Etoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactives
 

Ce fut la main gauche qui sortit en premier, une main brunâtre, aux ongles inexistants, sous la peau des veines dans lesquelles aucun sang ne coulait depuis longtemps sillonnait de part en parts le membre. Puis la droite émergea de la terre, en tout point semblable à sa sœur. Les deux avant-bras sortirent simultanément. Vint alors le reste des deux bras ainsi que la tête. Une tête sur laquelle ne subissaient que quelques touffes de cheveux, des dents cariées et branlantes, un nez à moitié dévoré par les vers, des lèvres verdâtres et deux yeux jaune globuleux. Suivirent les épaules, le tronc et les jambes. Ainsi, quelques instants après que le premier doigt se soit retrouvé à l’air libre, il contemplait d’un regard sans émotion les alentours. Autour de lui d’autres zombis apparaissaient, revenant à la vie, leur cœur de nouveau irrigué par le sang magique que leur procurait le maléfice que leur maître. Les deux fois nés s’assemblèrent autour du nécromant, formant ainsi un anneau autour de celui qui les avait sorti des limbes de la mort. Puis ils quittèrent le cimetière. Quant à lui, il suivit le reste de ses semblables, se sentant obligé de rester à proximité de son maître. Il marcha, marcha et marcha encore, il ne ressentait rien, ni fatigue ni lassitude. Rien ne venait troubler ses pensés, axées sur un seul et même but, rester près de nécromancien. Parfois quelques brides de souvenirs remontaient à la surface, dans un fugace effort pour le détourner de son but, mais elles restaient quelques instants, images d’une vie oubliée, avant de retourner dans les profondeurs de l’oubli. Il avait perdu toute notion du temps, regardant d’œil morne le soleil succéder aux étoiles. Les rochers écorchèrent en un rien de temps ses souliers de cuirs, vestiges d’un passé appartenant aux anciens temps. À chaque pas ses pieds se couvraient de nouvelles plaies, rapidement occupées par des vers. Finalement au bout d’un temps ridiculement petit comparé à celui qu’il avait passé dans la tombe, leur maître s’arrêta. Alors que le soleil se levait, il s’allongea sur le sol et y resta. Les non-morts quant à eux, s’osaient bouger et restaient debout sous les feux brûlant de l’astre du jour. Il imita ses compagnons de fortune mais, vu que rien n’occupait son esprit, les souvenirs refirent surface. Il entrevit des moments de sa vie ; il se vit bêchant la terre rocailleuse à l’aide d’un outil de bois ; il se vit, pendant l’hiver, abattre du bois ; il se vit en compagnie d’une jeune fille, marchant dans sur le bord d’une rivière ; il se vit finalement sur un lit, le regard éteint et l’air absent. Ces souvenirs défilaient dans sa tête, lui laissant un sentiment de profonde amertume et de désespoir. Une fois que le soleil eut disparut, le magicien se réveilla, et ils se remirent à marcher. Alors que la lune dépassait son zénith, ils arrivèrent sur le sommet d’une colline qui dominait une cuvette dans laquelle, au fond, se tapissaient quelques habitations de bois. Le nécromant tendit un doigt en direction du paisible hameau et tous les deux fois nés sentirent un irrésistible besoin de chaleur, de vie. Ils descendirent et le nécromancien les suivit.

Il courait presque lorsqu’il atteignit les premières maisonnettes, il leva son poing décharné et frappa la porte. Cette dernière n’eut même pas un craquement. Il répéta son manège, d’autres zombis venant l’aider. Ainsi, après des dizaines de coups, la porte céda. Il se rua sur les habitants, depuis longtemps éveillés par le raffut provoqué par les non-morts. Il saisit l’homme qui essayait de protéger sa famille par le cou et le maintenu en l’air. Son visage déjà livide de peur, se mis à bleuir par le manque d’air. La femme, armé d’un couteau rouillé, se jeta sur la créature qui terrassait son époux. Elle réussit à couper lui couper net le bras avant d’être attrapé par un mort-vivant qui la tua sans difficulté. Il contempla son bras qui tenait toujours la gorge de l’humain, ce dernier, affalé sur le sol de terre battue, s’était évanoui sous le manque d’oxygène. Il récupéra son bras, puis, il le colla à son moignon. Le sang magique se remit à couler dans le membre sectionné, les deux parties se rattachèrent alors et la seule marque de cicatrice visible fut un mince trait vert. Il reporta ensuite son attention sur l’homme, s’assit dessus, lui entrouvrit la bouche et y plongea sa main. Tandis que sa main plongeait dans les organes de l’homme, il ressentit une extase incroyable, la chaleur et la vie logée à l’intérieur même de l’humain lui procurait un plaisir illimité. Pendant plusieurs minutes, il fit traîner son membre dans le corps humain, mais après la vie s’en échappa puis la chaleur, ainsi disparu la transe qu’avait connu le zombi. Il se releva et constat qu’il était à présent seul dans la cabane, ses congénères étant partis à la recherche de nouvelles proies. Alors qu’il se préparait à sortir, un détail attira son attention. Dans un coin de la pièce, partiellement dissimulé par des draps sales, un coffret de bois laissai filtrer un mince rai de lumière bleue. Il se dirigea vers le-dit coffre, l’ouvrit et y découvrit quelques menus objets sans importance qui devaient être les seuls bien précieux des habitants, tel un pendentif plaqué d’argent, une bague en cuivre et un morceau de quartz. Mais il y avait aussi une amulette sur laquelle était gravées de complexes runes et qui était la source de la lumière bleue. Il la saisit et la mit à son cou. Dès que le bijou toucha la peau grêle du mort-vivant, ce dernier sentit une énergie nouvelle affluer dans ses veines. Tel, un torrent au cours tumultueux, la magique provenant du talisman, très certainement un ancien artefact nécromant, inonda ses veines, lui donnant une force qui lui était jusque là inconnue. Ainsi, le deux fois né sortit de la cabane. Au loin, les cris des paysans déchiraient l’obscurité, vain appel au secours. Il se dirigea d’un pas plein de vigueur vers le centre du village, enfin là où les huttes se faisaient plus denses. À cet endroit, il vit les zombis sortir et rentrer dans les masures pour se gorger de la vie des campagnards. Il aperçut aussi plusieurs silhouettes en train de frapper une autre qui gisait à terre. La tête lui tourna lorsqu’un impétueux instinct lui commanda de se porter à la rescousse de la-dite silhouette. Alors qu’il s’approchait, il eut un choc en reconnaissant le sorcier qui l’avait réveillé. Il coura en direction de son maître lorsque tout à coup, il s’arrêta. Le nécromancien venait de pousser un dernier râle avant de partir rejoindre celle qu’il avait si souvent défié en lui volant ses rejetons. Partout autour de lui, les zombis s’effondraient, les morts-vivant s’éteignant en même temps que leur créateur. Mais il resta entier. Tandis, qu’il voyait ces congénères retourner dans l’étreinte glacée de la mort, lui restait bel et bien dans le monde des vivants. Il vit alors les villageois se rassembler en cercle autour de lui, leur figure déformé par un rictus de triomphe mais aussi par une curiosité dissimulée. Il se mit alors à marcher, avant d’accélérer le pas jusqu’à ce que sa fuite devienne une course effrénée. Au bout de quelques kilomètres, constatant avec un semblant de joie que les humains ne l’avaient pas poursuivi, il ralentit son allure pour finalement s’arrêter complètement. Il se tenait là, au milieu d’une vaste et désertique plaine, entouré par les ténèbres fuyant devant le soleil qui commençait à poindre à l’Est. Des émotions les plus diverses vinrent déchirer son esprit en suspend entre la vie et la mort ; il éprouvait ce qui aurait pu se définir comme de la tristesse, pour lui, il ne s’agissait que du sentiment que quelque chose lui manquait. Il réussit à attribuer cette sensation au fait que celui qui l’avait animé avait disparu. Le Lien entre lui et son maître avait disparu. À présent, il dépendait de son amulette, si jamais il s’en éloignait trop, il retournerait à la terre qui l’avait conservé pendant des décennies. Ensuite, naquit dans le cerveau décrépit du zombi un sentiment de colère. Une colère froide, sourde vengeresse. Une colère envers les hommes, qui avaient tué celui qu’il aurait pu considérer comme son père, une colère qui muta en haine. Une haine implacable contre l’espèce humaine, qui le rejetait, qu’il ne pouvait s’empêcher d’admirer et de désirer. Il en vint à désirer une seule et unique chose : Être. Tandis que le soleil dardait de ses rayons la plaine encore embrumée, il eut sa révélation. Tous ses souvenirs, toute sa mémoire, toute sa vie lui revirent. Il se revit enfant, jouant des heures avec un petit bout de bois ; adolescent, bêchant la terre du matin au soir ; jeune homme, en compagnie d’une jeune fille dans un endroit sombre, à l’abri des regards indiscrets ; mari, réconfortant sa mère lorsque son père qui tomba au champ d’honneur ; père, essayant pendant des heures d’endormir un enfant pleurant sans discontinuer ; et enfin ; vieillard, homme aux cheveux blancs, assis à coté d’un feu de cheminée, parlant d’un ton plat et monocorde. Puis, plus rien. Le noir le plus absolu, et ce durant éons ; un sommeil, froid et inerte, suivi d’un retour à la surface, à l’air libre, à une sorte de vie. Tout ce retour à la vie n’avait pris que quelques minutes, le temps d’un retour sur une vie paradisiaque. Mais, il ne put s’empêcher de hurler son désespoir, pitoyable tentative de rejeter la haine qui le consumait. Ses cordes vocales décharnées ne purent supporter l’intensité de ce cri tant l’agressivité et la colère le rendirent puissant, si bien qu’elles lâchèrent et l’appel à l’aide du non-mort s’éteignit, laissant place au silence de l’aube. Le sifflotement d’une mésange vint troubler l’immobilité de la plaine. Pour lui se fut un signe, un présage, il se mit à marcher d’un pas lent, régulier. Ainsi, le mort-vivant parcouru la plaine, avant de franchir un amoncellement de collines, cherchant à mettre le plus de distance possible entre lui et son ancienne vie, moment de pure béatitude et de bonheur. Mais alors qu’il allait pénétrer dans une forêt par un chemin en piteux état, il tomba nez à nez avec deux voyageurs. Ces derniers, bien qu’armés, n’étaient que de paisibles commerçants ambulants. Lorsqu’il les vit, sa première pensée fut de les tuer. Cependant le retour de sa mémoire lui ayant apporté quelque sens moral, il sut dominer son instinct et s’approcha avec un sourire amical. En voyant le mort-vivant s’avancer, la main tendue en avant et un affreux rictus sur la figure, les deux hommes poussèrent un hurlement de terreur et sortirent leurs armes du fourreau. Il, animé d’intentions bienveillantes, fut profondément choqué par l’agressivité des deux marchands. Le deux fois né persista tout de même à vouloir les approcher, à vouloir leur parler, à désirer se faire connaître. L’un des deux hommes se jeta alors, une dague à la main, sur le mort-vivant. Il eut un malheureux réflexe, et, quelques secondes plus tard, tel une lance, sa main traversait le corps du négociant. Le bientôt-cadavre émit une série de faibles gargouillis avant d’expirer. L’autre humain s’enfuit dans la direction d’où il était venu. Il se saisit alors d’une pierre de taille moyenne et la lança sur le commerçant. Le projectile atteignit le fuyard en pleine tête qui s’effondra, mort. Tandis qu’il contemplait les deux corps inanimés, sa mémoire lui criait son dégoût et son horreur pour les crimes qu’il venait de commettre :

 Tu es un assassin, un monstre ! Tueur, criminel, monstre !

Ces paroles, car c’était bien les paroles d’un autre être, d’une autre volonté, c’était les paroles de Celui-d’avant bien qu’elles viennent de l’intérieur, ne faisaient qu’effleurer le jugement moral de lui. Pour il, il n’avait fait que se défendre ; le deuxième ? Il aurait averti d’autres hommes qui l’aurait tué. Un seul corps, deux volontés, deux êtres différents, ainsi le zombi aurait pu être décrit. Il était celui qui dirigeait le corps, qui dirigea chaque action. Celui-d’avant était la mémoire, le sens moral, l’âme. Mais ces deux entités étaient séparées par plus d’un siècle. Deux formes de pensées pour un seul corps, un corps décrépi, pourri… Il se remit à marcher, suivant le chemin et dépassa le cadavre sans lui jeter un regard. Celui-d’avant avait arrêté de hurler ses pensées et aucune pensée ne venait troubler la quiétude du corps. Le soleil brillait ; le ciel était d’un bleu immaculé ; les oiseaux chantaient ; les petits écureuils sautaient d’arbre en arbre ; les paisibles cerfs broutaient les fraîches fougères du sous-bois ; un couple de campeurs profitait de la quiétude de la forêt ; Madame Campagnol, accompagné de ses enfants, allait rendre visite à Madame Pinson ; et un mort-vivant se baladait au milieu cette atmosphère féerique… [1]

Mais un cri vint troubler toute cette tranquillité.

-AU…SEC…

Il se dirigea, plus par curiosité que par héroïsme, vers la source de l’appel. Pendant que Celui-d’avant le pressait de se dépêcher, le non-mort arriva à une rivière tumultueuse dont l’eau d’un bleu aux reflets argentés projetait une myriade de fines gouttelettes qui formait un arc-en-ciel allant de part et d’autre du cours d’eau. Et, en plein milieu du torrent, juste sous l’arc-en-ciel, un jeune enfant, accroché à une pierre aux arrêtes aiguisés, essayait vainement de ne pas se laisser emporter par le courant. Voyant cet enfant innocent, qui lui rappelait terriblement son fils, luttant désespérément contre la mort, Celui-d’avant réussit à contrôler leur corps. Il se jeta dans l’eau, nageant alors qu’il n’avait jamais appris, réveillant les muscles faméliques par la seule force de sa volonté. Ainsi, il réussit à atteindre le rocher, à attraper l’enfant et à rejoindre la rive opposée, où il s’évanouit de fatigue. Il reprit alors le contrôle du corps et le releva, car le corps s’était que peu fatigué, seul Celui-d’avant avait du fournir un effort titanesque pour contrôler et faire fonctionner ces membres dont il avait perdu l’usage. Il se saisit de l’enfant et le coucha sur le dos, le chérubin s’étant endormi d’un sommeil régulier. Il attendit ensuite que Celui-d’avant se réveille, ils devaient parler. Au bout d’un temps indéterminé pour lui, Celui-d’avant sortit de sa torpeur. Avant même qu’il ait eu le temps de dire un mot, Celui-d’avant lui parla en ses termes :

-Je vais aller dans l’enfant ! Je serais ttoujours dans un recoin de son esprit, je le conseillerais, je l’aiderais. Jamais il ne se douteras qu’un homme mort il y a un siècle " vit " dans son âme. Jamais je ne lui dirais mes pensées directement mais toujours il les recevra par son sens moral. Je dois aller dans cet être, je serais son conseiller, je serais sa conscience.

Il ne dit mot mais se saisit de la tête de l’enfant et l’appuya contre la sienne. Puis, il désira de tout son cœur que Celui-d’avant quitte son esprit ; Celui-d’avant, lui, désira de tout de cœur quitter la pensée de lui. Les deux corps restèrent ainsi, tête contre tête pendant plusieurs heures. Finalement lorsque le soleil se leva, il reprit ses esprits ou plutôt Son esprit. Le mort-vivant étendit de nouveau le corps du garçon sur le dos et, après l’avoir contemplé longuement, partit dans la forêt. L’esprit en paix, et, surtout, à lui…

Fin

Mais après tout, peut-être n’est-ce que le commencement…

 


[1] bien sûr le mort-vivant ne colle pas trop mais c’est le héros, j’étais bien obligé de le mettre là.

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