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     La porte de la taverne s’ouvrit avec fracas avant que n’entre le petit groupe d’aventuriers sous le regard abasourdi des habitués des lieux. La plupart de ces derniers travaillaient dans les nombreuses scieries alentours, passant leurs soirées dans la brasserie du Nain Ivre afin d’oublier leurs dures journées de labeur. En vérité, aucun d’entre eux n’aurait cru voir un jour un groupe d’étrangers aussi hétéroclite. Celui qui marchait en tête était à n’en pas douter un mage, comme en attestait le bourdon de bois finement sculpté qui irradiait littéralement de puissance, et la longue robe qui avait dû, avant que les intempéries d’un long voyage ne fassent leur oeuvre, être somptueuse. L’épaisse barbe brune qui couvrait en partie le visage du voyageur lui conférait un aspect pour le moins inquiétant, de même que son regard pénétrant. Derrière lui se tenait un guerrier dont le port rappelait immédiatement celui des militaires. Les peaux de bêtes qu’il portait par dessus une lourde cotte de maille l’identifiaient au même titre que sa barbe blonde et son impressionnante carrure comme un natif du Middenland. Sa longue chevelure ébouriffée renforçait encore son aspect sauvage, bien que personne n’aurait songé à le traiter de barbare, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité. Enfin, deux nains qui auraient marché côte à côte si l’entrée avait été assez large apparurent. Le premier correspondait tout à fait à l’image que la plupart des habitants de l’empire de Sigmar se font des guerriers nains : une épaisse armure de plates lui recouvrant quasiment la totalité du corps, une hache à son côté et un casque muni de cornes en ivoire, alors que son bouclier était attaché à son dos. Malgré sa barbe blanche, il semblait bien plus jeune que la plupart des rares nains de la ville, encore que le mot " jeune " s ’applique difficilement à cette race. Pourtant, en dépit de sa cape d’un rouge profond et de son superbe équipement, il n’avait rien d’un fils d’une famille noble venant s’amuser à jouer les aventuriers. Quelque chose dans son regard indiquait à quiconque le fixait qu’il avait vécu son compte de drames et de combats avant d’en arriver là. Pourtant, c’est surtout sur le second nain que les regards se portèrent. L’énorme crête de cheveux oranges qu’il arborait n’en était pas tant la raison que l’énorme hache qui pendait nonchalamment dans son dos. Un homme normal aurait eu des difficultés ne serait-ce que pour la soulever, mais quelque chose dans l’attitude du tueur de trolls faisait comprendre sans l’ombre d’un doute qu’il savait parfaitement la manier, et qu’il n’hésiterait pas si l’occasion se présentait. Le nain était couturé de cicatrices s’enchevêtrant avec une multitude de tatouages couvrant ses bras. Sa tenue vestimentaire, composée d’une tunique de fourrures et d’un pantalon en cuir, semblait assez banale au premier abord, même si un observateur attentif aurait sans doute relevé que ses bottes étaient faites de peaux de trolls tannées. S’il était venu à quelqu’un l’idée saugrenue de fixer le tueur, il aurait pu s’apercevoir du bandeau recouvrant l’œil droit de ce dernier ; mais les clients tachaient à ce moment là de se faire le plus discret possible, et ne reprirent leur contenance que lorsque les étrangers prirent place à une table dans un coin de la vaste salle. Ces derniers se mirent à discuter à voix basse, veillant à ne pas être écoutés, même si en réalité personne n’osait même se retourner dans leur direction.

-Nous devrions poser quelques questions à l’aubergiste, commença le sorcier. Il ne refusera sûrement pas de renseigner des clients.

-Tu crois ? coupa le tueur de trolls. Regarde ces gens, Magnus. Ils sont terrifiés. Tu as vu leurs têtes à notre entrée ? Je pense plutôt qu’on devrait d’abord essayer de gagner leur confiance. Discutons un peu, offrons une tournée de bière aux habitués, ça détendra l’atmosphère. Après, nous essayerons de glaner quelques renseignements.

-Je serais d’accord avec toi dans tout autre cas, reprit le sorcier, mais la situation est trop urgente pour que nous puissions nous permettre de perdre d’avantage de temps.

     Coupant court à toute discussion, Ulric, le guerrier humain, se leva tranquillement, sans prêter attention aux regards en coins de quelques clients affolés. Lentement, il se dirigea vers le comptoir, où il fit signe au tenancier d’approcher. Ce dernier, un homme d’âge moyen à la carrure d’un tonneau, accourut, et, toujours essoufflé, demanda d’une voix qui se voulait accueillante :

-Que puis-je pour vous ?

-J’aimerais une de vos meilleures bières...Commença le middenheimer.

-Très bien, fit l’aubergiste, apparemment soulagé. Je vous l’apporte tout de suite, ajouta-t-il, toujours gêné par la présence de son interlocuteur.

-Un instant, fit ce dernier, donnant à ses paroles assez de force pour que l’aubergiste ne pense même pas à ne pas s’arrêter alors qu’il partait s’occuper de la commande. " J’aimerais avoir quelques renseignements sur la région, continua-t-il. On m’a dit que des choses louches se tramaient par ici, et j’aimerais en savoir plus. "

     L’aubergiste semblait avoir perdu tout contrôle de lui-même, comme un enfant terrifié à l’idée de rester dans l’obscurité.

-Je...Je n’ai pas entendu parler de tels événements, parvint-il à bégayer avec difficulté. Je dois vous laisser, maintenant. D’autres clients me demandent. Je reviens dans un instant avec votre bière, ajouta-t-il, trop heureux de pouvoir mettre fin à cette conversation.

     Sans bouger de sa place, Ulric fit un signe de la tête à ses compagnons, qui ne parurent guère surpris de la réaction du tenancier. Lorsque celui-ci revint, pourtant, plus sûr de lui, il glissa dans la main d’Ulric un bout de papier plié avec application. Surpris par ce geste, le barbare resta sans réaction quelques instants, avant de revenir vers sa table, sans chercher à comprendre ce qui venait de se passer.

-Tu aurais pu nous offrir à boire, commença le plus jeune des deux nains. Cette fichue mission ne doit pas nous empêcher de vivre, non ?

     Lui intimant le silence d’un geste autoritaire, Ulric sorti de sa poche le papier que lui avait donné l’aubergiste. L’expression surprise de ses compagnons indiquaient qu’ils ne s’étaient pas doutés une seconde de cet échange.

-Comme quoi, cette visite n’aura pas été inutile, commenta-t-il après sa lecture.

-On pourrait peut-être savoir ce qu’il y a écrit, déclara Skaggy, le tueur de trolls, à qui l’attitude mystérieuse de son ami ne plaisait pas du tout.

     Le Middenheimer tendit alors le papier à ses compagnons. Sur celui-ci était griffonné, d’une main tremblante : " Venez après la fermeture, derrière le bâtiment. Je vous dirai ce que vous voulez savoir ". Pourtant, Skaggy ne semblait guère convaincu :

-Au mieux, il va nous raconter les légendes locales, dit-il. Vous croyez sincèrement qu’il va nous apprendre quelque chose de sérieux ? A mon avis, on ne fait que perdre notre temps. On ferait mieux d’aller voir les autorités locales : s’il y a réellement un problème, le bourgmestre ne sera que trop content de se décharger de ses responsabilités sur nous.

-Ou bien il tentera d’étouffer l’affaire, en mettant ces rumeurs sur le compte de villageois superstitieux, coupa Iggy, le plus jeune nain. En discutant avec Ulric, l’aubergiste n’avait pas l’air tranquille. Il doit avoir vu quelque chose.

-Il faut l’espérer, conclut Magnus. De toute façon, il faudra attendre au moins deux bonnes heures avant la fermeture de la taverne. Je suggère que nous visitions la ville pendant ce répit.

     Voyant qu’aucun de ses amis n’avait d’objections à faire, il se leva lentement avant de sortir de la taverne, ses compagnons lui emboîtant le pas au grand soulagement des autres clients.

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