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     L’adolescente manqua s’étouffer. Une larme de soupe venait de se coincer dans sa gorge. Elle fit taire du mieux qu’elle put les toussotements qui secouaient son corps frêle ; mais tous la regardaient, le visage figé, les yeux pétris de reproches vicieux. Excédée et terriblement embarrassée, ses lèvres s’étrécirent. Elle contempla son repas avec lassitude, saisit à nouveau sa paille et aspira le liquide visqueux le plus silencieusement possible.
      Chaque soir le même repas, le même bouillon obscur au goût détestable reflétant un faciès de plus en plus insupportable. Chaque soir les mêmes gestes répétés, inlassablement, le même rituel insipide, la même mascarade ridicule. Et cette atmosphère d’une tiédeur moite, malsaine, qui pesait sur ses paupières, sur son cou froid, et qui faisait grincer ses muscles…
- Ce Potage Noir est vraiment délicieux.
- N’est-ce pas ? C’est Marience qui me l’a recommandé.
     Leurs sourires, les délicates modulations de leurs voix, tout suintait l’hypocrisie et la fadeur de leurs discussions mécaniques. Crispée sur sa chaise, l’aliénée s’efforçait de focaliser son attention sur son plat. Le silence s’imposa de nouveau dans la large pièce.
      La jeune fille se retint de lâcher un soupir agacé. Elle faisait toujours tout pour rester calme et pour se faire oublier, bien que ses efforts fussent en général assez vains. A un moment ou à un autre, elle finissait par recevoir une remarque acerbe en pleine figure, ou une petite phrase d’une belle innocence et d’une cruauté sans nom, lui rappelant l’horreur de sa condition – et la chance qu’elle avait de ne pas avoir été exilée autre part.
      Ne parvenant plus à maintenir sa posture prostrée, elle releva timidement la tête vers le lustre de cristal fixé au-dessus de la table. Austère et statique, une main experte avait tué l’éclat et la beauté qui auraient pu naître des chatoiements de ses pendants translucides. Les flammes blafardes de ses chandelles projetaient une lumière crue et froide sur le décor ambiant, épaississant ainsi le malaise de l'adolescente. Celle-ci, en dépit de la pauvreté esthétique de l’objet, continua de le contempler avec une certaine fascination.
- …m’écoutes ?!
     Elle tourna vivement la tête vers la personne qui lui avait parlé et qu’elle n’avait pas écoutée. Le regard dur de son père irrité la transperça de part en part.
- Non, bien sûr, tu n’as rien entendu de ce que je te disais, comme d’habitude. Toujours en train de bailler aux corneilles à regarder stupidement on ne sait quoi.
     La fautive se tassa un peu plus sur son siège de velours noir. Elle baissa les yeux et continua son repas sans répondre.
      Son géniteur était probablement la personne la plus éloignée d’elle dans sa famille. L’air digne, supérieur, écrasant le monde avec une aisance toute particulière, il était un fier Orateur. Un rictus moqueur, voire dédaigneux, étirait sa fine bouche blême lorsqu’il se sentait satisfait, et se transformait en une grimace dure et blessante dans les autres cas. Son teint laiteux faisait bien des jaloux ; sa chevelure courte, d’une belle couleur ébène, était toujours très bien peignée. Il portait en permanence un veston noir, et une chemise blanche au col si haut et si resserré que sa fille ne manquait jamais de se demander comment il pouvait respirer, et parler, sans ressentir la moindre gêne.
      L’adolescente ne put s’empêcher d’observer son père un moment, après cette minuscule altercation, et de remarquer ces détails qui la captivaient malgré elle. Ses impressions étaient toujours très partagées à son égard : était-il véritablement méchant ? Ou est-ce que sa remarquable intelligence était couplée d’une insensibilité notoire, et parfaitement inconsciente ? Elle ne parvenait jamais à trouver de réponse concrète à cette énigme paternelle qui la torturait.
- Qu’est-ce que tu as maintenant ? Comment oses-tu me regarder de cette façon ?
- Je…
- Qui t’a autorisé à me répondre ?
     Sous les coups de cette voix tranchante, elle reprit d’une main tremblante sa paille maigrelette et avala douloureusement une gorgée âcre de soupe.
- Tu ne peux pas t’en empêcher, n’est-ce pas ? De faire ton intéressante…
     Elle s’arma de patience et se contraignit à ne pas affronter le patriarche frontalement. Le combat était perdu d’avance. Il fallait se résigner, éteindre ce sentiment de révolte futile et inutile.
- Peux-tu me passer le sel, ma chérie ?
     Cette voix sucrée et haute perchée ne pouvait être que celle de sa très chère mère. La jeune fille lâcha sa paille à nouveau, agrippa le petit récipient demandé d’un geste mou et le lui tendit.
- Merci.
- De rien, marmonna l’enfant, tout en regardant de biais la femme bien apprêtée.
      Sa génitrice était vraiment quelqu’un de singulier. Elle ne possédait pas un port aussi altier que son mari, mais on la sentait on ne peut plus fière de sa condition. Elle s’ornait de maints bijoux précieux, de robes fastueuses mouchetées de rubans ; elle prenait un soin tout particulier à décorer et à entretenir la maison selon ses goûts de luxe clinquant. Tout, absolument tout, dans sa belle existence, devait respirer l’artificiel somptueux, immédiatement appréciable, montrer à quel point ils avaient réussi, et comment elle contribuait à faire perdurer cette gloire brillante. Vaniteuse, elle n’en demeurait pas moins frivole et même très douce ; au premier regard, elle dégageait beaucoup de chaleur, d’amabilité tranquille, un véritable contre-pied à la puissance sournoise de son compagnon. Toutefois…
- Demain, je vais chez le coiffeur ! déclara la mère avec gaieté et triomphe. Mes boucles commencent un peu à se raidir.
     Sa coiffure était un savant enchevêtrement de boucles brunes, qui suscitait l’admiration de la plus jeune de ses filles… mais aussi sa perplexité quant à l’utilité d’une parure aussi superficielle. Peut-être n'avait-elle rien de mieux à faire ?
- Je pourrais venir avec toi ? demanda la personne située en face de la mère, et qui n’était autre que la sœur aînée de l’adolescente.
     Etudiante, elle suivait les traces de sa maman dans le domaine de la futilité, tout en développant la fougue verbale héritée de son père. Elle était la fille idéale : ses bons résultats, sa popularité fracassante, son avenir clair et heureux en tant que Scribe de renom étaient une marque flagrante du succès de ses tuteurs dans son éducation.
- Bien sûr ! Je crois que Robert fait des tarifs étudiants en ce moment, continua joyeusement la mère.
     La première-née sourit largement, le cœur réjoui par une nouvelle aussi plaisante. Malheureusement, la benjamine de la famille attira son attention, et sa bouche s’orna d’un petit pli mesquin.
- Tu pourrais peut-être aussi… amener l’autre… continua la grande sœur d’un ton faussement indifférent, qui trahissait une certaine antipathie.
Elle fait vraiment peur… Peut-être qu’avec une coiffure un peu plus acceptable…
     La respiration lente et difficile, l’autre se recroquevilla un peu plus sur elle-même. Comme elle détestait cela, cette façon de l’évoquer comme un tiers inexistant, incapable de comprendre, indigne d’être incluse dans une conversation ordinaire et d’être insultée directement. Elle ingurgita rapidement les dernières gouttes de son liquide pâteux et tiède, les dents serrées, l’esprit à la dérive.
- Ne sois pas désagréable avec ta sœur, affirma la mère d’un ton patient, à peine réprobateur. C’est vrai qu’elle n’a pas été gâtée à la naissance mais… Je pense qu’on ne peut rien y faire. Ce n’est pas si grave après tout. Quand elle sort, elle a son voile. Donc elle ne dérange personne.
     La gorge de l’adolescente se noua. Le corps tendu, elle s’obstina à ne pas les regarder en face, à ne pas affronter leurs moues condescendantes ou moqueuses, qui la pousseraient à réagir trop violemment. Elle ne leur donnerait pas ce plaisir. Comment le pourrait-elle ? Elle se sentait si misérable. En dépit de toutes les pensées malveillantes qu’elle pouvait parfois nourrir à leur égard, et de tous ses raisonnements tentant d’expliquer de tels comportements pour mieux les admettre, elle songea qu’en définitive, ils avaient sûrement bien raison. Elle n’était peut-être qu’un fardeau incommodant qui ferait mieux d’être reconnaissant et aimant, à défaut de disparaître complètement sans laisser de traces.
- … n’est-ce pas chérie ? Tu sais bien que du moment que tu ne mets pas les gens mal à l’aise, il n’y a pas de problèmes. Il faudrait d’ailleurs que je trouve un moyen pour que tu puisses manger avec ton voile, ce serait quand même mieux pour tout le monde. Tu n’aurais plus à te sentir gênée, tu ne serais plus obligée de nous montrer ton…
- Tout ceci est ridicule, coupa le père. Elle devrait manger dans sa chambre, ne jamais en sortir. Ce serait nettement plus simple.
- Chéri, allons…
     Un léger silence suivit ce charmant dialogue. Tremblante, l’accusée saisit son verre d’eau limpide et le porta à ses lèvres desséchées. Tiendrait-elle le coup, cette fois-là ? Ils étaient tous tellement en forme pour l’accabler de concert que cela en était surprenant. Elle ne demandait pas tant d’attention ! Nauséeuse, elle passa sans y penser une main fébrile dans ses cheveux crépus pour tenter de les aplanir, et rentra sa tête dans ses épaules dans l’espoir amer de faire oublier son infirmité.
- On a déjà essayé de faire un trou, reprit la mère, pensive, mais c’était trop salissant. Pas question de te donner la becquée, ou de t’acheter un autre voile. C’est déjà assez pénible comme ça. Je vais y réfléchir…
     Personne ne fit de commentaires. Constatant que tout le monde avait terminé son plat, la maîtresse de maison se leva, débarrassa soigneusement les bols et les pailles, s’engouffra dans la cuisine à pas légers et insouciants. A cet instant, un invité de marque pénétra dans la délicieuse maisonnée. La porte de la salle à manger s’ouvrit brutalement.
- C’est moi ! s’écria un jeune homme réjoui d’un ton qui sonnait faux.
     Très bien, voilà que son frère aîné se joignait aux « festivités ». L’adolescente massa sa nuque raide, le visage légèrement grimaçant.
- Bonsoir mon père ! Tu es vraiment très beau dans ce costume. Il faut vraiment que je pense à aller voir le tailleur que tu m’as recommandé.
     Il retira son haut de forme noir et sa cape de la même couleur, pour laisser voir à tous son extravagant costume blanc. Pour un peu, on pourrait presque le croire honnête ! Sa petite sœur enragea devant ce spectacle affligeant… tout en se sentant lésée, d’avance, sachant parfaitement ce qui suivrait de cette comédie des salutations.
- Bonsoir, ma très chère mère ! lança-t-il théâtralement lorsque sa génitrice arriva dans la pièce avec un plateau de desserts – du fromage blanc. Tu es radieuse ! Quelle merveilleuse robe !
- Merci, mon chéri, tu es bien trop gentil ! répondit la dame flattée en riant tendrement.
     Le fils adoré déposa une bise légère sur la joue de sa mère, et se dirigea vers sa sœur – l’aînée.
- Bonsoir, ma jolie, ma brillante sœur ! Toujours un plaisir de te voir !
- Arrête un peu… Tu en fais trop ! répondit l’intéressée d’un ton taquin mais chaleureux.
- Mais non mais non.
     Il tira une chaise, à la gauche de la dernière-née, et pivota brutalement vers celle-ci en constatant subitement sa présence.
- Ah, bonsoir toi ! Tu es… là !
     Son sourire auparavant tellement affable devint quelque peu crispé. Il se détourna finalement de cet être incompréhensible pour commencer la soupe que sa mère venait de lui amener.
- Désolé d’arriver si tard ! J’ai eu tellement d’affaires à régler aujourd’hui ! Et puis j’ai dû discuter avec mon directeur pour trouver une place à ma chère petite sœur Scribe…
     Il adressa un clin d’œil à cette dernière, et poursuivit son récit avec enthousiasme :
- Le directeur a dit que tu pourrais commencer dès que tu le voudrais ! Penses-tu, vu ta réputation à Masquerade, je n’avais pas besoin de faire beaucoup de recommandations ! C’est à peine si j’avais à dire le moindre mot, vraiment ; il me suffisait de déclarer « je viens pour ma sœur » pour qu’on me sourie largement, pour qu’on me cajole en attendant de pouvoir te cajoler toi.
     Le père, la mère, et la concernée rirent de concert, baignant dans une allégresse bien confortable. L’exclue, de son côté, termina son dessert sans rien dire, sentant son cœur tressauter douloureusement dans sa poitrine.
- C’était plutôt dur, au Garage, aujourd’hui, déclara le frère en changeant plus ou moins de sujet. Nous avons reçu un nouvel Allergique et, vraiment ! Ce n’était pas beau à voir. C’était même franchement répugnant. Je ne comprends pas pourquoi on cultive l’espoir illusoire de pouvoir les guérir. Ils sont fichus, ils sont fichus, un point c’est tout.
- Parfaitement d’accord ! tonna le père. Ils encombrent notre société, ils ne servent à rien, et on est obligé de payer leurs traitements inefficaces ! J’espère que le nouveau pouvoir sera plus ferme et plus pragmatique sur la question.
- Ce sont des monstres, ajouta la sœur. Vous vous souvenez, de celui qui avait réussi à s’échapper ?
     La famille frissonna et grimaça à cette seule pensée. La jeune fille dans son coin écoutait attentivement, sans trop comprendre cette haine viscérale et cette peur mystérieuse des Allergiques, les prunelles rivées sur ses mains décharnées.
- Nous en avons parlé, aujourd’hui, entre amies, continua la sœur. Dire qu’il n’était même pas à un mètre de moi ! C’était terrible à voir. Son visage…
- Chérie, je t’en prie… Ne revenons pas sur ces souvenirs désagréables, coupa la mère avec douceur, un sourire réconfortant aux lèvres.
- Oui, tu as raison.
- Et puis nous devons fêter la réussite de ma sœur, qui sera bientôt Scribe au grand Garage ! renchérit le frère en levant sa coupe d’alcool blanc.
- Oui ! Bravo ma fille, tu fais la fierté de notre famille, dit solennellement le père. Quels beaux enfants nous avons ! Entre toi future Scribe et toi Réparateur de renom, c’est formidable !
- Exactement ! répondit la mère avec amour. Nous sommes tellement… tellement fiers…
     A cet instant, l’oubliée renversa, par inadvertance, son verre d’eau sur la table. Le silence vint couper l’effusion des bons sentiments, et tous les regards se tournèrent vers elle. L’adolescente garda la tête baissée, et tritura nerveusement le tissu râpeux de son vêtement.
- Pardon, murmura-t-elle, les lèvres tremblantes. Pardon, pardon, pardon…
     Des petites pointes acides commencèrent à ronger ses yeux. Son père perdit toute joie, et sa voix sèche retentit avec brutalité :
- Au lieu de t’excuser bêtement, tu pourrais peut-être nettoyer ce que tu as fait ?
- Chéri, ce n’est que de l’eau…
     La mère, avec sa patience coutumière, tentait de calmer son époux. Habitude qui s’avérait toujours très nuisible…
- Je sais bien que ce n’est que de l’eau ! Tu me prends pour un idiot ?
- Mais non mais…
- Si on ne reprend pas cette enfant pour le moindre écart, ce sera pire encore ! Déjà que son cas est quasiment désespéré ! Je te l’avais dit, que nous n’aurions pas dû…
- Chut. Pas devant les enfants.
     La grande sœur et le grand frère se levèrent rapidement de table, et quittèrent la salle à manger sans plus attendre. Ils n’en oublièrent pas, cependant, de lancer un regard accusateur, culpabilisant, et las, à celle qui gâchait leurs réjouissances.
- Si on veut être efficaces, il faut être franc avec elle non ? Toi, écoute, regarde-moi bien dans les yeux… Non sans d’effroyables difficultés, l’adolescente tourna la tête vers le patriarche furibond, et affronta douloureusement ses prunelles acérées.
- Je commence en avoir plus qu’assez de ces simagrées tous les soirs, commença-t-il d’un ton grave. A cause de toi, on ne peut même plus dîner tranquillement avec sa famille. Tu joues les ingrates, les malheureuses… alors que tu n’es même pas reconnaissante envers nous qui, plutôt que de t’expédier au Garage, avons préféré tenter de te sauver, de guérir tes travers nous-même. Mais on dirait que ça ne sert à rien ! Tu es de mauvaise volonté, voilà tout.
     Il croisa les bras, la mine fermée. Sa femme prit le relais.
- Ecoute, ma puce…
     Que son ton pouvait être caressant… et empli de cette pitié douceâtre qui détruisait toute colère pour la transformer en une douleur irrévocable…
- … Nous ne voulons que ton bien, tu sais ? Ce n’est pas facile pour toi, nous ne disons pas le contraire. Il faudrait quand même essayer de faire des efforts… nous ne pouvons pas faire plus pour toi… Nous avons déjà énormément de mal à supporter certains commérages à ton sujet, vu que tu portes un voile… Nous endurons beaucoup, crois-moi, beaucoup plus qu’on ne le devrait. Tâche d’être un peu plus raisonnable, un peu plus... normale, d’accord ? Nous ne te demandons pas la lune. Regarde ton frère ou ta sœur, prends exemple sur eux, eux qui ont tellement bien réussi ! Pourquoi ça ne marcherait pas avec toi ? Pourquoi ne veux-tu pas arrêter de faire ces choses… bizarres… ?
     La génitrice s’interrompit. Sa fille était totalement désemparée, brisée. Il lui sembla qu’une déchirure profonde cisaillait sa poitrine, que ses prunelles menaçaient de…
- Oh non, tu ne vas pas remettre ça ! cria le père avec fureur. Je t’ordonne tout de suite d’arrêter, tu m’entends ? C’est insupportable !
     Il poussa sa chaise en arrière, se mit promptement debout, ses poings serrés appuyés sur la table. Sa fille se leva, elle aussi, apeurée, s’essuya vivement le visage et s’éloigna vers la porte. Elle s’arrêta cependant en entendant ces quelques mots :
- Si j’ai bien un regret dans ma vie… C’est que tu aies accouché d’elle… Dire que nous voulions un deuxième fils… Et qu’au lieu de ça nous avons obtenu ce… cette…
- Ne dis pas des choses pareilles. Il est vrai que j’aurais préféré avoir un fils mais… Il en a été autrement. Cela ne doit pas nous empêcher d’être des parents respectables.
- Nous ne pouvons pas faire autrement oui, mais c’est tellement rageant ! Tout serait tellement plus simple si… Ah, si je pouvais changer le passé…! Le visage fermé, l’adolescente prit la fuite et claqua brutalement la porte derrière elle, sous le regard stupéfait de ses parents.
- Mais qu’est-ce qu’elle a, à la fin ? demanda le père, tout étonné de cette fuite précipitée.
- Oh, je ne sais pas, comme d’habitude. Bon, je vais débarrasser.
      La dernière-née se retrouva dans sa chambre en un éclair. Sans réfléchir, elle se jeta sur son lit, enfonça son faciès brûlant et humide de douleur dans son oreiller glacé. Choquée et meurtrie, elle ne pouvait s’empêcher de se sentir vaincue par les cœurs racornis qui l’environnaient de toutes parts. Il lui sembla finalement que ce n’était pas tant les paroles blessantes proférées au moment de la dispute qui la faisaient tellement souffrir. C’était plutôt ce silence d’après, écrasant et impitoyable, qui lui renvoyait la réalité comme une gifle en pleine figure : ils ne lui avaient pas simplement fait du mal par plaisir de la voir malheureuse. Ils avaient juste été sincères.
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