilles du plaisir moderne : des théâtres mécaniques, bien sûr, mais aussi des attractions somptueuses, des simulations de safaris, dont ils sont vraiment friands.

Le secret de l'entente entre les peuples, c'est la compréhension mutuelle des cultures. Ainsi, la culture Kharfafla n'a pas disparu, bien au contraire ! Elle s'est harmonieusement mêlée à la nôtre dans des spectacles savoureux, que vous pourrez bientôt voir à la métropole.

Le tout est de ne pas imposer une vision des choses : l'esprit des Kharfafla n'est pas du tout le nôtre. Il est plus simple, il goûte plus directement au plaisir, il n'a pas toujours besoin de merveilles technologiques pour ressentir le frisson. Chez eux la part mystique est encore très présente. Alors nous avons adapté les attractions. Nous avons créé pour eux des contes et des dieux nouveaux pour introduire nos concepts. C'est de cette façon qu'une intégration paisible a pu avoir lieu, et que notre pays est présent sur de nombreux continents.

Mais le discours d'Agratius vous aura mis la puce à l'oreille : l'intégration n'est pas si simple. Toutes les tribus indigènes n'ont pas encore atteint un degré de civilisation suffisant pour que la réussite soit totale. C'est le cas des Ouaglah.

Si les Kharfafla constituent le peuple de la côte, ouvert aux raffinements que nous lui proposons, les Ouaglah vivent dans leur jungle et n'en sortent que pour la guerre. C'est une race encore demeurée au stade primaire d'une vie sans plaisirs, d'une vie tristement utilitaire, faite de chasse, de combats et de politique. Ils sont incapables de ressentir la joie face aux jeux que nous leur proposons. Ils y répondent par des grognements brutaux.

Nous pensons même qu'ils n'ont aucune croyance !

Dans ces conditions, comment une intégration pacifique est-elle possible ? C'est là toute l'énigme que vont devoir résoudre Agratius, Ophélia et leurs compagnons.

Le pouvoir d'Ophélia sera précieux : il permettra d'analyser l'esprit de ces indigènes. Quant à l'intelligence d'Agratius, elle servira à éviter le pire.

A moins que l'intransigeance des Ouaglah, qui ont semblé jusqu'ici incapables d'évoluer, ne pousse à de tristes extrémités...

Mais en attendant, nos amis peuvent encore profiter des loisirs qui leur ont été réservés à bord du navire : un bassin pour les jeux aquatiques, une salle entière remplie de jeux, et dans laquelle est organisée, tous les jours à heures fixes, une partie géante de petits chevaux, avec de vrais chevaux.



Les quelques jours de traversée se déroulèrent sans encombre et dans la joie. Agratius, Ophélia et leurs compagnons débarquèrent dans le petit port de Numis et furent accueillis par une formidable démonstration d'agilité.

Imaginez : au début, sur la scène, trois Kharfafla forment une pyramide humaine. Un quatrième arrive et grimpe en haut de la pyramide. Puis un cinquième, un sixième, un septième, un huitième, et c'est maintenant une pyramide de huit hommes que nous contemplons.

Et ce n'est pas tout...

Bientôt, on entend accourir, en chantant, un petit garçon. Il prend appui sur la jambe d'un des acrobates et s'élance dans la pyramide. A la façon d'un singe, il s'agrippe de bras en bras, de jambe en jambe, de torse en torse, et se met à réaliser des sauts fantastiques dans les espaces laissés libres par les différents membres de la pyramide.

Le plus incroyable est que, chaque fois qu'il touchait un nouvel acrobate, ce dernier se mettait à l'accompagner dans son chant. C'est ainsi qu'à la fin du numéro se fit entendre une admirable polyphonie d'hommes et de femmes.

On aurait dit une boîte à musique humaine !

Agratius et Ophélia étaient fascinés par le spectacle : ils applaudissaient tout du long. Ils félicitaient un à un les acrobates. Cirus aussi était enthousiaste. Il invita sa brigade à encourager le petit Kharfafla qui, par ses gestes calculés, organisait le choeur des adultes dont le tempo s'accélérait au fur et à mesure.

Lucius était plus réticent. Ces acrobaties lui rappelèrent les années passées dans le cirque. Ils lui rappelèrent la servitude et la honte. Il n'y vit qu'une joie primitive et fausse.

Certes, comme Lucius, les plus blasés d'entre vous diront que nous sommes capables de produire de tels effets polyphoniques au moyen de nos machines. Et tout cela sans fioritures spirituelles, et sans efforts. Ils diront que ces effets purement humains ont pu amuser nos ancêtres, du temps des cirques, mais qu'ils n'ont plus grande valeur, désormais.

Alors c'est vrai : nous avons des instruments qui permettent de reproduire toutes les tessitures de la la voix humaine. Nous avons des robots qui peuvent réaliser des acrobaties merveilleuses, et plus encore à l'aide de bras télescopiques et de membres aimantés.

Pourtant, je peux vous assurer que le spectacle donné par les Kharfafla avait en lui une forme de magie délicieuse. Il touchait peut-être une dimension archaïque de notre plaisir d'homme, mais il la touchait avec sincérité et profondeur.

N'oubliez pas non plus qu'il est la preuve de l'universalité des valeurs de notre civilisation. Les Kharfafla viendront au mécanisme et à la robotisation des spectacles. Ils y viendront en apportant leur savoir-faire et leur imaginaire, et vous-mêmes prendrez plaisir à les admirer. Il faut leur laisser du temps.

Leur temps est celui de cette chorégraphie parfaitement synchronisée. Et contrairement à ce que pense Lucius, ils prennent une grande joie à réaliser et à transmettre ce spectacle. Car il paraît que ce numéro est en réalité une offrande à un de leur dieu, une façon de lui exprimer leur gratitude d'être en vie et en bonne santé.

Peu à peu, la polyphonie s'éteignit. Le rythme se ralentit. Le petit garçon atterrit face à la troupe et les applaudissements éclatèrent de tous côtés. Car de nombreux Kharfafla étaient venus profiter, eux aussi, du spectacle, et prier ensemble. Certains improvisaient maintenant de petites danses, plus modestes, tout en chantant.

Les principaux danseurs se dispersèrent.

Un homme de la métropole s'avança vers Agratius et Ophélia pour leur serrer la main.

« Bienvenue. Je suis Quintone, le gouverneur de la province.

« Enchanté. Je suis Agratius. Voici Ophélia, ma soeur. Derrière moi, je vous présente notre compagnon Lucius ainsi que le brigadier Cirus, de Minium, et ses hommes.

« Minium... Ce nom m'est familier... N'y a-t-il pas là un orphelinat qui...

« Exactement, gouverneur... Mais nous ne sommes pas venus raconter de vieilles aventures, plutôt en construire de nouvelles !

Le gouverneur les conduisit dans sa cabane, tandis que Cirus et ses hommes aidaient à décharger les caisses et s'installaient dans la caserne militaire qui leur était assignée. Lucius, peu sûr de lui, resta près des deux enfants.

Une fois dans la cabane, Lucius admira la façon dont Quintone avait reproduit l'environnement raffiné de la métropole. Il y avait sur les étagères de magnifiques exemplaires des jeux en bois les plus chics : des plateaux d'échecs, des damiers, des jeux de l'oie gravés à même le bois. Il y avait aussi des dizaines de traités de jeux, parmi les plus rares. Ils côtoyaient la collection complète des romans publiés par la Firme ces dernières années. Il y avait même un théâtre mécanique portatif ! Le dernier modèle pour les grands voyageurs. Enfin, le jeu de taquin mural géant représentant, sous toutes les coutures, une danseuse de cabaret, était sans doute la pièce qui fascina le mieux Lucius.

Agratius et Ophélia, eux, écoutaient le rapport du gouverneur.

« Les rapports sur les Ouaglah sont de plus en plus inquiétants. Nous n'avons à présent plus aucun contact avec eux autres que militaire. Or, leurs tactiques de guérilla ne correspondent à aucun scénario connus par nos experts en missions militaires. Nous devons concevoir de nouveaux niveaux d'entraînement pour que les soldats soient performants.

« Avez-vous envoyé des missions de reconnaissance ?

« Nous avons formé des patrouilles de Kharfaflas aux jeux de la guerre pour qu'ils aillent voir sur place et ils nous ont rapporté qu'une puissante magie protégeait le camp de la tribu ennemie.

« Une magie ? Qu'est-ce que cela signifie ?

« C'est bien la question que nous nous sommes posés... Alors nous avons envoyé des hommes entraînés convenablement. Tous ne sont pas revenus. Et ceux qui ont survécu nous ont raconté qu'il semblait bien voir comme un champ de force empêchant le passage...

« Un champ de force ? Ce n'est pas beaucoup plus clair que de la magie...

« Différents mots, mêmes effets... Et nous ignorons de quoi il s'agit exactement.

Lucius, sortit de sa rêverie, intervint alors :

« Comment des êtres primitifs pourraient avoir la technologie nécessaire pour produire un « champ de force » ? Nous-mêmes ne l'avons pas, malgré les efforts de nos ingénieurs en ce sens.

« C'est exactement ce que je me dis, répondit le gouverneur. Et c'est pourquoi je finis par me demander si les Kharfaflas n'auraient pas raison de parler de magie...

Ophélia posa sa main sur celle du gouverneur qui se calma alors. Agratius accompagna le geste par la parole :

« Quelle que soit la menace, nous la découvrirons, et nous pacifierons la région. Ne vous inquiétez pas, gouverneur !

Soudain, le brigadier Cirus fit irruption dans la cabane, affolé.

« Gouverneur ! Les indigènes sont paniqués ! Un des enfants a disparu !

Dehors, une vive agitation soulevait le village entier. Les indigènes courraient en tout sens. Certains pleuraient, d'autres criaient, désespérés ! Les hommes de Cirus aidaient à fouiller les environs, mais personne n'osait encore se diriger vers la jungle dont l'orée marquait les limites des habitations.

Le gouverneur se renseigna.

« Visiblement, un des enfants a disparu : le petit garçon acrobate que vous avez vu lors de la cérémonie. Ses parents disent qu'ils n'ont qu'eut le temps de voir une ombre l'emporter...

« Est-ce courant, ces disparitions d'enfants ?

« Oui... Depuis quelques semaines. Et je parierais que les Ouaglah sont derrière tout ça.

« Nous allons le savoir tout de suite... L'alerte a été donnée à temps, il n'a pas pu aller loin.

Agratius monta sur l'estrade qui avait servi lors de la cérémonie. Ophélia se chargea de calmer les esprits et de les attirer vers son frère. Il s'apprêtait à leur livrer un de ses discours d'encouragements qu'il n'hésitait jamais à faire quand le devoir le lui imposait.

« Les Ouaglah ont osé capturer un de vos enfants le jour même de notre arrivée. C'est qu'ils se savent menacés, et c'est une façon pour eux de vous faire peur. Mais vous n'avez rien à craindre tant que moi et mes compagnons sommes là.

Il avait désormais toute l'attention de la centaine d'indigènes. La voix d'Agratius portait loin, ses paroles étaient claires.

« Je vous propose un jeu !

Une rumeur dans l'assemblée... Une excitation mêlée d'inquiétude.

« C'est un jeu de piste. Nous allons nous partager en dix équipes de taille égale. Chaque équipe aura un secteur attribué. Mon compagnon Lucius va se charger de la répartition. Le but du jeu est de trouver la moindre trace inhabituelle, et tout particulièrement des traces de pas. La première équipe qui trouve ces traces m'appelle. Et je vous promets que nous retrouverons votre enfant...

Très vite, toutes les équipes étaient en place, sous la supervision de Lucius et Cirus. On avait assigné dans chaque équipe un membre de la brigade pour diriger les opérations de recherche et rendre compte des résultats. Chaque équipe procédait avec attention...Quelle satisfaction de constater que l'esprit du jeu était si universel. Et un efficace outil d'organisation !

Il ne fallut guère de temps pour qu'une des équipes ne découvre les traces de pas qui menaient, comme vous l'avez deviné, vers la jungle...

La découverte terrifia les Kharfaflas... Bien sûr, car ils en déduisaient, non sans justesse, que c'était là encore une manigance de la tribu des Ouaglah !

Agratius devait intervenir précisément maintenant. Il devait intervenir pour sauver l'enfant. Mais il devait intervenir également pour montrer à tous, aux indigènes comme à ses compagnons, que l'espoir était en marche. Alors il s'avança vers les traces et appela Ophélia.

« Ophélia... Ils sont partis dans cette direction. Essaie de te focaliser sur l'esprit du petit garçon et guide-moi pour les retrouver.

Alors Agratius arma son pistolet et s'engagea dans la jungle.



Si près du village, la jungle n'était pas encore trop dense. Car il ne vous faut pas imaginer que la jungle est la même partout. Elle peut prendre des formes très diverses, même ici, au sein de la seule province de Numidia. Plus tard nos héros auront l'occasion d'affronter les véritables rigueurs de la forêt vierge. Pour le moment, Agratius parvenait sans peine à s'orienter et à suivre les instructions de sa soeur.

Ophélia, grâce à ses incroyables pouvoirs télépathiques, était parvenue à capter l'esprit du jeune Kharfafla. On aurait pu le croire paniqué, lui aussi... Mais non, il supportait stoïquement son enlèvement. Il était transporté sur le dos de son kidnappeur, attaché de façon rudimentaire par un assemblage de toile. Et dès qu'il comprit qu'Ophélia était entrée en lui, il s'efforça de ne pas s'évanouir et de garder le contact.

La petite fille eut alors une idée... Ou pour être plus exact, elle souffla une idée au jeune Kharfafla. S'il voulait qu'Agratius puisse le retrouver, qu'il trouve un moyen de ralentir son agresseur.

Il distingua alors, au-devant du chemin qu'ils suivaient, une liane solide pendant d'un arbre. Une occasion idéale...

De toutes ses forces, il l'agrippa. La secousse eut pour effet de l'extraire de sa prison de toile.

Quant à l'agresseur, il trébucha brutalement... Mais il eut tôt fait de se relever et de pousser un cri de rage en voyant sa victime suspendue à la liane. A toute vitesse, il fondit sur lui.

Que parierez-vous ? Seul face à un Ouaglah adulte, que peut le jeune Kharfafla ? Pas grand chose, évidemment ! Rien n'est plus faux... Peut-être vous souvenez-vous des prodiges d'acrobatie réalisés par cet enfant il y avait quelques heures de cela ? La poursuite n'allait pas être si aisée...

Et l'enfant sauta de liane en liane, alors que son agresseur, sur la terre ferme, tentait régulièrement de lui attraper les pieds... Sans le moindre succès.

Pendant ce temps, que se passe-t-il du côté d'Agratius ? Il suit la piste mentale tracée par sa soeur vers le petit garçon. Elle est à l'orée de la forêt et le guide télépathiquement. Il vous faut imaginer comme une sorte de boussole intuitive. Le Nord de cette boussole est le jeune Kharfafla. Et les deux parties se rapprochent...

Agratius fit face au Ouaglah, en pleine poursuite.

Un oeil mal exercé aurait du mal à le distinguer de ses frères ennemis Kharfaflas. Et pourtant, il y avait, dans le regard, une lueur bien différente. Une lueur orgueilleuse, froide, calculatrice.

L'occasion était idéale, se dit Agratius. S'il parvenait à capturer dès le premier jour un Ouaglah, la suite de la mission allait en être grandement simplifiée. Tout d'abord, cela allait lui permettre de s'assurer la confiance des Kharfaflas. Ensuite, il allait pouvoir récupérer des informations précieuses pour préparer l'infiltration dans la tribu ennemie.

Restait encore à le capturer.... Rien d'évident quand on ne connaît pas la véritable force de son opposant.

Le garçon mit l'indigène en joue et tenta de le raisonner.

« Rends-toi, guerrier ! Mes compagnons vont bientôt arriver et tu seras encerclé. Je ne te veux pas de mal.

Le Ouaglah se tenait fièrement sur ses gardes. Il fallait bien lui reconnaître une véritable prestance... Il commença à tourner les talons...

Que pouvait faire Agratius ? Fallait-il tirer ? Mais n'était-il pas dangereux de commencer le contact avec les Ouaglah par la violence ?

A Numis, Ophélia jaugeait la situation sans l'excitation de la poursuite. Il lui fallut bien peu de temps pour comprendre le dilemme moral que se posait son frère. Voyons... D'un côté Agratius, arme à la main mais hésitant à tirer ; de l'autre côté un Ouaglah connaissant par coeur sa forêt et sur le point de s'enfuir.

N'y avait-il pas une troisième donnée oubliée par les deux premières ?

Si ! Bien sûr ! Et voilà comment résoudre l'équation insoluble !

Pendant tout le temps de la confrontation, le jeune Kharfafla kidnappé se balançait de branche en branche. La petite fille lui glissa juste à temps l'idée de l'action qui allait tout débloquer. Il lâcha une lourde branche sur le crâne de son ennemi qui s'effondra au sol.

Agratius s'approcha du corps. Par chance, il respirait toujours.

Quant au jeune Kharfafla, il était désormais rassuré. L'épisode l'avait ému. L'espace d'un instant, il s'était senti comme le rouage le plus important d'une plus grande histoire. Mieux encore : sa mésaventure, loin e l'effrayer, l'avait amusé. C'est ce que révélait le sourire malicieux qu'il adressa à Agratius.

« Comment t'appelles-tu petit ?

« Deogratias.

« Hé bien, Deogratias, sois le bienvenu dans mon équipe...

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