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Canton

Le soleil était haut dans le ciel accompagné de quelques nuages, une belle journée se préparait avant le rude hiver qui arriverait bien assez tôt. Naïa jeta un dernier coup d'œil à Dwaïn, allongé sur sa civière. Angie le surveillait alors que les infirmiers le chargeaient dans une des nombreuses ambulances présentes devant la gare. Deux MP encadraient chacun des ex-agents du CRIJ. Bien sûr, en d'autres circonstances ils n'auraient probablement pas suffit à les retenir mais Noé avait donné l'ordre de ne pas riposter et de les suivre sans opposition. Tous furent séparés avant d'entrer, pieds et poings menottés, dans le bus gris bleu de police militaire. Chacun d'entre eux était séparé du voisin par quelques sièges.

Une dizaine de soldats entrèrent pour les accompagner dans le bus dont les portes se refermèrent. Le chauffeur démarra le moteur, les générateurs EMP vrombirent puis le bus se mit à léviter quelques centimètres au dessus du sol. Un soldat frappa alors aux portes, le chauffeur grommelant les rouvrit.

_ Vous allez bien au palais de justice ? Ca vous dérange de me déposer ?

_ Qui êtes-vous ? s'enquit le lieutenant situé sur un siège près des portes.

_ Chaz… Lieutenant Chaz, j'ai été appelé ici mais mon véhicule a été réquisitionné par un colonel, vous savez ce que c'est, ils se croient tout permis à cause de…

_ C'est bon, montez, coupa le lieutenant.

_ Merci bien.

Il leva la jambe pour se hisser sur la marche et vint se poster derrière le chauffeur. Il jeta un coup d'œil aux prisonniers et remarqua Naem qui était assis au fond du bus, tête basse, dissimulant tant bien que mal les coups que les soldats lui avaient donnés dans le train pour passer le temps.

Au mot palais de justice Naïa avait jeté un regard à Noé espérant qu'il savait ce qui se passait ou plutôt s'il fallait qu'ils résistent. Celui-ci avait secoué la tête en réponse. La comparution immédiate était très mauvais signe en Eurasie, la majorité des accusés finissaient exécutés mais il leur fallait être coopératifs s'ils voulaient une chance de s'en sortir.

Le bus prit de la vitesse avant de rejoindre les voies aériennes situées à mi-hauteur des buildings où ils purent apprécier le décor à travers les vitres teintées. À l'image du pays, cette ville était disciplinée, propre à première vue et les nouveaux immeubles étaient bâtis espacés les uns des autres laissant place à de grande voies aériennes délimitées par des balises surmontées de drapeaux, flottante dans les airs.

Canton était une ville prestigieuse qui avait su s'adapter à l'adolescence technologique sans sombrer dans de grands écarts entre les classes sociales. Bien sûr toute la ville n'était pas protégée en cas de mise en route du bouclier et toute sa banlieue au nord et nord-ouest se trouvait en dehors du champ d'action. La population pouvait néanmoins se réfugier en centre-ville en cas de crise alors que les résidents avaient accès aux abris souterrains anti-nucléaires.


Wyndham

Oria n'arrivait pas à dormir, allongée sur son lit, contemplant le plafond de béton, témoignage du goût de la décoration des militaires.

Dans une poignée d'heures elle lancerait le biod sur l'Eurasie provoquant une guerre entre les deux plus grandes puissances, encore existantes, au monde. Leur groupuscule ne comptait pas plus d'une cinquantaine de milliers d'hommes et femmes actifs, mais ceux-ci s'avéraient êtres hauts placés dans les hiérarchies du Nouveau Monde et de la CITL, éléments clés qui feraient pression sur les décisions des gouvernements respectifs.

En tirant le biod sur l'Eurasie ils l'affaibliraient, la mettant dans l'impossibilité de riposter pendant le laps de temps que leur prendrait la recherche de l'origine de l'attaque. D'un autre côté leur action ne reposait que sur une probabilité de renverser à la fois la CITL et le Nouveau Monde ce qui, aux dires de l'Amiral Oïc, était aussi facile que de claquer des doigts. Elle l'avait d'ailleurs déjà entendu faire part à Naem de la possibilité de supprimer tout bonnement Akdov pour le mettre à sa place. Le Nouveau Monde étant essentiellement une nation militarisée, elle ne rechignerait pas devant un peu de mouvement et encore moins devant l'éventualité d'un peu d'action. Ce disant Oïc faisait référence à la guerre. Néanmoins ils ne se serviraient du Nouveau Monde que lorsque la bataille serait gagnée.

Oria roula sur le côté, actionna l'interrupteur de sa lampe de chevet et scruta sa montre : 10h52.

Elle soupira. Elle n'arriverait pas à s'endormir et à récupérer le sommeil dont elle manquait depuis plusieurs jours; elle se leva alors pour ouvrir les rideaux. Dehors il faisait assez mauvais et lorsque les nuages semblaient s'écarter ce n'était que pour laisser entrevoir ceux qui les remplaçaient. Foutu climat jura-t-elle intérieurement.

Sa fenêtre de béton et de verre pare-balle la séparait de la mer de Timor, bordant la ville de Wyndham en Australie occidentale. Oïc avait choisit un endroit assez épique pour y construire sa base après plus de deux ans à détourner de l'argent d'un peu partout afin de financer l'avant poste d'où il comptait livrer sa guerre. Oria pensa surtout qu'il avait choisit cet endroit du fait qu'il partageait le même fuseau horaire que l'ennemi qu'il s'était créé, mais aussi en mémoire d'un écrivain britannique qui avait écrit sur les désastres d'une attaque nucléaire. Elle sourit à l'idée que ce devait être l'unique livre que l'Amiral avait lu dans sa vie à part l'Art de la Guerre entre autres compositions militaires.

Oïc était retourné au Groenland pour y faire le ménage. Il semblait qu'un sacré chaos s'y était installé depuis leur départ. Le biod aurait dû être lancé deux heures auparavant mais ils n'avaient reçu aucune confirmation de leur base de tir du Pôle Nord. Pire, elle ne répondait même pas à leurs appels. Oria s'inquiétait surtout pour son fiancé qui n'avait pas donné de nouvelles.

Même si elle ne partageait que peu la pseudo philanthropie de Naem, elle l'avait tout de même suivit dans cette aventure, désobéissant de la même façon aux ordres de son oncle, Akdov. Ce qui lui importait était surtout le combat, elle avait terminé de grandir au Nouveau Monde, où les militaires formaient les jeunes à une éthique de guerrier. De la fierté de mourir au champ d'honneur. Oria n'avait jamais participé à aucun conflit mais à présent elle avait fait un choix qui lui semblait être un tournant dans sa vie. Elle avait choisit son combat et il lui tardait à présent de savoir si elle tiendrait la route, à la fois partagée entre l'excitation et l'appréhension.

Si la guerre était gagnée, ce qui ne semblait pas laisser de doute à leur groupuscule, sa première action serait sûrement de supprimer Oïc pour prendre sa place. Elle savait cette idée purement cupide, mais elle ne pouvait vivre dans un monde où rien ne changerait plus. Bien sûr il resterait l'Afrique à conquérir, impénétrable depuis la dernière guerre, mais elle comptait surtout vivre sa vie dangereusement et avec culot.

Oui sa vie serait osée.

Un garde frappa à sa porte avant d'ouvrir sans même attendre de réponse. Oria allait l'envoyer paître mais le garde prit en premier la parole :

_ J'ai pensé que vous souhaiteriez voir ça.

Il traversa la chambre sous le regard ébahi de sa supérieure puis alluma le poste. Oria, furieuse, allait lui expliquer qu'il serait sûrement muté au peloton d'exécution pour son attitude lorsqu'elle entendit le nom de son fiancé à la télévision.


Canton

Noé espérait que Oria regarde les informations, sachant Naem en ville elle ne tirerait pas le biod, ou elle le ferait mais pas sur Canton. Tetsuo jeta un oeil à Naem se demandant aussi si elle y tenait… La police maintenait un étroit passage vers les portes du palais pour les MP encadrant les prisonniers. Une bonne centaine de journalistes, et autant de manifestants qui avaient du apprendre la nouvelle de l'évènement à la gare, rendaient l'opération difficile, se pressant pour photographier, huer et hurler des propos incompréhensibles aux accusés.

Une fois dans le tribunal, les prévenus furent amenés dans des box individuels et encadrés d'une demi-douzaine de MP chacun. Les journalistes commençaient à se faire refouler vers l'entrée, l'audience se tiendrait ainsi à huis clos ce qui était plutôt mauvais signe pour les agents.

Naem pansait une plaie qui saignait au front, son revêtement de cyborg était par ailleurs abîmé à quelques endroits. Les soldats avaient vraiment dû le malmener et un instant Noé le pris en pitié. Il remarqua aussi des larmes couler sur les joues d'Angie bien qu'elle s'efforçât de conserver un masque impassible. Comment avait-il pu embarquer sa sœur dans une telle histoire ?

Et Naïa, que pensait-elle ? Celle-ci tourna la tête et le regarda en souriant. Elle s'en foutait royalement. Noé lui faisait confiance pour ça, elle devait déjà établir un moyen de s'échapper au cas où ça tournait mal. Sa spécialité en quelque sorte, une discipline de fer lui faisant feindre l'innocence, l'indifférence à toute situation et n'agir qu'au moment choisi à l'avance… et non au moment opportun. Naïa aimait la prévoyance, plus que la prudence et malgré leur différent elle agirait selon ses ordres.

À sa gauche Tetsuo baillait nonchalamment. Ce n'était pas sa première fois dans un tribunal, Noé l'avait lu dans son dossier mais n'y avait pas trop prêté attention. Quoiqu'il en soit il semblait lui aussi détaché des évènements.

En d'autres circonstances Noé aurait sûrement songé à conserver Tetsuo et Naïa pour former une équipe de longue durée, se basant sur leur stoïcisme et leur gestion du stress. Mais le balai incessant des personnes autour d'eux était assourdissant et l'empêchait de se projeter dans cet hypothétique futur où ils retrouveraient leurs quartiers sur Aïo. Les journalistes furent autorisés une dernière minute dans la salle pour photographier les prévenus.

Tetsuo souriant pour les clichés le fit passer pour un flambeur auprès de Naïa. Celle-ci remarqua que Noé semblait avoir distingué une connaissance au fond de la salle. Naïa aperçut quelques instants un homme d'une soixantaine d'années ainsi qu'une fille affichant la vingtaine à ses côtés, lui faisant un signe de tête avant de s'asseoir près de la sortie.

Puis les derniers journalistes furent remis dehors et les grandes portes derrière l'assistance se refermèrent sur une salle bondée. Dans les rangs était présent une majorité de soldats, colonels, lieutenants et autres secrétaires d'états qui avaient dû se libérer pour assister à la condamnation d'un des accusés voire de tous. Chacune de ces personnes était très influente et avait probablement eut affaire aux agents du CRIJ. Dommage pour eux, ils n’étaient jamais dépêchés pour les bonnes occasions et les autorités devaient êtres d'autant plus fières de leur capture.

Les agents se trouvaient sur la droite de la salle : Naem, Noé, Angie, Naïa et Tetsuo qui commençait à somnoler. Au fond les sièges des juges étaient vides pour le moment et sur leur gauche, entre l'assistance et les magistrats, se trouvait l'enclos où ils seraient peut-être invités à parler si le tribunal choisissait de leur accorder la parole.

Une porte sur le mur de droite s'ouvrit et tout le monde fut invité à se lever. Trois magistrats vêtus d'une robe rouge à l'encolure et aux manchettes blanches entrèrent, des dossiers pleins les bras. Ils étaient suivis de la greffière qui s'assit près de l'enclos vide des témoins, face aux accusés. Les magistrats s'assirent laissant une place libre à leur droite.

Le silence se fit alors dans la salle et le Juge principal prit la parole :

_ Nous sommes ici aujourd'hui, en comparution immédiate pour une affaire de grande importance, à la demande de notre Administratrice Lwaï Tse Now qui nous rejoindra sous peu, afin d'entendre et juger six personnes accusées, entre autres, de mise en danger de la vie d'autrui.

Ce goût des phrases à rallonge typiques des fonctionnaires de justice, songea Naïa. Un huissier vint à l'encontre du juge, qui lui remit une feuille, puis se tourna et prit la parole à son tour :

_ Colonel Jared Naem, né le 9 septembre 1960 à Detroit.

L'huissier fit une première pause pour jauger l'accusé étonné de le voir encore vivant à cet âge. Après s'être fait cybernétisé, l'espérance de vie de Naem avait triplé et même si en sa qualité de précurseur il était connu du monde entier, le voir en chair, en os et en métal faisait toujours son petit effet.

_ ... né de père et mère inconnus, vous êtes accusé de terrorisme en votre condition de mercenaire, d'espionnage, de vols industriels, ainsi que de trahison, chef d'accusation dont vous aurez à répondre en Nouveau Monde.

L'huissier toussota et reprit :

_ Noé…

Il marqua en temps d'arrêt, recherchant probablement son nom de famille accompagné d'un murmure de moquerie de la salle. Depuis l'avènement de la biométrie, les noms de famille n'étaient plus nécessaires et ainsi peu courants ou très coûteux, seules les personnes issues de classes sociales aisées ayant le privilège d'y accéder.

_ Commander Noé, né en 2044, de père et mère inconnus, vous êtes accusé de trahison, chef d'accusation dont vous aurez à répondre en CITL, mais vous répondrez ici de mise en danger de la vie d'autrui, ce terme comprend la ville de Canton et sa nation, ainsi que violence sur militaire en uniforme.

Noé acquiesça en silence remarquant les murmures de désapprobation dans la salle relevant le manque de chefs d'accusations. Il était effectivement probable que chacun des observateurs ait souhaité y ajouter son préjudice.

_ Angelica…

L'huissier marqua de énième un temps d'arrêt au silence comblé d'un murmure moqueur de la salle. Décidément, leur audience se devait d'être spectaculaire afin de marquer les esprits, songeait Naïa.

_ Angelica, née en 2045, sœur de Noé, vous êtes accusée de complicité pour les chefs d'accusation suscités. Naïa Dinnings, -l'huissier lui adressa un sourire que Noé attribua à la présence d'un nom de famille- née le 22 Mai 2043 à Sydney, de Louis Dinnings et Rebbeca Aanor, vous êtes aussi accusée des mêmes chefs d'accusations ainsi que Dwaïn Turner, né en 2040, hospitalisé pour le moment.

L'huissier repris son souffle et préparant la salle pour la cerise sur le gâteau.

_ Tetsuo Kanéda, date de naissance et origines inconnues, vous êtes accusés des mêmes crimes, mise en danger de la vie d'autrui, ainsi que de piratage informatique et êtes recherché par les autorités internationales pour la majorité des crimes informatiques punis par les lois en vigueur dans ce pays et notamment de participation à la WHW après la pulsion. L'audience de ce jour concernera essentiellement l'ajout ou la suppression des chefs d'accusations précités.

L'huissier jaugea les accusés.

_ Avez-vous quelque chose à dire avant que débute ce procès ?

Tetsuo se pencha vers son micro.

_ Merci d'être venus si nombreux !

Un brouhaha monta de l'audience que le juge eut tout le mal du monde à calmer. L'huissier ne sachant où se mettre, le juge lui indiqua sa place dans l'assistance.

_ Monsieur Kanéda, sentez vous vraiment que c'est le moment d'être insolent ?

Tetsuo ne répondit pas, fier de sa connerie, même Naem avait ri.

_ Bien si vous n'avez rien à ajouter le procès va…

_ Excusez moi de vous interrompre monsieur le juge… J'aurai effectivement quelque chose à ajouter, fit Noé.

Les magistrats échangèrent un regard. Le juge accorda d'un signe de la main. Noé se racla la gorge, se pencha vers Naem et lui murmura du coin des lèvres :

_ A notre victoire… à votre perte.

Naem lui décocha un sourire jaune. Noé se leva lentement regardant les MP qui s'approchaient de lui puis l'assistance avant de s'adresser au juge.

_ Par ces paroles je ne veux influencer le jugement… mais vous devez comprendre que si nous sommes venus ici ce n'est pas pour une quelconque action terroriste. Vous savez tout aussi bien que moi que c'est de notre plein gré que nous venons porter un message et je doute que nous aillons le temps d'attendre la préparation de notre défense pour en discuter.

Il marqua une pause afin d'observer l'impact de ses paroles, puis reprit :

_ Nous sommes venus ici pour porter un message à la nation eurasiatique : le colonel Naem ici présent et l'Amiral Oïc de la CITL se sont alliés dans un but commun qui est de détruire le Nouveau Monde et l'Eurasie…

_ Excusez moi monsieur… Noé, coupa le juge, croyez vous que deux hommes puissent quelque chose contre nos nations ?

_ J'allais y venir monsieur le juge avant que vous ne m'interrompiez…

Les magistrats ouvrirent de grands yeux mais ne purent répondre car leur porte s'ouvrit pour laisser entrer une femme d'une quarantaine d'années vêtue d'une grande robe noire aux reflets vert avec décolleté laissant apparaître une toge blanche. Une ceinture de soie blanche était nouée aux hanches et ses cheveux bruns nacrés étaient liés par une broche d'émeraude en chignon.

La salle se leva en silence faisant révérence, Noé en fit de même à la surprise de Naem. Lwaï Tse Now s'assit sur le siège libre et fit un signe de tête à l'assistance les autorisant à s'asseoir. Puis elle regarda Noé, toujours debout.

_ Bonjour Noé, comment allez vous ?

Les magistrats et l'assistance étaient bouche bée.

_ Bien, Administratrice, je me réjouis de vous voir à nouveau, même si nous aurions sûrement apprécié que ce soit en d’autres circonstances.

Noé répéta la révérence.

_ En effet, continuez je vous prie.

_ La CITL a récemment développé un armement biologique permutant des plus redoutables. Le colonel Naem ici présent -Naem secoua la tête, signifiant son embarra- a dérobé une partie de cet armement et s'est allié à l'Amiral Oïc afin de déclencher un conflit entre l'Eurasie et le Nouveau Monde les entraînant dans une guerre meurtrière. Leur mouvement compte lancer le biod, c'est le nom de cette arme, sur l'Eurasie et ainsi l'affaiblir pour que le Nouveau Monde remporte la guerre. L'amiral Oïc avait alors pour projet de prendre le contrôle du vainqueur à la fin des combats. Nous sommes ici car nous n'avons où aller, la CITL et le Nouveau Monde étant tous deux profondément infiltrés par le groupuscule à la solde d'Oïc.

Naem était stupéfait que Noé ait démêlé si loin leurs intentions. Ce dernier désigna de la main ses compagnons.

_ La CITL est ou tombera rapidement sous le joug de l'amiral Oïc qui ne gardera que ceux qui daignent le suivre dans cette lutte sanguinaire. Le Nouveau Monde, loin d'être un modèle de perfection, tardait de trouver une raison de s'en prendre à l'Eurasie… Nous n'avions où aller et avons ainsi pris votre parti de part la présence d'une population innocente et des objectifs pacifiques de votre pays. Nous sommes coupables de la mise en danger  de la vie d'autrui, ayant attiré l'Ange vers votre cité. Mais croyez nous, nous savions ce que nous faisions et l'incident de la gare est plus que déplorable. Nous nous sommes ainsi rendus et offrons nos services à votre nation.

Tetsuo et Naïa savaient que Noé avait déformé certaines vérités, notamment sur les objectifs pacifiques de l'Eurasie, afin laisser une ouverture dans la politique à venir eurasiatique.

_ Incident ? reprit le juge blême, vous appelez l'attentat de la gare un…

Lwaï Tse-Now l'interrompit d’un geste sec et laissa Noé reprendre, s'adressant à l'Administratrice.

_ Je demande donc à l'Eurasie d'être plus que préventive et de s'attendre à entrer en défense à tout moment, j'entends par ceci la fermeture des boucliers.

_ Monsieur Noé, ne croyez vous pas que le Général Akdov aura vent de la tournure des évènements et agira en conséquence ?

_ Non Monsieur le juge, car le Général Akdov est, si je puis dire, de mèche avec l'Amiral Oïc, et s'il croit à nos dires sans penser à une quelconque diffamation, il agira quand même, gardant à l'esprit la possible trahison de ses alliés. Croyez-moi, du Général Akdov ou de l'Amiral Oïc, les deux se valent et aucun n'est un bon présage pour le futur de notre planète. Madame, vous savez ce que nous valons et que nos services peuvent être utiles pour éviter une catastrophe, aussi je vous prie de bien vouloir être indulgente, nous aimerions nous racheter en donnant le meilleur de nous pour le reste à venir, pour l'Eurasie. Merci.

Naem était atterré. La salle était muette, les juges s'échangèrent des regards médusés. Tetsuo referma son poing et frappa doucement son genou, Naïa et Angie en firent autant, signe qu'ils étaient avec lui et qu'ils approuvaient, sans pouvoir le dire, ses paroles.

L'Administratrice se leva et prit la parole à la place des juges.

_ En ma qualité d'Administratrice je demande la remise en liberté conditionnelle de Noé et de ses congénères afin qu'ils puissent nous assister et ceci sur la base de circonstances atténuantes que j'assure. Bien sûr ce procès est simplement ajourné jusqu'à ce que les dires des accusés soient démentis ou bien, si c'est le cas, la fin de la crise à venir. Ce disant je n'inclus pas le colonel Naem et demande par contre qu'il soit emprisonné jusqu'au procès. J'invite les juges à prendre mon avis en considération.

Sur ce elle se leva et sortit de la salle, l'assemblée debout. La porte se referma sur une rumeur de l'assistance. Le juge principal prit la parole :

_ Bien, en considération de l'avis de notre Administratrice, le procès est ajourné jusqu'à nouvel ordre. Le colonel Naem sera placé en détention de haute sécurité. Quant au Commander Noé, Naïa Dinnings, Angelica, Tetsuo Kanéda et Dwaïn Turner, ils seront remis en liberté conditionnelle avec interdiction de ne pas sortir de la ville et de se présenter une fois par semaine au tribunal. Vous serez par ailleurs équipés de bracelets GPS afin de s'assurer de vos mouvements.

Il soupira affichant une légère déception.

_ La séance est levée !

***

Le secrétaire d'état regardait par la fenêtre les accusés descendre les marches du tribunal, se frayant un chemin tant bien que mal à travers les journalistes. Il remarqua le colonel Naem rejoindre le bus de détention entouré d'une dizaine de MP ainsi que Noé discutant avec un homme d'une soixantaine d'années.

_ Ainsi Noé connaît le vieux Hayao…

 La pièce était décorée avec style mais sans originalité, les meubles en bois et les grands rideaux étaient identiques à tout poste haut placé de l'administration, avec bien sûr le petit frigo et le bourbon. Le lieutenant Cortez, assis devant le bureau détaillait la pièce avec dégoût. Ces p….. d'amerloques, on ne leur avait pas assez fait la peau et voilà qu’ils prenaient les hauts postes des autres nations.

D'origine Mexicaine, Cortez avait vu le vent tourner bien assez tôt pour changer de camp. Il avait alors quitté sa femme et sa fille pour fuir en Eurasie. A présent sans attaches il était libre d'offrir ses services de porte-flingue aux plus offrants et, pour le moment, le secrétaire d'état était un bien assez généreux sponsor pour ses orgies. Un jour il ferait sûrement la peau à ce ricain.

_ Je veux savoir où ils l'emmènent.

_ Le colonel ? questionna Cortez. Dans une prison.

Il se leva pour se servir un verre de bourbon. Le secrétaire Hackman qui lui tournait le dos lui intima de ne rien en faire.

_ Si on trouve vos empruntes ici je suis grillé ! Vous ne réfléchissez donc jamais ?! -Il réajusta sa cravate-. Si vous avez soif il y a un bar en face le palais de justice, je vous paie bien assez grassement pour ça.

Il se retourna et s'assit. Cortez revint vers sa place mais Hackman reprit, le nez dans ses papiers :

_ Restez debout… -Il releva la tête- Trouvez où ils emmènent le colonel Naem, il peut être un atout. Ils vont sûrement s'en servir pour avoir des renseignements. Payez le et si l'argent ne l'intéresse pas, qu'il sache qu'il y a des possibilités de l'emmener avec nous s'il nous permet de rejoindre son organisation. A moins qu'il ne préfère mourir dans les douches de la prison.

Hackman tendit une enveloppe au lieutenant qui hocha la tête et tourna les talons.

_ N'oubliez pas de faire attention au vieillard… Hayao, ajouta-t-il à la moue du lieutenant. Il est peut-être vieux mais si Naem et Noé s'y sont intéressés ce n'est pas pour rien. Prenez une douche aussi, ça fera du bien à tout le monde.

Cortez referma la porte, huma ses fringues et poussa un juron.

_ Couillon de Yankee !

Il passa à côté du lieutenant Chaz qui patientait dans le couloir sur un banc de bois. Cortez releva la tête à son salut et repartit furieux.


Wyndham

Oria avait juste pris le temps de remettre sa veste laissant sa casquette dans ses appartements et déboula dans la salle de contrôle de la base où se trouvaient une vingtaine d'opérateurs. Celle-ci était composée de quatre rangées d'une demi-douzaine d'ordinateurs installés en escaliers. Elle grimpa trois marches dos à l'écran de contrôle qui affichait  la carte du monde et l'emplacement de leurs unités. Elle s'approcha alors de l'opérateur en chef qui fut surpris de la voir empressée.

_ Donnez moi la carte de contrôle des missiles.

L'opérateur faillit en tomber de sa chaise.

_ Mais… On… vous… enfin…

_ Faites un brouillon avant de prendre la parole !

_ Je…

_ La carte !

L'opérateur principal déglutit et se ressaisit remarquant que ses subordonnés attendaient sa réponse.

_  Seul l'amiral Oïc peut obtenir cette carte et il est de mon devoir…

Oria le fusilla du regard et donna un coup de pied dans sa chaise roulante entre les jambes de l'officier, l'envoyant rouler plus loin. Elle se mit à pianoter sur son clavier. L'opérateur revint à la charge :

_ Vous n'avez…

Oria se retourna :

_ J'ai tous les droits. Oïc étant absent je suis seule autorisée à prendre les décisions ! Rompez !

Elle se remit à pianoter. Alors qu'elle allait activer la commande de libération de la carte à code, l'opérateur en chef la retint par l'épaule mais ne vit pas arriver le coup de tête qu'elle lui décocha en retour dans le nez. L'officier se retrouva au sol maintenant son nez ensanglanté entre ses doigts. Oria valida l'opération et une carte magnétique sortit d'un boîtier situé près de l'écran. Elle la prit et releva la tête mais s'arrêta stupéfaite.

Une douzaine d'hommes la pointaient de leur arme de service. L'opérateur en chef se releva colérique et s'approcha d'elle tout en essuyant le sang qui gouttait à présent sur son uniforme.

_ En tant qu'officier supérieur je relève le Major Oria de ses fonctions pour manquement à son devoir et …

L'officier cligna des yeux reportant les mains sur son nez qui le faisait souffrir. Oria sourit, elle avait toujours eu un bon contact avec les hommes.

Il tendit la main :

_ Donnez moi cette carte. Vous êtes relevée de vos fonctions.

Le regard méprisant Oria fixa l'opérateur qui peinait à soutenir son regard.

_ Petite merde… je ne te t'oublierai pas ! maugréa-t-elle.

Elle regarda à nouveau la douzaine de soldats qui la tenaient en joue.

_ Nous ne pouvons lancer le biod sur l'Eurasie, Na… votre colonel, Naem, y est retenu prisonnier, nous ne pouvons le laisser dans une telle posture.

L'officier fit un pas en avant, la main toujours tendue.

_ Allons, donnez moi cette carte ! lui intima-t-il.

Oria ne pu que se résigner et tendit lentement la carte à l'officier. Elle ne pouvait condamner ainsi son fiancé ni ne pouvait choisir ce combat qui lui tardait d'entamer. Elle réfléchit rapidement tout en cachant sa réflexion aux soldats qui suivaient la carte des yeux, jonglant entre ses doigts avant de la serrer par la tranche dans sa paume. Elle sourit. Sa vie serait osée, son combat aussi. Elle referma la main, brisant l'unique carte de contrôle des missiles à biodisrupteur.

L'opérateur en chef pensa tout d'abord à lui écraser son poing dans la figure mais Oria était entraînée pour le terrain et lui pour… la paperasse. Il releva la tête et tendit son index vers elle avant d'ordonner, non sans mépris, à ses hommes de l'enfermer.

Une fois qu'Oria fut menottée et emmenée il se tourna vers son collègue :

_ Combien de temps pour la fabrication d'une nouvelle carte ?

_ Vingt heures peut-être plus, se hasarda celui-ci.

_ Vous avez jusqu'au retour de l'Amiral, il regarda sa montre, soit cinq heures maximum.

Puis il regarda un à un ses hommes :

_ Dorénavant et jusqu'au retour de l'Amiral je suis seul chef en ces lieux. Toute personne contredisant ceci sera à son tour bouclée. Compris ?

Heureux de son effet sur son auditoire il se rassit puis claqua des doigts.

_ Café !

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