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Voilà donc le prologue, qui arrive bien après le début du texte, car ce sont les commentaires des membres des Chroniques qui m’ont incité à l’écrire. Merci à vous !

Jean se pencha vers son fils, lequel, accroupi, arrachait des fraises.

« - Laisse-les, ce n’est plus la saison. Elles ne seront pas bonnes. »

Pierre opina derechef, et se releva.

« - Ah, ces enfants ! Si on les laissait faire, ils ne laisseraient rien pour la saison prochaine » ria Dieter.

« - C’est bien vrai » approuva Jean, « sinon on ne les éduquerait pas, on les laisserait faire et l’on dormirait ! »

« - Toujours les plus jeunes qui se font exploiter ! » répliqua, taquin, Richard.

Son père Dieter partit en un rire gras, bien vite suivi par Jean.

« - T’as vu ça, déjà ils revendiquent leurs droits, à leur âge ! Ah ça, ça se passait pas ainsi de notre temps. »

« - Quel dommage, nous avons évolué » ironisa le fils.

« - C’est pas tout ça, mais il faudrait songer à rentrer. Le soleil monte, il ne fait pas bon rester en pleine fournaise pour des vieux os comme nous. »

« - Ces anciens, toujours occupés à maugréer » se moqua Richard.

« - Restons encore un peu » renchérit Pierre.

Le visage implorant qu’il afficha finit de convaincre son père.

« - On ne peut rien leur refuser. Quelle terrible arme que l’innocence candide d’un jeune. »

« - Mais alors, il va falloir travailler, mes gaillards. Je veux voir ces corbeilles pleines de fruits d’ici une heure » se moqua Dieter. A sa grande surprise, les deux enfants acceptèrent aussitôt, trop heureux de pouvoir gambader dans les champs plutôt que d’être restreints par les cloisons d’une maison bien trop petite à leur goût. « Ne vous éloignez pas trop alors. »

Jean se retourna vers Dieter :

« - Quand à nous, trouvons un coin à l’ombre ! »

Son ami approuva vivement.

« - Heureusement que nos femmes sont restés à Skefoy. Imagine, nous aurions été obligés de les suivre pendant qu’elles, elles se seraient reposées. »

« - Ils ne s’éloigneront pas de toute façon. Pas de soucis à avoir ; au pire ils connaissent quasiment tous les paysans du coin. Et puis... »

« - Cesse donc de parler. Comme tu l’as dit, ils ne risquent rien. Mais si tu préfères, nous pouvons toujours les rejoindre » annonça d’un ton amical Dieter.

« - Mais je ne suis pas inquiet ! »

« - Je te connais assez pour te l’affirmer. Tu as toujours préféré le calme d’une sieste que l’attrait d’une discussion. Ce n’est pas maintenant que tu changeras, pas un vieux tronc comme toi ! »

Jean sourit, et acquiesça.

« - T’as raison, j’ai toujours peur pour mon fils : il n’a que onze ans. »

« - Tu l’as bien éduqué, il est plus débrouillard que beaucoup d’autres plus âgés ! » Jean bomba inconsciemment son torse, empli d’une fierté paternelle. « Laissons-les un moment ensemble, ils sont si heureux ! Rappelle-toi, à leur âge, nous ne cessions de partir en forêt courir après les animaux et nous entraîner à l’arc. »

« - Et nos parents qui ne parvenaient jamais à nous retenir » se remémora avec nostalgie Jean.

« - C’était le bon temps. Nous aussi nous étions alors innocents. »

Jean opina pensivement. Rapidement, le silence s’installa, et les deux compagnons s’adossèrent confortablement contre la roche. D’eux-mêmes, les yeux se fermèrent.

D’un bosquet proche sortirent alors calmement deux formes imposantes. Entièrement vêtus de vêtements verts, le visage caché d’une cagoule de même couleur, ils s’avancèrent vers le rocher. Une bourrasque de vent parcourut la plaine, et des fils couleurs d’or s’échappèrent de sous les capuches. Arrivés devant les deux parents, ils débarrassèrent leur dos d’un arc long, avant de se saisir chacun d’une unique flèche au plumage vert. Finement ciselées, le bois était strié de peinture rouge.

Les deux traits frappèrent le roc entre les compagnons, ce qui les réveilla brusquement. Ouvrant les yeux, les pères découvrirent les deux géants qui avaient déjà encoché de nouvelles flèches.

Jean chercha de suite son épée, absente. Depuis des années il l’avait remisée. Il échangea un fugace regard avec son ami. Les deux étaient conscients que, sauf miracle, leurs vies s’achevaient ici. Nulle tristesse ne perçait dans leurs yeux. Au fond, ils le savaient depuis toujours, leurs actes finiraient par les rattraper. Et c’était chose faite. Chacun n’avait qu’un unique regret, celui de ne pas pouvoir éduquer encore leurs fils, et de déléguer cette tâche à leurs épouses.

« - Vous reconnaissez ces flèches » commença d’une voix dure un des agresseurs, montrant le plumage indigo. Ce sont les vôtres. »

Les traits se décochèrent simultanément ; le monde tourna une dernière fois dans les yeux des deux compagnons, avant de sombrer définitivement dans le néant.

Pris de barbarie, les deux tueurs se ruèrent sur les cadavres amorphes, et entreprirent de les dépecer.

A quelques distances se rapprochaient les deux enfants, riant suite à une blague bien trouvée de Richard. Les corbeilles d’osier étaient pleines de fruits variés, et il leur tardait désormais de revoir leur mère et recevoir des congratulations pour tous ces mets ramenés qu’ils ne tarderaient pas à dévorer. Arrivant par derrière le rocher, ils voyaient distinctement deux personnes penchées. Comme toujours, leurs géniteurs discutaient avec des campagnards du coin, et il leur faudrait attendre longuement que le flot de parole ne s’écoule.

« - Incorrigibles, comme toujours » commença joyeusement Pierre.

« - On a beau les éduquer, toutes nos leçons sont oubliées dès le lendemain et... »

Il s’arrêta brusquement de parler. Les rayons solaires frappèrent la lame ensanglantée d’un agresseur, puis se répercutèrent en direction de Richard, lui chauffant le visage. Alors il hurla de toutes ses forces, aussitôt suivi de Pierre.

Les deux tueurs arrêtèrent leurs sombres besognes, et se détournèrent aussitôt vers les enfants, dague en main. Le cri de haine se mua aussitôt en un silence terrifié. Quelques badauds alentour se jetèrent au milieu des épis de blé, cherchant à s’y cacher du mieux possible.

Les enfants restèrent ainsi figés. Ils désiraient à la fois mourir et rejoindre leurs pères, et de même survivre et les venger. Leurs cœurs les sommaient de fuir, mais leurs jambes pétrifiées s’étaient enracinées. Avec une terreur croissante, ils virent s’approcher les ennemis. Leurs yeux, focalisés sur la dague distinguèrent d’abord clairement la lame, puis le tranchant étincelant, et enfin les gouttes de sang qui s’écoulaient encore.

A leur tour, les deux agresseurs s’arrêtèrent. L’un d’eux fit signe à l’autre, et ils se retournèrent. A quelques centaines de mètres, montés sur des chevaux, trois hommes approchaient. Et ils les avaient repérés, en témoignaient une flèche déjà sortie et une épée défourrée.

Aussitôt, les tueurs s’évanouirent dans le bosquet d’arbres d’où ils étaient sortis seulement quelques minutes auparavant. Leur vengeance était accomplie, plus tard viendrait l’heure de s’occuper des enfants.

Ils disparurent ainsi, ne laissant dans la plaine que deux enfants prostrés de terreur, fixant les deux pantins de chair - vagues formes humanoïdes, assemblages hétéroclites de membres et d’organes - qui étaient restés étendus sur le rocher.

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