Etoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactives
 

     Le sable s’étendait à perte de vue sur la côte, et les rayons de soleil étaient si intenses, que la réverbération agressait les yeux du pauvre garde. Seul sur le plancher de la tourelle, il contemplait l’horizon paisiblement, accoudé au bord dirigé vers la mer, souriant à l’idée de flotter au dessus des eaux et de se sentir libre, tout comme les volutes de fumée que dégageait sa pipe.

Sa sérénité n’était pas due à un excès de confiance. Depuis qu’il avait été assigné à ce poste, jamais rien ne s’était produit dans les alentours, excepté, parfois, l’apparition lointaine d’un nuage de poussière provoqué par un cheval en pleine course, amenant avec lui le garde chargé de le relever de sa surveillance. Il s’était donc habitué à n’être là que pour observer la « beauté du paysage ». Et malgré l’ennui, il n’aurait échangé sa place contre rien au monde…le panorama était fabuleux.

     Au large, la mer paraissait immobile, et d’un bleu si profond que même la lumière ne parvenait à la traverser, réfléchissant sur elle comme sur un miroir. Lorsqu’on s’approchait de la côte, le reflet du soleil s’évaporait peu à peu, et laissait apparaître des nuances de couleurs plus exotiques, le ciel clair et les algues tapissant le sol marin offraient aux spectateurs un patchwork turquoise, entremêlés de taches de sable blanc. D’un coté de la plage, des vagues légères venaient s’écumer, dessinant une ligne mousseuse le long du bord, tandis qu’en son milieu trônait la tour, tel un piquet en plein désert. De l’autre coté, se décrivait une frontière d’herbes à peine naissantes, se prolongeant en une prairie dégageant une fraîcheur incroyable. Ce parterre de verdure multicolore donnait aux yeux un plaisir inlassable, et le peintre de cette nature vive n’avait pas eu peur de trop charger son tableau. Tout s’y mélangeait : le vert se dégradait en plusieurs tons, et était parsemé de champs de fleurs resplendissantes, voyant l’orange se mêler gracieusement au violet, puis au jaune, pendant que le rouge se diluait délicatement un peu partout, et que le bleu se concentrait autour d’arbres solitaires, dont la distance ne permettait pas de discerner leur splendeur véritable. Ce champ de vie se terminait pourtant dans la pénombre et la froideur. En effet, tout au loin, une muraille de roche se dressait jusqu’aux nuages, muette et rigide, tournant le dos à ce paradis naturel, par peur peut être qu’il ne vienne l’envahir. Cette géante noirâtre et infranchissable éventrait l’horizon, empêchant quoique ce soit d’y pénétrer, et bloquant la vue comme si derrière se cachait le secret le plus inavouable.

     A force de la regarder, le garde s’était imaginé que si par hasard tous les ténèbres et la noirceur du monde devaient être enfermés, cette barrière rocheuse serait la seule à pouvoir remplir le rôle. Mais malgré ces pensées bienveillantes à son égard, il préférait poser ses yeux sur l’immensité marine qui s’offrait à lui. Alors il restait là, sur le bord méridional de la tour, attendant, bien que ce fût une utopie, qu’une hypothétique silhouette apparaisse sur les flots. Sa cabine de surveillance était perchée sur une charpente, en bois solide, haute de plus de vingt mètres, et vêtue d’un muret de pierre beige, portant un symbole singulier : un cercle autour d’une croix dont chacun des quatre coins étaient bornés par un autre cercle plus petit. Dix ans que le garde passait devant, et ne faisait plus attention à ce détail peint d’un noir métallique, qui n’avait pas souffert des rouages du temps, contrairement aux hommes qui s’étaient succédés sur la tourelle depuis sa construction. Les rides du visage du garde, et ses cheveux teintés de gris en étaient les premiers témoins.

     Après avoir constaté une nouvelle fois qu’aucun événement ne viendrait troubler le calme ambiant, le garde tira une chaise pour s’y asseoir, et posa ses pieds sur le rebord, remerciant les architectes de ne pas avoir pourvu la tourelle d’échauguettes, et profitant du passage du soleil à son zénith pour sombrer dans les affres d’une sieste, devenue presque journalière…

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