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Seattle, 21 mars 1992

20 ans…Que je suis devenu un légume. 20 ans que je passe mon temps à cligner de l’œil droit, le seul qui soit encore valide, et à ressasser mes pensées.

Tout ça par la faute d’une balle perdue. Une balle qui est venue transpercer ma colonne vertébrale. Un balle, une balle qui a changé ma vie et ma mort.

Car je n’ai pas eu la chance de mourir.

Non. J’ai survécu à l’enfer du Viêt-Nam pour plonger dans le maelström de mon esprit. Prisonnier par la plus efficace des prisons, celle de mon corps, je meurs dans cet hôpital miteux de Seattle, abandonné par ceux que j’ai connu, inconnu de ceux que je ne rencontrerais jamais. Amas de graisse, d’organes, d’os, de chairs et de cellules pour ceux qui vivent autour de moi, je ne suis rien ; même si je n’ai jamais été quelque chose…

Je ne suis que le reflet du monde : agonisant.

20 ans…Que je suis devenu un légume. 20 ans que je me désespère sur mon sort et sur celui du monde sans penser a ceux qui vivent autour de moi.

Inutile de me le cacher, je suis devenu plus égoïste que tous. Moi qui pendant mes vingt ans d’existence me suis vanté de toujours vouloir et pouvoir aider mon prochain me voilà devenu inhumain de corps mais aussi d’esprit.

‘‘Rien n’est pire qu’un égoïste si ce n’est son ego.’’ Ainsi parlait mon père…Il peut bien parler lui et ses grandes leçons de morale ! À peines quelques mois après qu’il eut appris que j’étais paralysé, il a arrêté complètement ses visites. Lui, qui disait que jamais il ne laisserait ses enfants l’oublier, m’as abandonné.

Je ne suis que le reflet du monde : en implosion constante.

Implosion physique et mentale. Une envie incessante d’hurler, de bouger, de crier, d’exister aux yeux de tous et à mes yeux…De vivre pour mieux mourir. Une envie de changer la face du monde pour qu’elle soit naturelle et non artificielle comme tous le veulent.

20 ans de réflexion sur le monde que je perçois par la télévision qui diffuse en permanence la plainte de la civilisation.

20 ans de réflexion sur la vie que j’ai connu, synonyme d’Enfer et de Paradis.

20 ans de réflexion sur ceux qui vivent autour de moi.

20 ans de réflexion et une seule conclusion : l’être humain n’as pas sa place sur Terre. Idée saugrenue venant d’un homme mais je suis plus légume qu’humain.

Faudrait-il placer tous les êtres qui font partie de la famille cynique des hommes dans ma position ? Même ainsi je doute que tous comprennent. Non pas que je n’ai pas confiance en l’humanité ! Quoique après ce qu’elle m’as fait j’ai tous les droits…Enfin que j’ai le droit de ne pas vouloir faire confiance à celle qui est la cause de mon malheur.

Même si tous les hommes étaient placés dans un cocon qui les empêcheraient de bouger, de vivre pendant des années, ils ne comprendraient pas tous. Peut-être sommes nous devenus trop physiques, trop matérialistes pour comprendre par la force de notre esprit…

Comprendre que rien n’est réel si ce n’est la Terre. Que notre ego n’est que poussière face à l’Univers.

Mais alors, comment ais-je pu comprendre ? En quoi suis-je différent du reste ? Ne suis-je pas égoïste comme tout le monde ? Intelligent ? Conventionnel ? Obéissant ? Banal ? Soumis ? Primitif ? Docile ? Cynique ?…

Peut-être est-ce tout simplement parce que je suis plus près du légume que de l’homme …

 

Seattle, 22 mars 1992

La guerre, une horreur ? Une erreur plutôt.

L’homme ? Une horreur.

Dire que ce n’est qu’une blague…Nulle en plus, qui m’as poussé à entrer dans L’armée.

Une copine qui me lâche lorsqu’elle se rends compte après trois mois que je ne me lave pas les mains après être allé aux toilettes.

Petite dépression, copain qui me raconte une vanne pour me remonter le moral :

Un marine et un officier de la marine entrent aux toilettes. En sortant, l’officier remarque le marine ne s’est pas lavé les mains et lui dit :

-Nous dans la marine, on nous apprend à se laver les mains.

-Nous, chez les marines on nous apprend à se pas se pisser sur les mains.

Résultat : engagement deux jours plus tard.

Je ne me suis plus jamais lavé les mains après avoir été aux toilettes…

Comme c’est beau la guerre ! La perfection humaine ! L’organisation, la disciple et la libération des instincts primaires ! Non point l’expression de sentiments distingués qu’affectent les artistes qui se mettent d’eux même au ban de la société, mais bien la délivrance des pures émotions qui sommeillent en tous. La violence de chacun qui s’envole vers le ciel rougeoyant.

Les coups de fusils comme autant de drapeaux qui claquent au vent. Les bombes comme autant de mondes qui s’envolent avec chaque vie ravie par l’infini. Ces corps qui se déchirent en un concert digne de l’Enfer et de l’humanité.

Les hurlements des mourants qui s’étendent tel un océan vers l’humain tremblotant, terré au fond de son néant.

Guerre…

Merde qu’est-ce que c’est beau la guerre quand on est soldat.

C’est bizarre comme elle est risible allongé sur un lit, paralysé à vie.

20 ans…que je ris, je pleure et je pense.

20 ans…que je vis l’humanité sombrer dans une abîme…Une abîme de quoi ?

L’humanité n’avance plus, elle tombe. Dans quoi ? Impossible à dire avec certitude.

Dans le matérialisme ? L’inégalité ? L’abrutissement des masses ? L’injustice ? La jalousie ? L’ignorance ? L’envie ? L’individualisme ? L’égoïsme ?

Dans…

Le vide ? Le Néant ? Peut-être bien…

Ainsi s’approche le Rien spirituel, intellectuel, physique et créateur et destructeur.

Nous chutons et tous continuent à ressasser leurs vaines peurs dans leurs esprits inconscients.

Une chute dans un gouffre de déchéance, de décadence et de continuité. Plus rien ne meure, tout vieillit. Indéfiniment.

L’humanité s’écroule sous le poids de ces corps qui tombent dans le vide, s’écrasants les uns les autres en des pitoyables gémissements.

17 siècles que l’humanité chute et enfin nous avons atteint le fond. Se brisera-t-il pour que la chute puisse continuer ou alors les dérisoires hurlements des esprits abandonnés cesseront-ils pour que s’éteigne l’humanité ?

Que s’arrête la chute. Que s’arrête l’humain.

En 312, l’Empereur romain Constantin le Grand, vainqueur de la bataille de Milvian Bridge, décida d’ériger un arc de triomphe pour célébrer sa victoire. Cependant, il fut incapable de trouver un artiste digne de réaliser cette œuvre. Il envoya émissaires et messagers aux quatre coins de l’Empire romain mais personne ne pu trouver le moindre sculpteur capable d’accomplir une fresque, même médiocre de la bataille. Finalement, Constantin ordonna à ces maçons de desceller les statues et les sculptures érigées sur d’autres monuments pour les replacer sur le sien.

Ce fut le début de la fin.

Depuis nous tombons.

Et rien ne peut nous arrêter si ce n’est la fin.

L’extinction.

La fin est sous nos pieds.

Quand retournerons nous à la Terre ?

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