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Ndlr: Le texte original a été séparé en deux parties pour des raisons blablabla...


L’aube était à peine levée que déjà Geoffroy était assis sur sa couche de paille. Son regard était figé, perdu dans des réflexions desquelles il ne parvenait à se libérer. Qui avaient donc tués ses deux amis ? Les flèches ne cessaient de lui revenir à l’esprit, et crevaient tous ses raisonnements d’une pointe de fureur. Il n’arrivait plus à se maîtriser, et était aveuglé par une haine indicible qui brûlait ses entrailles. Si jamais il trouvait les coupables, ô oui s’il les démasquait, il prendrait plaisir à les voir souffrir et, supplier une mort rapide ! Il serra ses poings sur son arc, s’imaginant décochant des flèches insidieuses dans le corps de ces assassins. Ce jour-là serait un jour heureux !

Une autre image vint à son esprit, celle de Pierre et Richard, à la fois fascinés et terrifiés par le pouvoir d’une simple flèche. Pouvoir de vie et de mort, de défense et d’attaque, de félicité et d’enfer... Jamais ils n’auraient voulu qu’il devienne pire que leurs meurtriers... Et il était en train de se métamorphoser en une bête sauvage et frénétique. Il se devait de se maîtriser ! Ne pas se laisser aller à ses instincts primaires ! Respecter la manière de vivre de ses deux amis, et essayer autant que possible de préserver la vie... la vie et le bonheur. Bonheur qui pourtant leur avait été volé depuis quatre années...

Il jeta son arc au travers de la pièce, et s’effondra à terre, brisé par les épreuves. Il ne savait plus comment agir, il avait perdu tout repère. Tout ce en quoi il avait cru s’était effacé dans le néant de la mort.

C’est ainsi qu’un garde du duc le découvrit, la tête dans ses mains, des larmes ruisselant le long de ses joues. Se retenant à grand peine de lui hurler de déguerpir, Geoffroy refusa de manière catégorique l’invitation, et l’excuse, du duc.

Il avait perdu toute confiance en leur meneur, et cette salle enluminée de richesses ne lui semblait n’être que la devanture d’une réalité bien moins reluisante. Le discours de la veille l’avait choqué. Le duc n’était pas le genre d’homme à avoir du cœur, et pour qu’il offre une rente à Pierre et Richard, il s’était passé quelque chose entre lui et les pères de ses deux amis. Quelque chose qui dépassait le simple sauvetage... Le duc était plus le genre d’homme à fonder son amitié dans les duels plutôt que dans les remerciements...

Que s’était-il donc passé dans cette forêt ? Etaient-ce des êtres immémoriaux qui avaient approché le duc de la lisière ? Pour la première fois, Geoffroy songea que les rumeurs qu’il avait toujours considéré comme fantaisistes pouvaient être porteuses d’une vérité. Des troubadours circulaient et contaient l’histoire d’une lointaine guerre contre ces peuples, où le destin du monde y aurait été scellé pour un temps ou pour toujours. Ils osaient même insinuer que ces guerriers auraient pu massacrer les humains en une seule attaque ; mais s’ils avaient possédé un tel pouvoir, ils l’auraient utilisé, imagina avec aisance Geoffroy. Il paraissait que les royaumes humains s’étaient unis pour contrer la menace, et seule cette partie lui avait semblé plausible ; et encore, très peu au vu des troubles intestinaux qui minaient les relations entre le royaume de Foy et celui de Mormundes. Mais tout cela remontait à des dizaines de générations, depuis cette époque tous les faits héroïques avaient pu être amplifiés jusqu’à atteindre à chaque fois une dimension mythique... Mais peut-être subsistait-il encore une part de vérité...

Geoffroy se décida finalement à sortir, et s’éloigna des remparts intérieurs protégeant Skefoy. Il avait toujours aimé marcher et sentir le vent dans ses vêtements. Son amour de la chasse était né de cette passion de la nature. Mais aujourd’hui tout lui semblait fade, et même la douce brise qui régnait dans Skefoy lui apparaissait avoir un toucher âpre et rugueux, comme si le vent cherchait à lui arracher ce qui lui restait de peau.

Il arriva finalement à un vieil arbre, tordu et noueux, l’écorce abîmée. En un instant, de très nombreuses réminiscences douloureuses affluèrent dans son esprit. Avec Richard ils avaient passé des heures au pied du tronc, imaginant qu’ils le grimpaient et sautaient par-dessus la muraille. Ce qui les avait retenu n’avait pas été la fragilité de l’arbre, ni même la hauteur de la muraille extérieure en cet endroit, mais la peur panique de croiser les agresseurs...

Il préférait ne plus y penser, son cœur battant la chamade à chaque souvenir de ses amis morts. Il continua d’errer sans but, comme jamais il ne l’avait fait, le long de la muraille extérieure. A cet endroit, sur cet arbre coupé, il avait offert à ses deux amis un arc pour leur permettre de se défendre. Là, un beau jour d’été, ils s’étaient couchés dans les herbes folles, s’amusant à interpréter les formes des nuages, y lisant d’heureux présages. Ici, ils s’étaient arrêtés pour observer un oisillon piailler joyeusement à l’adresse de sa mère qui revenait, le bec empli de vers.

Déchiré par cette anamnèse, il s’arrêta et s’écroula à terre. Qu’ils lui manquaient ! Quatre ans de jeux, de joie, de bonheur... Quatre ans passés à oublier la terreur. Quatre ans... Cela semblait être une éternité. Tout s’était effacé en une nuit, et pourtant jamais il ne pourrait les oublier, une part de son cœur était partie avec eux dans leurs tombeaux. Il sentait certes qu’un brin de leurs âmes était resté en lui, mais si infime que jamais il ne pourrait remplacer le vide que leur mort avait créée !

Quelle image du monde leur donnait-il ? Lui écroulé de désespoir... Que diraient-ils s’ils le voyaient ? Ils ne se moqueraient pourtant pas de le voir vivre enfermé dans son passé et sa peine, eux-mêmes ayant agi d’une telle façon. Mais ils avaient tout de même essayé, ils s’étaient battus pour trouver le bonheur. Cette quête avait été vaine, mais elle avait eu le mérite d’exister !

Il laissa tomber ses bras à terre, honteux. Vraiment il était lamentable ! Non, jamais ils n’auraient proféré une telle injure, ils l’auraient réconforté, ils auraient compris son chagrin et, en le partageant, auraient rendu la peine plus aisée à supporter. Ils avaient toujours été là, et l’étaient encore, malgré leur mort. Pourquoi étaient-ils donc morts ? Quelle était donc cette malédiction qui étendait sa hideuse carcasse sur leurs vies, et qui à chaque battement d’aile répandait tristesse et désespoir ? Si seulement ils étaient encore là, ils riraient au bec même de la mort et les ténèbres macabres se seraient transformées en de lumineux rayons.

Geoffroy s’abandonna soudainement aux pleurs, avant de contempler béatement ces gouttes mordorées qui réfléchissaient la lumière solaire. Le soleil est l’espoir, tenta de se rassurer Geoffroy, même s’il savait qu’en ce jour il ne pourrait pas ne pas être attristé.

Lorsque la luminosité se fit trop faible, il se décida enfin à rentrer à Skefoy même. La nuit avait installé son ombre lorsqu’il déboucha dans les ruelles du château. Bien qu’ayant marché six lieues durant la journée, il ne se sentait le courage d’aller chez soi et de devoir justifier son absence. Et il craignait par-dessus tout de rêver de ses amis ; il n’en ressortirait que plus triste... Il se décida finalement à aider durant la nuit la vigie surveillant la porte. Cela permit à Gotric - puisque tel était son nom - de rejoindre sa dulcinée. Quitte à être triste, avait songé Geoffroy, autant que la souffrance enfante du plaisir, même si ce doit être pour les autres... De plus, il ne se serait pas endormi, et cette nuit aurait été du temps perdu. Gotric pouvait avoir confiance en lui !

Le lendemain, après d’ultimes remerciements de la part de Gotric, et la promesse que lui aussi serait toujours prêt à l’aider pour quoi que ce soit, il sortit de la tour et rentra directement chez lui. Il croisa ses compagnons, qui s’avancèrent vers lui, mais il ne se retourna pas. Aucun n’insista, tous comprenant son désir d’être seul. Geoffroy sentit leurs regards surpris le suivre jusqu’à chez lui, mais il leur fut gré de respecter cette envie sourde qu’il avait de rester en tête à tête avec sa souffrance. Arrivant chez lui, il se coucha et fit aussitôt semblant de dormir, échappant à tous commentaires désapprobateurs de sa famille.

Le reste de la semaine fut pour lui un long calvaire : une longue succession d’événements desquels il rêvait de s’échapper, mais comme dans un cauchemar, à chaque escapade, le futur se révélait pire. Il se sentait de plus trop seul pour être heureux, mais trop triste pour être en groupe. Chaque jour il croisait ses amis qui s’inquiétaient, et chaque jour il ne leur offrait nul regard. Pour l’instant, aucun ne lui avait émis un seul reproche. Ils comprenaient tous le choc qu’avait été la mort de Pierre et Richard, et ils se sentaient tous unis sous la même bannière de désespoir.

* *

*

Il fallut une semaine aux cinq compagnons pour se trouver de nouveau rapprochés. Alors qu’ils s’étaient tous posés proche de la barbacane, au niveau de l’entrée du château, Geoffroy à l’opposé des quatre autres, un son les fit tous se dresser, alertes. Le funeste présage qui émanait de la sonorité, telle une annonce macabre criée à vive voix, les éveilla au danger. Ils n’eurent que le temps de se redresser, et avant de pouvoir faire un pas en direction d’une ruelle, le trait s’écrasa à terre. Ils firent volte-face, pour voir la hampe au plumage rouge enfoncé dans la terre.

Quelques instants plus tard, le temps que la foule réalise l’origine de la stridente stridulation, l’endroit fut vide de toute vie, à l’exception des cinq compagnons, et des gardes qui enjambaient à la volée les marches pour atteindre la muraille. Un silence pesant régnait, à peine troublé par les murmures des soldats à la recherche du tireur.

Geoffroy fixait la flèche comme si cette dernière détenait en elle une part de son destin. Le projectile avait occulté toute vie autour de lui, en son âme n’existait plus que cette flèche. Deux nouveaux traits verts vinrent se mélanger à sa vision, sur lesquels des gouttes de sang roulaient, gouttes de la même couleur que le plumage...

C’est alors qu’il le vit. Un message était finement enroulé le long de la hampe. Peut-être une réponse à leur malédiction...

Sans hésiter, Geoffroy se précipita en direction de ce morceau de parchemin. La flèche n’avait été qu’un moyen d’envoyer un message, il n’y en aurait pas d’autres ! Il arracha prestement le trait du sol, puis continua à courir jusqu’à ses quatre amis.

Alors qu’il s’apprêtait à la dérouler, le duc, armé, fit irruption dans la cour, hors d’haleine. Aussitôt un vétéran vint le soutenir et lui expliciter en quelques mots rapides la situation. En réponse, le duc chuchota ses ordres au soldat, qui courut aussitôt de compagnies en compagnies pour passer les consignes. En temps normal, songèrent les cinq compères, leur chef aurait hurlé de toute sa rage les ordres, mais si un éclaireur ennemi pouvait s’approcher assez proche pour lancer une flèche, nul doute qu’il pourrait aussi les entendre...

Finalement, il s’approcha du centre de la cour, où il remarqua avec aisance le trou dans la terre. Il demanda alors à haute voix qui avait récupéré la flèche, modulant sa voix de manière à la rendre assurée et prouver à leur agresseur que la crainte n’avait nulle prise, ni sur lui, ni sur tout son peuple.

Geoffroy, rasséréné de ne pas avoir brisé le fin sceau qui ornait le message, l’apporta au duc. Avant de la rendre, il observa avec insistance le symbole ornant la cire rouge. Un chevalier, lance en avant. Un soleil apparaissait au niveau de sa lance, tandis qu’un serpent, gueule en avant, tel un guide, émanait du heaume.

Le duc arracha avec fureur le message, sans même un regard pour le sceau, avant de lire la missive. Des tics nerveux déformèrent un instant son visage, avant qu’il reprenne un semblant de contenance. Il inspira avec force, cracha à terre sa haine, avant de finalement lire avec violence l’écrit.

« - Mon armée de Mormundes a pénétré avec facilité votre lopin de terre. Votre garnison de Krastik est annihilée, les maisonnées brûlées avec leurs habitants. Ne tentez pas de fuir, vous êtes assiégés. Toute tentative de sortie sera punie de mort.

Rendez vous.

Si vous désirez éviter une guerre perdue d’avance, jurez fidélité devant mon commandeur, et promettez de vous soumettre au Royaume de Mormundes pour toujours.

Rendez vous.

Si vous désirez combattre, apprêtez-vous à mourir dans à peine deux jours. N’attendez nul renfort de vos garnisons extérieures, aucune ne sera en mesure de vous aider.

Rendez vous.

Malak, Roi du Royaume de Mormundes et des terres environnantes, futur souverain de Foy.

Rendez vous. »

Il laissa glisser le parchemin, qui en une lente descente, se rapprocha de la terre. Alors, avec un rugissement se nourrissant de toute sa rancœur et de toute sa gloire à être le souverain de Foy, il dégaina sa rapière, puis, d’un geste sûr, coupa le message en deux.

La population qui avait approché à la lecture de la lettre s’arrêta, sidérée par l’exploit. Pour couper au vol un morceau de papier, la lame devait être effilée, et les réflexes aguerris !

Conscient de l’attention de tout un peuple, le duc monta à la volée les marches des rempart et, se plaçant bien en vue et des Skefiens, et des potentiels ennemis, hurla.

« - Mon peuple, gardez donc foi ! Ne vous laissez pas envenimer par les boniments d’un roi avide de pouvoir, mais incapable de le conquérir lui-même !

Nous avons de résistantes murailles, et tant de pièges insoupçonnés se cachent jusque dans leurs entrailles ! Nous avons les meilleurs soldats des deux royaumes humains, et notre armée excelle où qu’elle aille. Jamais ils n’ont défailli, et leur courage tiendra encore des décennies, par delà toutes les injures des ennemis. Nous avons de rapides destriers, insaisissables sur les champs de guerre, tant leurs cavalcades ahurissent les ennemis. Nous avons de compétents et dévoués fermiers, et leur travail nous permet chaque jour de tous nous nourrir à notre faim, et nous le permettra encore, même assiégés. Mais surtout, nous possédons un don divin, nous le tirons du Serpent ; notre courage est infaillible. Nos actes ont toujours été guidés par notre Dieu, et dans cette bataille, il viendra encore et toujours à notre aide.

Non, nous ne pouvons faillir ! Depuis vingt-six générations, le peuple de Foy a toujours résisté aux Mormundiens. La scission qu’a connu le royaume humain a renforcé notre pouvoir. Depuis toutes ces années, notre force s’est accrue et a dépassé tout ce que nous opposeront la misérable piétaille de ce roi déchu qu’est Malak ! »

Il leva haut son épée, avant de continuer :

« - Krastik n’a pas été vaincu, mais contournée, nos garnisons n’ont pas été découvertes, et nos forces mésestimées. Jamais, non jamais, je ne tolérerai leur présence sur nos terres plus longtemps. Moi, Jules, vingt-sixième descendant de la dynastie des Hannifoy, serai toujours un roc m’opposant aux vaguelettes que pourront créer l’armée ennemie. Que dès aujourd’hui, et que pendant toutes les journées durant lesquelles nous combattrons, le Serpent guide nos actes ! Que cette bataille soit placée sous le signe de la victoire ! »

Il replaça son épée le long de ses jambes, avant de la relever à toute vitesse, et d’hurler de toutes ses forces :

« - Pour Foy ! »

Les milliers d’hommes et de soldats levèrent en chœur leurs poings et scandèrent le même refrain, beuglant au maximum de leurs capacités pour se faire entendre des lieux à la ronde.

A peine haine et poings retombés, le duc cria à s’en blesser :

« - Pour Foy ! »

La foule repris aussitôt le refrain, tous conquis par la fougue sans limite du duc. Aucun ne pensait aux conséquences de la bataille, tous aveuglés par une même soif de victoire et un même désir de conquête. Rien d’autre ne comptait que les duels à venir et les ennemis à terrasser, que la paix à briser et les territoires à envahir, que le bonheur à enterrer et les morts à brûler.

A l’écoute de la harangue du duc, Kev agrippa fermement Gontrand et Mav, et les fit reculer jusque dans une ruelle. Les voyant s’éloigner, Arthur et Geoffroy les rejoignirent aussitôt. Alors que criaient encore les hommes et femmes, Kev siffla entre ses dents :

« - Que devons-nous faire ? Se battre ? Résister et mourir ? Se cacher ? Fuir ? Trahir Foy ? »

Geoffroy ajouta de suite, sans même attendre de réponses :

« - Déjà, cette attaque a-t-elle un rapport avec le meurtre de... de nos amis ? »

Mav, conscient de la portée de ses paroles, et réalisant l’importance que chacun de ses mots allaient avoir, commença à prononcer, hésitant.

« - Jamais nos deux amis n’auraient voulu que nous mourrions pour une telle cause ! Ces guerres n’ont nul autre but que de détruire le reste d’humanité qui réside encore en nos seins... »

« - Et de conquérir des territoires qui seront de nouveau attaqués » le coupa avec cynisme et tristesse Geoffroy.

« - A mon avis nous devons fuir » continua Mav. « Comme l’a dit Geoffroy, il ne sert à rien de rester. Nous devons rejoindre un lieu propice à nous accueillir. Malheureusement jamais je n’ai eu le loisir de voir une carte du monde, à part celles de Foy... »

« - J’aurais bien pensé à Krastik, quand on y était allé avec Gontrand, nous avions bien été accueilli. Mais si jamais les Mormundiens s’y sont installés... Et même, s’ils comprennent que l’on déserte, leur hospitalité sera nulle... »

Gontrand les coupa alors, acte que jamais il n’avait commis. Pour la première fois il saisissait à quel point une parole pouvait avoir une influence sur toute une vie, et il sentait que de cette discussion leur destin pouvait être scellé.

« - Paraît qu’au Sud est un territoire mystérieux, personne n’y a mis les pieds, ou tout du moins n’en est revenu... »

« - C’est vrai que des histoires abracadabrantes circulent au sujet d’un prétendu royaume maudit » compléta Geoffroy, encourageant son ami à parler plus en lui évitant d’avoir à prononcer toute parole qui pourrait lui sembler inutiles.

« - A l’Est est une forêt. Vu ce qu’a dit le Duc, peut-être que sont accueillants... »

« - Mais on ne sait même pas si le peuple qui les habite l’ont réellement sauvés. Après tout, il pouvait s’être égaré dans une forêt autre que celle qu’il avait songé, et être plus proche de la lisière qu’il n’avait pensé. N’oubliez pas qu’il n’avait plus de cheval... » ajouta cette fois Mav.

« - Et je crains que la réplique du duc ait été belliqueuse... » signifia sombrement Geoffroy.

« - Comment ça ? » s’enquit avec surprise Arthur.

« - Un pressentiment... »

« - Au Nord, » continua Gontrand, désirant toujours autant aider ses amis dans leur décision commune, « est justement le royaume de Mormundes... »

« - Plutôt téméraire donc, inconscient même ! » ironisa Geoffroy.

« - A l’Ouest, je sais pas. Peut-être la mer. »

« - Du moins, » finit Arthur, « jamais un seul projet de conquête n’a visé l’Ouest. »

« - Ca doit donc être la mer » éluda Geoffroy. A cette conclusion hâtive, et pourtant respirant la vérité, les quatre compagnons ne purent s’empêcher de sourire, même si pour Gontrand ce ne fut qu’un tremblement de lèvre.

« - Il nous reste donc le Nord ou l’Est. Aucun de nous ne sait naviguer, et je n’ai aucune envie de couler... » avança Mav.

« - D’abord, nous devons fuir » répliqua vivement Geoffroy. « Nous pourrons choisir la direction après. Il faut que l’on sorte et que nous nous retrouvions à un endroit où nous ne serions pas remarqués par les Skefiens ou les Mormundiens. Et cela à cinq, qui plus est ! Après, nous pourrons enfin choisir, et je pense que l’on pourrait même rester dans Foy, il suffit de trouver un hameau paisible. Grâce aux pérégrinations de Richard, j’ai de nombreuses connaissances dans pas mal de bourgades bien sympathiques ! » acheva-t-il sur une note positive.

« - Mais comment fuir sans éveiller l’attention ? » se résigna Kev.

« - Faire comme si de rien n’était » s’écrièrent ensemble Geoffroy et Mav. Le dernier continua :

« - Déjà, je crains que le duc n’ait quelques doutes au sujet de Geoffroy, ce qui va compliquer le tout. Mais si nous nous préparons normalement à l’assaut, il n’y verra vraisemblablement que du feu. Polissons nos armures, aiguisons nos épées, remplissons nos carquois, harnachons nos chevaux, faisons mine d’être prêts à partir à l’assaut.

« - Il y a un problème » murmura Arthur, « Gontrand et moi sommes des soldats, nous serons en première ligne... »

« - Arrangez-vous pour vous glisser en dernière, ça devrait être possible. Dans la barbacane seuls vingt chevaliers peuvent rentrer, il y en a une centaine. Rassure-toi, il n’y aura pas qu’une seule ligne. »

Gontrand approuva d’un très léger signe de tête, et Arthur se réjouit alors :

« - Ca devrait donc être possible ! »

« - Il faudra absolument se donner un point de rendez-vous par contre... »

« - Voyons cela plus tard » les coupa Geoffroy. « Organisons-nous d’abord ! Cachons nos autres préparatifs chez Gontrand, bien entendu en douce. Si nous cachons de la nourriture dans les heaumes, des flasques dans les armures, cela devrait passer sans mal. »

« - Et les tentes ? » demanda Kev.

« - Sous la paille, proche de nos chevaux » l’informa Mav devant le silence de Geoffroy.

« - Nous pourrons partir lors de l’assaut. Même assiégé, dis-toi qu’il y aura un assaut, nous sommes un peuple bien trop fier pour rester cloîtrés derrière nos remparts. Mais le duc ne lèvera pas la herse avant, et il n’y a que dans la fureur de la bataille que nous aurons tous une chance de fuir. » Geoffroy fixa Arthur, qui tremblait légèrement, et semblait absolument consterné. Il reprit aussitôt : « je sais que c’est dur à admettre de laisser les autres gens mourir, alors que tu as tant désiré combattre pour sauver des innocents. Mais avons-nous un autre choix ? Mourir ? Dis-toi que jamais Pierre ou Richard n’auraient désirés nous voir si tôt à leurs côtés. Leur plus ardent désir est que nous vivions heureux, ne sentez-vous pas cela en votre cœur ? Ils ne réclament d’ailleurs pas la vengeance que nous risquons de ne pas être en mesure de leur offrir !

Arthur, après un temps passé à ravaler les sanglots naissants, répondit, un tic nerveux lui déformant encore son faciès.

« - Durant tout mon apprentissage d’guerrier, j’ai appris à tuer sans scrupules, non à éprouver des sentiments. C’est grâce à vous que j’ai commencé à sentir d’l’amitié, d’la pitié, même d’la souffrance. ’Vec des troupes serviles, ‘fin, soumises, l’est simple d’remporter des victoires. Les soldats n’connaissent aucun doute et n’reculent jamais d’vant l’ennemi, sont prêt à s’sacrifier pour leurs maîtres. Maintenant, m’sens faible depis que j’connais ces sentiments, et pourtant fort d’pouvoir penser par moi-même et décider seul d’ce qu’est bien ou mal. J’vous suivrais partout, où que vous alliez. »

Se tournant vers son compagnon d’armes Gontrand, il lui demanda, tremblant :

« - Nous accompagneras-tu ? »

Un léger tremblement déforma son visage, avant qu’il n’articule faiblement :

« - Sûr, seriez capable de vous perdre. » une très légère intonation dans sa voix fit comprendre à ses amis qu’il était ironique. A la surprise des quatre, il continua sans même en avoir été encouragé, cette fois plus attristé : « Notre amitié est naît de Pierre et Richard, elle doit perdurer par-delà leur mort. Nous nous sommes formés pour les protéger, désormais, protégeons leurs souvenirs. »

Il se tourna vers Mav, lequel s’éberlua.

« - Eh quoi, tu croyais vraiment que j’allais vous laisser ? Comme si avec Geoffroy nous avisions depuis déjà quelques longues minutes pour rien ? » ironisa t-il légèrement, avant de reprendre, plus faiblement. « - Certes j’aurai apprécié rester auprès de leurs dernières demeures pour les fleurir chaque jour, mais on reviendra un jour pour cela. Je ne veux pas avoir à décorer un troisième caveau, et je vous accompagnerai partout. Je me rappelle encore des évènements d’il y a quatre ans, ils ont laissé une traînée sanglante dans toute ma vie. Je me suis juré que plus jamais nous nous laisserions mener par le destin. Fuyons, brisons donc ce cycle mortel ! »

Les compagnons se regardèrent et esquissèrent l’ombre fugace d’un sourire. Leur amitié était bien plus résistante que la parjure de la bataille, et elle résisterait encore à toute intrusion !

« - Nous avons deux jours pour nous préparer » annonça en conclusion Kev.

« - Et c’est largement suffisant » sourit Geoffroy.

« - Attendez » continua Kev, « pour les flèches ? »

Les compagnons se regardèrent un instant, avant de répondre d’une même voix :

« - Laissons-les là, trop de risque de les perdre. On pourra toujours revenir les récupérer et nous venger. Mais là jamais nous ne croiserons nos proies ! »

Kev acquiesça, avant de parvenir à faire apparaître un sourire :

« - A dans deux jours, donc. »

Sur ces entrefaites, ils se séparèrent, s’évanouissant parmi la foule chacun de leur côté, par simple mesure de précaution.

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