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À la garde d’Arjes, loin des tourbières les cent et quatre de champs en plaine, parmi les terres déforestées des espaces de prés à l’ombre les hautes herbes sombres mêlées aux rochers et les sentes de boue en travers, autant de chemins sauvages tailladant la région. Et pas de lac, pas même un ru, des tonnerres roulant sur les briques délavées des villages, Limet puis Croiches puis Chaumont puis sur la faible élévation les tertres de Réames ou Ramont. Ils se voyaient à peine, fumerolles vagues le jour, éclat infime la nuit parmi les étoiles, une lueur terrestre au bout de la voie qui se multipliait en sentiers, en autant de branches jusqu’au lointain et au sud les tourbières, jusqu’au nord et ses frondaisons.

Sur la pente devant Ramont les silos rejetaient la lumière lunaire les effiloches tailladaient dans la pénombre sur les places de terre des rayons pâles à la longueur des pilotis les murs lavés d’enduits sous des tuiles charbon, les pierres et les buissons aux pieds des quelques marches devant des portes enchaînées. Les bêtes grondaient au nord, à les entendre, sous les fourrés les pas des pattes et les feuillages agités, de longs grognements dans le silence. Il faisait froid. Une pluie sans pleuvoir. Les bougies crachaient à leur passage et voilaient les environs puis ils voyaient les hautes herbes puis ils voyaient les arbres épars contre les sentiers qui coupaient champs se perdant puis ils voyaient l’éclat de Chaumont, et se tournant, les maisons de Réames avaient disparu. Ils étaient de trois villages, une quarantaine, sans se connaître, qui piaffaient de fatigue et de froid.

Tout de long le noir les enserrait le tissu épais contre leur nuque la laine en filaments humides à force de s’agiter dedans, lui tapait contre ses bras libres en même temps qu’il soufflait, l’autre donnait du sabot au rythme des sabots de bois, tous les enfants piétinant par groupes disloqués qui allaient, qui venaient sur les places de terre entre les silos, entre les rares bougies des parents. Ils chuchotaient, ils étouffaient leurs sourires derrière de faux airs graves, en attendant de comprendre, cherchaient les têtes familières parmi toutes ces têtes nouvelles, sursautant lorsque les voix s’élevaient, et les adultes gardaient le silence. Un des jeunes de Chaumont s’était assis contre l’une des portes et jouait à déranger la chaîne, pour écouter taper les anneaux contre le bois du battant. Les autres s’amusaient, s’excitaient à ce spectacle, une poignée de visages sombres.

Comment cette nuit aucun visage et comment il ne savait pas ses amis là-bas parsemés au hasard entre les toiles quelques attitudes reconnaissables, sans nom, la coiffure d’une fille détestable, les oreilles détachées du petit grognard, il avait envie d’en rejoindre qui murmuraient entre eux balle de corps dans l’ombre les amis du jour, la nuit méconnaissables, la bande des brutes à l’autre bout causant pareils et pareilles les craintes dans leurs visages des feux de vie qui se creusaient quand passaient les bougies, il frissonnait, poussé par sa mère et ses frères et ses sœurs poussés avec lui. La mère les tirait à pleine main, et le cou tendu, à l’affût, les faisait tourner vers le centre de la place, ils allaient et venaient se soufflant ce qu’ils ne voyaient pas, à la moindre montée de voix la mère leur tapait la tête, les feux creusés à son visage faisaient le reste. Lui, il était l’aîné, parce que l’aînée ne comptait pas, tout le temps qu’on les tirait dans le noir, il jouait au père.

Celui qui parlait avait la voix des gens d’Arjes.

Égaillée un temps la foule revenait au centre vers cette robe pesante à grands gestes, le visage taillé à la bêche sous de lourdes arcades, la lèvre sèche meurtrissait son sourire. Une plaquée d’ombre sur un visage de bête. Sans parler fort, comme s’il criait, des sons discordants dans le noir, une voix de poix qui peinait, qui s’étouffait d’elle-même entre deux raclements de gorge les pans de robe secouant des rus de terre à sa surface, des mains des poignes à bout de bras pour héler la foule, la même demande répétée et les parents pressaient sur les épaules des enfants, les faisaient s’asseoir, un grand cercle au hasard de la place, cette voix roulante comme les nuages répétée pleine de creux, à le regarder s’agiter, l’homme avait bondi hors du cercle à l’instant où il se formait. Il secouait sa robe, un instant le silence il reprenait plus vite, plus fort, quand tous se furent assis le regardant faire il continua de parler.

Comme les bougies s’éloignaient les enfants se distinguèrent et de croire se reconnaître, sans dire un mot, sans dire un mot, à regarder en face le cercle de petits corps pliés contre le froid, mal installés, qui tremblaient. Les yeux légèrement de biais, sur le côté, le côté le plus lointain sentir les regards le scruter chacun fouillant les autres et leurs faux sourires, et leurs fronts pliés, les petites mines dans les ombres, devenues graves. Il comprit que les bougies s’étaient éloignées, le besoin de se retourner derrière lui seulement la place de terre et la porte de silo déserte, les autres silos déserts, quelques adultes encore portant les bougies au hasard, dans leur dos, des silhouettes de personne effacées par la lueur. La robe battait à l’écart, il avait cessé de parler, chuchotait dans son coin tremblant, une main sur la joue frottant contre la barbe le tranchant de mâchoire pris par un rai lunaire, soudain, misérable.

L’enfant n’en pouvait plus d’attendre, pour sa part, sans pouvoir deviner chez tous les autres leurs mimiques à peine commencées de multiples facettes aux visages entrecroisés sous les habits des bonnets de cuir ou maillés à se débattre sans parler, pousser du coude le voisin, de petits gestes pour communiquer, ignorer Guabre, Guabre se demandait quand il pourrait rentrer.

« Les enfants. Les enfants… silence. » Tous les visages tournés vers lui, qui criaient. « Du calme… voyons. Le jeu doit commencer. » Tous les visages criaient. « Voilà… silence… chhhh. On va jouer. On va. Là. On va vous distribuer… des épées… et des cornes… vous comprendrez les règles rapidement. » Ils criaient.

On s’était remis à chuchoter, les enfants dans le silence d’attendre, de se coudoyer, les petits gestes, le doigt levé, désigner le noir dans le noir, silhouette de spectre, le seul adulte à l’écart, un bâton noué, appuyé dessus, des choses qui pendaient, une chose sur son crâne, des peaux et des peaux pour vêtements, dans le coin que Guabre observait, sans être sûr d’entendre, l’ombre de Londant, priant d’Arjes, servant le nommé ombre, et ombre, et l’encre. Il n’y comprenait plus rien. Seulement un adulte passé derrière lui tendit du bras une petite corne en bois, taillée grossièrement, qu’il prit pour la tenir entière dans sa paume, en un coup de tête, voir la majorité agiter leurs épées luisantes longues comme le bras, presque tous en avaient une, lui n’en avait pas, la première règle du jeu était de s’en emparer. Où se tenait Londant Londant se tenait, appuyé sur le bâton les sourcils fulminants, il le regardait, il le sentait le regarder, deux pupilles de fournaise avant de se détourner sur un autre, qui avait une corne, puis sur un autre, qui avait une corne également.

Alors Londant se détacha de son bâton, lorsque tous les jouets furent distribués, il revint vers le cercle et l’homme en robe qui parlait encore, le sentant venir, se tut. Londant fit un pas dans le cercle, tapa du bâton et les enfants près de lui se levèrent, se reculèrent.

« Voici les règles. » Il hurla. « Ceux qui ont une corne connaissent les règles. Ceux qui ont une corne ne peuvent pas mentir. Ceux qui ont une corne ne peuvent pas gagner. »

Au dernier mot coupé en plein air de taper du bâton à terre les choses attachées de s’entrechoquer, les lueurs livides aux lueurs lunaires, il les chassa du regard et les enfants se levèrent par grappes effrayés soudain, l’absence des adultes, effrayés par cet homme sauvage, ses peaux de bête, par ses hurlements, la nuit, les jeunes tenant leurs épées se regardèrent encore tous leurs sourires effacés, des mines de stupeur et d’incompréhension, à traîner encore, il hurla, Londant hurla, tous les enfants s’enfuirent de tous les côtés. Guabre levé à son tour les regarda s’effacer au-delà des silos, dans la nuit des prés, sans comprendre, sans comprendre. Ils n’étaient plus que six dans la nuit des silos, à ne pas se voir, le bruit du bâton raclant le sol jusqu’à eux, partir, un à un, à la poursuite des épées. Il entendait le bruit du bâton parmi les bruits de bêtes dans le lointain, et le silence, chercher en vain les toits de Ramont, le bruit du bâton amplifié jusqu’à lui, le souffle vif contre lui, les yeux de fournaise. Il s’entendit dire qu’il n’aimait pas la corne, il aurait voulu une épée.

Non. Il ne voulait pas jouer. Il voulait rentrer. Non. Il ne connaissait pas les règles. Non.

Finalement il n’avait rien dit, le ventre serré, dernier présent entre les silos sur la pente de Réames les enfants allaient par groupes se perdre dans les prés, les bosquets, aussi loin que leurs jambes les porteraient, ses camarades, le besoin de les rejoindre, puis il réalisa la solitude, seul dans la nuit, les cris des bêtes au lointain, les ombres rampantes sous les lueurs célestes, la peur le mordit intensément, le réveilla tout à fait. Il se mit à courir, à trotter, à courir il pensait vers la hauteur et Ramont, il allait de travers au sud parmi les plants de laitues dans les champs et les gerbes des prés, sur les sentiers de petits éclats contre le bois luisant, les épées de ses camarades. Ces lueurs, dans sa tête, étaient des chandelles, la pensée de sa mère, de ses frères, de ses sœurs, les amis, les camarades, les connaissances, n’importe qui d’autre que les yeux de fournaise qui le poursuivaient, dans sa course un faux pas lui arracha le sabot.

Quelques pas encore pour réaliser le cloche-pied, le pied à nu sur la terre humide, sentir le brin de l’herbe contre la plante, il se tournait, pris d’une frayeur familière, l’idée des coups s’il perdait son sabot, les cris, la punition, et il n’osait plus bouger pris dans le noir parmi les ombres les buissons bruissant près de lui de sifflements sans vent la touche légère des gouttelettes, son pied à nu mordait dans le froid, il regardait l’endroit où le sabot aurait dû être, il ne voyait plus rien, paralysé par cette obscurité soudaine, à peine de petits points piquetant le ciel et pareils au points piquetant le sol, sans repères, il le sentait sa gorge cogneuse, le goût de grain sec, ne plus bouger pour ne pas s’enfoncer un peu plus dans le noir. Puis il s’emportait, contre lui, contre les autres, n’importe qui pour se sentir vivant.

« Guabre, c’est toi ? »

Les yeux brûlants, mais dans le noir, mais il passa la main sur son visage avant de se tourner, le petit grognard dont il se rappelait le nom, Cossu, et il se demandait pourquoi à présent, malgré le filet d’obscurité, il arrivait à se rappeler son nom. Le petit avait couru avec les autres, les autres avaient couru sans lui, il s’était retrouvé seul après quelques minutes. Tous deux n’avaient plus cherché ensuite que la compagnie. Guabre s’était dit, pourquoi Cossu n’était pas remonté au village, avant de se répondre à lui-même, Cossu n’avait pas voulu perdre, parce qu’il pensait, comme tous les autres, que retourner au village c’était perdre, il ne voulait pas être la poule devant les autres. Alors il avait hésité, au long de la pente, et il avait battu les ténèbres avec son épée pour les tenir en respect, jusqu’à ce que les éclats de Guabre l’attirent. Comment savait-il tout cela, pourquoi avait-il pensé tout cela, répondre à Cossu, le rassurer.

« J’ai perdu mon sabot. »

« T’inquiète. On va le retrouver. »

La voix de Cossu, où la crainte se brisait pour l’habitude, Cossu qui ne connaissait pas les règles. Il tremblait à l’idée que Cossu se fasse avoir. Sa voix tremblait pour trembler. La nuit les serrait, alors même en se parlant ils se faisaient des gestes, pour s’assurer que cette figure était bien Guabre, que cette figure était bien Cossu, les deux jeunes de tâter la terre où le creux de terre avait fait sauter le sabot. Cossu avait des chausses, il plaisantait, le père l’avait habillé pour une fête, alors il avait plus froid que les autres. Il dit encore, pour combler le silence, que les autres avaient dévalé dans les prés, qu’ils allaient grignoter l’herbe ou bien les feuilles en attendant de pouvoir rentrer. Un hochement de tête, il dit encore qu’ils étaient une dizaine de ce côté, il ne les connaissait pas tous, alors, il se mit à mentir, il avait fini par les laisser, il mentit un peu plus, il s’était mis à sa recherche, à lui, Guabre. Pour se rassurer, tant qu’ils cherchaient le sabot, que Guabre ne l’abandonne pas ensuite comme les autres. Comment savait-il tout cela.

Rester en retrait pour chercher tous les deux baissés dans les herbes leurs mains mouillées aux couperets de la rosée ils fouillaient pour le sabot sous les branchages tirés lui derrière le regardait chercher ce trait vif et luisant dans l’obscurité, l’épée entre son bras et le flanc tranché flottant filet de lueurs insaisissables toujours à pendre dans ses mouvements Cossu en train de parler sans prendre garde le jouet de bois balançant aux gestes des mains tendues pour déranger les plantes, prête à tomber, il se força à regarder ailleurs. Pas de sabot. Le pré juste au bord. Encore de revenir piétiner la terre le creux puis dans la course la course qu’il avait dû faire, ce qui les trompait, le bois du sabot était trop terne, un paquet sombre comme les pierres, et remuer les ténèbres pour le trouver. Cossu qui se sentait coupable, qui angoissait de devoir abandonner, pour ne pas se faire rejeter la faute, qui allait se baissant au hasard où ils étaient déjà passés, et qui se mettait à penser, ce sabot, ce n’était pas pour l’autre, c’était pour lui-même, persuadé.

Puis à son tour il fatigua, imitant Guabre, se releva tout à fait, la nuit plus claire dévoilait des champs face aux forêts les taillades de chemins balafrés au long de la voie jusqu’à Chaumont, une lumière pour Chaumont pareille les lumières des astres que les nuages continuaient à tromper, il balançait les bras, Cossu, il faisait un pas ou deux hésitant sur ce qu’il fallait faire, la question aux coups de talon dans la terre, la bousculer. Son épée négligemment deux tranchants nets jouant aux reflets jusqu’à la pointe ou le manche étroit taillé, il ne la voyait plus, une habitude déjà prise, les alentours puis le grognard sans savoir comment le dire, ce qu’il voulait, s’il le savait, il voulait juste pouvoir rentrer.

« On n’a qu’à rester là, » Cossu voulait dire, ensemble « attendre qu’il fasse plus clair. »

« Cossu, on peut gagner ! »

Un étranglement, cette sorte de désespoir plein de confiance pour le motiver, il le savait, le pied le démangeait, il le retira du sabot, tout en parlant, par mots entrecoupés, cette émotion, alla le caler derrière une pierre, à peine retiré, deux pierres mêlées aux herbes, tout en parlant, lui dire les règles, s’il jouaient ensemble, comment gagner, pour en finir avec ce jeu, ses pieds nus contre le sol le mordaient les petits cailloux et la rosée, comment rester ensemble. Cossu prendrait la corne, il se ferait passer pour un cornu, il n’en était pas un, tout le monde s’y ferait prendre sans peine. Les autres joueraient face à Cossu et comme il n’était pas un cornu, invariablement, les autres perdraient. Chez l’un l’ardeur anxieuse, l’autre excité ne posait pas de question, sa tête qui hochait les oreilles écartées, à trépigner, une sorte de joie aussi de pouvoir se venger. De quoi. Tous deux parlaient bas et forts s’entendant à peine quand les silences venaient les hésitations de Guabre et son ami cherchait sans savoir le moyen de le convaincre, jusqu’à ce qu’il le formule, tous deux trouvaient la solution, et c’était si simple, si simple, à mesure que son ardeur se jouait, il sentit la sueur.

Enfin « attends » et il sut ce que Cossu allait dire « mais pour que ça marche » son ami le devançait « il faut pas qu’ils me voient » il ne fallait pas « avec une épée. »

Parler bas et fort, conspirateurs, Guabre s’efforçait de ne pas comprendre, l’excitation de son ami dans la nuit tous deux resserrés leurs vêtements froids de gouttelettes les forçait à s’agiter, une proposition folle encore de la cacher sur soi impossible puis il lui proposa de la laisser dans l’herbe et Cossu la plaçant de voir ce rai luisant se détacher à grands jets plus visible encore qu’elle avait cessé de bouger, même sous les feuillages, il commençait à désespérer, le grognard, à trépigner, Guabre qui ne voulait rien dire. Qui ne voulait rien dire. Il savait. La gorge dure, cogneuse. Devant lui son ami regardait la plaine aux reliefs rares les éclats indistincts des épées une dizaine de leur côté et seules ou rassemblées mimant la foule du ciel, il revenait le poing aux lèvres, tournait les yeux vers lui, sans oser le dire, il ne voulait pas le dire, ils le voulaient, il lui tendit enfin l’épée.

Il lui dit de prendre l’épée.

Seulement tendre la main pour la prendre, le sourire du grognard se détachait dans le noir le noir serré sur eux nœuds épais suants sur les branches les feuillages des rus infimes de bruissements aux grondements des bêtes lointaine les enserrant chaque souffle un frisson glacial, et la lame tendue vers lui, le sourire de Cossu pour le convaincre de la prendre, une hésitation, un hochement de tête, en accord, pour le plan, il tendait son bras les doigts plaqués en avant, des questions, tant de questions, une abnégation rageuse sur le visage de Cossu, le petit Cossu s’impatientait pour qu’il la prenne, ce jouet, qu’ils en finissent.

Il avait pris l’épée, il l’avait dans les mains, sachant quoi faire sans le savoir le visage mêlé d’expressions la surprise battue par ce plaisir furieux, les doigts resserrés sur la lame de bois serrés jusqu’à se faire mal sentir les coins nets s’enfoncer, le grognard lui parlait, il fallait qu’ils redescendent trouver des gens, jouer leur jeu jusqu’au bout, la gorge cogneuse, devenue de gravier, de gravats, anéantissait son visage, une sorte de hoquet le poussa en arrière d’un pas et il sentait ses pieds à nu contre une boue sèche se tendre et se tendre face au froid, le corps tremblant, comprendre ce qu’il venait de faire et pourquoi, dire à Cossu de reprendre son épée de la garder de ne jamais la donner à qui que ce soit sans entendre les objections il ne devait pas cette nuit s’en séparer la jeter en reculant Cossu qui s’avançait crier pour qu’il s’arrête ses questions qui perçaient les plaintes tandis qu’il reculait leurs deux corps dans le noir Cossu qui ne comprenait pas crier qu’il y avait d’autres règles qu’il ne fallait pas perdre et se mettre à courir en réalisant qu’il cherchait toujours la victoire.

À nouveau courir sans savoir il courait tenaillé au ventre le besoin de se retourner il pensait revoir son camarade continuer le jeu avec lui cette histoire d’épée à laquelle il ne voulait rien comprendre pieds nus dans les herbes du pré et les lames qui scintillaient toutes ces épées lui qui avait la corne voulait l’arracher ou bien s’abattre, en plein champ, attendre étendu que tout passe. Son affolement, il ne le sentait plus. Alors il s’arrêta sur la voie bordée de cailloux en des murets hésitants envahis par les mauvaises herbes, le roulement des nuages et les bosquets épars à distance qui tranchaient dans la continuité des pâtures. Il se murmurait « j’ai choisi, je ne peux plus reculer » déjà se contredisait quelques pas jusqu’à l’embranchement des sentiers sur la voie contre une roche que les chemins appuyaient.

En peu de temps les enfants s’étaient mis à jouer bravant le noir la fatigue aidant les premiers regroupés s’étaient donnés leurs propres règles, ainsi pour trois et quatre, un et un dispersés de ce côté, des clameurs de combat étranges entre les pauses et les rires d’encouragement. Hugo avait proposé ça pour passer le temps, pour utiliser les jouets qu’on venait de leur offrir, pour se rassurer aussi. Puis une corne avait croisé Hugo, son groupe avec lui, alors la dynamique avait changé. Ils se battaient entre eux, des coups d’épée contre les épées, deux l’un face à l’autre et les autres qui regardaient les coups donnés visant la lame à bonne distance quand elles cognaient la secousse dans les bras ensuite la nuque où leur envie de hurler tournait court, ensuite le cœur qui les poussa en avant, pour se prémunir le second attrapa l’autre au poignet, retint sa lame, et lui de crier à la tricherie, la pointe contre son ventre, ils en vinrent aux mains.

Tout ce temps Guabre assis contre la pierre les écoutait de loin les rumeurs du groupe désemparé à attendre que Hugo s’emporte, Hugo qui ne savait pas qu’il commandait, qu’on l’écoutait, qui ne supportait pas quand les autres se tournaient vers lui, les laisser se battre, les séparer et Guabre dressa la tête, contre la roche, dans la nuit le visage de l’enfant trop grand, les membres étirés, blafard, son visage marquait la colère et quand ils se furent séparés et calmés « maintenant vous vous calmez ! » aux enfants qui bouillonnaient l’enfant tira son épée pour taper les leurs, un petit coup, « vous faites ça correctement ! » l’enfant qui croyait avoir compris les règles, qui cherchait à les suivre au plus près pour ne pas perdre, toujours ne pas perdre, ils recommençaient persuadés l’un et l’autre que chacun allait recommencer, soudain les deux de se rapprocher et les coups de devenir violents, ils visaient à peine l’épée, derrière, regardaient les bras et les jambes flotter dans le noir les lueurs des lames pour les guider qui glissaient l’une contre l’autre au hasard tapaient les gardes puis un coup à l’épaule, un cri de douleur, et soudain des cris d’angoisse.

La main serrée qui avait tenu l’épée pour oublier la douleur les doigts repliés tombaient dans l’herbe, dans la nuit noire le noir de la pierre contre laquelle il attendait serrant les dents, une réponse, pourquoi il avait fui son camarade, plus important, comment cet ami s’appelait, un nom de brouillard lorsqu’il réalisa cette haleine glaciale courant les herbages en filets, plus sec, les nuées de la terre. Au-dessus Londant observait, accroupi sur la pierre tête dressée aux rumeurs de la plaine, de trois côtés et jusqu’aux frondaisons les ombres des ombres comme de l’encre flottante aux piquets des sentiers, les éclats des armes et l’enfant, assis en contrebas, sur la voie, qui serrait les dents.

Attiré par le cri de douleur venait Camille, petite avec de la rousseur, la laine sur les épaules battait avec le bonnet à sa course, sa gorge au frais, elle fuyait le froid rampant lorsque le cri de douleur l’avait détournée, préoccupée, elle tenait l’épée des deux bras, serrée contre elle. Camille persuadée de devoir aider les gens. Pleine de rêves. Sa silhouette unie à celle de la roche, la sienne flottait nette sur le chemin, par de grands battements, les jambes trottaient, s’arrêtèrent, elle s’était rendue compte, lorsqu’il avait levé son regard, de sa présence. Camille se disait que le cri devait venir de plus loin, tout en doutant, s’approcha pour que l’obscurité lui dévoile la corne. Elle exprima un frisson, sincère, si sincère que Guabre en fut jaloux.

« C’est toi le cri ? »

« C’est le groupe à Hugo. » Sa voix le surprenait. « Il les oblige à se battre. Ça finira mal. »

« Et tu laisses faire ? »

Camille révoltée le toisait, il soupirait. « J’ai pas d’épée. »

Le noir avait étouffé ses paroles, un souffle entre ses dents serrées, sorte de haine et la main qu’il ramenait contre lui pour la tenir, la lueur des yeux baissée, il s’effaçait. Elle ne disait plus rien, fixée sur ses pieds nus dans l’herbe, sur sa corne, demander « ça fait mal » avec la même réponse, sans savoir, Camille éperdue dans la nuit où les paroles ne portaient plus, voulait en savoir plus de ces questions interminable ce sifflement du cri resté en mémoire la douleur qui la tourmentait, savoir, elle ne pouvait ni partir ni rester. Comment le savait-il.

« Je sais pourquoi on joue. »

Elle avait dit ça, fièrement.

« Toi, tu le sais ? » Il secoua la tête. « Tu connais les règles, mais tu sais pas pourquoi tu joues. Tu veux savoir ? » Il secouait la tête. « Moi oui. Je veux savoir les règles. Je crois que c’est comme au loup. Les loups ont une corne. Ils prennent les épées. »

Une voix hachée, elle parlait par petits coups, par impulsions, dans sa tête la réalité reconstruite de cette nuit sans raison le cercle aux silos avec les enfants de Choitres à Ramont Londant et les jouets, et la fuite, puis les prés et le froid qui la mordait lorsqu’elle avait couru à la recherche de ces lueurs fuyantes, pour les avertir, leur expliquer, leur dire que le jeu lui échappait. Camille laissait traîner la pointe de l’épée par terre, la poignée à deux mains, traînait avec, en s’approchant, par petits coups.

« Dis, tu ne peux pas mentir ? » Il arrêta de secouer la tête, le temps qu’elle comprenne. « Alors dis, avec les épées, on peut se défendre ? » Paralysé, les yeux grands ouverts. « On peut vous battre ? » Ce silence. « Si je te frappe, tu perds ? »

Le coup furieux contre la pierre dans l’éclat son glapissement, le corps qui roulait dans la rosée tous ses membres hurlant à la sensation de l’épée dressée en l’air, entre lui et Londant, deux yeux de fournaise cernant le tranchant prêt à s’abattre. Elle parlait, Camille persuadée de jouer, sans se rendre compte, Camille qui voulait juste le toucher comme avec les bâtons pour l’obliger à perdre, cette règle construite sur l’instant. Il savait. Il n’arrivait pas à se relever, malgré la peur, à cause de la peur, une difficulté à respirer, le noir le déchirait flanqué d’herbes la lame siffla où il s’était tenu encore un instant roulant encore pour se relever, il tombait, un autre cri suppliant, qui fit hésiter l’enfant, le voir s’agiter, tous ces mouvements, l’idée qu’il s’échappe. Captivée par la corne. L’épée battait sans elle sauvage de grands arcs foudroyés les longs arrêts avant de s’abattre à chaque coup plus violent comme elle s’impatientait Camille persuadée de sa règle l’impression qu’il trichait le refus de perdre pour elle la nécessité de gagner et les yeux de fournaise.

Elle frappa encore, frappa, frappa, des perles aux joues jusqu’au menton, regardait autour d’elle ce silence mêlé aux grognements des bêtes, les ombres fugitives autour d’elle cherchait ce repère où se retenir, elle reculait, un hoquet, demanda d’une petite voix quelles étaient les règles, commencer à comprendre, cette épaisseur de la nuit qui l’effrayait les créatures sombres et l’interdit dans sa tête se troublaient, elle appela, comme s’il avait fui, l’enfant l’appelait, de sa voix faible, pour savoir quelles étaient les règles. Un côté de son épée ne luisait plus. Hugo et les autres avaient écouté, lorsqu’il y avait eu les clameurs, restés aux aguets comme elle restait à l’arrêt le silence entre eux éperdu, de demander encore, ce qui se passait, ce qu’ils faisaient là, l’épée à ses mains chancelait sous le poids. Puis elle se jeta à terre où Guabre était étendu pour le secouer, et oublieuse de tout, le supplier, lui crier dessus, le pousser le tirer pour qu’il se relève, tout ce qu’elle pouvait encore et qui lui venait en tête, par à-coups hors de tout contrôle.

Sur l’instant où elle s’oubliait la vue floue pour tout ce qu’elle avait pu penser Camille ne se sentit pas rouler en avant de comprendre elle tombait, il se jetait à son tour sur elle, une voix répétée qui répétait « je suis désolée » entre eux deux qui se débattaient, le froid dans son dos la poussait à se relever, il la maintenait à terre, dans le noir, ils se débattaient l’un et l’autre à la moindre prise glissant sur les habits humides, la laine lui échappait, elle toucha la corne, cria, les deux mains sur son cou puis il sentit le coup de poing maladroit, chercha le bras pour le retenir, cette voix entre eux qui scandait « je suis désolée » par cris entrecoupés, absents. Tout ce temps il regardait l’épée, restée par terre à un pas d’eux la lame luisante et la garde et le manche traînant pareille entre les herbes dans l’ombre de la pierre les rais lunaires magnifiés, elle l’aveuglait, la colère, lui faisait répéter « je suis désolée », n’en pouvait plus de se plaindre. Il regardait l’épée, tout en se débattant, effrayé de relâcher, effrayé de rester, les gestes se peignaient de réflexes tandis qu’elle le rouait la lame à un pas libre près du chemin, tout ce qu’il voyait, et il savait, la panique à son visage.

Il lâcha enfin à bout de forces, se relevait tremblant pour bondir sur le chemin où il retint un cri entre ses dents serrées, plié sur lui-même, un regard derrière lui à cette lame de reflets dans l’herbe, Camille en deux états se relevait, la peur et la confusion, sa main avait saisi une pierre qu’elle brandissait dépourvue de conviction, l’enfant le regardait fuir disparu l’instant d’après, se mêler aux ombres, et elle resta à se convaincre qu’il ne s’était rien passé de grave.

Trempée, étourdie, elle ne se rendait pas compte que la pluie tombait, un étourdissement de trombes dans le silence les lourdes masses éclataient couvrant le ciel à force de bourrasques, les prés secoués ployaient leurs herbes sur son passage de grosses gouttes sur les tiges battant avant de tomber qu’il faisait éclater à ses plantes nues, les ongles griffant dans des sentiers de boue, il passait en vue des silos aux toits charbon suffoquant sous la roillée tout le temps qu’il put les voir avant la douleur, se plier encore en plein champ sous les battues d’eau, le noir et le noir sur lui, tout ce qu’il voyait vaguement les souvenirs d’éclats dans les lointains lames aux mains d’enfants qu’il devait atteindre sur l’autre côté une trentaine à se disputer malgré l’orage, les herbages lui tailladaient les jambes, encore un pas, cette douleur qui ne le quittait pas, il s’effondrait.

Aussitôt l’oiseau noir se posa sur son dos.

Une main écrasée par son torse de l’autre Guabre tenta de le chasser, sentit la morsure dans sa paume les doigts pliés, l’envie de gronder, et il hurla. Certain que personne ne pouvait l’entendre, à part Londant, il hurla. Il savait pourquoi, il y avait tant de raisons qu’il ne savait plus pourquoi, il hurla. La pluie battait, projetait l’odeur des plumes poisseuses sur son dos l’oiseau noir becquetant son habit, le long de l’échine, et au flanc la brûlure vive, poisseuse également, de sa main libre il saisit la corne pour la tirer, hurla, tirait, pour se l’arracher, le tonnerre de tous ses reproches dans la tête projetés si forts qu’ils le vrillaient, tandis qu’il pleuvait, il pensait à cette enfant d’un autre village, dont il n’avait pas pu voir seulement le visage, son épée à portée de main.

« Alors tu abandonnes, déjà ? »

Cette fille, détestable. Elle avait une corne.

« Laisse-moi. »

Son rire n’avait pas changé, un nom de peste au visage taillé en flèche, le nez arqué, tendu pour la raillerie. Elle n’était qu’à quelques mètres assise sur la pointe des pieds, jambes pliées, les bras posés devant à le regarder se tordre dans la boue d’herbe sous le bec de l’oiseau. La corne lui allait bien.

« Tu as attrapé l’oiseau noir. »

« Je connais les règles. »

« Regarde. »

De son dos elle tira l’un des fourreaux pour lui montrer la pointe dépassant d’un côté à l’autre la garde complète, il pouvait deviner au travers du cuir roulé la lueur des tranchants, une des trois épées dérobées aux autres dans la plaine lorsqu’elle s’était joué d’eux, puis les avait menacés, ces fourreaux venaient de leurs habits. La peste ne disait rien, sur son visage le contentement, la frustration, plus que de la haine, le simple constat qu’elle était en train de perdre. Ce qu’elle essayait de lui dire, ce qu’il essayait de lui dire, ils le savaient, comment le savaient-ils. La pluie roulait encore sur eux rideau livide dans laquelle se découpait la plaine des tourbières au sud jusqu’au nord et ses frondaisons. Les serres jouaient sur l’habit battant d’un coup plus loin dans des battements d’ailes l’oiseau noir s’envola lorsqu’il se relevait, revint tourner autour de lui. La pluie, la nuit, volait ses cris de bête.

« Tu veux rentrer chez toi, non ? Alors tu vas m’aider. »

« Je vais te trahir. »

À voix haute, distinctement, puisqu’elle savait déjà ce qu’il comptait faire, ce qu’elle comptait faire, ce jeu dangereux où ils se tromperaient l’un l’autre pour l’emporter, cette maigre chance de l’emporter, l’oiseau noir lui avait enlevé toute possibilité de refus.

Quand la pluie s’abattit les humeurs retombées dans la nuit la poix d’obscurité et les ombres auprès de tous les enfants les ombres jouant sur leurs visages de peur l’anxiété les regards vers Réames où brûlaient des flammes aux plus proches maisons, les silos dans le noir souvenirs des adultes qui les poussaient ces enfants par les sentes errant sous la pluie glaciale tant qu’ils tenaient encore les murmures des cornes à leurs oreilles, ces règles encore ces règles suggérées à chaque rencontre les enfonçaient un pas de plus dans la nuit noire des spectres de clarté luisants à leurs mains qu’ils agitaient et les chefs désignés ils allaient chassant les autres à présent galvanisés, la pluie les transperçaient, par trois, par cinq, fouiller les prés contre le froid, la pluie, la fatigue, contre les doutes qui les tenaillaient pour ne plus subir, ils s’étaient résolus à frapper. Ceux qui n’avaient plus d’épée, ils allaient au hasard hagards des rumeurs par les sentiers, et ils allaient former une bande pour reprendre leurs armes, à coups de poings, à coups de dents au besoin.

Trois s’étaient détachés du groupe principal, l’un sans épée suivait de mauvaise foi sous la pluie qui les transperçait ses balancées sauvages épaules branlantes nonchalantes parce qu’ils ne le regardaient pas, les bras croisés, entre ses lèvres il les invectivait, elle faisait mine de rien entendre, il n’entendait rien. Il ne voulait pas s’abriter sous un arbre. Elle le traitait d’imbécile. L’eau plaquait ses cheveux délacés coiffe de poisse dans la nuit même quelques fils de reflets indistincts, la lame à sa main fulminante à la balancer dessus la boue d’herbe, leur intima de faire silence, main levée, voir les buissons aux abords qui tremblaient.

À haute voix la fille s’était avancée appelant corne ou épée la norme de ce côté corne ou épée en balançant la sienne sur le côté un trait vivace, il disait qu’il n’y avait rien, sous la pluie, de s’en aller. Derrière eux, en retrait, il pliait le front, les bras croisés, sans un mot.

La première, la peste l’avait amenée, le second également et le troisième, celui-là avait été poussé par Landes, Landes si jovial qui hurlait, parce que le groupe l’avait coincé, plaqué contre un arbre, il hurlait. La pluie, la nuit l’étouffait. Elle regardait les buissons persuadée, puis se laissant convaincre, puis les trois se détournèrent, même s’il y avait quelqu’un, les grognements des bêtes au lointain, devoir bouger, il pensait trouver d’autres gens du côté de la voie. Voilà pourquoi, selon lui, ils s’éloignaient, et il avait oublié tout le reste. Sa propre épée passée dans la chemise la pointe aux reins il laissait aller sa tête au long des champs désigner ces lueurs de lames partout scintillantes bal de luttes muettes qu’ils gardaient à distance comme la voie approchait le chemin en légère pente insensible avec les premiers rochers en bordure la roche et les piquets bruyants de gouttes. Le sentier de boue les poussa au prochain pré l’écoulement de l’eau à leurs pieds de gouilles en flaques les enfoncer aux bruits de rogne, un cri d’oiseau, tournoyait à son approche. Corne ou épée.

Il avançait les deux bras ouverts pas à pas sur son visage ce sourire d’enfant, sans pouvoir cacher la corne, en face il tirait son épée au long mouvement du bras la lame pointée au ciel descendait sur le visage découpé le sérieux dépeint sur les joues rougies par le froid.

« Je viens me rendre ! »

L’entendre s’exclamer, ils se rendaient compte d’être dans un champ la nuit sous la pluie avec leurs épées en bois et il disait, il se rendait, elle qui ne voulait pas le croire qui lui criait de ne pas bouger, lui qui suivait les mêmes cris sans suite pour crier pour s’assurer que quoi que quoi elle s’était déplacée quelques pas entre l’enfant à corne et les bras croisés désarmés, le front plié, observateur. « Tu ne peux pas gagner » Londant l’avait dit le répéter à la face de ce prédateur tant qu’ils avaient des épées et même sans même sans il ne pouvait pas gagner ne pas bouger, tandis qu’ils approchaient, dire qu’il avait l’oiseau noir, leur étonnement, expliquer, il n’avait plus de temps, il était perdu. Alors, il avait décidé de tronquer les règles. Dans les deux sens, si l’un d’eux prenait sa corne, il gagnerait. Alors, il allait la donner, avant la fin, pour s’assurer du vainqueur. Il répéta, il allait décider du vainqueur, les autres qui l’écoutaient.

« C’est un cornu, ne l’écoutez pas. » Elle cherchait la voix la plus assurée, elle qui était la plus faible. « Il veut qu’on se batte entre nous. » L’accent tremblotait entre les mots.

Dans ses yeux le désir de le croire, à sa gorge, à ses doigts, le besoin de le croire, sous la pluie qui les battait ce noir et ce noir les reflets à leurs bras la fatigue et le froid, elle se tourna, plus fort, qu’il allait les monter les uns contre les autres, ne pas l’écouter, lui voulait savoir à qui le cornu allait remettre sa corne. Elle se laissa entraîner par ses mots, lentement, lui faire face le visage blanchi, corps de craie, l’avertir de ne pas faire ça, comme il insistait reculer alors dans le dédouanement chaque pas la séparait un peu plus du choix les délaisser tous les deux puisqu’ils l’écoutaient le cornu les désapprouver ce besoin nier ce qui lui battait la poitrine de saisir la corne, et elle pensait, et elle pensait, comment le savait-il, elle réfléchissait au moyen de s’en sortir.

Il les laissait faire, quand ils furent deux face à lui rejetant leurs demandes du doigt désigna le désarmé, pour en finir de tromper les règles, et parce qu’il ne le craignait pas, aller vers lui tendre la corne pour qu’il la prenne, lui le craignait, de parler soudain, sa voix rayée qui se désemparait poudre tonnée dans de longues respirations entre ses lèvres les mots et les mots retenus sur les bords et reculer le même cri de ne pas bouger en écho le même cri le cornu qui ne bougeait pas lui reculait, sans nulle part où aller, l’autre à ses côtés le coupa, un coup de colère, pour qu’il prenne cette corne puisque tout était décidé, il le protègerait.

« Finissons-en. »

Ensuite tout s’était déroulé très vite, la cérémonie et lui à genoux dans le pré la boue d’herbe le transperçait humide sur tout le corps cette pluie battante puis l’autre avait tendu sa main puis l’ombre puis il avait saisi la corne pour la tirer puis l’ombre puis le hurlement puis l’ombre illuminée jet de lumière au moment de frapper cette voix comme du bris de verre « ne le touchez pas ! » et elle frappait l’épée alors qu’il se retournait la violence inouïe du choc et leurs corps qui se bousculaient, le voir s’écraser comme elle les toisait la laine au bonnet déplacé bordant ses épaules dans la pluie et sa figure acérée, ce sourire, au cornu tombé à terre puis à son agresseur l’épée sifflant sous les trombes en un grand arc et il savait, elle disait, il se rendit compte qu’elle disait :

« Je sais pourquoi on se bat. Et si toi aussi tu savais tu comprendrais ces règles auxquelles je ne comprends rien. Moi, j’ai décidé de jouer de la seule manière que je connais. Et c’est pour ça que je ne laisserai plus personne te faire de mal. »

Après quoi elle s’effondrait hurlant à la gorge les crocs de la peste et les bras griffés et elle se débattait l’épée sifflant deux ombres parmi les ombres séparés dans le filet de la pluie les éclats de l’arme tailladant l’air qui lui hurlaient de se battre, elle voyait la cornue l’attaquer, elle hésitait, les deux mains au manche prête à se précipiter quand le cornu cria, son ami blessé, elle tourna la tête pour le voir geignant par terre, et le cornu qui lui disait, il ne l’attaquerait pas, à terre, lui dire de l’aider, elle se détourna pour aller se jeter auprès de son camarade gémissant. Alors le cornu se releva. Alors elle lui cria de ne pas approcher, tout en s’affolant, pour que son camarade cesse de hurler. Alors il s’approcha, elle lui cria, et à ceux qui se battaient, ce n’était qu’un jeu, et d’arrêter, il dit « quel jeu ? » le sourire d’un enfant, elle savait dans l’affolement tenir son camarade puis le sentir tout près, avant d’avoir pu lever l’épée il l’enserrait, lui susurra :

« Voilà. Maintenant plus personne ne t’empêchera de rentrer. » Et il laissait couler ses bras pour la libérer, doucement. « Tu peux y aller, maintenant. C’est fini. »

Elle se leva, regardant autour d’elle, ce visage décomposé, tant d’expressions qu’elle n’arrivait plus à s’entendre, à la pluie battante, regardait le combat où la petite gémissait, elle se mit à marcher en direction des pentes les lueurs de Ramont dans ses yeux brûlés laissa traîner l’épée à chaque pas sur la boue gravée de rus sans cesse, de petits pas d’équilibre à la vue des lueurs sur les hauteurs sans rien d’autre à se rappeler. Elle souriait. Elle hurlait de douleur. L’épée taillait la terre par arcs battait dans le noir la sueur aux deux corps entraînés dans le combat sa haine contre sa haine soudain frappée l’épée sifflante à ses oreilles de se rendre compte qu’elle gagnait, la peste frappait et frappait et la nuit de poix à ses mains pour l’écrouler sans souffle des deux côtés leurs côtes grondantes puis son visage se figea.

« Laisse-moi l’épée. » Il le disait au désarmé, alors que celui-ci s’était baissé pour la prendre sur celui qui gémissait.

Il le regarda, effrayé, rassuré en même temps, de pouvoir dire : « Le groupe, ils ont attrapé l’un d’entre vous. Ils l’ont collé contre un arbre, et puis… » il savait. Répéter, pour l’épée, alors l’autre le regardant craintif, hésitant, se releva, se recula, et son visage s’était figé.

Sa patte blessée la première saisit la poigne puis la seconde sans lâcher, les crocs serrés, au même mouvement se relever puis un pas puis un autre contre eux qui se battait la peste le regardait refusant pourtant elle savait refusant le visage figé de comprendre qu’il la trahissait, l’épée tremblante, d’abord terne puis fulminante, le fit hurler de fureur, une course jusqu’à elles deux qui se battaient puis la taille puis la pointe qui s’enfonçait, la peste le regardait faire à peine entre ses crocs un murmure comme il hurlait, pressa, elle s’écarta sous le coup pour fuir abandonnant derrière elle les fourreaux d’habits enroulés. Ils étaient trois dans le champ sous la pluie qui battait une nuit d’ombres grondante aux reflets des lames quarante et ils attendaient, s’il devait arriver quelque chose, puisque tout s’était déroulé trop vite, de comprendre qu’ils avaient tous été piégés, qu’ils s’étaient tous trahis les uns les autres, et ce qui se passait.

Déjà la petite sans mot dire se mit à la poursuite de la cornue, il le savait, pour ne pas avoir à lui parler, dans la course de ses rêves, une chasse sans trêve, comme Landes le voulait. Déjà l’autre se jetait sur les fourreaux, pour en dérouler un, il le savait, réparer toutes les erreurs face aux autres, se sentir à nouveau capable d’endurer, puis il se mit à courir après la petite sans autre direction où aller, comme Landes le voulait. Dans la seconde où tout s’était déroulé on esprit vacillant, hurlant de cent mille pensées continuait de lui arracher le cri perçant, d’instinct, lâcher le manche et l’épée abattue à ses pieds, la douleur jusqu’à le rendre fou, et il cria, et il criait. Quelles étaient ces règles absurdes qui voulaient qu’ils ne puissent pas gagner. Alors il se rendit compte que l’oiseau noir s’était détaché de lui, lorsqu’il avait saisi l’épée, enfin débarrassé, avec son bras laver le visage de toute la roillée sous les masses roulantes des nuages puis se détacher d’un bond filer à travers la plaine les reflets lunaires du métal pour l’attiser, deux yeux de fournaise.

Ses pas lourds crevaient les gouilles du sentier, une force d’épaules dans les ténèbres qui se découpaient silhouette vêtue de peaux d’autant de gueules ouvertes du bâton à son crâne portant le crâne portant la roillée, les fils s’entrechoquaient ces choses informes dans le noir qui titubaient, autour et loin les éclats des lames battant la plaine tant que la nuit durait, Londant s’arrêta tête tournée au pré où l’herbe piétinée laissait voir cette boue ridée par l’eau, les corps roulés, trois épées dans ces habits près de la quatrième, un éclair luisant, et l’ombre toute proche. Il s’avança dans le pré.

Tant qu’il courait ne plus avoir à penser la douleur et le poids qui le tenaillait facile à décrire des déchirures à ses poumons enflammés plus froids que l’air la gorge de gravier puis il vit les torches sur la gauche en grande battue puis plus loin le vide de la plaine, sur des kilomètres et des kilomètres l’abandon de la nuit au sol clair comme une aurore avant l’heure les lueurs du sol parmi les bêches et les charrues abandonnées, à peine de fins filets de bruine sur les vergers, sur les champs épars taillés de sentiers aussi loin qu’il pouvait voir les sombres frondaisons, voir les bêtes leurs formes informes et leurs gueules béantes, sans avoir peur, seulement l’effroi, il reprit sa course jusqu’à la voie qu’il remontait pour le rocher, comme un abri, certain d’y trouver d’autres éclats, cinq, il le savait, comment le savait-il, comment.

Avant la roche même il le trouvait, l’épéiste, armée de quatre fourreaux au ceinturon, le métal aveuglant, une cinquième fourreau à ses mains et il reconnaissait l’arme de son ami. Un visage étonné, grave, meurtri par le combat, dans la nuit la déchirure des ombres le peignait sauvage moins qu’il ne l’était tout un corps plaqué d’obscurité et rêche aplati par les trombes alors que le tonnerre reprenait, ils s’observaient. Ce sourire, puis la voix amicale, face au cornu sur ses gardes.

« C’est toi, Guabre ? »

Il lui répondit : « Non. »

Sans l’entendre, l’épéiste qui se rapprochait, le voyant se tendre, s’arrêta, un pas féroce aux chausses cloutées le tremblement du fer dans sa marche couvrait ses traits, plus qu’une bête, l’épéiste semblait un monstre. Il souriait, d’un sourire en train de se perdre, les mains aux fourreaux garde fermée.

« Tu ne le sais pas, Guabre, mais tu as déjà gagné. C’est vrai. Tu as réussi, c’est fini. Tu comprends, Guabre ? Tu as gagné. On peut rentrer. »

Puis il ajouta :

« Tu comprends, dis ? Pourquoi on se bat. C’est ce qu’elle a essayé de te dire, et maintenant tu as gagné. Alors arrête. Et viens. Rentrons ensemble ! »

Une pluie assourdissante à leurs oreilles s’ajoutant aux grondements les grognements des bêtes puis les clameurs, puis les murmures, puis ce tonnerre dans la tête le noir poisseux sur les bras jusqu’aux gants coulant à la garde contre les lames les tachant ces éclats persistant dans la nuit des lueurs sans cesse partout les entouraient des rumeurs puis les fers qui se croisaient à ses tremblements il secouait la tête la corne lourde à son front ces trombes qui les séparaient, il le regardait sur ces derniers mots tendu la main tendue si proche du manche tandis que leurs cœurs battaient l’eau sur son visage creusant ces rides de feu chassées à chaque mouvement chaque expression suivant la fin du sourire, la main retombait, les deux bras retombant contre les reins les autres fourreaux pris par la force des armes, deux silhouettes d’ombres parmi les ombres de la nuit hurlant dans le silence et ils le savaient, alors l’épéiste sentit son visage éteint, et cette figure d’ombres face à lui, la corne émergente, il recula d’un pas.

« Tu ne peux pas mentir, Guabre. Mais moi je le peux. »

Et il tira l’épée.

 

Selon Londant, de corne, priant d’Arjes, servant l’ombre et l’ombre et l’encre, Millegriffes et Rein s’affrontèrent, et Rein perdit l’épée Alde dans l’affrontement. Alors Hautmont fit apparaître Limet, puis Choitres, puis Chaumont, et il ordonna à leurs habitants de réunir ceux d’entre eux qui étaient âgés de deux sept et de les mener de nuit aux champs. Puis il envoya Londant pour distribuer les cornes et les épées, et ils rejouèrent la perte d’Alde, et ils rejouèrent la perte d’Alde, et ils rejouèrent la perte d’Alde, et ils rejouèrent…

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