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CHAPITRE 1 -  Au Détour d'une apparition 

L’Eldred est l’une des terres les plus riches détenues par les humains. L’une des nations les plus vastes. Au nord, seules les montagnes du Mothy ont eu la force nécessaire pour contenir ce peuple fier et impitoyable, qui arracha des mains des yhlaks dans le sang les plus belles plaines. Au sud, elle s’étend jusqu’aux rives du grand Océan de Lorîn.  Il y régnait un climat essentiellement tempéré, qui devenait même très chaud dans les contrées les plus au sud. De vastes forêts giboyeuses en couvraient encore l’essentiel.
Et la forêt était le royaume de Petit Louis. Il aimait plus que tout se sentir submerger par la nature et le feuillage des arbres. Il avançait à l’affût de signes ou de bruits quasi inaudibles pouvant le mener jusqu’au camp ennemi. En capturant deux esclaves enfuis de leurs anciennes maîtresses, il avait réussi à mettre la plus secrète des armée du Comté de Kryce sur la piste d’étranges elfes noires, leur signalement donnait tout lieu de croire qu’il s’agissait même des plus cruels d’entre eux: les troublantes et hystériques Furies de l’ordre d’Aubemorte. Que pouvaient-elles faire si loin de leur île en plein coeur de la Krycie ? Généralement, elles n’étaient jamais seules, constituant même plutôt une simple petite unité parmi de vastes armées, car leur passion frénétique pour le sang les rendait bien trop instables pour mener à bien toute autre mission. C’est pourquoi il redoublait de prudence dans sa progression. Ces compagnons éclaireurs faisaient de même, dialoguant régulièrement avec lui par signes. Ils étaient les yeux et les oreilles de l’avant garde de l’armée.
La progression n’était pas aisée car ils étaient proches du cœur de la forêt et toute la végétation qui l’entourait devenait dense et sauvage.  Mais il exultait à pouvoir se faufiler comme un animal. Pour l’instant, le danger n’existait plus pour lui, seule l’ivresse de se fondre dans la nature le guidait.  Son vrai nom était Louis Bonnard, on l’avait changé en  Petit Louis dès les premiers jours qui suivirent son intégration, dans la seule armée qui l’eût accepté : celle de l’ordre  des Moines Guerriers de Feunor. Il avait surmonté tous les bruits étranges et les rumeurs les plus sombres qui gravitaient autour d’elle pour s’engager.
De taille modeste, avec une carrure plutôt fragile et de médiocres talents d’archers, Petit Louis n’avait rien du profil guerrier. D’ailleurs, avec cette absence de prédispositions apparentes, personne dans le village qu’il côtoyait n’aurait parié qu’il se retrouva ici. Et pourtant, malgré tous ses handicaps, c’est ce qu’il avait fait ! Et ses supérieurs l’avaient accepté de bonne grâce ! Pourquoi ? Parce qu’il avait une sorte de sixième sens pour s’infiltrer dans la forêt et trouver l’ennemi. Son ouïe et sa vue incroyablement sensibles se transformaient en armes des plus stratégiques pour ses supérieurs : entendre sans être vu, détecter l’invisible, tel était son don.

 Le premier jour où il était rentré dans cette étrange armée de moines, il s’était fait happer par un certain Pisse-Langue. C’était une vraie fouine dont le passe conduit de leur sénéchal que Petit Louis détenait avait piqué sa curiosité. Ce nouveau compagnon parlait tout le temps. Il était si submergé de paroles qu’il ne les entendait plus. On lui présentait tant de visages nouveaux, tant de noms à retenir qu’il en avait la tête qui tournait.
-          Allez, viens, j’ai gardé le meilleur pour la fin, fit le grand bavard en clignant de l’œil à un grand gaillard qui rangeait ses affaires avec soin. Voici sa majesté le Comte de Laennec. Dit l’Enfourcheur pour les intimes.  Disons pour ces ennemis… et ces dames… Inutile de s’appesantir sur ce surnom.
Il n’était pas Comte pour un sou, seulement, il disposait d’un petit pécule qui l’avait autorisé à acheter une véritable armure de chevalier. Il faisait partie de la cinquantaine de cavalier que la section de l’œil de Dieu comprenait. C’était un homme droit, un peu réservé, qui plut tout de suite à Petit Louis.

-          A oui, il faut aussi qu’on te parle du capitaine. Un gars bien ! On l’appelle l’Oeil de Dieu, là aussi tu découvriras bien pourquoi tout seul…
-          Sois pas si dur avec lui. Treillères est effectivement un excellent capitaine. Il aime ses hommes. Sa foi envers Vuldone est très pure. Trop pure pour certains…
-          Ouais, on l’appelle l’œil de Dieu, parce que son œil droit se met à regarder tout seul le ciel quand une émotion trop forte le saisit.
Bien qu’il ait eu l’habitude d’être seul, Petit Louis apprécia immédiatement cette compagnie. Pisse-Langue semblait attendre une question de sa part qui ne venait pas. Il le regardait, un peu gêné…

-          T’es pas du genre bavard, toi, hein ? Tu veux pas savoir d’où vient mon surnom ?
-          Tiens donc… Et quelle version tu vas lui raconter, se moqua Laennec d’un air goguenard. Je doute que ce soit la vraie…
-          La vraie ! L’unique, s’enflamma avec humour le vétéran.
Alors il se mit à raconter son histoire avec moult geste. Il avait rencontré une femme, une belle femme, tout en chair, il ponctua sa description de demi rond avec ses mains pour dessiner une belle poitrine et une belle paire de fesses.

-          Une vraie femme, quoi. Elle avait tout de suite vu à qui elle avait à faire. Elle me montra une porte pour que je la rejoigne. Il y avait dedans juste une table avec des couvertures pliées dessus. Elle m’attendait, lascivement allongée sur cette table. Mon Dieu, vous auriez vu cette poitrine ! Il y en avait pour deux ou trois comme moi ! Mais elle ne me connaissait pas. Je lui ai sortie mon arme secrète…
-          C’est ça, tu vas maintenant nous dire que toi aussi tu es l’enfourcheur ?
-          Je ne parlais pas de cette arme-là… Je parlais de ça. !
Et il sortit sa langue, étrangement longue et large et fit mine de laper l’air. Il arrivait avec à toucher le bout de son nez.

-          Ca, c’est une arme secrète dont les femmes raffolent. Alors, voilà que je m’active sur son intimité. Là voilà qui frétille comme une ablette et me crie des « encore ! », des « ça vient ! » à ne plus finir. Et elle disait vrai la garce ! Me voilà inonder une première fois ; Je dis une première fois car jamais vous n’avez bu autant de leur liqueur que moi ce jour-là. Elle aimait ça, la bougresse. J’en avais la langue toute douloureuse. Je me lance une dernière fois sur ma besogne. Faut dire qu’elle me laissait pas le choix, Elle avait paqué ma tête entre ses cuisses et ne voulait pas que je me sauve delà ! Et pis voilà-t’y pas que je reçois une véritable douche ! Elle s’était complètement lâché et me pissait dessus ! Et quand j’ai raconté cette histoire, on m’a baptisé Pisse-Langue.
Il se tenait fier comme un pape devant son petit auditoire, hilare de ces mimiques et de ces effets qui accompagnaient son récit. Laennec le nargua à son tour.

-          Tu veux vraiment la vraie histoire ?
-          Pfff ! Tu veux vraiment détruire un mythe !
-          Tu parles d’un mythe. C’est un tel bavard qu’à chaque fois qu’on lui disait de se taire, il nous tirait cette grosse langue baveuse pour nous dire d’aller nous faire foutre. Alors pour lui rabattre son caquet, on a trouvé ce surnom, Pisse-Langue, parce que c’est un moulin à paroles qui pisse les mots comme nous la bière !
Le principal protagoniste n’en fut pas pour autant déstabilisé. Déjà il repartait sur d’autres histoires.

-          Et toi, ton surnom, c’est quoi ?
-          Oh moi ? Juste Petit Louis…
-          Mouis… C’est sûr que ça te va bien. Mais compte sur nous pour t’en trouver un autre bien meilleur ! Mais tu as bien une histoire à nous raconter, non ?
-          De quoi tu parles ?
-          De passe conduit…
Petit Louis parut d’un coup gêné. C’était une longue histoire et il ne les connaissait pas assez pour la leur raconter. Comment en était-il arrivé là ? Pourquoi  s’était-il engagé dans l’armée ? A s’engager dans ce que toute son âme aurait dû rejeter…Arriverait-il seulement à rencontrer un jour le Comte. ? Tout ça parce qu’il a maintenant plusieurs lunes, sa vie avait basculé… Il se rappelait encore ce jour. Un jour un peu semblable à celui-là, dans une forêt toute pareille à celle-ci sauf qu’il la connaissait par cœur. Mais il n’y avait pas de honte à ne pas la connaître par cœur, se répétait-il, comme s’il avait pu se tromper.

 

C'était il y a quelques mois. Petit Louis n’était pourtant pas d’une nature peureuse. Mais lorsque, au détour du chemin, il avait vu ça, il n’avait pas pu s’empêcher de prendre ses jambes à son cou, en laissant le petit gibier qu’il venait de braconner. Il courait depuis plusieurs minutes déjà lorsqu’il décida de s’arrêter. Non, ce n’était pas possible. Il avait dû se tromper de chemin. La forêt était ici particulièrement épaisse. Il n’y avait pas de honte à ne pas la connaître par cœur ! Il aurait voulu revenir sur ses pas, mais il ne voulait pas se retrouver confronté à sa vision : d’une part, parce que s’il n’y avait plus rien, il devrait s’interroger sur sa santé mentale, d’autre part, s’il n’avait pas rêvé et s’il ne s’était pas perdu, il lui faudrait remettre en cause beaucoup de choses. 
 L’Eldred est une vaste terre qui abrite bien des cultures et bien des courants religieux, sans doute la plus grande nation humaine. Et Petit Louis avait une sympathie pour aucun d’eux. Et ce qu’il avait vu l’amenait à penser au divin, oui, c’était pour lui l’explication la plus raisonnable. D’ailleurs, il n’aimait pas se l’avouer. Sa vie fonctionnait très bien sans qu’il n’ait jamais eu recours à l’aide d’un dieu, pourquoi commencerait-il maintenant ?
Il se décida à y retourner. Il fut surpris par l’anarchie de sa course et eut à plusieurs reprises des doutes sur le chemin à prendre, mais il voyait très bien mentalement l’endroit. Le coude du chemin approchait, il s’arrêta, hésita un instant, puis, n’entendant ni silence inquiétant ni bruit terrifiant, il pencha d’abord le cou. Stupidement, il avait sorti son épée. « Stupidement », parce qu’a priori il n’en avait pas besoin, pas contre « ça ». Le gibier mort gisait toujours par terre, là où il l’avait laissé dans sa précipitation. En le voyant, il eut la certitude d’avoir halluciné. Il s’engagea d’un pas ferme sur ce chemin pour se retrouver à nouveau face à la réalité : il y avait bien au milieu du chemin, comme s’il était là depuis toujours, alors qu’il « savait »  pertinemment que c’était impossible, il y avait donc bien là un immense monolithe bleu sombre qui lui barrait le passage…
Depuis qu’il avait fait sa découverte, le monolithe hantait littéralement les pensées de Petit Louis. Bien qu’il mourut d’envie d’en parler autour de lui, quelque chose l’en empêchait : la peur d’être ridicule, le plaisir d’avoir son secret et aussi une angoisse du lendemain, comme si, en le dévoilant, il allait lâcher des forces qui les dépassaient tous. Et puis, son rationalisme rustique de pauvre qui n’attend rien d’autre que ce que la terre lui donne se trouvait mis à mal, l’apparition trouvait une explication dans des sphères qu’il n’aimait pas côtoyer, il le savait autant qu’il le redoutait. Elle l’obligeait à envisager une divinité, un culte, un nouvel asservissement, alors qu’il n’avait rien à lui. Elle ouvrait une brèche dans ses pensées qui impliquait de reconsidérer toute sa vie et il n’en avait pas envie.
Son seul plaisir était de chasser, de prendre à qui n’en avait pas vraiment besoin les bienfaits de la nature pour en tirer un maigre profit, de quoi subsister dans un monde où la puissance de l’argent, du pouvoir et du savoir brisait quiconque trouvait l’audace de le renier. Braconner était justement sa façon de le renier, mais il ne voulait surtout pas aller plus loin. Justifier la présence de la Roche aurait nécessité encore bien plus. Face à tout ce foisonnement de pensées qui le troublait jusque dans ses nuits, il s’efforçait de ne surtout pas réveiller ce qui aurait pu jaillir de son âme en tachant de garder son esprit le plus engourdi possible. Il ne voulait plus réfléchir, pourtant, au fond de lui, un potentiel inexploité sommeillait, il l’avait toujours su. Et cette Pierre allait… Non, il ne fallait pas ! Il resterait fidèle à lui-même, fidèle à la vie qu’il subissait plus qu’il ne l’avait choisi, mais au moins, il savait à quoi s’attendre du lendemain : des peurs simples, des joies simples, une succession rassurante de jours quasi immuables qui lui apportait ce qui s’apparentait pour lui à de la sérénité. Ce fichu roc avait créé la seule exception à cette douce certitude. « Maintenant plus rien ne sera comme avant… », ne put-il s’empêcher de penser. « Non, pourquoi je dis ça ? Il ne faut pas, je ne veux pas ! Je n’ai rien demandé à personne ! Jamais !  A personne ! Pourquoi commencerai-je ? Surtout pas ! ». Une petite voix qu’il connaissait pourtant bien lui chuchota le contraire.
Pourtant dès qu’il allait chasser sur les terres du Comte, il ne pouvait s’empêcher de faire un détour pour le contempler, d’ailleurs, cela avait toujours été fructueux pour sa chasse. Bizarrement, le gibier était devenu plus abondant dans son voisinage. Une relation s’établissait entre lui et la roche bleutée. Tout ceci ne pouvait être bien sûr que dans sa tête. Un jour, il se rendit compte qu’il n’avait jamais osé la toucher, peut-être parce qu’il sentait comme une chaleur surnaturelle à son approche ? En fait, il ne savait si tout ceci n’était pas simplement le fruit de son imagination.
Une fois de plus, il le regardait fixement à la fois craintivement et respectueusement. Par sa forme, sa couleur, il ne pouvait s’empêcher de trouver comme une résonance dans son être, comme si elle lui parlait. Pourtant, il en était certain, il n’avait en face de lui qu’une pierre, aussi énorme qu’elle fut. Il respira une grande bouffée et se mit à rire de sa peur. Il tendit sa main dans sa direction, il sentit comme un vent chaud sur tout son bras qui le fit hésiter une nouvelle fois, puis il persévéra, doucement, hésitant de plus en plus. Il n’y avait plus que quelques millimètres qui le séparaient de l’étrange roche. Plus que jamais une douce chaleur en émanait. Il surmonta sa dernière angoisse et osa enfin poser la main dessus. Il la retira immédiatement, complètement paniqué par son contact. Elle était glaciale. Le chaud froid produit sur lui une sensation des plus désagréable qui le fit reculer de plusieurs pas. Puis, une vibration dans l’air le fit paniquer pour de bon. Un son étouffé comme un rire ou un grésillement envahit la forêt pendant quelques secondes, et c’était suffisant pour que son cœur s’emballe et que son sang frappe ses tempes, saisi par une terreur sans nom, une terreur qui existait déjà dans chacun de ses cauchemars d’enfant. Il s’enfuit encore plus vite que le premier jour de sa découverte. 

Lorsqu’il arriva en courant dans son hameau, les quelques voisins qui y logeaient le regardèrent, incrédules devant son visage rougi et ses cheveux collés par la sueur. Compte tenu de son métier de braconnier, il habitait à quelques kilomètres du village. Officiellement, il travaillait avec le maréchal ferrant, qui s’était lui aussi retiré du village au décès de sa femme. Petit Louis avait très vite été orphelin. Son père, ancien descendant du peuple des yhlaks avait fini par être accepté par les eldreds. Le peuple des yhlaks avait habité cette terre et plus encore. Quand les eldreds vinrent de l’Est, il y eut une longue guerre à l’issu de laquelle ils furent chassés impitoyablement. Les yhlaks durent s’exiler plus au nord. Seuls quelques survivants réussirent à rester en vie en se dissimulant dans les nombreuses forêts qui parsemaient ce vaste empire. Après avoir vécu des années entières comme un sauvage parmi la forêt, le temps des persécutions disparut. Ses ancêtres avaient pu commercer un peu avec le village ses captures. C’est ainsi que Petit Louis était né. Sa mère fut l’une des premières eldreds qui accepta de vivre avec l’un des descendants des yhlaks. Elle mourut lors d’une seconde couche et il n’en gardait quasiment pas de souvenirs. Il était lui aussi devenu braconnier et son père lui avait très tôt enseigné ses secrets. A son grand dame, bien que très habile de ses mains, son fils semblait plus attiré par le monde de la ville. D’ailleurs, il possédait une remarquable intelligence intuitive, son esprit vif le déstabilisait parfois, lui qui n’avait vécu que dans l’ombre de son propre père, lui-même braconnier de son état. Une mauvaise fièvre l’emporta ainsi que sa femme, laissant Petit Louis dans la nature et une vieille cabane.
La dernière fois qu’il avait suivi ce chemin, son père était encore là. Il n’était alors qu’un jeune enfant qui observait plus les racines, les cachettes dans un arbre, la grenouille qui sautait sur son passage que la direction elle-même. Son père le laissait faire. D’ailleurs, comme pour jouer avec lui, tantôt, il pointait son doigt vers une branche pour lui montrer la forme d’une feuille, tantôt, il s’arrêtait pour lui faire apparaître un chevreuil à quelque pas de lui, tantôt un cliquetis déclanchait un arrêt pour trouver la perdrix. Son père était un magicien, il faisait apparaître la vie sous ses yeux ébahis. Il parlait peu mais, de cette façon, il lui avait retransmis tout son savoir, ce langage secret de la Nature.
D’un tempérament timide et renfermé, il vécut de petits larcins et de petits rongeurs et passereaux qu’il piégeait pendant quelques semaines. Puis les villageois lui commandèrent du gibier comme ils le faisaient avec son père. Ainsi sa vie s’était écoulée depuis sans qu’il eut repensé à la ville, comme on disait, perpétuant en solitaire le savoir de son père.
Lorsqu’ils le virent rentrer dans cet état et les mains vides, le hameau sut qu’il s’était passé quelque chose de très inhabituel. Mais ils étaient loin d’en imaginer la cause. Agé de bientôt trente ans, Petit Louis était devenu renfrogné et un célibataire endurci. Son physique robuste, sa marche de loup, son regard bleu et toujours enfantin, une voix caverneuse et gutturale ne favorisaient pas vraiment les contacts avec autrui et cela lui convenait très bien. Il aimait la solitude et avait fini par ressembler à son père sur bien des points. A force de ne dialoguer qu’avec lui-même, l’esprit si vif de sa jeunesse s’était endormi. Mais, l’heure était au réveil. Bien que personne n’éprouvât le besoin de connaître les raisons de sa frayeur, le voir déambuler suscitait la curiosité. Soudain, il s’arrêta. Une idée lui avait traversé la tête, une idée qu’il aurait qualifiée d’obscène il y a quelques semaines : non seulement il allait descendre à la ville, mais il allait surtout demander à être reçu par le Comte de Kryce. « Les ennuis vont commencer mais qu’ai-je finalement à regretter ici ? Rien. Si je reste ainsi, jamais je n’ôterais ce maudit bout de pierre de ma tête. ». En se dirigeant vers son nouveau destin d’un pas si décidé, il ignorait que le monolithe allait entrer définitivement dans sa vie.

  

 

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