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Je me tenais en bas des marches, observant Marcus d’un œil inquiet. Ce dernier, sur le seuil de la porte, s’apprêtait à quitter le Manoir en compagnie de Magdalena et d’une escorte de dix hommes. Lord Karson, la mine grave, lui confiait ses dernières recommandations :

- La rencontre doit avoir lieu sur la place d’Ulric. Beaucoup de monde devrait assister au discours de Von Guelt. Avec une telle foule et la présence de répurgateurs, le Cercle Primaire n’osera jamais tenter quoi que ce soit.

Marcus acquiesça, la détermination se lisait sur son visage. Sans un regard en arrière, il se mit en route et la lourde porte du Manoir se referma bientôt sur lui dans un claquement sourd. Lord Karson se retourna vers moi :

- Ne t’inquiètes pas Lothar, Marcus a toutes les compétences nécessaires pour mener à bien sa mission. A nous de jouer maintenant, mon ami.

Quelques heures plus tôt, un messager était parvenu au Manoir. Odérik voulait savoir ce que nous avions décidé. Les livres contre la vie de Laars : un véritable marché de dupes ! Remettre les livres au Cercle Primaire était impensable mais je ne pouvais me résoudre à sacrifier la vie de mon ami à la survie de notre race. Il fut décidé que Marcus se rendrait au lieu de rendez-vous fixé par l’émissaire. La rencontre se déroulerait lors du discours prononcé par Von Guelt. Le chef des répurgateurs venait d’arriver à Middenheim. La nouvelle s’était répandue dans la cité comme une traînée de poudre. Ainsi, la présence des soldats de Sigmar serait un bon moyen de garantir la sécurité de chaque camp. Peu avant le moment du départ, Magdalena avait insisté pour accompagner Marcus. J’avais une petite idée des raisons de son choix mais je n’étais pas rassuré pour autant. Odérik risquait d’être troublé par la présence de sa propre fille. Ce n’était pas une mauvaise chose, peut-être cela le ferait réfléchir à deux fois avant de tenter un coup tordu. Surtout que les négociations n’étaient qu’un leurre. Marcus devait gagner le maximum de temps pour nous permettre de mettre au point un sortilège assez spécial. Notre objectif était de trouver l’endroit où le Cercle Primaire détenait Laars. Etant des créatures magiques par essence, les hommes loups développaient une résistance particulière à la magie et jusqu’à présent, toutes les tentatives de détection magiques avaient échoué. Mais il restait une chance : Laars. Le localiser allait être plus aisé mais encore fallait-il qu’il se trouvât à Middenheim !

Je suivis Lord Karson jusque dans le Temple. La lumière du soleil baignait la pièce d’une quiétude bienfaitrice. Pourtant, je ressentais une tension terrible, comme si tous les muscles de mon corps étaient noués. Je restais immobile, guettant le moindre signe.

- Qu’y a-t-il Lothar ?

Quelque chose clochait. Un frisson me parcourut l’échine comme sous l’effet d’une bise glaciale. Je sentais le danger autour de nous telle une présence diffuse au-dessus de nos têtes. « On » nous épiait. Ce qui n’était qu’une désagréable impression devint une certitude quand j’aperçus du coin de l’œil une ombre spectrale se faufiler à toute vitesse le long d’un mur. Lord Karson avait lui aussi ressenti cette présence. Je le vis fermer les yeux et, libérant un mot de pouvoir, une sphère irisée se projeta sur l’intrus. La créature émit un piaillement suraigu et je pus distinguer sa forme vaguement humanoïde avant qu’elle ne se dissolve dans le néant.

- Un rôdeur de l’ombre » Annonça Lord Karson.

- Quel est ce maléfice ?

- Un espion au service du Cercle Primaire. J’espère que son maître n’est pas encore informé de nos intentions. Qui sait depuis combien de temps cette créature se trouve sous notre toit ?

- Peut-être est-ce de cette façon que les tueurs à la solde d’Odérik ont eu vent de ma mission ?

Lord Karson hocha la tête d’un air pensif.

- Suis-moi Lothar, nous avons perdu suffisamment de temps.

Il se dirigea vers l’autel décoré d’arabesques rehaussées d’or fin. De part et d’autre, trônaient deux imposantes statues de marbre noir à l’effigie de Loup. C’était une œuvre magnifique, empreinte d’une beauté sacrée. L’endroit idéal pour qui demande l’impossible. Lord Karson prononça quelques mots dans une langue aux accents acérés. A ma grande surprise, je vis au centre de la pièce, la grande dalle ornée de la griffe de Loup se mettre à pivoter lentement. Je pouvais entendre les cliquetis métalliques du mécanisme qui grinçait.

- Ramènes-moi les livres. La puissance qu’ils contiennent nous sera précieuse.

Les ouvrages, recouverts d’un mince voile de velours, reposaient dans une cavité creusée à même la roche. Je m’en emparais délicatement, sentant leur pouvoir sourdre à travers mon corps. Moi qui en avais été le gardien durant un temps, je les retrouvais à nouveau en ma possession. Lord Karson ouvrit les livres qu’il venait de déposer sur l’autel. Il en tourna les pages avec précaution. Je me souvins du jour où je les avais découverts. Ce jour-là, les livres semblaient impossibles à déchiffrer tant les symboles qui ornaient leurs pages ondulaient comme la surface troublée d’un lac. Dorénavant, tout était clair.

- Seuls ceux de notre race peuvent lire ces signes, car seul Loup peut accorder la clé de leur lecture. Concentres-toi Lothar.

Je fermai les yeux, me concentrant sur le souffle régulier de ma respiration. Je sentis une apaisante tiédeur se propager dans ma poitrine, envahissant peu à peu le reste de mon corps. J’entendais mon rythme cardiaque ralentir, les battements se faisant de plus en plus espacés pour n’être que murmures. Soudain, je me sentis aspiré, comme happé par un tourbillon. Quand je rouvris les yeux, j’étais ailleurs. Et le spectacle qui s’offrait à mes yeux me coupa le souffle ! La façade familière du Manoir se dressait devant moi, crépitante d’énergie éthérée. Tout semblait féerique, comme si chaque parcelle du paysage baignait d’étincelles iridescentes. Au-dessus de moi, le ciel scintillait de mille feux. Même le sol palpitait d’une force prête à jaillir. Partout où se posait mon regard, cette vision chamarrée d’un monde lumineux. Des ombres de couleurs indistinctes se dressaient sur mon chemin et je réalisai qu’il s’agissait d’hommes et de femmes qui déambulaient dans le monde réel ! Et moi, j’étais là, parmi eux, arpentant cet univers onirique dont ils ne soupçonnaient même pas l’existence ! J’avais déjà senti au plus profond de moi qu’un tel endroit devait exister et parfois, j’avais cru l’entrevoir lors de mes méditations dans les jardins du Manoir.

- C’est l’âme de Middenheim que tu contemples, Lothar. Le plan spirituel offre un spectacle de toute beauté, n’est-ce pas ?

Ainsi, je me trouvais de l’autre côté du miroir, admirant le reflet psychique de la Cité du Loup. Et quelque part dans ce méandre de couleurs tourbillonnantes, Laars nous attendait...

- Le temps presse. Suis-moi !

Sous son apparence de garou, Lord Karson se mouvait avec autant d’aisance que dans le monde réel. Je ne me sentais pas aussi à l’aise. Je manquais de repères et mes sens étaient perturbés, peu habitués à gérer autant de stimuli. Lord Karson s’aperçut de mon trouble et m’expliqua que ce n’était que temporaire.

- Ne perds pas de vue la chance qui s’offre à toi. Aucun homme ordinaire ne peut accéder à ce plan à cause de sa perception limitée des choses.

Une imperceptible variation dans l’air me titilla les narines. Je m’arrêtai, humant chaque particule, affinant mes sens au maximum. Cette odeur m’était familière. Les yeux mi-clos, je progressai dans les rues de la Cité, craignant à tout instant de perdre une piste aussi ténue. Lord Karson me suivait à quelques pas, tout en restant silencieux. La trace psychique se faisait plus précise à mesure que je m’enfonçais dans les entrailles de la cité. Je sentis une ombre grandir dans mon esprit. Les couleurs si éclatantes auparavant devinrent plus ternes comme rongées par une gangrène maligne. La nausée m’envahit, et je réprimai un haut-le-cœur. Aussi tenue soit-elle, je me raccrochai à cette piste qui me mènerait peut-être jusqu’au repaire du Cercle Primaire. La présence des renégats souillait la Nature, marquant de leur empreinte malsaine la beauté de ce lieu. Cette ambiance oppressante me poussa à forcer l’allure. Les murs sales défilèrent plus vite pour n’être plus que des tâches grisâtres dans mon champ de vision. Une myriade d’images cascadèrent devant mes yeux dans une succession de flashs. D’un coup, je me retrouvai dans une forêt inconnue, perdu, à moitié nu, le corps couvert de plaies, la peur étreignant mon âme. La vision s’estompa, cédant sa place à une autre image qui se forma dans mon esprit. Je revoyais Laars, son précieux fusil braqué dans ma direction, la carcasse encore fumante d’un des loups qui m’avait pris en chasse à quelques mètres de moi. Il me semblait contempler à travers une fenêtre entrouverte les réminiscences de mon passé récent. Encore un flash. Je vis une haute palissade en bois entourant une ville ensommeillée, bercée à la lueur des torches : Friisburg ! Je reconnus l’auberge puis, je me vis, découvrant les livres. Des lambeaux de souvenirs défilèrent à une cadence effrénée : la traque des loups en compagnie de Laars, le sang qui maculait les vêtements de mon ami, l’odeur de la mort... Mon plongeon vertigineux se poursuivit dans un maelström de sons, de couleurs et de sensations diffuses. Middenheim s’offrit à moi, puis je vis le Manoir, Lord Karson me révélant ma véritable nature... J’avais l’impression de filer à toute vitesse dans les méandres de ma mémoire. L’esprit encore embrumé, je vis Marcus sur le parvis du Haut Conseil, des hommes en armes tout autour de lui. Une lueur m’aveugla, me ramenant aux côtés de Lord Karson dont les yeux reflétaient son inquiétude. Je parvins péniblement à articuler quelques mots :

- Que...s’est-il...passé ?

- Tu as réussi Lothar !

Je ne comprenais pas. Nous étions toujours dans le plan spirituel mais plus aucune couleur n’était visible. Je m’efforçai à lever la tête pour savoir où nous étions. Tout était sombre. J’éprouvais la sensation d’être cloîtré. Mes idées s’éclaircirent tout à coup. Nous étions sous terre !

- Les catacombes ! C’est ici qu’Odérik et les siens ont établi leur repaire.

- Oui, dans ce labyrinthe de galeries souterraines... Il faut que retournions au Manoir.

 


 

Retour à la réalité. Triste, froide. Bien loin de l’accueillante tiédeur du plan astral. Mais j’avais d’autres soucis en tête.

- Il s’est produit quelque chose d’étrange tout à l’heure. J’ai revécu des bribes de mon passé, comme si mon esprit s’était ouvert sur les évènements de ces dernières semaines.

- La magie est capricieuse. Les notions de Temps et d’Espace sont dépourvues de sens sur le plan astral. Quand nous arpentons le royaume des esprits, les énergies qui le peuplent entrent en contact avec une partie de notre essence. Cela donne parfois des résultats inattendus.

- Mais j’ai aussi eu une vision. Un aperçu du futur ? Je ne saurais dire. Je sais que Marcus se trouvait en mauvaise posture, cerné de toutes parts. J’ai cru distinguer le parvis du haut conseil mais je n’en suis pas sûr. Tout cela s’est passé si rapidement... Et plus le temps passe, plus ce souvenir s’estompe.

- Tout cela ne m’inspire guère confiance. Je vais envoyer un autre groupe pour s’assurer que Marcus et Magdalena ne courent aucun danger. Quant à nous, nous devons partir à la recherche de Laars.

- Non. J’irai seul. Si ce que j’ai vu se produit vraiment, on aura besoin de vous ici. Je n’ai besoin de l’aide de personne.

 


 

Middenheim m’offrait un nouveau visage, bien loin de la magnificence des édifices des faubourgs plus huppés. Les bâtiments éclatants aux larges ouvertures et aux allées majestueuses faisaient place à des masures calfeutrées à l’allure sombre et aux enceintes grillagées. A chaque bâtisse, de sinistres barreaux obstruaient les fenêtres. Pour empêcher quiconque d’entrer... ou de sortir ? Je ne saurais dire. Je peinais à croire que quiconque demeurât dans ces lieux. Avec les premières lueurs du jour, la faune noctambule regagnait sa tanière. Leurs méfaits accomplis les prédateurs de la nuit allaient disparaître pour un temps. Bientôt, les habitants apeurés pourront à nouveau se risquer dehors, retrouvant un semblant de quiétude.

La Cité recelait une part d’ombre, une noirceur enfouie au plus profond de son cœur dont je ne soupçonnais pas l’existence et que je découvrais en arpentant ces rues tortueuses et délabrées, jonchées de déchets. Une épaisse brume serpentait entre les bâtiments, rendant le jour aussi sombre que la nuit. Tout en marchant, les sens aux aguets, je me rappelais les dernières recommandations de Lord Karson avant mon départ. Il m’avait mis en garde contre les dangers que recelaient cette entreprise. Même si nous savions dorénavant où était retenu Laars, s’aventurer dans les catacombes était loin d’être une sinécure. Ces grottes s’étendaient sur des lieues à la ronde, tel un antique réseau de galeries souterraines qui tapissait les profondeurs de Middenheim. « D’autres créatures malfaisantes se tapissent dans l’ombre. La plus grande discrétion s’impose ». Ces mots résonnaient encore à mes oreilles alors que je touchai enfin à mon but. Une grille en fer forgé se tenait devant moi, bloquant l’accès aux canaux d’évacuation. Devant moi, l’obscurité s’étendait à perte de vue. J’entendais seulement le clapotis de l’eau qui se répercutait contre les parois de la canalisation. Quand je m’approchai, un air nauséabond me monta aux narines... la traversée ne serait pas une partie de plaisir ! Relevant la tête, je regardai une dernière fois le ciel chargé de nuages au-dessus de moi avant d’arracher la grille et de pénétrer un univers inconnu peuplé de monstres.

 


 

L’endroit était sombre comme la mort. Inutile de recourir à une quelconque source de lumière, mes sens hyper développés me guideraient tout le long de mon périple. Pourtant, il régnait une obscurité étouffante, au point qu’elle semblait parfois sur le point de m’engloutir. Je me mis en marche, prenant bien soin de suivre le cours d’eau qui serpentait dans les canalisation, charriant tout un tas d’immondices qui me faisaient regretter de posséder un odorat aussi sensible. Je fus surpris par la taille de ces égouts, si vastes que je pouvais m’y déplacer sans encombre. J’entendais parfois le couinement de rats qui trottaient le long des murs, totalement indifférents à ma présence. Hélas, ces rongeurs ne furent pas ma seule compagnie. Des nuages de moucherons voletaient devant moi, me rentrant dans le nez et les yeux ; et leur bourdonnement incessant résonnait à mes oreilles dans une intense cacophonie. J’avais beau les chasser d’un revers de la main, ces sales bêtes revenaient immanquablement à la charge. Mon calvaire prit fin, quand l’eau disparut subitement pour plonger sous la paroi rocheuse. Je mis plusieurs minutes qui me parurent une éternité avant de repérer à quelques mètres au-dessus du sol, une cavité dans la roche. Sans corde, l’atteindre ne fut pas une mince affaire mais mon instinct me disait que c’était la bonne voie. Ma progression me mena jusqu’à une grotte finalement plus large que ce qu’il paraissait vu d’en bas. Autour de moi, les ténèbres absolues m’oppressaient de toutes parts. Je sentais un début de panique m’envahir à l’idée de me perdre dans cet entrelacs de galeries, errant comme un pauvre hère dans une infinité de solitude et de noirceur. Mes premiers pas furent laborieux, cette peur qui me nouait les tripes refusant de disparaître. J’avais la bouche sèche et les membres cotonneux mais je continuais à avancer, longeant les parois des boyaux qui semblaient se rétrécir. C’était comme si je naviguais à l’aveuglette dans une purée de pois et que seule la chance se tenait au gouvernail. Sous ma forme humaine, je me sentais trop vulnérable. Je retirai ma tunique et je sentis le picotement familier qui précédait ma transformation. Mes muscles s’étirèrent au point d’avoir l’impression qu’ils allaient se déchirer. Mes os craquèrent pour se remodeler : ma cage thoracique se renforça, mes bras s’allongèrent, mon visage d’homme disparut pour faire place à celui de mon sauvage alter ego. Je poussais un long hurlement à l’attention de ceux qui retenaient Laars captif. La bête était lâchée et avec elle, toute peur avait disparu.

Ma métamorphose en loup me facilita le chemin. J’arpentai le labyrinthe de pierre à toute allure, mes griffes crissant sur le roc à chaque foulée. J’empruntai de nombreux embranchements, risquant à tout moment de me perdre dans ce dédale de galerie. Pendant de longues heures, nulle chaleur, nulle lumière ne vinrent m’apporter quelque réconfort. Seul le silence me répondait et emplissait mon esprit. Alors que le chemin devant moi semblait se rétrécir de façon inquiétante, une lueur au loin attira mon attention. Au bout d’une vingtaine de mètres, je m’immobilisai. Quelque chose autour de moi avait changé. Une odeur de mort, très ancienne, planait dans l’air, perturbant mes sens. Les catacombes ! J’émergeai dans une salle immense, creusée à même la roche, dont la beauté me laissa pantelant. Des centaines de stalactites de toute taille ornaient la voûte de pierre, telle une mâchoire garnie de crocs. De l’eau ruisselait sur les parois, formant par endroit des cascades cristallines qui ricochaient contre la roche dans une mélodieuse symphonie. Je me précipitai vers une source et je bus abondamment, une fraîcheur bienvenue envahissant tout mon être. Alors que je relevai la tête, je découvris un escalier que je n’avais pas remarqué jusqu’à présent. Serpentant le long de colonnes de roches, les marches grossièrement taillées s’élevaient si haut que je ne pouvais voir où elles menaient. Pour une fois, le chemin semblait tout indiqué.

Je gravis l’escalier de pierre sans encombre, prenant bien garde de ne pas regarder le vide vertigineux qui s’étendait sous moi. Mon exploration me mena jusqu’à une autre caverne ornée de sépultures creusées à même les flancs de la roche. Le sol était recouvert d’une poussière d’os d’où surgissaient ici et là, des crânes difformes d’étranges créatures cornues et d’autres morceaux de squelettes que je ne parvenais pas à identifier. A chacun de mes pas, je sentais les ossements craquer comme du petit bois qui crépite dans l’âtre de la cheminée. Je traversai ensuite une large passerelle qui me mena jusqu’à une nouvelle salle. Je fus stupéfait de contempler des gisants, à peine érodés par l’usure des années, vestiges immémoriaux des héros de légendes ; ainsi que de magnifiques stèles de marbre aux veinures argentées dont le scintillement dans ces ténèbres m’arrachait à mes sombres pensées.

- Bienvenue dans notre demeure, chasseur de la nuit !

La voix me fit sursauter. Mes sens étaient encore trop émoussés pour me permettre de repérer mon interlocuteur. Lorsqu’une pierre chuta à quelques mètres de moi, je levai la tête et je vis une silhouette hirsute se ruer sur moi, progressant à vive allure le long de la paroi. La créature se projeta en avant, mue par ses puissantes pattes arrières dont les griffes arrachèrent des éclats de granit. J’eus à peine le temps d’esquiver cet assaut que mon adversaire amorçait déjà une deuxième charge. La soudaineté de l’attaque m’avait quasiment laissé sans réaction et une longue estafilade balayait tout mon torse.

- Des catacombes, l’endroit idéal pour mourir. N’est-ce pas ?

- Qui es-tu ?

- Cela n’a que peu d’importance. Fourbes que vous êtes, toi et les tiens ! Tu ne trouveras ici que la mort, la tienne et celle de l’humain !

- Où est Laars ?

Seul un grognement me répondit. Mais cette fois, je me tenais sur mes gardes. Au moment où mon adversaire se jetait en avant, je bondis au-dessus de lui et, profitant de son élan, je lui assénai une violente poussée dans le dos avec mes pattes arrières. L’autre valdingua et se retrouva projeté sur le mur dans un bruit mat. Je m’approchai du corps inerte, m’assurant que mon mystérieux ennemi avait son compte. Aussitôt fait, je m’empressai de repartir, craignant malgré la brièveté du combat, que d’autres renégats ne fussent alertés.

Franchissant une imposante arche, je distinguai la lueur incertaine de torches accrochées le long des murs. Cela ne faisait aucun doute, je venais de pénétrer le repaire du Cercle Primaire. De larges colonnes emplissaient l’immense salle, chacune décorée de bas-reliefs parés de sculptures grotesques. La surface du sol était inégale, les dalles le recouvrant étaient en majorité brisées et par endroits, une mousse verdâtre envahissait les interstices. Relevant la tête, je distinguais malgré l’obscurité, la roche brute à plusieurs mètres au-dessus de moi. Quel sentiment étrange de savoir qu’il existait un tel endroit dans les profondeurs de la terre ! Mais mes pensées étaient entièrement focalisées sur Laars. L’inquiétude rongeait mon cœur. Des gargouilles grimaçantes me dévisageaient, leur méchant sourire semblait se réjouir de mon angoisse. Je vivais un cauchemar éveillé dans un lieu empli de décrépitude, à l’architecture torturée et oppressante qui me donnait envie de hurler. L’odeur de la peur planait dans toute la salle. Des humains avaient été amenés ici et je n’osai imaginer quel sort terrible leur avait été réservé.

Très vite, cet endroit me devint insupportable. Son architecture torturée et oppressante ne me donnait pas envie de m’appesantir plus que de raison. Alors que je m’avançai, quelque chose au loin attira mon attention. Craignant la présence d’autres Renégats, je m’adossai à une colonne, retenant mon souffle. La plupart devaient être au rendez-vous fixé avec Marcus et Magdalena, mais je me doutais bien que le Cercle Primaire n’allait pas complètement déserter son repaire. Oui, je voyais quelque chose à présent. Trop lointaine pour que je puisse l’identifier, je distinguai une silhouette au fond de la salle. Je m’approchai lentement, n’osant pas révéler ma présence. A mesure que la distance qui nous séparait s’amenuisait, je découvris l’immonde vérité. Un corps suspendu dans le vide projetait sur le mur ses contours décharnés à la lueur des torches. Les bras relevés au dessus de la tête, les poignets étaient liés par une corde solidement rattachée à un crochet qui descendait de l’obscurité. Par le Loup Blanc !

- Laars !

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