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     Une nuit sans lune…

     Syrius Fenris commençait à ressentir la fatigue. Eclairé par la flamme d’une petite bougie, il rédigeait les dernières lignes d’un courrier adressé à l’un de ceux qui l’avaient fidèlement suivi au cours des croisades qu’il mena au nom de la reine éternelle, et par la suite aux cotés de Janus, son père ; un héros dont on chante les louanges en Ulthuan.

« Mon éternelle reconnaissance t’est acquise et mes pensées t’accompagneront où que tu ailles. » ; ainsi acheva-t’il la missive destinée à Hilmiaje des Songes, son ami de Caledor.

     Le jeune Syrius avait fêté son deux cent douzième anniversaire cette année, et il avait déjà une bien longue expérience de la guerre. Tantôt combattant les elfes noirs pour la gloire de sa reine, tantôt guerroyant avec son père le diabolique druchii Blacoste Hestos, et tantôt faisant danser sa lame pour protéger son foyer.

     Syrius avait combattu avec les forces elfiques dirigée par le prince Tyrion dans la plaine de Finuval, il avait aidé l’armée d’Eltharion de Tor-Yvresse à repousser la horde de Grom la panse, l’immonde gobelin ; il avait pris part à d’innombrables batailles et sa science en matière militaire n’avait d’égale que la répulsion qu’il éprouvait à la seule idée d’ôter la vie.

     En cette soirée, Syrius était en paix avec lui-même. Après une dernière lecture de la lettre qu’il venait d’achever, il souffla la bougie et regagna son lit dans l’obscurité. Un curieux sentiment de malaise le poursuivait toutefois, lui qui ne pouvait supporter de ne pas être le maître de son propre destin sentait ce dernier lui échapper.

     Tandis que Syrius s’abandonnait à cette pensée, l’œuvre de Blacoste Hestos était en marche… Cruel druchii, ennemi héréditaire de la famille Fenris pour d’obscures raisons oubliées, Blacoste Hestos, cette nuit là, avait dépêché une unité de noirs assassins dans le seul but de semer deuil et malheur. Ces assassins, tueurs implaccables dénués de toute émotion, avaient reçu l’ordre de tuer tous les membres de la famille Fenris lors de l’absence de Janus, parti à la cour de la reine éternelle pour des raisons politiques.

     Les gardes du palais furent éliminés promptement et de nombreux jeunes elfes perdirent la vie. Les assassins elfes noirs n’étaient formés que pour tuer ; et ce, avec un maximum d’efficacité. Leurs talents ne furent remis en question que lorsque, par un caprice du destin, l’alarme put être donnée.

     Syrius, bondissant comme un chat sauvage hors de sa chambre, l’épée à la main, et la dague au fourreau, intervint quelques secondes trop tard dans la chambre de sa mère.

     L’insupportable spectacle s’imposa à ses yeux horrifiés : la tête de cette dernière était séparée de son corps et les hurlements du très jeune frère de Syrius, Elxior contribuaient à rendre l’ambiance encore plus malsaine.

     A la vue d’un tel spectacle, Syrius ne put réfréner sa colère et sa peine. Les larmes vinrent innonder son regard, et un rictus de rage déforma son beau visage…

     L’assassin se tenait encore dans la pièce lorsque Syrius fit irruption, tenant dans la main la froide lame maculée du sang de sa mère.

     Les regards des deux elfes se croisèrent à peine. S’engagea alors un terrible duel.

     L’enseignement que Syrius avait suivi à la tour de Hoeth auprès des meilleurs épéistes du pays lui permit d’esquiver les premiers assauts. Une esquive à gauche, une riposte à droite… La lame de l’assassin était plus rapide que celle du prince Haut Elfe. Elle décrivait des mouvements réguliers et complexes qui nécessitaient un talent et une concentration à toute épreuve pour espérer les parer.

     Au plus fort de l’affrontement, la cuisse de Syrius fut empalée suite à une habile feinte de son ennemi, moins de trois secondes plus tard, c’est son flanc gauche qui libéra un flot de sang. L’assassin esquissait un sourire vicieux, certain qu’il était de remporter la victoire dans ce duel où l’acier voltigeait à la vitesse de l’éclair.

     Toutefois, vitesse et adresse ne sont pas les seules armes du guerrier. Depuis le début de ce mortel face à face, Syrius tentait d’assimiler une certaine logique aux mouvements de son adversaire. A quatre reprises, ce dernier avait fait plonger sa lame dans une attaque mortelle vers le cœur de Syrius avec une vivacité surprenante, l’obligeant ainsi à effectuer une parade désespérée avant de profiter de l’instant suivant pour lancer une attaque superficielle et non mortelle, mais qui à la longue aurait raison de l’endurance de Syrius.

     Deux fois, ces attaques firent mouche ; la cuisse et le flanc de Syrius en témoignaient. Syrius comprit entre deux parades quelle était sa seule et unique chance de survivre à cet impitoyable tueur…

     Comme prévu, la lame argentée fusa vers son cœur, et ainsi que le druchii l’escomptait, le coup fut dévié. L’attaque suivante ne se fit pas attendre : un geste rapide à la puissance minimisée pour le rendre encore plus agile vint diriger la même lame vers l’épaule de Syrius ; attaque superficielle une nouvelle fois dont le but était d’entailler à nouveau la chair du Haut Elfe, faire couler son sang, l’épuiser et le plonger dans un état où il ne serait plus en état de combattre correctement. Syrius avait anticipé ce geste, il n’essaya même pas de contrer cette dernière attaque : la lame de l’assassin se planta plus profondément que prévu dans la chair. Syrius saisit sa chance en même temps que son poignard qu’il dégaina à l’instant où la lame de son ennemi le percutait. Sacrifiant son épaule gauche, Syrius put ainsi emporter la vie du druchii qui ne s’attendait pas à un tel mouvement. Le poignard fiché dans la gorge, l’assassin s’affaissa sur le sol, suivi quelques instants plus tard par Syrius, épuisé…

     A cet instant, il fut tiré de son sommeil par un hurlement : la voix de son frère Elxior.

     Syrius bondit de son lit en moins d’une seconde et se rua vers l’origine du cri en se saisissant d’une épée se préoccupant à peine du cauchemar qui venait d’être le sien…

     Il entra de ce fait dans la chambre de son père pour y constater l’effusion de sang. Il venait de quitter un cauchemar pour en vivre un autre : son père et son frère étaient étendus sur le sol, inertes, baignant dans une mare de sang. Un assassin druchii affichant l’héraldique de la famille Hestos se tenait debout une longue épée recourbée dans la main.

     Inévitablement, les deux individus engagèrent un combat à mort. Quelques secondes et quelques bottes plus tard, l’assassin commit l’erreur d’utiliser une technique que Syrius ne connaissait que trop bien ! Une lame plongeant vers le cœur… Attaque contrée et ouvrant ainsi la voie à une frappe vicieuse, rapide et superficielle qui trouva son chemin sans que Syrius ne tente de l’esquiver. Un coup précis et puissant fit suite à la surprise de l’assassin…

     Le prince Haut Elfe se dirigea aussitôt vers les corps de son père et de son frère. Il ne put que hurler de toutes ses forces en constatant que son père était mort. Son frère, quant à lui, allait survivre, mais plongé dans ce qui semblait être alors un interminable coma… Son hurlement résonna longtemps dans sa tête, comme l’écho de sa peine…

     A cet instant, il se réveilla de nouveau… Yalniss le Sage était penché au-dessus de lui, le visage inquiet.

     Syrius mit quelques secondes à se rendre compte qu’il venait d’être l’objet de cauchemars qui le poursuivaient depuis des années et qui le poursuivraient toute sa vie…

     Nouvelle ambiance, le contraste était total ; le tumulte des scènes précédentes laissait la place à la sécurité de cette chambre et à la douce voix de l’archimage : « Je t’ai entendu crier, Syrius ! Qu’est-il arrivé ? ».

     Le regard de Syrius erra un court instant dans la chambre… Puis, le prince parvint à articuler faiblement quelques mots : « Les mêmes cauchemars me hantent encore… ».

« La mort de tes parents ? » devina Yalniss qui connaissait plus que quiconque son ami.

     Syrius ferma les yeux et inclina doucement la tête sur le coté.

« Je ne parviendrai pas à me rendormir cette nuit. Retourne donc te coucher mon ami », dit Syrius dans un murmure à peine audible.

     Yalniss hésita pendant un instant puis se leva et quitta la chambre en silence, laissant son seigneur et ami plongé dans ses pensées…

     Seuls les souvenirs de ses défunts parents sollicitaient les pensées de Syrius. Il se rappelait la douceur maternelle de sa mère et sa beauté sur laquelle le temps n’avait aucune emprise… Lorsqu’il songeait à son père, Syrius éprouvait un respect infini ; il incarnait à lui seul toute la noblesse du peuple elfique.

     Deux larmes prirent naissance dans les yeux du prince et s’écoulèrent le long de son pâle visage…

     En cet instant, Syrius remarqua alors la lettre posée sur son bureau. Cette missive qu’il avait rédigée soixante cinq années plus tôt ; le soir de la mort de sa mère…

« Par les sabots de Kurnous, comment… ? » murmura t’il.

 

     Intrigué et en proie à un indescriptible malaise, Syrius parcourut la distance qui le séparait du bureau et se saisit de la lettre. Celle-ci était cachetée du sceau de la famille Fenris ; sceau que portait Syrius depuis la mort de Janus.

     Sans plus attendre, il arracha l’enveloppe et lu la lettre…

« En ces années de trouble pour le peuple elfique,

Assassiné par un druchii, je revendique,

Que du passé, nous n’avons cure de nous soucier,

Que seul compte le présent, ne l’oublie jamais,

Car ô toi, Syrius, toi mon bien aimé fils,

Noble descendant de la dynastie Fenris,

Ta mère et moi, je te somme de nous oublier,

D’aller de l’avant et de ne plus y penser,

Moi, Janus, père de Fenris, fils de Solarus,

Moi, Janus, fils de Fenris, père de Syrius,

Je te confie la vie de ton jeune frère cadet,

Dans une année, de son sommeil sera tiré,

Je te lègue mon nom et la noblesse qu’il inspire,

Et le journal de Fiann’, je te prie de traduire,

Afin de mettre un terme à cette quête oubliée,

Qui depuis des siècles il nous incombe d’achever. »



     Rêvait-il encore ? N’était-ce là encore qu’une illusion engendrée par son esprit tourmenté ?

     Le simple fait de s’être posé ces interrogations suffit à Syrius pour se réveiller…

     Dix huit années s’étaient écoulées depuis la mort de Janus, père de Syrius et cinquante huit années avaient passé depuis le meurtre de Finia, épouse de Janus et mère de Syrius. Syrius se remémorait ces événements avec la même douleur qu’à l’époque. Il ressentait cette souffrance au fond de lui, bien plus terrible que la froide lame d’un assassin elfe noir.

     Son père et sa mère avaient été vengés. Cependant, la satisfaction de la vengeance n’avait jamais suffit à amoindrir son chagrin et chaque jour qui passait, il ne pouvait s’empêcher d’entretenir ces tristes souvenirs…

     Les rêves de cette dernière nuit avaient-ils été créés par son subconscient dans le but non avouable de soulager sa peine ?

     Fut-ce Janus qui visita l’esprit de son fils durant la nuit pour lui transmettre un message posthume ?

     Quel sens caché recelaient ces songes nocturnes ?

     Victime d’une incertitude qui ne prendrait fin que dans un an ; date du réveil d’Elxior selon le mystérieux courrier onirique, Syrius parvint finalement à retrouver le sommeil après s’être répété en boucle les énigmatiques alexandrins…

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