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Ecrit en collaboration par Zarathoustra et Iggy Grunnson.

 

     La pièce, d’un blanc immaculé, était aussi vide que l’esprit de Jones. Essayant, une nouvelle fois, de remettre ses pensées dans l’ordre, il songea aux bibliothèques, aux hautes étagères qui auraient dû se trouver là… Non ? Les formes semblaient s’évaporer au moment même où il croyait s’en rappeler avec précision. Il tendit la main en direction d’une pile de manuscrits jaunis, dont le souvenir s’évanouit aussitôt.

- Oui, elle disparaît peu à peu.

- Ca a commencé il y a longtemps ?

- Depuis son départ, à peu près. Je crois que c’est ce qu’il voulait.

     L’expression de Myself avait quelque chose d’hystérique, se dit Jones. Quelque chose de triste. Il laissa vagabonder son esprit le long de l’écheveau de sa mémoire. Des souvenirs de fêtes lui revinrent les premiers, bruyants et nostalgiques. De longues heures d’études, voûté sur des pupitres.

- Jones ?

     Il revoyait les visages de ses camarades, à présent, avec netteté. D’heureuses veillées à la lueur de la torche. Il se rappelait les noms, les visages. Ceux qui étaient là, comme ceux qui n’y étaient plus désormais.

- Iggy ?

     Il ouvrit les yeux. Toujours cette saleté de pièce blanche, aseptisée comme une chambre d’hôpital. Ses yeux croisèrent ceux de Myself, embués de larmes, puis il se regarda lui-même. Pas de toute, il était plus petit à présent. Une épaisse barbe blanche cascadait le long de sa chemise de mailles épaisses. Ses doigts se refermèrent sur le manche de sa lourde hache, qui battait maintenant contre son flanc.

- Ca fait du bien de retourner chez soi, commenta-t-il, laconique.

- C’est bon de te voir de retour, l’ami.

     L’espace d’un bref instant, les deux camarades échangèrent un regard complice.

- Raconte-moi tout, à présent. Que s’est-il passé, au juste ?

 

**

*

 

     Lorsque L*** revint dans le grand salon, une grande inquiétude y régnait. En effet, le blason de Myself, qui logeait au milieu des autres au dessus de l’immense cheminée, gravée de leur célèbre devise « Par la plume et par l’épée » avait perdu soudain son éclat, et des brûlures sinistres le zébraient.

- Tu as vu Myself dernièrement ?

- Il a dû lui arriver quelque chose de grave !

- Que t’est-il arrivé ?

     Il fut immédiatement harcelé de questions. Les chevaliers formaient maintenant un cercle inquiet autour de nouveau venu, visiblement en proie à de vives émotions. Il ne s’attendait pas à un tel accueil, à vrai dire ; il n’avait pas eu le temps de se préparer, et le courage lui manqua pour dire les choses qu’il aurait voulu mettre en lumière pour tous ici présents. Dans son coin, silencieux, Sourdïn le dévisageait d’un air sévère, et pouvait déjà découvrir toute la vérité à son seul sourire gêné. L***, lui-même déstabilisé par le mutisme de son ami ne put rien prononcer de logique.

- Je ne sais pas. Je me suis fait attaquer par un troll. Là, à quelques mètres de la sortie… Il s’en était déjà pris à mon vaisseau. Dès que je me suis approché de lui, il s’est jeté sur moi. J’ai juste eu le temps de me défendre.

- Un troll, tu es bien sûr ?

- Ecoutez, des trolls, j’en ai déjà vu plein. Donc c’était un troll.

- J’espère qu’il n’a pas attaqué Myself non plus…

- Ca j’en doute, conclut L*** pour lui même, réprimant un rire nerveux.

 

     Rapidement, le Duke et Fineburion décidèrent de partir aussi vite que possible à la recherche du disparu. S’il avait été agressé par l’animal, les traces ne devaient pas être très loin du dernier combat : les traces sur le blason étaient apparues quelques minutes à peine avant l’arrivée de l’astronaute.

     Lorsqu’ils arrivèrent sur les lieux, ils découvrirent quelques petits débris du vaisseau, les traces de combats dans la terre rose, mais pas de cadavres, ni du troll, ni de Myself. Ce dernier, en tant que militaire de carrière, avait l’habitude de s’absenter parfois pour regagner le QG de son corps d’armée ; mais jamais son blason ne s’était pour autant changé de la sorte… Il se dissimulait le plus souvent dans une grotte justement, à la manière des trolls. Peut-être avait-il fait la mauvaise rencontre tandis qu’il regagnait son poste ? Fineburion contacta son état major par le biais de l’holonet, mais il s’avéra que personne ne l’avait vu là-bas non plus et qu’aucun code d’accès n’avait été utilisé par son matricule.

     Les questions continuaient de s’accumuler dans leur esprit lorsqu’ils rentrèrent. En tout cas, une nouvelle menace venait de s’abattre sur l’Ordre, cela ne faisait aucun doute. A ce rythme, ils allaient se retrouver tous les deux et jamais ils n’auraient la force et l’énergie de continuer à faire rayonner l’Ordre, surtout si L*** s’absentait encore pendant six longs mois. A caque fois qu’il rentrait, le Messie apportait avec lui son enthousiasme, sa vitalité et l’Ordre ne rayonnait jamais aussi fort que lorsqu’il était à leur côté. Ce n’était pas la première disparition qu’avait connue l’Ordre, mais il y avait longtemps qu’aucun nouvel arrivant n’avait apporté de souffle, chaque perte comptait double dorénavant. La flamme vacillait. La disparition de Myself était un coup dur. Il avait su petit à petit devenir une pièce majeur de l’Ordre, tout comme L***, de manière très complémentaire, en fait. Avec émotion, les chevaliers se rappelèrent d’ailleurs de quelques coups de sang qui avaient eu lieu entre les deux par le passé, du fait de leur forte personnalité. C’était maintenant de l’histoire ancienne, tragiquement ancienne.

 

**

*

 

     Dans sa chambre, L*** était perdu. Il jubilait d’avoir terrassé la menace sur l’Ordre mais dans le même temps, il savait que la disparition de Myself ne faisait qu’une avec la mort du Troll. La simultanéité des deux était la preuve dont il aurait eu besoin. Seulement, personne n’avait assisté à son combat, sa victoire se devait d’être secrète, car, au fond, en était-elle une ? Il fixait le plafond, à la recherche de réponse, à la recherche de nouvelle certitude. En tout cas, pour assumer son acte, il savait qu’il devrait mettre les bouchés doubles pour que l’Ordre reste uni et continue de rayonner. Et peut-être remplirait-il le pacte pour Myself, il lui devait bien ça, après tout. Il s’était décidé à rejoindre les autres pour l’habituel pot du soir, quand son moniteur tactile émit une lueur familière. Un message, laconique et pourtant lourd de sens, venait de tomber :

 

« Rendez-vous ce soir près du vaisseau. M. »

 

     Sa première réaction fut l’incompréhension. Quelqu’un devait lui faire une mauvaise blague. Ses confrères n’en étaient pas à leurs coups d’essai… Mais ce mauvais goût ne leur ressemblait pas. A moins que ce ne soit effectivement Myself lui-même qui la fasse. Même si cela impliquait qu’il se soit trompé, et que le vieux Chevalier l’avait appris, alors l’humour aurait été meilleur. Pourtant, au fond de lui, il se refusait d’admettre que le troll et Myself puissent ne pas être une seule entité. De toute évidence, il devait rester sur ses gardes. Le message n’avait indiqué aucune heure précise. Il décida de s’y rendre le plus tôt possible de manière à étudier les lieux pour ne pas tomber dans un piège. Myself avait une influence à ne pas sous-estimer auprès d’une communauté militaire, il ne s’agissait pas de se retrouver au cœur d’un guet-apens. Muni de deux blasters à proton, il surveillait les alentours du vaisseau. Ne voyant personne venir alors que la nuit tombait, il examina à son tour le lieu du combat. Plusieurs traînées, quelques traces de pierres arrachées et retournées dans la lutte prouvaient qu’il n’avait pas rêvé. Par contre, là où aurait dû se trouver le corps répugnant du troll laissait place un grand vide. On devinait qu’un corps lourd s’était étalé mais aucune trace de traînées prouvait que quelqu’un aurait emporté le cadavre, ni de flaque de sang.

- Tu cherches quelque chose ?

 

     L*** sursauta. Devant lui se trouvait Myself. Il n’était pas armé et, visiblement, accompagné d’aucun escadron ou autre soutien. L’espace de quelques secondes, L***, faisant face à ce vieillard à l’aspect inoffensif, se sentit honteux d’avoir emporté ses deux armes. Mais, très vite, l’idée de l’exterminer une bonne fois pour toute refit surface. C’était comme une pulsion qu’il ne maîtrisait pas et qui, depuis quelque temps le tenaillait de manière soudaine.

-  Tu crois pas que tu me dois des explications ? Pourquoi voulais-tu ma mort ? Enfin, j’ai cherché une raison et j’avoue ne pas en avoir trouvé une de valable. Mais je peux me tromper…

     Un sentiment de rancœur transpirait de la voix de Myself.

-  Tu n’es qu’un troll ! Tu n’es qu’un animal nuisible ! Tu n’as rien à faire parmi nous.

-  Et tu crois que ça m’amuse d’être un troll ? Tu crois que je me contrôle en claquant des doigts ? Mais est-ce qu’un jour je t’ai fait du mal personnellement ?

-  Ca, mon vieux, tu ne le sauras que quand tu seras mort…

 

     Imperceptiblement, un sourire cruel illumina son visage, puis il mit en joue son adversaire, les sécurités de ses armes ôtées depuis longtemps. Les yeux du vieil homme étincelèrent d’une colère contenue, et L*** lui répondit par un regard plein de poison.

     A ce soudain changement d’attitude, Myself roula d’un bond sur le côté, avec une vélocité qui surprit son adversaire , puis chercha d’un grand coup de pied latéral à le déséquilibrer. Percuté au niveau du genou, la victime s’affala dans la poussière et deux coups de blaster illuminèrent le ciel.

     Myself n’avait pas perdu son temps. Ses gestes étaient pleins d’une froide détermination lorsqu’il plongea sur son adversaire de manière à lui bloquer les poignets armés. Un violent blocage de pied l’accueillit et le propulsa deux mètres plus loin, à la merci de L***. Ce dernier ce releva péniblement, son arme toujours pointée sur la forme inanimée de son ennemi. Au dernier moment, son regard parut se voiler, mais, pourtant, il n’y avait aucune trace de doute dans ses yeux : ses traits fins s’illuminèrent d’une lueur inhumaine de cruauté lorsque le faisceau de son laser déchira l’épaule de Myself. Etouffant un hurlement, celui-ci porta la main à sa blessure, une profonde estafilade de chair brûlée où se discernait sans peine l’éclat sanglant de l’os ; surpris, L*** regarda Myself convulser hystériquement, fou de douleur. En l’espace de quelques secondes, le visage qu’il fixait changea complètement de couleur et d’aspect. Le temps de réaliser ce qu’il se passait, le troll était déjà devant lui, comme si rien ne s’était passé.

     Les yeux de l’animal, quoique rendus vitreux par la souffrance, brillaient de la lueur d’une détermination farouche. Tandis qu’il commençait à tourner autour de lui L*** sentit en lui, pour la première fois, la peur d’être face à une bête sauvage, dont la force primitive représentait un danger bien réel.

 

     Une sorte de bouillonnement autour de l’épaule de Zlahr apparut, accompagné de relents âcres de décomposition : petit à petit, le troll régénérait, et L*** comprit aussitôt pourquoi il n’était pas venu à bout de son adversaire lors de leur première confrontation. Myself s’avérait un ennemi beaucoup plus coriace qu’il ne l’avait cru et semblait même s’amuser à présent de ses déplacements gauches, de ses hésitations. Submergé par la peur et la colère tout à la fois, L*** fit volte face, puis, tirant deux fois à l’aveuglette, il s’élança jusqu’à gagner le couvert d’un gros rocher. Du regard, il guetta la silhouette massive du troll-lychen, prêt à le mettre en joue ; la créature, pourtant, semblait s’être volatilisée hors de vue, et la panique gagna rapidement le spationaute. Il n’osait bouger, de peur de la voir surgir n’importe où, lorsque, soudain ! Un éclair emplit son champ de vision tandis qu’un violent coup de griffe s’abattit sur son dos, lacérant la chair tendre et le tissu d’un même mouvement, brisant les côtes avec un bruit de craquement sourd. Il tenta de se retourner, mais déjà deux bras puissants le saisissaient, avant de le projeter avec une force surhumaine contre le rocher tout proche. Son regard fut voilé de noir un court instant, et, lorsqu’il reprit connaissance – sans doute à peine quelques secondes après seulement, mais, perdu dans son univers de douleur, il n’avait plus la moindre notion de temps – le troll se lança à nouveau sur lui. Instinctivement, il pointa ses deux blasters sur lui et tira : Une seule détonation retentit, l’une des armes, endommagée sous le précédent choc, émettant un faible sifflement.

     Le troll s’arrêta un instant, comme pour prendre conscience de la gravité de l’impact : la blessure dessinait une sphère brunâtre dans son pelage gris, là où le faisceau avait calciné les chairs. Ses yeux se firent deux puits de haine glacée lorsqu’il reprit sa progression, droit sur L***. Celui-ci tira une seconde fois, et cette fois-ci, le troll hurla de ce même cri si effrayant d’animal blessé : ainsi se poursuivait la funèbre litanie, et à chaque chatoiement du laser répondait un hurlement guttural de souffrance et de colère mêlées. A chaque impact, Zlahr reculait un peu mais, immédiatement, il poursuivait sa progression.

     L*** réalisa que tout assaut lui serait fatal. La violence des coups qu’il avait reçus était sans commune mesure avec ceux qu’il avait pu recevoir par le passé ! Tout son corps était comme broyé et, à dire vrai, il doutait même de pouvoir se lever. Le blaster continuait de vibrer dans sa main, traçant des arabesques écarlates sur le pelage du troll-lychen, et L*** espérant l’achever avant qu’il ne s’abatte sur lui, de presser mécaniquement la gâchette, encore et encore ; l’animal se tenait maintenant à peine à cinquante centimètres de lui, et il devinait l’effroyable souffrance qu’il devait ressentir dans les grognements de plus en plus plaintifs qu’il entendait. Puis, le troll, tout proche à présent, parut encore plus grand que jamais. Son corps pantelant ne semblait plus être qu’une plaie béante de chairs brûlées et déchirées, tandis qu’il dominait de toute sa hauteur la silhouette désarticulée de L***. En se redressant sur toute sa stature, il sembla chercher un souffle comme pour hurler un nouveau cri, mais aucun son ne sortit, excepté une sorte de gargouillis infâme. Alors, la bouche du troll propulsa un liquide jaune verdâtre et phosphorant, qu’accompagnait un épouvantable borborygme. L*** n’eût le temps de rien faire : il en fut complètement recouvert, et aussitôt une odeur infâme de pourriture, de charogne le submergea, si bien que, saisi à son tour d’une puissante nausée, il fut contraint de ravaler sa bile avec difficulté. Rien ne semblait pouvoir arrêter le troll, qui se vidait sur lui.

     Pendant un instant, le spationaute fut partagé entre l’incrédulité et le dégoût : très vite, pourtant, une sorte de fumée se dégagea de partout autour de lui. Comme si son corps avait été baigné dans de l’eau chaude, une sorte de vapeur s’élevait dans l’air du soir. Tandis que le troll s’éloignait, soudain indifférent à sa victime, comme s’il savait que rien ne pourrait dorénavant le sauver, le vomis entamait méticuleusement son processus corrosif, attaquant un à un les derniers maigres remparts qui protégeait L***. Très vite, une violente brûlure envahit sa chair. Il ne pouvait plus bouger, juste hurler. Seul l’intérieur de son corps restait indolore, tout du moins ce qui n’avait été cassé sous les chocs. Il regarda sa main qui serrait encore le blaster : le gant était complètement rongé, la chair à vif apparaissait en de multiples endroits et, déjà, les os de ses doigts transperçaient ses derniers vestiges. Le temps de réaliser ce qui allait inexorablement se passer, il comprit toute l’absurdité de ce qui venait de se dérouler. Pourtant, tapi au fond de lui, quelque chose rageait, quelque chose qui était prêt à prendre contrôle de ce corps condamné. Des cris stridents déchirèrent l’espace anarchiquement, comme l’illusion d’une victoire. Vaine ponctuation qui régnerait en maître sur une page maintenant blanche.

 

**

*

 

     Quand Myself retrouva ses amis, tout n’était pas clair dans son esprit. Il savait pertinemment ce qui s’était passé, mais un voile flou drapait la scène d’irréalité. Ce sentiment était accentué par les images du visage de sa victime. Certains de ses traits lui semblaient si étrangers, comme s’il avait tué un autre L***. Une lueur maléfique avait lui à plusieurs reprises dans son regard, une lueur à des années lumières de la ferveur enthousiaste qui y brillait habituellement. Une idée traversa son esprit, mais il la rejeta parce qu’elle minimisait l’horreur de son geste. Il venait de tuer un chevalier, un de ses frères. Rien ne l’excusait.

     Lorsqu’il rentra dans le salon, tous les chevaliers s’inquiétèrent de son état. Son teint livide masquait mal l’immense faiblesse de son corps. Habituellement, toute l’assemblée l’aurait accueilli avec enthousiasme et se serait immédiatement précipitée pour lui apporter son soutien, mais elle se retint, tant à la vue de la gravité de l’expression de son visage et du contexte de ces dernières heures. Si Myself se refusait de parler, les chevaliers sauraient respecter son silence. Le Duke approcha un fauteuil et lui apporta une pinte. Myself s’assit péniblement, mais il ne pût goutter la bière : ses yeux trahissaient une incroyable émotion, n’arrivant pas à se fixer sur un point, passant de visage en visage, comme s’ils fuyaient tout réconfort. Le silence inquiet qui régnait depuis plusieurs minutes ne régnait dans cette pièce qu’en de rares occasions. Il n’était pas forcément utile d’employer les mots pour faire comprendre aux chevaliers ce qui avait pu se passer. Beaucoup d’entre eux avaient déjà compris. Sourdïn s’avança vers lui. Il était le plus ancien d’entre eux et sans doute le plus proche de L***. Pourtant, il ne jugeait personne.

- Je crois que l’Ordre traverse à nouveau une terrible épreuve. Si tu as besoin de réconfort, nous sommes tous là.

- Je sais… Mais je…

     Myself redressa la tête et vit tous ces visages si familiers lui apporter toute la bonté qu’un humain peut donner.

- Ecoutez, je viens de voir L***… Plus exac…

     Myself s’écroula sur sa chaise, puis s’enfuit, ne voulant plus retenir les larmes. Il regrettait ce qu’il avait fait, d’autant plus fortement qu’il savait l’Ordre incapable de faire face à une nouvelle disparition.

     Il resta de longues heures dans le noir, avant qu’une idée ne se fit peu à peu jour dans son esprit. L’Ordre n’était pas mort. S’il devait faire quelque chose pour qu’il se pardonne son geste, alors la seule chose qu’il lui restait à faire pour retrouver un peu de sérénité consisterait à lui redonner vie. Trouver les Anciens membres de l’ordre à travers les âges et les possibles. Recruter de nouveaux Chevaliers. Seules ces missions pourraient laver sa faute.

 

**

*

 

Epilogue

 

     Un silence de mort régnait à présent dans la grande salle, que seul venait troubler le battement des bottes ferrées de Jones. La cotte de maille du nain était crasseuse, et couverte de sang ; son visage, las, tandis qu’il descendait à pas lourds l’escalier de marbre brillant. De longues semaines d’un dur labeur s’étaient écoulées depuis leur dernière rencontre, et il salua Myself d’un bref signe de la main. L’expression du vieillard était grave lorsqu’il accueillit son camarade. Pourtant, Jones ne lui laissa pas le temps de prendre la parole. Quelque chose lui brulait les lèvres.

 

- En faisant mes recherches sur les anciens chevaliers, je suis tombé sur un truc bizarre. Enfin, pas bizarre, mais je veux savoir ce que tu en pense. Une chose qu’il faut que tu saches parce que j’ai peur qu’il s’agisse d’une nouvelle menace.

- Je t’écoute.

- L*** n’est peut-être pas mort.

- Arrête ton char. C’est quoi ton truc ? Tu veux me raconter un mauvais roman. C’est une histoire indigne d’un chroniqueur !

- Possible.

- Possible, mais comment tu expliques ça !

     Jones sortit de sa poche un émetteur récepteur. Il le tendit à Myself qui l’enclencha. Un message avait été enregistré.

- Zlahr ! Sale troll, je t’aurais ! Myself, gros naze, tu croyais m’avoir, et bien, tremble ! Je vous aurai tous ! Ouaaaaaaaaaaah Hiiiiii ! Hiiiii !

     Des hurlements inaudibles terminaient le message.

- C’est… Non, c’est impossible ! Je l’ai tué !

- Non, tu ne l’as pas tué. J’ai reçu ça il y a quelques jours. Il me semblait avoir retrouvé la trace de quelqu’un qui lui ressemblait. J’ai essayé de le recontacté et j’ai eu ça pour seule réponse.

     Myself était perplexe. Il reconnaissait à peine la voix du chevalier. Ses hurlements avaient vraiment un caractère hystérique qui lui glaça le sang.

- Ecoute, je ne t’avais pas tout dit. Enfin, j’avais pensé que ce n’était pas nécessaire et que je délirais. En fait, maintenant que tu sais mon secret, je peux te dire que personne ne peut survivre à mon vomi. Enfin, à celui de mon double... Et bien, ce jour là, quelque chose a protégé L***.

- Comment ça ?

- Et bien… Par où commencer… Ce que je vais te dire ne repose sur aucun fait concret. Tu pourras me croire comme tu pourras me prendre pour un fou.

     Visiblement, Myself n’était pas à l’aise. Il était plutôt du genre à dire les choses telles qu’elles étaient, pas à tergiverser de la sorte. A moins que ce ne soit en rapport avec le message qu’il venait d’entendre.

- Le jour où l’on s'est battu, j’y suis retourné le lendemain, afin de… Afin de lui rendre hommage. Pour m’excuser, en quelques sorte…Normalement, même si les sucs sont puissants, ils reste toujours quelque chose, ne serait-ce que quelques traces. Or, quand j’ai voulu enterrer les restes, il n’y avait plus rien. J’ai d’abord pensé que le vent les avait balayées et recouverts de poussière. Or même en creusant, je n’ai rien trouvé.

- Tu sous-évalues le pouvoir de ton attaque. Le vomi de troll, je t’assure, c’est reconnu dans toutes les galaxies ! Si ce qu’on dit est vrai, il y a même des braconniers qui les massacrent pour le récupérer comme agent corrosif !

- Honnêtement, crois-moi, c’est autre chose. Bon, voilà ce que je pense. L*** est victime de… Quelque chose. Un démon, un ensorcellement, je ne saurais trop dire. Parfois, un chevalier tombe sous l’emprise de l’une des trois soeurs, et il s’en trouve changé. Pourtant, jusqu’ici, leur pouvoir se limitait à les retenir loin de l’Ordre. Et même pour ceux qui nous reviennent, le pouvoir de corruption des portes est tel qu’ils ne retrouvent jamais vraiment leur chemin vers Wou-Yan-Syen, comme s’ils n’étaient plus que des fantômes. Là, ce n’est pas le cas. Il ne s’agit plus seulement de se perdre, mais d’être détruit, consumé. Quoi que ça puisse être, cette… chose, ce démon, nous oblige, à mon avis, à vouloir détruire tout le bien qu’on a pu réaliser dans ce monde. Bref, à se retourner contre nous.

- Tu veux dire que L*** est un pantin !

- Non, je veux dire que pour tuer ce démon, il faudra peut-être qu’on tue L***. Ou alors, il nous faudra trouver un moyen de nous protéger et de le neutraliser sans le blesser. Crois-moi, c’est quasiment impossible. Je n’y avais pas pensé lorsque je me suis battu contre lui, mais à plusieurs reprises, j’ai eu l’impression qu’il luttait contre quelque chose. Je pense que j’ai été la première victime et qu’à ce moment là L*** n’était pas perdu. Mais je suis sûr d’une chose : seul ce démon a pu le sauver des sucs gastriques. Et L*** l’abritait déjà en lui le premier jour qu’il est revenu.

- Il faut prévenir les autres !

- Non, pas tout de suite. Pour l’instant, le démon n’a fait qu’une victime. Deux si tu me comptes, mais j’ai eu de la chance. Et puis, comme je te l’ai dit, ce n’est qu’un pressentiment, nous n’avons que ce message comme preuve. Je peux me tromper. Le plus important est de remettre l’Ordre en route.

- Tu as peut-être raison. Et je pense pouvoir retrouver des anciens. Reste plus qu’à les délivrer de leur démon aussi. Ca va pas être de la tarte, tu crois pas ?

- Non, je ne pense pas. Regarde autour de nous, tu verras que nous sommes plus attendus que tu ne le croies. Ce monde a besoin de nous, Jones. L’Ordre ne peut pas mourir. Pas maintenant. Peut-être un jour… Mais pas maintenant… Pas tant que j’aurais la force de le faire vivre.

     Les deux amis se regardèrent un instant, le silence entre eux complétant magistralement tout ce que les mots de Myself n’avaient pu exprimer.

 

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