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Ndlr: Le texte original a été séparé en deux parties pour des raisons qui m'échappent totalement.


Deux jours s’étaient écoulés depuis leur dernière entrevue. Chaque citoyen Skefien se tenait sur le qui-vive, vêtu de sa cuirasse, armé de tout équipement assez tranchant pour repousser l’envahisseur. Les visages trahissaient tous une même panique. Malgré leur enthousiasme d’à peine deux jours, et bien que ressentant encore de la fierté à combattre pour le royaume de Foy, tous avaient peur de mourir durant la bataille et de ne pas voir l’aube se lever sur une époque dégagée de l’étreinte de Mormundes. Les paysans, armés au mieux de haches émaillés côtoyaient les soldats réguliers dans leurs armures étincelantes, enfourchant des chevaux de bien meilleure constitution que leurs mules. Les visages des vétérans, endurcis par les nombreux conflits qu’ils avaient vécus, ne reflétaient aucune expression, à part, quelque fois, au travers d’une chique, un très léger questionnement sur le nombre que seraient les ennemis, mais jamais rien de plus.

Pourtant, au plus profond de tous ces êtres, d’apparences si contrastées, un même sentiment pulsait au plus profond de tous les cœurs : la haine de Malak et du peuple Mormundien qui, de par son attaque, brisait le rythme tranquille de la vie dans lequel tous se complaisaient. Ces ennemis les forçaient à se battre, à risquer leur vie pour sauver leurs familles. Ils allaient devoir payer le prix fort pour avoir osé mettre un terme à la paix.

Sur les remparts, les archers se tenaient, encore dissimulés. Les flèches étaient encochées, et, de leur respiration saccadée, l’angoisse se devinait. Dans la barbacane, une quarantaine d’archers se tenaient, prêts à défendre la porte jusqu’au galop des chevaliers. Derrière eux se tenaient les fantassins, parmi lesquels se trouvaient des soldats et des fermiers. Ils devaient être environ un millier, et formaient deux flaques de vêtements violets, tels deux larges troupeaux partant en guerre, laissant juste un mince passage pour la charge des cavaliers. Ensuite les chevaliers et leurs montures piaffantes se tenaient en ligne. Ici se trouvaient les vétérans et les meilleurs guerriers, décidés, sans aucune crainte, à mettre en péril leur vie pour Foy. En première ligne était le duc, lance dans une main, cor de guerre dans l’autre, tandis qu’Arthur et Gontrand étaient parvenus à s’immiscer dans les dernières lignes. Enfin, derrière tous ces hommes, se tenaient d’autres troupes montées. Ceux-là étaient des chasseurs, tout du moins des hommes assez riches pour avoir un cheval. Leur rôle serait d’éliminer les survivants laissés par la charge dévastatrice des chevaliers, ainsi que d’empêcher une éventuelle embuscade par l’arrière, ce qui la plupart du temps signifiait mourir pour permettre aux cavaliers de se retourner... Dans ce groupe se tenaient Geoffroy et Mav, sur les montures qu’ils utilisaient habituellement pour se déplacer pour leur travail, ainsi que Kev, sur la jeune jument de quatre ans qu’avait enfanté la monture de Geoffroy.

Une grêle de flèches vint finalement perturber le silence qui régnait jusque là dans tout le château. Les traits s’écrasèrent dans la cour, et déjà des marcheurs tombèrent dans des hurlements, blessés ou tués. Les râles d’agonie se mélangeaient aux jurons haineux, et les armes pointées avec menaces effaçaient sous leurs tournoiements les guérisseurs. L’assaut était donc imminent...

Un clairon se fit entendre, auquel répondit, plus puissant encore, le cor de guerre du duc. Un appel rauque résonna et vibra de l’autre côté des murailles. Le souverain de Foy sonna de nouveau de son cor, avant de s’avancer, seul, jusqu’à la porte. Il hurla de toute sa voix :

« - Qui donc ose nous provoquer ? »

Un rire troua l’atmosphère, avant que le commandeur ennemi ne réponde :

« - La mort elle-même ! »

« - La Vie triomphera » signifia pour toute réponse le duc.

L’ennemi se moqua une nouvelle fois, et de nombreuses flèches furent précipitées à l’encontre de la porte. Aucune ne parvint à trouer la lourde armature, et le duc ne put voir que le métal de quelques pointes apparaître parmi les échardes projetées.

« - Traîtres » rugit le chef, « si vous espérez nous intimidez comme cela, vous vous trompez ! Vos actions ne sont pas loyales ! »

« - Seul la victoire compte » ria le meneur des armée ennemies.

Le cheval du duc s’ébroua, et en une bruyante cavalcade parcourut la cour en sens inverse, protégé sous son large écu, alors que le ciel se couvrait des projectiles ennemis. Une fois les carreaux à terre, il dégaina son épée et l’abaissa de suite. Les archers jusque là cachés se dévoilèrent et lâchèrent leurs traits mortels sur les Mormundiens. Un autre signe du duc, et des vigies s’activèrent à lever la herse, tandis que d’autres se préparaient à ouvrir ensuite la lourde porte.

Arthur, qui depuis un certain temps serrait avec toujours plus de force son bouclier pour éviter à son bras de trembler, se retourna. Il discerna ses trois autres compagnons dans les premières lignes des troupes auxiliaires. Geoffroy et Mav lui adressèrent un sourire amical, qui le revigora et lui redonna le courage qui venait à lui manquer. Kev, quand à lui, tellement obnubilé par les vérifications de tout son équipement pour calmer sa peur grandissante, en avait occulté tout ce qui se passait autour de lui. Arthur n’avait aucunement peur de prendre part à la bataille, c’était fuir qui le gênait.

« - C’est ta première bataille, mon fiston » s’enquit un homme couturé de cicatrices à son côté. »

« - Oui, pourquoi ? » s’enquit avec une voix pataude Arthur. Il craignait que l’homme ne soit chargé de le surveiller et que sa tentative de désertion ne se soit remarquée.

« - Ca se voit, tu trembles comme un feuille, mon petit gars. »

Arthur n’eut même pas besoin de mimer la surprise : il ne s’attendait pas à ce que son angoisse soit si visible.

« - Tu vas voir » continua l’homme, « ça va bien se passer ; on a les meilleurs troupes, et le meilleur plan de bataille. Tu veux qu’on fasse équipe ? Je resterai près de toi, quoi qu’y t’arrive » proposa rempli de bonnes intentions l’homme.

Arthur regarda un instant les fantassins décontenancés cherchant à se protéger par tous les moyens des grêlons de la mort. Foy était en danger et ils allaient fuir comme des lâches. Se sentant coupable, il se détourna de l’homme pour observer l’armée de Skefoy. Ils étaient des milliers, sans compter les renforts et troupes cachées dans les bâtiments. Eux n’étaient que cinq... Ils ne seraient vraiment pas d’un grand poids ! Jamais à lui seul, comme dans ses rêves, il ne sauverait la civilisation... A la fois déçu et rassuré par cette vérité, il déglutit péniblement et, regardant le vétéran, prononça :

« - Vous inquiétez pas, m’sieur, mais mon ami Gontrand veille déjà sur moi. »

L’homme ouvrit de larges yeux, avant de souffler aux oreilles d’Arthur.

« - C’est un bon guerrier. Peu loquace, mais il sait bien se tirer de toutes les situations. T’as bien de la chance d’avoir pareil compagnon d’arme ! Allez, bonne chance, mon gars, que le Serpent te sourie. J’espère te revoir après la bataille. Sois courageux, mon fils. »

« - Merci m’sieur, je l’espère aussi » répondit avec chaleur Arthur, bien que sachant pertinemment que jamais il ne le reverrait. S’il ne parvenait à fuir, il mourrait ; il n’y avait nulle autre possibilité.

Gontrand, remarquant l’attitude de son compatriote, se rapprocha et passa son bras autour de son cou, avant de murmurer à très basse voix :

« - Tout va bien se passer, tu sais. Souviens-toi bien, dans l’ombre du coin Ouest. »

« - Figure-toi » garantit Arthur, « que le simple fait que tu parles autant suffit à me donner du courage ! »

Ils se regardèrent, et en lieu et place des habituels tremblements, un véritable sourire apparut sur le visage de Gontrand. Ils tirèrent leurs épées et chuchotèrent avec joie :

« - Pour Pierre et Richard ! »

Ils se retournèrent, pour découvrir leurs trois compagnons, aussi rapières défourrées, s’échangeant le même message d’espoir. Les cinq levèrent en même temps leurs épées, dont les lames dépassèrent l’ombre des bâtiments et vinrent s’illuminer dans les dernières lueurs du crépuscule.

Ils ne pouvaient faillir !

Rengainant leurs armes, ils furent salués par leurs capitaines, ces derniers heureux, croyant leurs troupes motivées à l’approche de la bataille.

Soudain, un hurlement, suivi d’un bruit strident, brisa cet état optimiste et les firent se retourner vivement. Un mouvement de panique se manifesta dans la barbacane, et il y eut un vif recul des archers. Un des leurs avait bêtement passé son bras dans un anneau. Cette lourde et large bague de fer était liée à une longue et robuste chaîne métallique, et, actionnée par des rouages, ne cessait de grimper en direction du mécanisme. L’homme avait beau s’égosiller et se tordre sous la souffrance, rien n’y faisait, la douloureuse ascension ne cessait pas.

Tempêtant, le duc sonna une nouvelle fois son cor et fit un signe aux vigies. Toutes arrêtèrent dans l’incompréhension leur besogne, regardant l’armée de Mormundes décocher une nouvelle salve. A chaque instant perdu une vie s’envolait... Les grincements cessèrent, et ils purent enfin entendre sous leurs pieds les braillements du malheureux soldat. Aussitôt, les congénères de l’archer se précipitèrent à ses côtés et le détachèrent, avant de siffler pour que la herse continue sa lente montée.

Cela n’avait duré que de très courtes secondes, mais avait métamorphosé le comportement de toutes les troupes. Ils s’attachaient au moindre détail, et un problème était toujours un mauvais présage. Le plus touché semblait être le duc, qui jetait autour de lui des regards désabusés, s’attendant à chaque instant à ce que son armée ne panique. Il avait compté prendre de vitesse les troupes de Malak, et il n’avait gardé la herse baissée que par précaution d’un éventuel bélier. Ses hommes payaient maintenant cette erreur ! Il ne pouvait plus se permettre d’escompter encore sur l’effet de surprise, et ne pouvait soumettre ses hommes au risque d’une rude défaite. Il devait changer son plan d’attaque ; plutôt que de porter la première estocade, à lui de briser celle de l’ennemi, pour percer ensuite à nu les rangs des barbares. Sentant que finalement rien ne s’était encore joué, il regarda à nouveau la lourde grille se soulever.

L’axe geignit une dernière fois, puis un claquement métallique signala que la herse était enfin stabilisée. Maintenant il ne restait plus qu’à attendre, et ne surtout pas ouvrir la porte. S’ils parvenaient à tenir les agresseurs à l’extérieur de la muraille avant la charge, la bataille serait gagnée. Cela allait être loin d’être aisé, mais était possible ! A l’idée que dans le plan de défense qu’il allait suivre, il perdait l’initiative de l’attaque, le duc ferma les yeux et imagina ce que serait la vie s’il perdait. Durant de courtes secondes, l’anxiété prit possession de chaque trait du visage du duc, et chaque vétéran qui chercha le visage de leur meneur pour y puiser du courage et de la force ne vit que de l’abattement...

Toute l’armée de Foy attendait le signal et l’assentiment de leur chef, et les hommes commençaient à craindre que le duc n’abandonne avant même l’assaut. Les flèches ennemies tombaient encore, mais rares étaient ceux y faisant encore attention. Les murmures naissaient entre les soldats, et le doute prenait corps aux côtés des arcs et épées. Eux, simples soldats, ne pouvaient rien y faire, seul le geste du duc le pouvait. Seul lui avait le pouvoir pour qu’enfin toute la défense s’organise.

« - Bélier en vue » hurla une des vigies, épouvanté par la forme oblongue se précipitant en direction de la porte, ainsi que par l’absence de réaction chez le duc.

Enfin le souverain de Foy s’anima, se réveilla de cette léthargie qui avait semblé si longue à son peuple, et s’approcha de son plus proche lieutenant, lui annonçant d’une voix assez puissante pour que ses troupes d’élites entendent et prennent courage :

« - Un tir de volée de la cour, ça devrait les faire reculer, puis que tous sur les murailles se concentrent sur le bélier. Il devrait bien y avoir des échelles et des grappins, mais ceux-là n’auront aucune chance. »

Le lieutenant tendit alors au duc un arc long et une unique flèche embrasée. D’un signe de tête, le chef refusa.

« - A vous l’honneur de commander le peuple pour cette fois. »

Le brandon s’était à peine élancé au-dessus de la population qu’un cri de guerre sortit de tous leurs gosiers, avant que de tous les arcs ne s’envole une pluie de traits. Le doute avait disparu, la fureur de la guerre était au contraire apparu dans tout ce qu’elle avait de plus sanguinaire.

Au-dehors, des cris effrayés répondirent à l’attaque, puis le silence, seulement ponctué de râles d’agonie. Puis rapidement, comme si aucun évènement n’avait ponctué l’avancée des ennemis, une cacophonie surgit lorsque le lourd bélier se fracassa contre la porte, sans pour autant briser un seul de ses battants. Les archers tremblèrent, culbutant à terre sous le choc de la pointe nervurée, mais, tant que la porte tiendrait, ils la soutiendraient.

Le bruit cessa lorsque le tronc à l’embout pointu et métallique se retira. Un cri de douleur, et un soldat chuta tel un pantin démantibulé ; la tige du butoir encore enfoncée dans son corps. Aussitôt, les soldats sur les murailles fauchèrent les attaquants, et une clameur atténuée par la distance se fit entendre.

« - Renforcez les rangs ! Au bélier ! »

Le duc se réjouit et exulta à voix basse :

« - C’est ça, qu’il y viennent et on les tuera comme des pigeons, les idiots. » A plus haute voix, et se tournant vers son lieutenant en chef, signifia : « On tient encore trois coups, puis on leur ouvre. »

Il fit un clin d’œil aux plus anciens, qui sourirent en comprenant le plan.

« - Grappins et échelles à l’Est » s’égosilla une nouvelle vigie.

Le souverain, cette fois-ci, se dressa sur ses étriers et hurla de manière à être entendu aussi par les ennemis :

« - Priorité sur le bélier, on ne peut pas lutter sur deux fronts ! » Se rasseyant, il murmura, sous les murmures d’assentiments de ses plus expérimentés soldats : « laissons les croire que nous sommes faibles. »

Kev, n’ayant entendu que le cri du duc, se tourna, agité, vers ses deux compagnons.

« - A votre avis, que compte faire le duc ? »

« - Je ne sais pas » commença à répondre Mav, « mais j’espère que son plan est bon, que l’on n’ait pas trop d’ennemis à éviter... »

« - Mais rassure-toi » dit d’une voix plutôt calme Geoffroy, « on ne laisse jamais des gens pénétrer aisément l’enceinte d’un château. Je crois comprendre ce qu’attend le duc. »

« - Quoi donc ? » demanda anxieux Kev.

« - Les multiples pièges dans la muraille, tout simplement. »

Pas rasséréné pour un sou, car n’ayant jamais vu ces fameux pièges dans la défense qui lui avait d’ailleurs toujours semblé plutôt racornie et effritée, il fixa intensément les remparts, comme s’il espérait voir au travers la progression des ennemis.

Il vit les grappins lancés au-dessus des lucarnes, et les hauts des échelles s’appuyer contre la roche. Quelques uns furent détachés, mais sans grand espoir apparent... Il imagina sans peine les agresseurs grimper, heureux de ne rencontrer aucune résistance.

Soudain, le temps d’un battements de coeur, les échelles furent renversées à terre par des lances dissimulées dans la paroi, tandis que les hommes qui grimpaient au moyen des grappins hurlèrent de douleur avant de s’écraser des mètres plus bas, leurs mains perforés par les pointes métalliques et bris de verre habitant les moindres recoins entre les pierres.

L’attaque ennemie connut un instant de flottement durant lequel tous les Mormundiens se regardèrent et se questionnèrent. L’espoir si vite acquis venait de s’écrouler, et la victoire promise leur était retirée ; au contraire les Skefiens hurlèrent de bonheur, entièrement confiants dans les directives de leur meneur.

« - Ouvrons-leur » souffla le duc.

La lourde planche qui liait les deux battants fut enlevée, et les quelques archers encore survivants s’écartèrent de la porte, vidant avec désespoir leurs carquois parmi les trous qui décoraient désormais la porte. Avec de la chance, les traits heurtaient un ennemi, sinon ils avaient au moins le mérite de les décourager...

« - En ordre de combat, que la charge soit fulgurante et héroïque ! » signifia le duc en se saisissant de sa lance de cavalerie.

Dans un rugissement bestial, la porte s’ouvrit à la volée lors du choc du bélier. Les Mormundiens, qui ne s’étaient préparés à ce que la porte se brise aussi rapidement, tombèrent, entraînés par le poids du butoir. Durant un bref instant, tous les soldats Skefiens purent voir clairement leurs ennemis. Ils étaient habillés de gracieuses cottes de mailles qui leur ceignaient bien l’intégralité de leurs parties vitales, et munis de lourdes armes capables de transpercer de nombreuses armures. Mais cela n’était que l’apparence, et les malchanceux qui venaient de pénétrer dans l’enceinte de Skefoy ne reflétaient qu’une profonde terreur à leur mort imminente.

« - Pour Foy » rugit le duc en levant haut sa lance de cavalerie, « pour notre liberté ! ».

Son cheval, imité par ceux de tous les cavaliers, s’élança au triple galop en direction de la porte... de la porte et de la bataille ! Les archers Mormundiens apparurent face à l’ouverture, et décochèrent au travers de l’entrée ainsi dégagée leurs munitions. C’était sans compter le sacrifice des derniers archers, qui servirent de boucliers aux chevaliers, se laissant transpercer par les pointes mortelles.

« - Qu’il n’y ait pas de deuxième salve » cria le duc en abaissant sa lance et la dirigeant vers le premier des archers.

A sa suite, ses soldats brisèrent en un instant la mince résistance causée par les archers ennemis, et, comme un écho à la mort du dernier soldat de la barbacane, disparurent rapidement derrière les murailles, ne laissant derrière eux qu’un tapis de cadavres aux habits rouges.

« - A nous » s’écria un autre lieutenant dès le dernier habit violet disparu. « Que nos lames trouent l’ennemi. Gardez foi dans le courage. Pour Foy ! »

Telle une meute hurlante, tous les chasseurs et autres miliciens s’élancèrent à la suite de la bannière brandie par leur lieutenant, et le fleuve multicolore des chevaux s’écoula au travers de l’ouverture.

« - En deux groupes » ordonna le lieutenant en partant à droite, en direction du Sud, tandis qu’un de ses sous-lieutenants emmenait sa monture à l’opposé.

« - On reste groupé » s’évertua à faire comprendre par des gestes Geoffroy.

« - Derrière lui » hurla Mav en pointant de son bras le sous-lieutenant. « Moins d’ennemis » expliqua-t-il laconiquement.

Après la clameur et les cris du château, ils se trouvèrent plongés dans un silence perturbant, tandis que le crépuscule déjà installé ne leur permettait de percevoir que les lueurs des armes tirées.

Au hasard, Geoffroy décocha une flèche face à lui, avant de se baisser contre l’encolure de sa monture et de l’encourager à aller plus vite. Il plaqua son bouclier contre lui, plus pour se rassurer que pour bénéficier d’une réelle protection, et bifurqua le long de la muraille en tournant vers l’Ouest, au moment où le sous-lieutenant sonnait la charge à l’Est. Se retournant, il remarqua qu’il était seul.

A quelques encablures de là, derrière un tronc, Kev était à terre, ruisselant de boue. Une flèche s’était plantée dans le cou de sa monture, qui gisait à quelques mètres de lui. Heureusement qu’il avait eu la lucidité de se jeter dans un buisson au dos d’un large chêne avant l’effondrement de sa jument.

Il tremblait de tous ses membres et n’osait pas bouger, de peur de se faire remarquer et tuer. Il entendait distinctement le fracas des combats tout près, juste derrière l’arbre en somme, et les cris d’agonie permettaient à ses sanglots de passer inaperçu. Jamais, non jamais il n’oserait fuir de ce buisson.

Serrant de toutes ses forces les racines, comme s’il jetait ses dernières forces pour agripper les derniers limbes de sa vie, il remarqua à quel point le sol était meuble, et la boue présente. Cela ne coûtait rien d’essayer ! Il se barbouilla rapidement le visage, avant de recouvrir chaque détail métallique de terre. Il serait bien moins visible comme cela !

Légèrement rassuré par cette conclusion, et sentant que s’il ne faisait rien, il périrait tôt ou tard par un trait perdu, il se mit dans l’idée d’escalader le tronc, comme il l’avait si souvent fait avec Pierre...

Il craignait que les bruissements de feuilles n’attirent les regards ennemis, ou que la vision d’un bras passant par-dessus les branches ne surprenne des combattants, mais cela ne fut le cas. Dans la confusion environnante, seul comptait les sifflements de flèches et les lueurs de lame, tout ce qui n’avait pas une influence directe sur le combat n’avait aucune importance.

Se tenant tant bien que mal sur une branche, il scruta les montures environnantes, et remarqua, à sa grande joie, un soldat Skefien mener par la bride une autre monture. Et l’être se dirigeait sans le savoir vers lui, quelle chance !

La monture à quelques mètres de lui, il se jeta dans le vide, rattrapa la branche avec ses mains, s’y rattachant encore quelques instants. S’ensuivit un mouvement de balancier, dans lequel son corps fut amené vers l’avant, et lorsqu’il sentit le museau du cheval frotter ses jambes, il lâcha prise. Il chuta lourdement sur l’encolure du cheval, et, ne parvenant à avoir une prise correcte, se mit à basculer sur le côté en direction du sol.

Le soldat, voyant un de ses congénères perdre prise, se déporta vivement sur la droite et tamponna Kev avec assez de force pour que ce dernier ne se ressaisisse et attrape la bride. Une fois les pieds fermement calés dans les étriers, Kev se tourna vers l’homme pour le remercia.

« - Sans vous, je... Mav » s’écria alors Kev surpris, « comment j’ai pu ne pas te reconnaître ? »

« - L’obscurité et l’angoisse, sûrement. T’as de la chance que le maître de cette bête est mort juste avant ! »

« - Triste chance, en vérité. »

« - Allez, on part de là » gueula Mav sans écouter Kev. Il venait de voir un groupe ennemi, et ce dernier se retournait vers eux.

Mav donne un large coup dans la bride de sa monture, et s’élança aussitôt sur sa gauche à toute vitesse, suivi de très près par Kev. Les deux se baissèrent lorsque de rares traits fusèrent au-dessus d’eux.

« - Merde, ils nous suivent ! » maugréa Mav, « surtout, on se sépare pas ! »

Derrière eux, quatre éclaireurs ennemis s’étaient lancés à leur poursuite, et leurs visages furibonds ne laissaient nul doute sur leurs intentions !

Les montures des deux compagnons bondirent au travers de sentiers détrempés. Kev et Mav, entièrement absorbés par leur chevauchée, ne donnaient plus aucune attention aux ennemis qui derrière eux les suivaient tant bien que mal, mais ne se laissaient pas distancer. Les montures volaient au-dessus des troncs et transperçaient les buissons à toute vitesse, mais rien n’y faisait. Malgré l’obscurité, ils ne lâchaient prise.

Face à eux se découvrit soudainement de multiples lanternes : le champ de bataille. Exactement la direction à éviter... Courroucé par cette malchance, Mav lança sa monture vers sa droite, qui cavala par-dessus des cadavres, témoins d’un précédent guet-apens. Ils pouvaient désormais entendre le reniflement macabre des destriers et les cris rauques de leurs cavaliers. Ils ne tiendraient pas longtemps à ce rythme, leurs chevaux étaient de bien plus frêles constitutions.

Mav se retourna pour voir Kev, quelques mètres derrière lui, souffrir le martyr pour maîtriser ce cheval que jamais auparavant il n’avait monté. Leur seule chance était de s’aventurer entre les arbres ! Il tourna et dévora les quelques mètres le séparant d’un sinueux chemin. Mais Kev n’avait pas suivi ! Ils s’étaient séparés ! Et il ne pouvait faire demi-tour, leurs poursuivants s’étaient séparés en deux groupes égaux, il ne pouvait donc que continuer. Il savait que le chemin rejoignait celui qu’avait suivi Kev dans bien moins d’une lieue, mais il pouvait se passer tant de choses !

Sa monture se pressa entre les troncs et son habitude de ces chemins lui permit de regagner quelques mètres. Ceux-là pouvaient se perdre à tout moment, mais le simple fait de ne plus entendre le galop de leurs ennemis, de ne plus percevoir leurs habits rouges le rassurait.

Son cheval hennit de souffrance lorsqu’il enfonça encore plus profondément ses étriers dans ses flancs pour qu’il aille encore et toujours plus vite. S’il continuait à le soumettre à un tel train, il s’écroulerait et mourrait, et lui, à pied, n’aurait plus grande chance ! Aussi dur qu’était la décision, il devait ralentir. Il en profita pour regarder autour de lui, en direction du chemin d’où devait déboucher Kev, et remarqua avec joie son ami, encore poursuivi par les Mormundiens. Et lui aussi l’avait remarqué !

Il obligea sa monture à un nouveau galop, tout en fixant intensément Kev. Sa monture connaissait le chemin par cœur, et il pouvait se permettre de ne pas la guider. Les ennemis n’avaient pas cette chance, et n’avaient aucun moyen de voir le piège qui se refermait sur eux.

« - Encore un petit effort, mon petit Mika » souffla-t-il à l’oreille de son cheval, « tout dépend de toi maintenant. »

Il se retourna pour voir les agresseurs regagner un peu de terrain. Cela était parfait ! Il déboucha juste devant la monture de Kev, exactement à la perpendiculaire de la trajectoire que suivait ce dernier. Il continua sur sa lancée au galop, tout en se saisissant de son arc. Tournant son regard, il vit ses deux poursuivants surgir face aux deux chevaux ennemis, et, sous la vitesse, deux soldats se fracassèrent l’un contre l’autre, trop éberlués d’avoir ainsi surgi devant leurs compatriotes pour faire le moindre écart. Les deux autres évitèrent tant bien que mal le choc, mais la manœuvre les déstabilisa et ils en oublièrent Kev et Mav.

Juste après les hennissements d’agonie, les deux compagnons avaient arrêtés leurs montures et dégainés leurs arcs. Avant même que le premier ne saisisse le danger auquel il était exposé, une flèche pénétra profondément en son cœur. Kev décocha sa flèche sur le second, mais fatigué par sa longue cavalcade et entièrement consumé par l’angoisse, le manqua largement.

Ne s’attendant pas à une erreur de la part de Kev, Mav encocha avec précipitation une flèche, qui manqua à son tour sa cible. Le Mormundien se saisit à son tour d’une flèche qu’il dirigea vers celui qu’il estimait être le plus dangereux, à savoir Mav. Il n’y avait en ce geste nulle cruauté, seulement une envie de survivre à cette bataille, et cela ne pouvait que se réaliser au travers de la mort des autres.

Derrière eux un rugissement épouvantable résonna, qui les détourna tous pour découvrir la provenance du cri. Ils découvrirent un Geoffroy écumant, qui se précipitait à l’encontre de leur agresseur. Son épée était tirée, et passant aux côtés de l’agresseur, la lui jeta dans la gorge. Il fit stopper sa monture quelques mètres plus loin, et haleta :

« - Pas facile de vous rattraper. Galopez mieux que je ne pensais. »

Il se permit enfin un sourire, avant de s’asseoir à terre.

« - Content de vous voir vivants, j’ai cru que jamais je n’arriverais à temps. »

« - Merci d’avoir été là » trouva juste à dire Kev, encore sous le choc de leur cavalcade et de son heureux dénouement.

« - Pas de quoi » se réjouit Geoffroy, « remercie justement mon habitude de chasseur, sinon je vous aurais jamais remarqué parmi les autres ombres. »

« - En même temps » se moqua Mav, juste parce qu’il éprouvait le désir de rire après être passé si près de la mort, il était en vie et voulait en profiter, « un si petit cavalier que Kev, ça doit bien se remarquer ! »

Geoffroy acquiesça avec le sourire, encore usé par sa chevauchée, tout comme ses deux compagnons.

« - Je récupère mon épée, on achève les deux autres, et on peut y aller. »

Kev, à cette parole, avala difficilement sa salive.

« - Dis-toi que si on les laisse vivant, ils auront encore la possibilité de te tuer » prononça Geoffroy en tranchant la gorge des deux agresseurs. « C’est cruel mais c’est la guerre. »

Kev approuva péniblement, avant de suggérer :

« - On devrait peut-être aller au point de rendez-vous, j’espère que Gontrand et Arthur y sont déjà. »

« - Je l’espère aussi, cela voudra dire qu’ils sont toujours vivants » signifia Mav.

« - Attendez » cria Geoffroy, « on récupère leurs deux montures encore valides. Elles sont fatiguées, mais elles feront le voyage à vide. Elles pourront toujours nous servir. »

Il saisit par la bride un des chevaux, puis partit en un trot calme vers le point de rendez-vous.

« - Suis-le, je prends l’autre et vous rejoint de suite » l’informa Mav, en récupérant la bride de la deuxième monture.

* *

*

Cinq êtres tout de vert vêtu étaient cachés dans des branches et feuillages avec lesquels ils semblaient former une parfaite unité. A leurs pieds, leurs montures broutaient paisiblement de l’herbe dans un parfait silence, comme leurs maîtres le leur avaient demandés. A une dizaine de mètres étaient trois formes le long d’un sentier, flèches encochés. Ces dernières n’avaient pas remarqués la présence des cinq intrus, qui s’approchaient petit à petit. Parfois un des êtres prenait la parole, mais leurs voix se mélangeaient au vent environnant comme s’ils avaient eu le pouvoir de dicter à la nature de dissimuler leur présence.

« - Voilà nos lièvres » souffla le meneur.

« - Que fait-on ? »stridula un second, ne comprenant pas encore pourquoi ils n’abattaient pas ces hommes, rejetons d’Althior.

« - Tu ne vois donc pas » gronda le chef tel le roulement des vagues sur le galet, « ils attendent, alors on fait de même. De cette façon Anar sera content. »

« - Ecoutez ! » La voix avait tonné tel l’éclair dans l’air, et la surprise suait à grosses gouttes du visage de l’être.

« - Aux chevaux ! » ordonna finalement le meneur, paniqué, en entendant un galop rapide dans la distance. Leurs proies allaient s’échapper s’ils ne prenaient attention. Ils sautèrent tous sur leurs chevaux, qui ne furent nullement surpris, avant de se déporter vers le sentier.

Face à eux apparurent, encore dissimulés par la nuit, Arthur et Gontrand, poursuivi par trois poursuivants, aussi habillés de vert.

« - Derrière-vous ! » hurla Arthur, paniqué, à ses trois amis inconscients des lames qui se défourraient dans leurs dos.

« - Ecartez-vous » commanda Gontrand, gardant toute sa lucidité pour le combat. Il pointa en avant sa lance, tout comme Arthur, et se précipita vers les cinq agresseurs. Geoffroy, Mav et Kev eurent juste le temps de mener leurs chevaux contre les bords du sentier que déjà les pointes effilées conquéraient l’endroit où ils se tenaient un instant auparavant. Le choc fut bref, mais fatal à deux des agresseurs, la lance profondément enfoncée dans le thorax. Sans même prendre le temps de ralentir pour récupérer leurs armes, et se sachant moins nombreux, ils continuèrent sur leur lancée pour être hors d’atteinte de la moindre flèche, avant de dégainer leurs rapières.

Ils découvrirent un troisième cadavre, transpercé d’une flèche. Geoffroy avait donc eu le courage d’assurer un tir. Mais cette pensée ne les rassura nullement, car hormis la présence des trois agresseurs morts, ils étaient seuls. Leurs amis avaient fuient par un autre chemin !

Percevant un léger bruit de galopade dans le lointain, leurs destriers bondirent dans cette direction, et volèrent au-dessus de tous les obstacles, parmi les forêts qu’ils connaissaient tant.

Un cri, il avait entendu un signal ! Gontrand se força à se concentrer sur la source de ce bruit. Il le reconnaissait, Kev criait !

« - Au Nord ! » rugit Arthur, qui avait aussi perçu le hurlement de détresse.

Sa monture bifurqua juste devant celle de Gontrand, qui lui continua encore tout droit. Plus loin, un sentier était autrement plus praticable et il irait bien plus vite ! Ne songeant plus qu’aux risques qu’encourraient ses trois amis non soldats, il cavala, oubliant les rameaux qui lui fouettaient le visage et laissaient des traînées sanglantes dans sa chair. La souffrance s’était faite oubliée devant la peur.

Il contourna un large rocher avant de déporter sa monture sur la droite. Son destrier avait beau geindre sous la douleur, il allait devoir accélérer encore, et survivre jusqu’à ce qu’il soit aux côtés de ses amis.

« - Arthur, par là ! »

Les voix se faisaient de plus en plus insistantes, il se rapprochait donc, et vite. Bien trop rapidement d’ailleurs pour son cheval fatigué, songea-t-il un instant. Les autres devaient être sur ce même sentier, mais dans l’autre sens. Il allait bientôt les croiser !

Le spectre de l’échec lui apparut quand il tendit son épée face à lui, et s’imagina rapidement ne parvenant à maîtriser sa vitesse et percutant un de ses amis. Son habitude de telles situations lui permit de se concentrer, et lorsqu’au détour d’un virage il découvrit face à lui ses amis et les agresseurs, c’est avec calme et courage qu’il analysa la situation.

Une centaine de mètres les séparaient encore. Devant, Kev et un ennemi sur le même destrier, Kev maintenu plaqué contre l’encolure de la monture. Juste derrière, et tentant de désarçonner l’agresseur, étaient Mav et Geoffroy. Ensuite il devait y avoir quelques autres êtres verts et Arthur, mais il ne s’autorisa qu’un furtif regard.

Plus que cinquante mètres. Mav et Geoffroy s’étaient écartés, Kev s’était penché encore plus contre le garrot, et l’être vêtu de vert chevauchait toujours face à lui, trop occupé à repousser les attaques des deux hommes pour guider sa monture.

Gontrand leva rapidement sa lame au-dessus de son casque, avant de faire arrêter brutalement sa monture. De douleur cette dernière hennit et se cabra, ce qui prévint l’ennemi du danger. Mais trop tard ! Moins de dix mètres les séparaient. Gontrand précipita la lame contre le visage de l’agresseur. Une balafre ensanglantée naquit à l’instant du choc, et l’homme s’écroula à terre, mort. Sans perdre un instant, Kev prit les rênes de la monture et continua le galop. Geoffroy ralentit un instant et décocha une nouvelle flèche qui alla se planter dans le cou d’une monture, qui s’affala, inerte, entraînant dans sa chute son cavalier.

Gontrand voulut relancer sa monture à la poursuite de ses amis, mais la si longue cavalcade avait eu raison d’elle, et ses jambes tremblantes ne laissaient aucun doute : il avait présumé des forces de son destrier.

Il sauta à bas du cheval, et dressant son bouclier face à lui, hurla :

« - Pour Pierre et Richard ! »

Il tendit avec rage son épée vers le premier ennemi qui se présentait à lui, mais ce dernier l’évita. Alors qu’il allait crier sa fureur et la haine de cette lâcheté, il sentit un choc dans le bas de son dos. Il y découvrit une flèche au plumage vert profondément enfoncée dans son corps. Déjà des gouttes de sang s’écoulaient et teintaient de rouge son étincelante cotte de maille.

Ses pieds lâchèrent prise, et sans même comprendre comment, il se retrouva, hébété, genoux à terre. Il avait échoué, et allait mourir là... Il n’avait pu protéger ses compagnons... Ses compagnons ! Ils ne devaient pas rester là pour défendre sa dépouille, mais partir, fuir vers un lendemain meilleur !

Déjà il n’avait plus de sensation, et ne ressentait plus qu’un froid mordant et glacial se répandre dans tout son corps. Ah, ils devaient bien rire, à le laisser souffrir ainsi ! Ces bêtes n’avaient même pas le cœur de l’achever ! Ils allaient donc le laisser là en pâture aux corbeaux. Il n’aurait nulle sépulture sur laquelle ses proches pourraient se recueillir, nulle pierre témoignant de sa vie passée.

Oh, des bruits de pas approchaient. Dans son dos, il ne pouvait rien voir. Se retourner ! Il n’en avait pas la force. Diable qu’il se sentait faible ! Une main, plutôt en gant en cuir, sur son épaule. Il le discernait au travers de ses larmes de souffrance. Un pied, oui, ça devait être un pied, au bas de son dos. Cruelle sensation qui le trahissaient, il était incapable de savoir si c’était ses amis ou ennemis qui le touchaient...

Il cria de toute la force de ses larmes lorsqu’il sentit la pointe se retirer de son corps. La douleur affluait, et pulsait dans toutes ses veines. Il pleurait ou vomissait, il ne le savait même pas, après la léthargie dans laquelle il avait chutée, le brouillard évanescent de la mort s’était effacé au profit des brûlures de la douleur. La souffrance, il ne ressentait plus qu’elle. Qu’on le touche ou qu’on lui jette une pierre, il ne le remarquerait même pas.

Des ongles décharnés se promenaient le long de son cou, s’amusaient de ses gouttes de sueur. Oh qu’il imaginait la joie des êtres, il n’était rien d’autre qu’un morceau de viande, laissé à la merci du premier venue. Non, il délirait, son imagination l’abusait. Ses yeux le piquaient, et il sentait de multiples pointes le transpercer, lui envoyant des décharges dans tout son corps. Rien ne pouvait être réel, non, il n’avait eu qu’une pointe dans le dos, c’était tout. La souffrance, cette corruptrice, la souffrance le trompait, trahissait tout son corps. Il était peut-être mort, et cette satanée douleur l’envahissait encore, ah Serpent, quelle horreur ! Jamais il ne se remettrait d’un tel traumatisme, un venin devait être en lui, maintenant il voyait les arbres danser autour de lui. Et les étoiles se rapprochaient, allaient le percuter !

Finalement, abattu par la douleur, son cœur vaincu par le désespoir, il n’eut plus la force de lutter et s’effondra dans l’inconscience.

Un sourire sardonique illumina un instant le meneur des agresseurs, avant que ce dernier ne murmure avec une joie indécente :

« - Emmenez-le avec les autre autres. Qu’il souffre pour la folie qu’il a eu de s’opposer à notre pouvoir. »

Il s’éloigna, et se murmura à lui-même :

« - Il sera heureux, ô oui il sera très heureux. Les temps changent, et les cieux deviennent cléments pour notre souveraineté sur ce monde. »

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