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     Deux heures plus tôt, la nuit s’achevait dans la cave d’un petit village mitoyen.

     Les gémissements du chaudronnier, à moitié étouffés par la manche en taffetas du grand gaillard qui le maintient, ne provoquent aucune réaction chez le personnage au costume extravagant à qui ils étaient adressés. Non qu’ils manquaient de conviction, ni l’artisan de talent pour mendier, mais enfin, que répondre à cela ? Quelle vie pour ses enfants après cela ? Qu’espère-t-il donc, cet idiot ?

     Sur ces mots, le Saigneur, Rimor de son nom, referme son étreinte sur la plus grande des jeunes filles du chaudronnier, qui pousse un cri de frayeur dégoûtée. Les vassaux du Saigneur se précipitent sur chacune des proies humaines, qui ne cherchent même pas à résister. La longue nuit passée dans la cave a vidé leurs cœurs fragiles de tout espoir, alors que les Vampires attendaient impatiemment l’arrivée de leur Saigneur pour commencer le festin. Deux adultes et cinq enfants pleins de vie sont encore un maigre repas pour un Saigneur et ses proches, et certains des assaillants affamés s’agglutinent à plusieurs autour d’une même victime. Trois Vampires se pressent sur les larges flancs de la femme du chaudronnier, six mains avides se referment sur la chair mise à nu. Trois bouches cruelles rivalisent à percer sa peau dans les endroits les plus chauds, pour y aspirer un précieux liquide plein de vie et de chaleur... De douces vagues de plaisir se propagent le long des corps des Vampires, au rythme des battements de coeur de leurs victimes, qui se vident de leur sang, de leur vie, de leur chaleur corporelle au profit de leurs agresseurs. Les pulsations se font de plus en plus faibles...

 

     Seul dans le coin le plus reculé de la cave, Rimor tient allongé dans ses bras le corps sans vie de la jeune fille. Nulle trace de morsure sur sa peau blanche et pure, nul effroi dans ses yeux morts : le Saigneur n’a pris que la vitale chaleur, renonçant avec bonheur au plaisir pervers de boire le sang humain. Son tout nouveau et vacillant sens de l’étique ne permet plus cette atrocité, grand merci. Loin de vouloir ou d’ailleurs de pouvoir l’interdire au sein de son domaine, Rimor apprécie cette tendance à la retenue en vogue parmi les Saigneurs. Un sang noble s’accommode mal de pratiques bestiales, c’est ce que déclame à tous les vents Luma, la seule des Haut-Saigneurs dont les paroles touchent vraiment Rimor. Les deux autres, Nuada et ce coyote de Tricksten, des bêtes sauvages, complotent avec la Maha à avilir et corrompre la nation Vampire jusqu’à la moëlle. Oh, où allons-nous, avec de tels dirigeants... Rimor abandonne finalement le corps inanimé et sort, pantelant et hagard, indisposé par la lumière blafarde du soleil levant. Ses acolytes le suivent en désordre, portant des cadavres, soufflant et grognant de contentement. Des murmures et une vague rumeur s’élèvent de la cave, que Rimor n’entend pas, perdu qu’il est dans ses débats intérieurs.

<< Il n’a pas bu, encore une fois.

- Et bien, on s’en doutait, hein.

- Ce n’est pas convenable... un Saigneur si respecté... une honte.

- Il buvait encore il y a quatre lunes ! Enfin, vous croyez que...

- Pourtant, c’est si délicieux, comment peut-il s’en passer ?

- Moi, j’ai essayé... >>

     Les Vampires cessent subitement leur conciliabule lorsque le lieutenant du Saigneur, un vieux Vampire au regard carnassier, s’approche de la porte de la cave. D’un air satisfait, et innocent bien sûr, ils sortent en file indienne, emportant les derniers vestiges de la nuit, des bouteilles de vin vides et quelques jeux de cartes dépareillées. Le lieutenant les suit ostensiblement du regard, planté droit comme la justice, jusqu’à ce que le dernier l’ait dépassé de dix pas. Humant une dernière fois les infimes effluves des vies envolées, il prend alors leur suite, un rictus de colère tordant sa bouche. Le Changement est proche, mais s’ils pouvaient le hâter, oh, s’ils pouvaient attaquer demain, quelle joie ce serait ! Quelle joie...

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