file Feuilleton - Libra

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il y a 15 ans 3 mois #15777 par Vuld Edone
Feuilleton - Libra a été créé par Vuld Edone

Des mondes jetés dans la tourmente, des secrets éparpillés qui se retrouvent dans les pires mains, des livres qui détiennent la toute-puissance et comme une épée de Damoclès, l'inexplicable Libra. Pris dans une enquête qui les dépasse, menacés à tout instant, les chroniqueurs s'en remettent à leur plume pour les sauver. Le feuilleton mélange tous les genres pour vous présenter son univers : bienvenue aux Chroniques des Jours Anciens.

Ca commençait du moins comme ça.

Alors, avec huit pages par semaine et cinquante-deux semaines par an sur trois ans, cela donne mille deux cent quarante-huit pages en stock. En format A4, ça tiendra dans la commode. Un bureau au fond pour écrire, une grande table et deux murs pour étaler les informations, deux grosses corbeilles à papier pour les brouillons et voilà, mon petit atelier du feuilleton est prêt.

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>Table<

Allez je commence. "Il..." non non c'est nul corbeille, mille choses qui 'vont pas... 'jamais écrit de feuilleton moi... déjà comment on fait ? Allez un post-it pour mettre de l'ordre dans mes idées :
- Déjà c'est prévu une page par jour.
Ouais ouais ça c'est bon, de toute façon j'écrirai tout d'un coup en fin de semaine, avec un stock long comme le bras.
- Le dimanche y a deux pages.
Bâtard !
- Y aurait des divisions.
Ouais jouons à nommer les choses ! Alors l'histoire euh... "l'histoire" et puis ses parties des... "parties" ouais génial. Genre trois parties pour trois ans. Alors du coup on aurait des "chapitres" disons entre trente-six et cent cinquante-six au hasard. Et dans ces chapitres, facile, on aurait des "épisodes" d'une page, trop malin ça prix Nobel tiens. Et, et, et dans les épisodes (du calme Kevin) y aurait des "scènes" ! Alors si ça c'est pas de la division ça !
- Chaque page correspond à un "épisode".
La précision qui tue, mais raide mort.
- Chaque épisode contient trois à cinq "scènes".
Alors pourquoi, c'est quoi et de toute manière pourquoi j'en aurais besoin, je sais écrire !
- Une scène c'est un truc qui se passe, bouffon.
Ouais donc dans ma page je raconte des choses, j'aurais pu le dire simplement...
- Chaque page a son introduction et sa conclusion.
C'est pas dans mon lexique ça, mais qu'est-ce que j'ai bien pu vouloir dire ?! Oh et puis on s'en fiche.
- La conclusion doit rester ouverte pour le suivant.
Génial, j'ai gâché un post-it pour me dire d'écrire comme j'écrirais normalement. Ah, super mon organisation !

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>Table<

Allez je recommence. "Il..." second brouillon dans la corbeille, ça va devenir une habitude. "Libra", bon mais c'est quoi Libra ? Sans rire, même moi je ne le sais pas, comme si j'avais pris le temps d'y réfléchir.
J'ai compris, encore un post-it :
- Alors dans "Libra" tout se rapporterait au livre.
Ce doit être le genre de phrase qu'un professeur de français raierait au rouge profondément sans que l'élève ne comprenne pourquoi.
- Ce rapport comprend au plus large (secondaire ou accessoire) les médias en général.
Alors traduction vague très vague, ça doit vouloir dire un truc comme reprendre un peu partout le même champ sémantique du livre, adapté à toutes les sauces. Facile, quoi.
- L'univers est divisé en mondes.
- Chaque monde a ses propres règles.
Ouais, se promener sur un fil de fer et en plus jongler avec des boules de bowling.
- Chaque monde a un point commun qui est les Chroniques.
- Les Chroniques sont un monde en soi.
Ah ah ! Mais voyons c'est évident Watson, pourquoi n'y avons-nous pas pensé plus tôt ?
- Tous les personnages présents dans un monde appartiennent à ce monde.
Oui alors ça ce n'est à peine pas prise de tête. Faire passer un personnage d'un monde à l'autre je le voyais déjà moyen - par ce truc des Chroniques, je suppose - mais l'adaptation du type au monde où il arrive, non, 'pas moyen, je 'vois pas.
- Débrouille-toi.
Bon on verra, je suis sûr que chaque monde et chaque personnage aura sa solution.

Allez, je re-recommence.

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>Bureau<

Il replia sa carte, sa grande carte avec toutes les pistes, il replia sa carte sur les cours et toutes les pentes, sur tous les accès. « Bon sang ! » Seulement il n’y avait plus Mannen, il n’y avait plus la rocade et plus même l’intersection, et le désert craquelé par la chaleur comme du papier se confondait au ciel dans sa poussière fumante. On étouffait. Il n’y avait plus Mannen. Il n’y avait plus Mannen et la carte l’indiquait encore et il n’y avait plus Mannen. L’odeur sèche couvrait les corps par plaques. Des carcasses de roche déchirées brûlaient à la manière de torches. Il ne pouvait pas toucher la pierre.
Ce désert, ce monde il l’avait connu autrefois quand une voiture y roulait encore, bien avant. Alors l’aridité vivait d’une vie inimitable, loin de cet aride présent. À peu de distance se détachait le canyon, un sursaut du relief, un froissement. Le canyon, tout ce qu’il en restait, F. le reconnaissait bien. F. l’avait quitté pour une ville abandonnée, ailleurs, jusqu’à ce qu’il trouve cette carte. Ou peut-être n’avait-il rien trouvé. Peut-être la folie comme chez tant d’autres avait eu sur lui raison. Alors la soif n’aurait plus compté et il aurait pu s’écrouler, là ou ailleurs, après avoir marché guidé toutes ces nuits aux contours de la carte. F. ne savait plus s’il était debout sur la pierre, ou sur la carte, ne savait pas si sur ses lèvres morcelées ce qui le brûlait était de la salive, ou bien l’encre de la carte.
« Je ne suis pas fou ! Je ne suis pas fou ! » hurlait-il aux mirages qui l’avaient abandonné. « Je ne suis pas fou ! » parce que la peur était plus facile à cracher sur une face asséchée. Il hurlait et pointait du doigt, il agitait le bras, il agrippait serrée dans son poing la carte : « Là ! Là, il y avait Mannen ! Et là-bas… »
Le désert craquelé se confondait au ciel. La nuit, le ciel était noir. Alors le désert avait gravé sur F. son silence. Après toutes ces années passées à le démentir, c’étaient ses souvenirs qui l’avaient fait revenir ici, où il n’y avait plus d’intersection, et ses souvenirs il y tenait encore, depuis toujours il y tenait pour ne pas dépérir, voilà pourquoi il était revenu à Mannen pour découvrir qu’il n’y avait plus Mannen et qu’il était seul, seul à des kilomètres, laissé seul au cœur d’une immensité infinie, laissé pour vif. Quand cette réalité se fut bien ancrée en lui, quand il n’eut plus d’autre choix que de l’admettre, le besoin millénaire se réveilla en lui, qui l’avait fait quitter la ville, qui l’avait fait revenir, qui le portait toujours plus loin malgré lui héros de sa propre histoire. Il voulut vivre. Il avait de l’eau, quatre outres à son cou et dans deux sacs toute la nourriture qu’il lui restait ; il avait des habits amples faits surtout de draps qui le protégeaient du sable ; il avait encore des semelles à ses bottes, et quand il n’en aurait plus, il le savait, ses pieds marcheraient encore ; enfin F. avait son bien le plus précieux, son seul bien, il avait une carte.
« Il va falloir continuer. Pas le jour ! Jamais le jour ! On attend la nuit. Ah tais-toi ! Je suis fatigué, et puis pourquoi tu es si pressé ? Ici ou ailleurs, c’est pareil. Rien ne change. Rien ne devrait changer. »
Mais c’était faux. C’était faux, F. le savait, F. lui mentait encore une fois. Il se rendit au canyon, tant que la soif ne l’écrasait pas encore, il se coucha sous un creux de la roche, à l’abri, à l’ombre. Sa peau prenait la couleur de l’ombre, à force. Il se coucha et sentit autre chose que de la pierre contre sa joue : c’étaient des branches, cassantes comme du sel, mais des branches. Il allait dire : « Regarde ! » Il avait prononcé ces mots peut-être, puis il eut tous les spasmes des larmes sur son visage asséché, parce qu’il était seul, seul encore une fois, sans cesse seul depuis des années. La vie se déroulait à Mannen, il était parti et maintenant il n’y avait plus Mannen où revenir. F. coucha sa tête sur les outres, puis il serra la carte contre lui pour ne pas la perdre, tout ce qui lui restait, son dernier repère dans le désert entre lui et les autres hommes.
La nuit revint. Tout revint en même temps dès que la pierre cessa de peser, dès que ses yeux s’ouvrirent. « Il faut y aller. » Le prochain habitat serait une maison isolée, ou bien un hôtel, ou bien un manoir. Il ne savait pas. Ce serait plus loin que Mannen, encore plus loin. Il tira une outre, but encore un peu d’eau, pas trop pour ne pas avoir mal.

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>Bureau<

Hors du canyon le désert se couvrait déjà de toute sa noirceur. L’absence de lueurs l’alourdissait, à présent que les lucioles avaient disparu, ni sans débris de verre qui aurait brillé, ni sans un copeau de cuivre pour refléter une improbable lumière ; la mémoire de ces éclats inquiétants qui dessinaient à grands traits un autre monde fait de créatures inhumaines, la collection de ces nuits où durait inlassable une menace imprimée au-delà du simple rêve, cet effrayant passé laissait place à la frayeur plus grande encore de la nuit noire comme l’espace, et faite d’innombrables pistes qui toutes se perdaient ; le ciel lacéré se refermait sur lui-même, chaque soir toujours plus lourd, sans rien offrir que son vide puissant, une gigantesque chape qui donnait envie de s’y perdre et dont ce sentiment constituait le plus grand effroi.
Quand il se retourna F. ne vit plus le canyon ni la trace de ses pas. Il estima avoir marché longtemps mais sans repère, sans rien que des falaises ou des gorges indistinctes loin, très loin de lui, le temps lui sembla figé. Jamais encore le voile épais, comme l’autre face de la journée, ne l’avait tant enveloppé, ni jamais ce voile n’avait tant emprisonné de chaleur. Il suait, il suait dans ses habits de draps amples, incapable de ne pas sentir sous la plante de ses pieds ses semelles bouillir.
« Tout va bien. Tout va bien j’ai dit ! On peut voyager la nuit ! Et tu en sais quoi, hein ? Tu ne fais que me raconter tes histoires. La nuit tout va bien. On peut voyager, ça a toujours été comme ça. »
Parfois pour s’ajouter une compagnie F. dépliait la carte, aussi large qu’il le pouvait, il l’étendait sur tout l’espace avant de craindre qu’elle ne lui tombe des mains. Il ne pouvait pas la lire mais à sa surface, à sa matière, il trouvait son seul repère. Le ciel incolore s’étirait violacé et plein de teintes inconscientes, quelque part dans son esprit, derrière ses paupières, ces mêmes teintes d’autrefois où se concentraient des milliers d’existences, qu’il croyait voir dans le papier, qu’il croyait voir dans le dénuement des sables. L’air s’embrasait bien encore, mais au loin et figé, comme un incendie irréel où l’aquarelle rêveuse de la réalité se serait dissoute ; ce qu’il croyait voir, ses souvenirs de traînées superbes, il le voyait imprégné dans les rides taries d’un brasier, sur le fond même du désert.
Ses pensées s’éloignèrent de lui, imperceptiblement, jusqu’à ce que soudain, il les sente loin de lui et que l’effroi le saisisse. Il cria. Sa voix ne porta nulle part, effacée par la distance. La situation lui revint plus saisissante, face à laquelle il avait cru pouvoir opposer son intelligence en vain tant l’intelligence, la raison, servaient peu contre l’indifférence du sable. Dans sa panique, il ne sut plus s’il faisait ou nuit ou jour. Il désira ardemment, à la frontière de sa volonté, qu’on le livre à ce qui se nommait le plus sûrement folie, plutôt que d’avoir à affronter la vérité.
Ou bien le contraire. Rien n’avait changé, absolument rien, la pierre sous ses pieds restait la pierre, une étendue infinie à sa portée où il pouvait marcher encore. F. se retourna et, violent :
« Je t’ai dit de ne pas t’éloigner ! Tu crois que ça m’amuse ? Hein ! Que ça me fait rire, que ça m’indiffère ? Non ! Et tu es là, et moi je marche, et où est-ce que je vais de toute manière ! J’allais quelque part, je me souviens, j’allais quelque part… »
En même temps F. refermait la grande carte, avec d’infinies précautions qui impliquaient tout un rituel dans lequel se focalisait toute son attention, au point qu’il délaissait le reste par la crainte de rater une étape du pliage.
« Allez, reste. Tu vas te perdre. C’est moi qui ai la carte. Je n’aurais jamais dû accepter que tu m’accompagnes. »
Il reprit sa marche sur les sentiers nocturnes, non sans s’éponger le front avec la manche, et dans les jambes l’impression d’avoir marché plus longtemps que toutes les nuits précédentes, dans le ventre la crainte d’avoir dépassé sa destination, de ne l’atteindre jamais, l’incertitude enfin qui le dévorait comme ses semelles lui mordaient les pieds. De plus en plus la certitude lui vint qu’il ne devait pas s’arrêter, qu’il lui fallait juste marcher encore un peu, encore.

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>Table<

Bon alors voilà. J'ai écrit deux pages, observons ce que ça a donné. Mes deux post-it, ils disaient quoi ?
L'intro' et la conclusion je ne vois toujours pas mais ça doit bien être quelque part, ça viendra avec l'intuition. Tant pis. Les scènes non plus va les distinguer, si ça avait de l'importance on le saurait. Reste à voir le passage entre les deux pages - pile deux pages, je m'en suis bien sorti.

L'intrigue du coup.
Au tout début, j'avais juste "un type avec une carte". Authentique, j'ai un témoin.
Je suis alors parti sur l'idée que les mondes étaient des livres - contenus dans les mondes, pour ceux qui aiment la logique - et j'ai pris un monde typiquement dont le livre avait brûlé. Monde détruit, en flammes, etc...
Ce que je sais de ce monde, c'est qu'il s'agit d'un désert après l'Apocalypse, où face à un réalisme effrayant les survivants se réfugient dans l'imaginaire, avec toutes ses variantes comme la folie, le rêve, la secte... ils peuplent le désert de leurs créations et ces créatures ont une mauvaise tendance à exister.
L'ambiance y est plutôt lourde, plutôt réflexive, assez répétitive avec, normalement, beaucoup de descriptions. J'ai écrit cette ambiance à ma manière, bien entendu. J'en ai profité, puisque je connaissais le monde - un peu - pour y faire quelques clins d'oeil.

Bon mais alors mon intrigue pour le moment c'est "un type avec une carte qui cherche les Chroniques - c'est à peine dissimulé - pour fuir son monde détruit" ce qui, je n'ai pas choisi ce monde pour rien, colle parfaitement à une intrigue qui pourrait s'y dérouler normalement.
Je n'ai rien posé de manière sûre, malgré des tas d'idées. Le personnage n'est pas défini, pas plus que le compagnon à qui il parle, ni la forme de sa destination, ni ce qu'il va rencontrer. C'est la marge que je laisse au suivant (qui a toutes les chances d'être moi).
Par contre j'ai posé une ambiance et une intrigue et il s'agit pour le suivant (dont les chances sont toujours les mêmes d'être moi) de les respecter. La liberté du suivant dépend donc de ce qui précède.
Tiens, ça ferait un bon post-it ça...

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il y a 15 ans 3 mois #15778 par Monthy3
Réponse de Monthy3 sur le sujet Re: Feuilleton - Libra
Quelques questions :

Je n'ai rien posé de manière sûre, malgré des tas d'idées. Le personnage n'est pas défini, pas plus que le compagnon à qui il parle, ni la forme de sa destination, ni ce qu'il va rencontrer. C'est la marge que je laisse au suivant (qui a toutes les chances d'être moi).

Je suppose qu'il est possible :
- D'évoquer un autre personnage, dans un autre monde ?
- Que le compagnon du tien soit un personnage venant d'un autre monde (beaucoup plus de doutes là-dessus car rien ne l'expliquerait...) ?


Bon, je ne gratterai certainement pas 2 pages, mais selon tes réponses, je vais voir ce que je pourrai faire ce soir 8)

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il y a 15 ans 3 mois #15779 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet Re: Feuilleton - Libra

- D'évoquer un autre personnage, dans un autre monde ?

"It was dark, all dark, and I felt like darkness... scrchhhhhhh- Meet John, your average scientist junior as he is on a quest of love with his plastic duck scrcchhhhhhh- Cap'tain cap'tain we need more firepower ! Launch nukes ! scrchhhhhh- Dark stuff scrchhhhhhhh- C'était donc le concerto inachevé en mi majeur de Ruan Markajejan..."

Ce que tu proposes comme question me fait penser au téléspectateur moyen armé d'une télécommande, d'un programme ennuyeux et d'un solide abonnement à cinq cents chaînes.
Je veux bien que nous évoquions un autre monde, avec un autre personnage, mais quand l'évoquer aura un sens. Un peu de linéarité, de continuité et de cohérence ne peut pas nuire à une histoire de mille deux cents pages.
Disons que si tu trouves quelque chose qui remplace le "scrchhhhhh-" par une transition sensée, alors pas de problème. Mais en l'état, à moins de commencer le feuilleton par ton monde, je ne vois pas comment faire. Pas après deux pages d'un type dont on ne sait toujours pas pourquoi on nous en parle.
Moi, en tant que lecteur, je grommellerais (et j'ai déjà grommelé à des cas pareils).

Pour être franc, j'ai aussi peur que le feuilleton devienne très vite un "chacun raconte son histoire de son côté" du type puzzle de cinq mille pièces où il faut déformer chacune avec le pouce pour que ça rentre, je n'irai pas plus loin dans mes comparaisons.
Donc un autre personnage dans ce monde, oui, un autre monde avec le même personnage, vaguement peut-être même si je vois mal comment mais une rupture complète, mon sens de scribouillard fait une croix dessus.

- Que le compagnon du tien soit un personnage venant d'un autre monde

"Mon dieu Jim mon copain imaginaire à qui je parle depuis des semaines en fait tu es un prince voyageur d'une autre galaxie venu semer la zizanie avec tes godasses pleines d'une ambiance d'ailleurs !"

Si le personnage vient d'un autre monde, il est passé par les Chroniques. C'est possible, je ne l'envisageais pas mais c'est possible.
Mais même s'il est passé par les Chroniques, même s'il vient d'un monde totalement opposé à celui-ci, ce personnage appartient à ce monde. C'est-à-dire qu'il n'imaginera jamais venir d'ailleurs, il agira comme un personnage de ce monde, manipulera des objets de ce monde et les Chroniques ne sont pas pour lui un relai de téléportation.
C'est une règle simple qui évite de saborder le monde parce que le médiéviste par excellence doit s'extasier à chaque boutique de turbolasers. Tous ceux qui sont dans un monde appartiennent à ce monde.
Je ne vois donc pas vraiment l'intérêt pour qu'il vienne d'ailleurs.

Pour ma part, je compte faire en sorte que F. rencontre Q. qui sera Quirinal, mon personnage pour le feuilleton. C'est un médecin, dans ce monde je l'imagine donc comme un prêtre d'une secte quelconque.
Il est possible qu'avec Quirinal je fasse quelques clins d'oeil à son monde mais jamais plus. Autrement, il agira 100% comme j'imagine qu'il agirait dans ce monde, s'il avait été créé pour.
Je ne retrouverai mon médecin qu'une fois de retour dans le monde de Chimio' et ça, ce n'est pas avant longtemps.

Mais si tu veux une bonne nouvelle, j'espère en finir avec ce monde d'ici à la dixième page, ne serait-ce que parce qu'il est censé être au bord de la destruction.

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il y a 15 ans 3 mois #15781 par Monthy3
Réponse de Monthy3 sur le sujet Re: Feuilleton - Libra
Tes explications éclairent un peu plus le projet - et j'y adhère totalement. J'essaierai donc (non, je le ferai, allez !) d'écrire ce soir quelques paragraphes, si tu m'en laisses le temps 8)

Et le personnage dont je me servirai (enfin, celui que je transposerai et dont nous nous servirons) sera Vlades Jan, dit Vlad, devin génial et (car) perpétuellement drogué de l'Echiquier. Si donc tu as l'occasion de l'introduire (en tant que voyant, je suppose, ou éventuellement prédicateur (vindicatif)), n'hésite pas. ;)

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il y a 15 ans 3 mois #15783 par Monthy3
Réponse de Monthy3 sur le sujet Re: Feuilleton - Libra
***

Des songes, ce n’étaient que des songes… Ce sable qui enfouissait les pas et masquait toute trace, et lui qui s’énervait devant, qui pestait – qui tremblait. Ce monde n’était qu’une nuit opaque, un océan encré où P. peignait ses rêves.
Il n’y avait qu’un contact, ces grains inépuisables qui s’envolaient derrière eux. Il imaginait le vent tourbillonner derrière eux en emportant leurs souvenirs – lesquels ? Mannen ? Des rocades, des véhicules, du bruit… Ce n’était qu’une abstraction de plus, un récit à inscrire dans son esprit fiévreux. Mannen représentait la vie et ne représentait plus rien, aujourd’hui. Simplement un passé peu à peu effacé.
Parfois, P. laissait F. le distancer. Les bruissements s’étiolaient dans le vent et P. aimait imaginer que cette fois-ci, c’était lui que le sirocco balayait de la face du monde. Quelques traits violents, une rature, et il s’évanouirait, comme ça, sans un son, comme il avait vécu. Rien n’avait jamais eu de sens. Les mots ? Il ne pouvait que les entendre ou les modeler. Amputé de moitié, demi-gamin au cerveau grotesquement développé dont les circonvolutions étaient sans cesse parcourues de visions fantasmagoriques, il attendait au milieu du désert et tentait de créer un monde cohérent sans jamais en avoir pu observer un seul.
Et puis, invariablement, il entendait F. maugréer plus loin, le héler, trop craintif de se retrouver seul avec sa folie – sa carte mensongère. Incapable de s’en détacher, incapable de se déconnecter enfin de cette réalité qui n’était plus la leur. Sa démence était trop crédible pour être honnête. Ce n’était même pas une échappatoire, simplement une nécessité, comme si la santé d’esprit avait été supposée bannie de ce monde et qu’il fallait s’y résigner alors même que l’on savait la fausseté de la chose. F. jouait avec sa personnalité – il jouait avec le feu qui asséchait le sol, prêt à se consumer dans les ultimes élancements de la terre.
Mais, pour P., c’était différent. Il acceptait avec soulagement les bouleversements qu’il avait tant et tant appelés de ses songes, dans l’espoir de sentir enfin autre chose. Dans son crâne difforme, les idées dansaient et s’entrecroisaient, se teintaient de chaudes teintes inventées par lui. S’il avait pu observer le paysage, à mesure qu’il avançait sur les traces inexistantes de son compagnon, P. aurait pu découvrir avec ravissement que ses couleurs personnelles se reflétaient partout, sur les dunes pourtant voilées de nuit et sur les quelques pousses rachitiques, du rouge, du jaune, du feu à l’intensité inconnue des rationalistes. Tournait-il sont regard aveugle vers un squelette desséché ? Alors ses orbites se gonflaient d’un sang vif, ses os se gorgeaient d’une chair d’un rose clinquant et d’entre ses dents érodées jaillissait une gigantesque langue de velours rouge qui déroulait son tapis jusqu’aux pieds de l’enfant.
Dans les ténèbres insondables, les yeux blancs de P. étaient plus clairvoyants que le regard anxieux que F. ne cessait de poser sur sa carte si soigneusement pliée. Le monde s’adaptait à ses absurdes créations – mais, aussitôt après, le vent soufflait de plus belle et emportait ses œuvres, dans un autre néant, vers les cendres d’autres infirmes.
Ils passèrent la nuit à marcher, sans autre point commun que leur aveuglement commun. P. souffrait en silence, épuisé par ses fantasmes, le corps plié sous le poids de sa tête hypertrophiée. Il continuait cependant, il marchait et marchait encore au son de la voix de F., désireux de sentir, toujours, encore, autre chose, après la consomption des derniers arbustes rabougris – soucieux de connaître la suite de l’histoire.
Prêt pour cela à l’inventer, même s’il n’était pas et ne serait jamais conscient de le pouvoir.
Après tout, plus rien n’avait de sens.

* * *

Une page et une seule scène pour ma part, tu m'en vois navré (mais, de toute façon, je doute que ce soit motivant d'enserrer les interventions dans un carcan tel que tu as pu le présenter).
Donc, je suis resté discret. Je te propose un enfant aveugle et muet, au cerveau hypertrophié, que je n'ai pas plus baptisé que le personnage que tu as introduit. Libre à toi, évidemment, de le faire.
Je ne t'ai pas vraiment donné de cadre pour la suite, peut-être aurais-je dû ? En tout cas, j'ai pris en compte tes remarques pour le monde et ai imaginé, de façon très classique, un personnage qui pourrait éventuellement le modeler - à toi de voir ce que tu veux en faire.
Tu noteras aussi les incessants rappels au vent. Là encore, c'est une ouverture, mais cela ne peut être aussi qu'une invention du gamin.

Au suivant !

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il y a 15 ans 3 mois #15787 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet Re: Feuilleton - Libra
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Mmmmmh... de nous deux, je suis définitivement le plus navré, pour une raison qui je le crains devrait t'être désagréable.
Pendant que tu écrivais une page, j'en ai écrit huit.

Laisse-moi te parler de ce que j'ai fait, puis je voudrai aborder avec toi de ce qu'il conviendrait de faire ensemble.
Je vais publier les pages dans un autre message, pour consultation, mais il n'est pas nécessaire que tu les lises (il y en a beaucoup, quand même). Alors, si j'ai ton attention...

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>Table<

J'ai passablement expérimenté, je veux dire que j'ai testé les possibilités et contraintes du feuilleton. Comment le dire ? Tout est encore au stade du brouillon, de l'ébauche. L'organisation laisse beaucoup à désirer.
J'ai donc bûché.
Je pense que tu devrais prêter une grande attention aux remarques qui en découlent :
- Il faut donner un titre à chaque page,
- Il faut donner le titre du chapitre après-coup,

Je sais, c'est trivial. Mais le plus important vient maintenant :
- Il faut se mettre d'accord sur une étape à atteindre,
- Il faut indiquer les scènes que, suivant l'étape passée et l'étape à venir, nous voudrions voir apparaître,
- Il faut pour chaque page écrite donner en résumé ce qu'on voulait y faire et les scènes qu'elle contient,
- Il faut pouvoir modifier ou demander de modifier le contenu écrit tant qu'il n'a pas été publié.

J'ai peur d'avoir révélé trop tôt mes expérimentations, et de t'avoir entraîné un peu trop vite dans une histoire encore mal maîtrisée.

Laisse-moi appliquer ces remarques pour les huit pages que j'ai écrites.

Étape : Je voulais simplement que mon personnage, Q. (Quirinal), rejoigne les Chroniques et quitte ce monde.
Remarques : Pour y arriver, j'ai repris un monstre de ce monde, renommé Megereve, un dévoreur de rêves (et de n'importe quoi en fait) qui ne se prend pas au sérieux mais, dans la nuit, est tout-puissant. Je voulais que F. et Q. l'affrontent.
J'ai aussi cherché, tout du long, à ne pas spécifier qui était le compagnon de F., que j'appelle inconnu.


Suivent les descriptions de mes huit pages :

Page 3 : Je voulais que F. découvre une tombe avec marqué dessus "18".
Scènes : "Il parle beaucoup à inconnu" - "Il s'arrête parce qu'inconnu a lu 18" - "Il découvre la tombe marquée 18" - "inconnu lui demande ce que c'est, il dit que ce n'est rien" - "il a en tête l'image d'un corps (cadavre) hantant le désert"

Page 4 : Je voulais que F. rencontre Q. (Quirinal).
Scènes : "Il tombe au bas d'une pente." - "Il confond inconnu avec le corps (cadavre)" - "Il se relève et boite." - "Il voit la lumière d'un feu." - "Il rejoint Q. sans savoir encore qui c'est."

Page 5 : Je voulais que Q. en discutant avec F. introduise Megereve (le méchant).
Scènes : "Q. est un prêtre pour qui Mannen et le jour ont été dévorés." - "Il lit à F. l'histoire de Megereve." - "Il avoue avoir livré dix-huit habitants à Megereve." - "Il convainc F. de l'accompagner." - "F. et Q. devinent la présence d'inconnu dans le noir."

Page 6 : Je voulais que F. et Q. aillent quelque part (oui, à ce stade...)
Scènes : "Ils partent." - "Ils arrivent dans une forêt pétrifiée." - "Q. n'a aucune idée d'où il va." - "Q. repère inconnu qui les suit et s'en prend à F." - "Leurs torches s'éteignent et ils s'enfuient en se suivant à la voix."

Page 7 : Je voulais que F. rencontre Megereve.
Scènes : "Ils arrivent devant le bâtiment des Chroniques (de ce monde)." - "Megereve apparaît, une masse sans forme dans le noir." - "F. s'enfuit mais est rattrapé par Megereve." - "Megereve lui parle comme à un ancien compagnon." - "F. lui ordonnait par le passé de dévorer ses cauchemars, tout ça à cause d'un journal." - "Inconnu va combattre Megereve et F. peut s'enfuir."

Page 8 : À ce stade j'ai dû gagner du temps, pas vraiment d'objectif.
Scènes : "Q. avait le journal, il l'a perdu et désespère." - "F. le rejoint, ils se disputent tant que le combat dure." - "Le combat cesse." - "Q. apprend que F. a la carte, F. a peur que Q. la lui prenne." - "Megereve met tout le monde d'accord en se jetant sur eux."

Page 9 : Là j'ai décidé d'exercer le pouvoir de Libra.
Scènes : "Q. écrit "non" dans le sable, ils se font avaler." - "Inconnu revient avec une lanterne et les sauve." - "F. et Q. se disputent pour la carte (oui c'est bête)." - "Inconnu théoriquement dévoré, F. s'empare de la lanterne et affronte seul Megereve." - "Q. abandonne F. et atteint la porte."

Page 10 : Q. retourne enfin aux Chroniques et redevient ce bon vieux Quirinal.
Scènes : "Q. regarde F. agoniser." - "Megereve annonce à Q. qu'il reviendra pour la carte et le journal." - "F. s'enfuit, Q. voit encore passer devant lui le corps (cadavre) qu'imaginait F. puis ferme la porte." - "Quirinal de retour aux Chroniques trouve fâcheux que Megereve soit à leurs portes et veut retourner en bibliothèque."

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>Table<

Soit, qu'avons-nous ? J'ai écrit égoïstement dans mon coin dix pages, alors que nous avons ta troisième page qui attendrait d'être insérée. C'est quand même l'esprit du feuilleton.
Mais je crois, et c'est sans doute mon égoïsme qui parle, qu'il vaut mieux conserver mon bloc de dix pages, et que tu reprennes à partir du retour des Chroniques.

Si tu es d'accord (si tu n'es pas d'accord, je t'écoute),
j'aimerais que nous nous entendions sur la prochaine étape et ce que nous imaginerions de voir apparaître entre deux.
Je te rassure, TOUT DE SUITE (excuse les majuscules), je ne te réécrirai pas de nouveau dix pages comme un poignard dans le dos. En tout cas pas tant que tu ne m'auras pas donné ton feu vert.

Pour la prochaine étape, depuis le retour aux Chroniques, j'aimerais pouvoir introduire Libra. C'est-à-dire, que les chroniqueurs (ceux qui voyagent par les Chroniques) découvrent au moins un livre aux pages blanches leur donnant un certain pouvoir sur les mondes qu'ils visitent quand ils écrivent dedans.
Idéalement, j'imagine les Chroniques, pour eux, comme une sorte de grand puzzle, un de ces châteaux-énigmes dont toutes les portes ne sont pas encore ouvertes et qui, pour leur être familier, ne leur est pas entièrement connu.
Voilà la direction dans laquelle j'orienterais le feuilleton.

J'aimerais, à dire vrai, que tu reprennes le passage où Quirinal revient aux Chroniques (fin de la page 10), que tu le réécrives en introduisant ton propre personnage. En effet, à mon avis, la transition est plus simple si quelqu'un est là pour l'accueillir.
Dans mon esprit, Quirinal revient très détaché de ce qu'il a vécu (il n'est plus Q.), fâché de n'avoir pu récupérer ni livre ni journal ni carte (je ne sais à dire vrai pas pourquoi mais c'est important) et que ce fameux monstre, Megereve, soit aux portes des Chroniques (ce qui est une menace, quoique vague).
Je comptais aussi que Quirinal se rende en bibliothèque pour pouvoir décrire le manuscrit du monde exploré ces dix dernières pages, manuscrit en partie brûlé (bah oui, la chaleur).
À ce titre, je n'ai toujours aucune idée de comment les chroniqueurs se déplacent des Chroniques aux mondes explorés. Si c'est en ouvrant un livre, en écrivant eux-mêmes ou en passant la porte (comme le fait Quirinal). À mon avis, tout se vaut, à toi de choisir.
Il est entendu que tu peux faire agir et parler mon petit bonhomme de Quirinal à ta guise. Au pire, je râlerai derrière si tu les déformes trop.

J'imagine que tu as plein de questions, de remontrances ou du moins j'espère que tu en as. Si je n'ai pas trop laminé ta motivation, j'aimerais ouvrir la discussion.
Suivent pour consultation les huit pages (que non, à ce stade, je ne compte pas mettre sur un autre sujet).

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il y a 15 ans 3 mois #15788 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet Re: Feuilleton - Libra
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>Bureau<

Pouvait-ce être cette nuit ? F. marchait la peur au ventre, sur une piste qu’il ne connaissait pas, l’une des pistes innombrables que traçaient les ombres. Tant qu’il distinguait au loin les vagues élévations, les collines rases, les basses montagnes, tant que se dessinait pour lui un horizon, alors la nuit lui paraissait encore familière. Quand ces lignes disparurent et que le caractère vide du voile sombre s’inscrivit profondément dans le désert, quand ce vide s’empara de lui, F. se crut perdu. Il pressa le pas. Il parlait.
« Suis donc ! Ne traîne pas ! C’est toi qui étais pressé avant ! C’est à cause de tes histoires. J’aurais dû être à Mannen, j’aurais été tranquille là-bas. Je ne serais pas au milieu de nulle part. Je ne suis pas perdu ! Je vais par là. Je ne voulais pas mais c’est à cause de toi. Tes histoires, mais quelle idée en même temps, tu racontes parfois n’importe quoi. »
Rien ne lui répondait, pas même sa propre voix qui faiblissait, sensiblement. Il s’obligeait à parler fort pour s’entendre, pour s’assurer de porter loin, il criait parfois sans le vouloir. Rien ne lui répondait, rien derrière lui, il n’entendait rien à part la foulée légère.
« Et pourquoi il fait si chaud ? C’est de ta faute, tout est de ta faute. J’avais une vie bien réglée. J’étais tranquille. Le désert veut me tuer. Ne démens pas tu le sais ! Le désert veut nous tuer tous. Il attaque même la nuit. Cette chaleur ! Ne t’arrête pas ! »
Malgré sa propre fatigue, F. s’obligea à accélérer. Il sentait les outres et les sacs battre, les lanières tirer, frotter sur son épaule comme si elles lui ouvraient la peau.
« Ne t’arrête pas ! Quoi, quoi dix-huit ? »
Il s’était arrêté. F. se retourna ; il lui sembla distinguer comme des taches diluées qui étaient la pierre et que la nuit oblitérait. « Où ça, dix-huit ? » Il fouilla avec ses mains le vide, toucha la roche, qui était chaude. Beaucoup de cailloux s’entassaient, là, sur la fine pellicule de sable et il n’y avait pas de sable sur ces cailloux-là. Il les parcourut des doigts, sur toute leur étendue. F. mesura la longueur d’un homme couché, légèrement plus, et la largeur d’un homme couché, légèrement plus. La masse des cailloux enfin mesurait la hauteur d’un homme, s’il avait été couché, plus leur propre épaisseur. F. retira vivement ses mains, pour ne plus voir que les taches qui prenaient un aspect trop concret, trop précis, de ce lit de pierres. Il s’approcha encore, pour toucher un gros rocher en un bout de ce lit, il passa sa paume sur la face la plus plate et sentit gravés dessus deux chiffres.
« Dix. Dix-huit. »
Il s’était accroupi, un genou frôlait l’entassement, lui-même s’était penché par-dessus et se figeait, alors que le nombre passait ses lèvres. Encore ce nombre, encore dix-huit qui le poursuivait. Et ce murmure qui lui demandait ce que c’était. Il demandait ce qu’était ce lit de pierres, ce que c’était, pourquoi c’était là, s’il savait ce que c’était.
« Ce n’est rien. Allez viens, tu vois bien, ce n’est que de la caillasse. Allez ! »
Aussitôt ses mains se détachèrent de la tombe, aussitôt il se dressa en arrière, recula de quelques pas jusqu’à ce que même ces taches indistinctes disparaissent, puis il ouvrit la carte et tourna la tête pour chercher une direction. Son doigt pointa devant lui, il sut que son doigt tremblait, que son bras tremblait à cause de l’émotion.
Encore une fois F. avait menti. Il savait parfaitement qui se trouvait sous cette tombe, il le savait, seulement il ne voulait pas l’avouer même à lui-même. Le sable la recouvrirait, de cela il était persuadé. Le sable conserverait la tombe mais l’enterrerait si profondément qu’il ne la verrait plus jamais. Alors il mentait, même à lui.
« Il devrait faire, bientôt faire jour. Depuis combien de temps marchons-nous ? Je suis fatigué, vivement le jour. Mais il ne faut plus s’arrêter. Allez dépêche-toi ! »
Ses manches aussi disparaissaient dans l’obscurité. Il n’était plus sûr de rien. Il marchait dans le vide, aussi loin que ses forces pourraient le mener. Malgré l’eau, malgré les rognons de pain, il sut qu’au jour tout serait fini. Seulement la nuit l’effrayait. F. aurait tout donné pour une lueur, rien qu’une de ces lueurs qui avant hantaient ses cauchemars. Il imaginait la tombe ouverte. Sans le vouloir. N’importe quelle lueur pour ne plus le voir.

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>Bureau<

L’image le poursuivait, l’image de la roche renversée, de la tombe sans corps, d’un corps qui hantait le désert. F. marchait, il marchait encombré de ses outres et de ses sacs comme autant de fers. Cette idée du corps seule le hantait, sinon rien, rien que du vide puissant, ce vide qui l’effrayait.
Il ne vit pas la pente.
Son pied ne trouva plus d’assise, il s’encoubla, il chercha encore un équilibre fragile avant de rouler bas sur la pente parmi les rochers. Ses bras, sa tête, tout son corps s’endolorit, il y eut du sang peut-être, il ne voyait rien. À la fin de sa chute, il se trouvait sur le dos et comme assis, et incapable de se relever. Sa jambe gauche, il la sentait, elle était posée à même la pierre car l’habit s’était déchiré. La droite, il pensait la sentir bouger et ne voyait rien. Mais ses bras surtout, ses bras semblaient des membres étrangers, de la chair où le sang manquait.
Un bruit d’éboulis sur la droite lui fit tourner la tête. Les pierres tombaient encore, de ce côté-là, comme un effet de la chute ou comme quelqu’un qui les manipulerait. Il prit peur. L’image du corps qui hantait le désert s’imposa à lui effrayante. Pouvait-ce être cette nuit ? Il n’osa plus faire de bruit, plus le moindre. F. retint son souffle. Quelques secondes s’écoulèrent, sans bruit, absolument sans bruit aucun, dans le vide. Puis quelques pierres roulèrent encore. Puis il entendit, à peine audible, une infime respiration qui trahit sa présence.
« C’est toi ? »
Elle lui était familière. Le bruit se rapprocha, il se trouvait au-dessus de son bras et les pierres roulaient les unes après les autres.
« C’est toi ? Dégage mon bras ! Dégage-le ! Je ne sens plus rien. J’ai mal. »
Les pierres roulaient puis il sentit son sang fourmiller dans le bras, la chair redevenir sa chair, l’image du corps s’éloigner dans le vide. « L’autre bras maintenant ! » Et les pierres roulaient, le sang revenait, il dut serrer les dents pour ne pas crier de douleur, il cherchait à bouger ses doigts quand un contact froid le toucha, un contact glacial comme la mort.
Il n’y eut plus de bruit, plus aucun. À nouveau, il retint son souffle, quelques secondes, mais son cœur battait trop vite. Il expira. Ses bras dégagés, F. put retirer des pierres de son torse. Le sable avait déjà empli son habit de draps, et l’avait déchiré aussi facilement que du papier. Il se releva, sentit sa jambe qui le tirait. Il devait être couvert de plaies.
« Tu es là ? Je peux marcher. Je boîte, ce n’est rien. Tu aurais pu m’avertir, tu n’as pas vu venir la pente ? »
À peine debout, son premier geste fut pour retrouver la carte. Elle était restée dans sa poche, la grande poche intérieure de son habit de draps. Il la tâta, sans trouver le moindre dommage. Alors F. s’apaisa. Il crut même la distinguer, et en effet, la distingua. F. vit la carte, ses contours, sa texture, et ses doigts plaqués par le sable qui la tenaient.
Ils se trouvaient dans un ancien lit de fleuve, où avaient roulés de gigantesques blocs détachés de la montagne, ainsi que les sédiments, sur toute la distance jusqu’au vide de l’océan. Il se trouvait dans ce lit à sec, devant l’un de ces blocs dont les contours se détachaient péniblement des ténèbres, et d’où montait, à peine discernable, les premières fumées d’un feu. F. boita sur la pente raide, grimpa jusqu’à son sommet. Un homme ajoutait des branchages secs à son feu, un homme assez vieux et rabougri dans un complet d’avant le désert, en loques. Il le distinguait mal même avec les flammes près de lui.
« C’est un homme ! » souffla-t-il. « Tais-toi ! Je me fiche du danger, c’est un homme ! Moi, j’y vais ! »
Il se dressa, il descendit la pente de sédiments mêlés aux roches et s’étonna que l’homme ne le vit pas avant qu’il n’atteigne le feu. Soudain l’homme se dressa, prit un lourd bâton rencogné, dur comme du basalte avec lequel il menaça F. Ce dernier tendit une outre.
« J’ai de l’eau ! J’ai de l’eau ! »
L’homme regarda l’outre, l’attrapa, y but et se rassit devant le feu. F., soulagé, prit place à côté de cet homme et l’observa de plus près, au travers des flammes.

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>Bureau<

Une odeur infecte d’herbes macérées s’échappait de l’inconnu. Il portait une barbe épaisse, blanchie par le désert, qui s’opposait à son front dégarni. Les rides couvraient son visage, au point de rendre à ses yeux l’aspect de deux minuscules éclats. Au travers des flammes, l’homme se fit sensationnel. Il se tenait rabougri, dans une pose de sorcier. C’était un sectaire, un prêtre sans doute.
F. comprit qu’il était menacé. Mais sa fatigue, le vide, le désert, l’image du corps, la solitude surtout le poussaient à toutes les compagnies.
« Vous avez un nom ? »
L’homme lui répondit presque par un aboiement : « Es-tu seul ? » F. opina de la tête. « Tu mens. Les gens ne voyagent jamais seuls, dans le désert. Quand on est seul, on devient fou, on se met à imaginer. » Il s’appelait Q., c’était bien un prêtre. Peut-être l’avait-il connu, voilà des années, à la ville.
« Tu viens de Mannen ? »
« Mannen n’existe plus. »
« Alors Megereve l’a mangée. »
Jamais F. n’avait entendu parler de Megereve. Il fut surpris de la réponse, qui lui parut pourtant la plus rationnelle, et se surprit à l’accepter.
« Qui est Megereve ? »
« Attends. » Le prêtre tira à lui deux livre, un petit plat et rouge et un autre épais et sur le petit rouge il était écrit « feste » presque effacé. Le prêtre ouvrit le second. Il tira de minuscules lunettes, feuilleta puis lut à haute voix : « Il vainquit Megereve, et ce fut la fin du combat, et Megereve se contenta des étoiles. Mais il possédait les étoiles comme le désert. Les étoiles lui parurent froides, alors Megereve fut attiré par les créatures du désert. Il happa l’espace, il happa le ciel et croqua dans la pierre une large part. Megereve dévore les égarés. Megereve dévore les errants. Megereve dévore l’esprit des hommes et si l’esprit manque, alors il dévore l’homme. Seule la raison la plus froide peut s’opposer à Megereve. Il est le vide. »
Le prêtre coupa là, en pleine emphase, pour peser de ses yeux rougis telles des braises sur l’esprit de F. comme une presse. « Tout ça est fantaisiste ! » Mais F. ne trouva aucun réconfort dans sa voix.
« Crois-tu ? J’avais averti les gens de Mannen, pourtant. Ils cherchaient la raison, nous écartions les égarés, nous les livrions à Megereve. Dans le désert. Tu n’es pas un égaré ? Non, je me souviendrais de toi sinon. Je me souviens de chacun d’eux. Dix-huit. »
« Combien ? »
« Dix-huit. Ou dix-neuf peut-être. Mais toi, tu n’as pas leur regard, toi, tu raisonnes encore. Mais tu vois, il y a toujours cette maudite voix dans la tête, cette faille ouverte par Megereve, et les gens de Mannen n’ont pas réussi à s’en débarrasser. »
« Mais le jour, on ne risquera plus rien ? Le jour le désert est calme ? »
« Le jour ? » Q. partit d’un rire maniaque. « Il n’y a plus de jour ! Ne vois-tu pas ? Megereve l’a mangé ! J’avais averti les gens pourtant, je leur répétais de raisonner mais rien à faire. Mais, » et il s’avança presque au-dessus des flammes, avec l’air sombre, « ce n’est pas ça qui m’inquiète. C’est la chaleur. Les textes ne parlent pas de la chaleur. »
Et Q. brandissait l’épais livre qu’il avait lu, tandis que l’autre traînait dans la pellicule de sable. Au travers des flammes, Q. paraissait terrible, un paquet d’os garni de peau que les rires secouaient. Il toussa.
« Partage ton eau, partage ta nourriture et je te protégerai de Megereve. Mais tu devras m’obéir. De toute manière, tu n’as pas le choix. »
Un éboulis de pierres les surprit. Ils tournèrent tous deux la tête du côté de la pente, que la lumière n’atteignait pas. F. serra de ses deux bras sur sa poche la carte, par crainte que Q. ne voie au travers du drap. Ils attendirent, quelques secondes, et comme rien ne bougeait, tous deux s’apaisèrent. Mais F. sentait parfaitement la présence tapie dans l’ombre, près d’eux.

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>Bureau<

F. accepta le marché. Il ouvrit un sac et offrit sa nourriture à Q. qui s’en empara avidement. Il regarda le prêtre, dans son complet en loques, dévorer la chair et les rognons de pain. Le prêtre avait des dents jaunies, presque noires. Il n’était pas sûr de croire à Megereve, mais la nuit durait et la présence de ce feu, de cet homme, le rassuraient plus que le vide.
« Il faut partir. Maintenant. »
Le prêtre rendit le sac vide, dont F. se débarrassa. Il traîna ses affaires dans une valise de voyage, dont il ferma les verrous, puis s’appuya sur son bâton et voyant que F. boitait : « Il va falloir marcher longtemps. » Le prêtre ramassa ensuite une des branches sèches, épaisses, qui brûlaient, et la tendit à F. en guise de torche. Il fit de même pour lui, puis jeta du sable avec ses chaussures. La lumière se réduisit dramatiquement. Ils voyaient à peine le bout de leurs torches. Le bois à sa main endolorie avait le contact de la pierre chaude.
« Je suivais la rivière mais maintenant que tu es là, on va aller au nord. Parce qu’il ne faut jamais être seul, quand on voyage. »
Tous deux gravirent les pentes, avec peine, jusqu’à trouver une coulée de sédiments qui les fit sortir du lit. Alors le désert plat s’offrit à eux, interminable. F. fit pendre la torche à ses bottes pour les voir couvertes de sable. Il chercha la lueur de Q. qui s’avançait, presque trop vite car sa flammèche n’était plus qu’un point brillant.
Leur marche dura des heures. À tout moment F. guettait derrière lui, et au-dessus de lui, en espérant revoir le jour, pour voir seulement s’abattre le vide effrayant sur lui et sur le prêtre. Il butait sur quelques cailloux, mais autrement, plus rien ne gênait sa marche. Toujours la présence l’oppressait, à peu de distance, tout près, si près qu’elle aurait pu se serrer contre lui et le toucher d’un contact glacial. Il craignait que Q. ne s’en aperçoive.
« Fais attention aux branches, et que ta torche ne s’éteigne pas ! »
Déjà ses bottes cassaient les branchages sur son passage. Il dressa le bras en avant pour sentir venir les troncs et les ramifications, pour les éviter. Certaines se décomposaient au toucher. La torche de Q. évoluait par spasmes, virevoltait et parfois un corps la cachait, provoquant aussitôt la panique de F. qui luttait derrière. Ils entendaient chacun le bruit que faisait l’autre en marchant sur la flore morte. Malgré sa jambe qui boitait, F. rattrapa le prêtre.
« Où sommes-nous ? » souffla-t-il à sa hauteur.
« Là où ne va pas Megereve. La logique. Le lit de rivière était logique, cette forêt aussi. Nous pouvons y voyager à l’abri. Méfiez-vous des pistes. Il les connaît toutes. Il les garde. Nous dressons entre nous et lui une barrière de logique pure. »
Ralenti par ses pensées, F. fit un effort désespéré pour se persuader que le prêtre n’était pas fou. Il voyait la lueur de Q. s’éloigner de lui et retrouvait dedans sa crainte des créatures nocturnes. Q. ne savait pas où il allait. Voilà la pensée qu’il rejetait vainement loin de lui, la pensée contre laquelle il luttait et qui s’imposait, qui ne devait pas s’imposer pour qu’il puisse rester avec le prêtre.
Soudain ce dernier le saisit au bras. Aussitôt F. se tétanisa. Ils écoutèrent tous les deux et dans les instants qui suivirent leur arrêt, tous deux entendirent clairement les branches casser, très près d’eux, à portée de main.
« Vous ne voyagiez pas seul, n’est-ce pas ? » Sa main se serra sur le bras de F., d’une force qu’il n’avait pas soupçonnée chez Q. « Débarrassez-vous en. Il va attirer Megereve, débarrassez-vous en ! » Le prêtre prenait des accents effrayés, rageurs, il secouait le bras pour obliger F. à bouger.
Leurs torches furent soufflées. Alors l’image invincible du corps hantant le désert le frappa si vivement qu’il porta la main à son visage. Le prêtre lâcha son bras, trop vite pour qu’il ne le rattrape. « Ne me laissez pas ! » Il se retrouvait seul dans le vide, il se plaqua contre le tronc d’un des arbres. Une émotion folle le faisait paniquer, lui enlevait le contrôle de son corps. Mais le prêtre l’appelait, au loin. « Suivez ma voix ! » F. se précipita dans cette direction.

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>Bureau<

De terribles fracas bouleversaient la forêt du désert. Les branches pliaient, s’ouvraient, s’écornaient au passage des deux hommes. Ils mimaient une course que leurs deux corps, l’un trop vieux, l’autre boitant, ne pouvaient plus soutenir. Le bruit seul les guidait. Déjà le terrain prenait un angle en montée, couvert de troncs toujours plus serrés, cimentés à la roche et qui s’enchevêtraient. La flore avait l’aspect de buissons, d’épais buissons dont les extrémités les plus fines à l’aspect d’épines se brisaient sans peine, des masses entrecroisées comme de la fibre et qui dans le noir n’avait plus de couleur, seulement leur surface rugueuse et sèche, et insensible, jusqu’à ce que la pente s’aggrave et que ces buissons eux-mêmes perdent leurs branchages, pour devenir comme des forêts d’ajoncs serrés, qui à leur tour se dégradèrent quand les deux hommes les franchirent.
Ils s’appelaient sans cesse, lui, boitant, d’un ton suppliant et lui, épuisé, une colère tremblante dans la voix. Derrière eux allait leur poursuivant, moins vite qu’eux mais plus sûrement, dans moins de bruit, comme si lui pouvait percer les ténèbres environnantes et ainsi éviter la végétation. Il les rattrapait tantôt, et quand les troncs se dégageaient, ils perdaient en distance. Mais les deux hommes n’écoutaient pas le bruit derrière eux. Ils n’écoutaient que leur vacarme et leurs voix qui se cherchaient.
L’un atteignit le sommet, quand il y fut il bascula de fatigue et se rattrapa à quatre pattes, pour avancer encore, hors d’une piste dégagée dans la couche de sable qu’il devinait sous ses doigts. À un peu plus de cent mètres, une moitié du bâtiment émergeait des sables. Il sembla que le bâtiment se détacha du vide, si bien que ce premier le vit en se relevant. Cela ressemblait à un mirage, un oasis irréel dont les bords indistincts trembleraient sous une tempête invisible jusqu’à disparaître, et en certaines parties ces bords n’existaient plus. « Par ici ! » L’autre le rejoignit, hagard.
Devant eux cependant se fit sentir une masse, une masse qui ne cessait de grandir. Elle commença à recouvrir le bâtiment, le fit disparaître, grandit et les deux hommes sentaient que cette masse grandissait devant eux. Ce n’était pas humain.
« Megereve ! »
Le prêtre avait perdu toutes ses couleurs. Il chercha de ses deux mains tremblantes son compagnon juste à côté, sans le trouver. F., en entendant la voix du prêtre, avait reculé d’un pas, et mit une distance avec le prêtre qu’ils ne pouvaient plus franchir. La masse se rapprocha de lui, sensiblement. C’était un monstre, un monstre de cauchemar, qui s’étendait tout autour de lui tentaculaire, qui ouvrait la gueule et quand il l’ouvrait, la réalité même y semblait absorbée, il s’y créait un vide tel que le vide de la nuit n’était plus rien. F. prit la fuite, emporté par une pulsion si forte que sa jambe boiteuse retrouva toutes ses forces. Il entendit le prêtre hurler son nom, avec la même colère. Tous les bruits s’amplifiaient démesurément.
Quand il crut l’avoir semé, l’homme sentit sa jambe l’élancer tant qu’il dut mordre sa lèvre pour ne pas hurler. Alors l’image s’imposa. L’image, l’image effrayante du corps hantant le désert, cette image apparut devant lui et quoi qu’il fît, il ne put pas la chasser. Alors Megereve reparut devant lui. Il allait être broyé et englouti, il le savait mais la vision du corps l’effrayait trop pour qu’il réagisse. La voix était rauque, sèche comme la mort.
« Tu ne veux plus le voir, c’est ça ? Moche, hein, ce corps, ça fait tache dans le désert. Eh, pas de problème ! Je vais le dévorer pour toi. Je les dévorais tous, tu te rappelles ? Le bon vieux temps. Ca fait combien déjà ? »
« Dix-huit » articula F., « ça fait dix-huit. »
« Dix-huit ans déjà ? Non, c’est trop long. Mais ne t’inquiète pas. Je vais dévorer ce corps. Je vais dévorer toutes tes créations. Tout est à cause de ce journal, c’est bête de laisser traîner ce genre d’ouvrage. »
Il ne termina pas. F. entendit le bruit d’un combat, près de lui, le cri de rage de Megereve puis le combat s’éloigna. Il vit le bâtiment dégagé devant lui. Il courut.

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>Bureau<

Q. avait déjà rejoint le bâtiment à moitié enfoncé, détruit par le temps, délabré. Il n’était qu’à quelques mètres d’une porte autrefois en hauteur, dont la passerelle suspendue avait été brisée et absorbée par le sable. Dans l’obscurité, le prêtre ne distinguait rien. Il se rendit soudain compte que sa valise lui avait échappé des mains, durant sa course. « Non ! Non ! » Cette perte le rendit comme fou. « Les livres ! Le journal ! Je les tenais ! Non ! » Il n’entendit pas F. qui courait dans sa direction, guidé par les courbes vagues et indistinctes du bâtiment, ainsi que par les éclats de voix.
Quand il trouva le prêtre, ses pensées ne se concentraient plus sur rien sinon sur le combat qui se déroulait. « Il faut fuir, » lança-t-il au prêtre, « avant que Megereve ne revienne ! »
« Inutile ! J’avais le journal, je le tenais ! Megereve n’est pas son nom, il me l’a dit – si seulement les livres avaient été en meilleur état ! Lâchez-moi ! » F. laissa s’échapper le vieil homme, épouvanté. « Il fait si chaud ! J’avais le journal, est-ce que vous comprenez ? Non, bien sûr. »
Un hurlement bestial creva la distance. Ils n’y reconnurent rien, rien qui faisait sens, sinon de la terreur pure. Le combat faisait rage, ils n’en entendaient que des rumeurs, sans rien voir, sans rien deviner même. À chaque fois qu’il croyait l’entendre se rapprocher, F. sentait le sang qui le quittait.
« Vous ne pouvez pas vaincre Megereve ! Pas avec votre esprit rempli d’erreurs. Seule la raison la plus froide peut s’opposer à Megereve. Si chaud. »
« Non ! Ce bâtiment, là on sera en sécurité ! » Il ne pouvait plus se détacher du prêtre qui continuait à murmurer, tant la présence humaine lui était devenue importante. « Mettez-vous à l’abri, ensuite vous pourrez vous plaindre ! »
« Et qu’est-ce que vous en savez ? Hein ! »
Les rumeurs du combat se calmèrent, s’étouffèrent presque complètement. Soudain il n’y eut plus de bruit, plus aucun sinon leur respiration. La nuit avait retrouvé sa suprématie sur toute chose, ne laissant plus que le vide enivrant de l’infini, à portée de main. Ce gouffre qui semblait absorber même le sol du désert, qui à tout moment pouvait dérober le sol sous ses pieds, laissa les deux hommes sans forces.
« Votre compagnon est mort. »
« Je n’ai jamais eu de compagnon ! J’étais seul ! »
« Ah arrêtez de mentir ! Vous n’étiez pas seul, vous êtes incapable de solitude ! Sinon, vous seriez déjà entré depuis longtemps ! Il y avait quelqu’un, tout du long, quelqu’un qui vous accompagnait, là ! »
F. ne sut jamais que le prêtre avait désigné sa tempe, avec insistance, en pressant l’index. Il balbutia seulement, en dernier recours : « Mais la carte m’avait dit- »
« La carte ? »
Instantanément F. se replia sur lui-même, l’air farouche. Il écouta Q. répéter « quelle carte ? » tout en reculant millimètre par millimètre, en enfonçant la tête entre ses épaules, le front baissé, épais. Pas la carte. Il ne donnerait jamais la carte. Il hésita à se précipiter vers la porte, qu’il savait quelque part, là-bas, à deux ou trois enjambées. Cependant le prêtre s’était mis à balbutier, pris d’une terreur inconcevable, il cherchait à aligner les syllabes de Megereve. Dans son dos le monstre grandissait, ombre parmi les ombres, et qui s’enfonçait déjà en lui, qui le traversait de part en part.
« Sais-tu quoi ? » Cette voix, sèche, qui pénétrait, et dévorante. « Je connais tes rêves ! »
Sans plus une pensée de valable, F. se laissa porter par son instinct. Il courut en direction de la porte, il trébucha. Le prêtre alla jusqu’à lui, buta sur lui, l’agrippa pour le soutenir. Dans leur dos Megereve les suivait, s’étendant toujours, toujours plus, lentement, alors qu’ils marchaient vers la porte de toutes leurs forces.
« Qu’y a-t-il ? Pourquoi fuyez-vous ? Je ne dévore que les illusions ! Ah mais, suis-je bête. »
Et il s’étendit brusquement pour les envelopper.

[size=150:28byg85c]****[/size]
>Bureau<

« Non. »
En dernier recours, Q. s’était retourné et avec son bâton, il avait écrit les trois lettres sur le sol, puis avait frappé dans le sable. Megereve enveloppa les deux hommes, le prêtre et le voyageur. Son mouvement avait soulevé le sable en une bourrasque et effacé le mot. Il les broyait, lentement, il les attirait à sa gueule. Leurs corps traînaient sur le sol, s’éloignant de la porte, et toujours plus serrés, si serrés qu’ils étouffaient.
Toujours ce noir, cette obscurité. Q. entendit son compagnon gémir de douleur, sans trouver assez d’air pour assembler un cri. Il devait appeler, il devait appeler encore un de ses rêves, dans l’espoir qu’il le sauve. Mais c’était Megereve. Le prêtre entendait aussi son corps craquer, les muscles se tendre. Le sang quittait sa tête, il ne sentait plus rien. Tout ce que contenait son esprit était « Non. » Il allait être dévoré le premier.
Le monstre dévorait déjà la poussière. Les jambes du prêtre s’engourdirent. Il ne sentit rien mais sut qu’elles entraient dans sa gueule. Tout cela lui apparaissait sous la forme d’un horrible cauchemar. La pression l’avait laissé sans souffle. Il avait encore entendu un sifflement dans ses oreilles, puis plus rien. Q. se laissa effondrer.
Il entendit F. crier de douleur. Puis un son indistinct, du métal qui s’entrechoquait, lui fit ouvrir les yeux. La pression avait cessé. Il voyait sa valise ouverte, vidée, tout près de lui, il la voyait sans couleur dans le noir mais la voyait quand même. Alors le prêtre chercha des yeux la source de lumière, vit une vieille lanterne allumée, qui s’opposait à Megereve. « Il l’a trouvée à l’intérieur » se dit Q. sans même se demander qui la tenait. Le monstre s’effaçait aussi vite que s’effaçait l’ombre mais même la lanterne ne parvenait pas à percer le vide du ciel. Il parvint à se relever. Il alla à F. et l’aida à se remettre sur ses jambes.
« Il faut y aller, maintenant. »
F. à peine debout le repoussa. Il souffla, méchant : « Vous n’aurez pas la carte ! » Il vit la grande carte pliée entre les mains de l’homme. La lanterne tomba à terre.
« Maintenant ! »
« C’est tout ce qu’il me reste ! Tout ! Vous n’aurez pas cette carte, jamais ! »
Le prêtre devina des larmes qui coulaient. Il diagnostiqua la folie mais lui-même n’arrivait plus à se contrôler et il le savait, il voulait cette carte. Il la lui arracherait de force, à tout prix. « Si vous ne voulez pas être dévoré, donnez-moi cette carte ! » F. tituba, hésitant, lorsqu’il entendit un cri dans la nuit. Megereve s’était jeté dessus et à présent, il dévorait, il dévorait d’un appétit fou, il avalait tout.
« La carte ! »
« Non ! Non, non, non ! » Et Q. comprit que le mot qu’il avait écrit, le mot qui les avait sauvé peut-être, ce mot influençait également son compagnon. F. s’était jeté sur la lanterne, loin du prêtre. Il en menaçait à présent Megereve. Le monstre, après s’être détaché de sa proie, lui tournait autour, et se taisait. Il comprit que cet homme n’avait plus la moindre chance, et aussi dur que ce fut pour lui, ayant perdu le livre, le journal, la carte, il se résolut à conserver sa vie. Q. se mit à trotter en direction de la porte. L’appel suppliant de F. ne suffit pas à le faire se retourner. Il était trop tard, bien trop tard à présent.
Ce vide, ce vide puissant, qui écrasait tout, ce vide nourrissait le monstre qui grandissait, grandissait encore, une masse sans forme, une créature dans l’esprit des gens. Alors qu’il tendait de tout son être vers la porte, Q. ne put pas s’empêcher d’y songer. Jamais Megereve n’avait été aussi puissant. « Megereve est le vide » souffla-t-il entre ses lèvres, avant de s’encoubler, de se reprendre, de se précipiter ventre à terre. La voix du monstre grimpa dans son dos, dans un terrible grondement.
« Tu vas l’abandonner ? Laisse-moi deviner. Le laisser pour vif ? Mais sais-tu, petit prêtre, sais-tu que cela va hanter tes rêves ?! »
Il ne pensait plus à rien, plus à rien, il ne voulait plus imaginer ce qui adviendrait si Megereve l’attrapait encore. Q. atteignit la porte, il agrippa la poignée, entendit le monstre hurler, ouvrit.

[size=150:28byg85c]****[/size]
>Bureau<

Il se retourna sur le pas de la porte, la main prête à refermer, avec le besoin de voir. Devant lui ne se trouvait plus qu’un gigantesque voile décoloré, infranchissable, d’où lui parvenaient les sons et où perçait, à de très rares instants, la minuscule flammerole de la lanterne. Là-bas à une distance que plus personne ne pouvait franchir, si loin que cela semblait un autre lieu, un autre temps, une autre vie, F. se débattait encore. Il agitait la lanterne, tournait sur lui-même, il ne restait qu’une partie de son bras à nu, couvert par les grains de sable.
« Va-t-en » hurlait F. dans un éclat de larmes. « Va-t-en, tu m’a suffisamment hanté ! Pourquoi moi ! Je n’ai jamais rien voulu qu’être seul ! »
Le monstre lui tournait autour, sans cesse, il l’entourait complètement, l’absorbait presque, à la seule exception de cette lumière qui le sauvegardait encore. La voix rauque, venue du vide, lui répondait.
« Et je te donne la solitude. La solitude que j’ai connue moi. Le vide spatial. L’abandon, le trou noir, tout, je te donne tout ce que j’ai. J’ai en moi un appétit de vengeance qui me dévore. Laisse-moi te le dire tout doucement à l’oreille. »
« Non ! »
Q. regarda comme frappé par la scène cette malheureuse lanterne disparaître, le bruit des pas, le bruit du souffle entrecoupé, les pleurs, la démence. Il sentit encore, il sentit l’odeur du sable et de la chaleur qui se dégageait, la sueur de F., l’odeur de l’huile, l’absence d’odeur envahissante de Megereve.
« Et toi, » dit le monstre au prêtre, qui se prépara à fermer, « tu reviendras te faire dévorer. Tu reviendras pour ces petits morceaux de papier. Même pas pour les sauver ! Oh oui, toi, mon cuisinier, je te garde la meilleure place. »
La chaleur augmenta brusquement, les pierres s’échauffèrent, l’air bouillonna tant que même le noir d’encre se mit à trembler, à vaciller. C’était la chaleur du jour sans la lumière. Q. se crispa à la poignée. Il entendait le râle de F. « Où vas-tu ? Attends ! » lança Megereve alors que la lanterne s’enfuyait sur le côté pour disparaître dans le vide. Il n’entendit plus rien. Il ne sentit plus que la chaleur qui l’écrasait. Puis une présence passa, lente, très lente et très proche, pesante. Elle avançait, pas à pas. Il entendait le pied tomber, régulièrement, en un mètre parfait. Il vit, au travers de la nuit, il vit un corps marcher, dans la direction de la lanterne. Le prêtre ne put s’empêche d’imaginer la tête tournée vers lui, et un regard vide le jauger. Il n’arriva plus à bouger, jusqu’à ce que le bruit cesse, que son esprit rationnel chasse l’image de cette créature hantant le désert, qui avait pris corps.
Enfin Q. comprit qu’il était sauvé, momentanément. Il referma la porte, non comme on referme une porte, mais comme on ferme un livre, et pressa sur le loquet non comme on presse sur un loquet mais comme on repose la plume.

Ouf ! Tout s’était mal, très mal passé. Quirinal ressortit ses lunettes, les essuya avec leur chiffon, les rangea dans leur étui puis satisfait, tandis que son pouls s’apaisait, il repensa à cette formulation, quand la lanterne s’éloignait. Pas mauvais, pas trop mauvais. Il n’aurait jamais cru que le mot écrit sur le sable fonctionnerait, par contre. Bizarre, ça, il faudrait vérifier. Mais diable, que ça s’était mal passé !
Il retira son manteau, le laissa pendre dans le vestibule. Et maintenant ce machin-chose, ce Megereve aux portes des Chroniques ! Voilà qui était fâcheux. Tiens, Megereve, mais c’était si bête. Ce prêtre ne s’était donc pas rendu compte qu’ils avaient rajouté les « e » parce qu’il ne restait, dans le journal, que des consonnes ? Quatre lettres, c’était toujours une piste. Mais ce monstre aux portes des Chroniques ! Fâcheux.
Dans tous les cas le journal lui avait échappé, et il avait découvert la carte, pour la perdre immédiatement ! Quirinal n’eut pas la moindre pensée pour ce mystérieux F., mais rigola en l’imaginant découvrir qui avait réalisé cette carte. Il faudrait la récupérer. Quirinal prit le chemin de la bibliothèque, sûr de trouver pour cela d’autres manuscrits.

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il y a 15 ans 3 mois #15793 par Monthy3
Réponse de Monthy3 sur le sujet Re: Feuilleton - Libra
J'avoue que sur le coup, tu m'avais un peu sapé le moral d'entrée ! Pour deux raisons :
- Avoir écrit une page pour rien (si si) ;
- Voir que tu avais écrit 8 pages en un petit jour.

Il va de soi que je ne tiendrais jamais un tel rythme - mais je me doute que c'était exceptionnel, pour tester. En tout cas, je n'ai pas le courage de lire cela ce soir. Et donc, si tu m'en laisses le temps, je m'attèlerai à introduire mon personnage demain. ;)

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il y a 15 ans 3 mois #15795 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet Re: Feuilleton - Libra
En fait j'avais écrit douze pages : j'avais écrit le chapitre 3 de Chimio' au soir... bon j'arrête.
Mais la page pour rien, ça m'a vraiment poursuivi toute la journée.

De fait, nous partons maintenant avec une réserve d'une semaine (environ huit texte), tu peux donc y aller tranquillement.
Plus il y aura de réserve, plus on pourra attendre, discuter et même revenir en arrière.
Mais si la réserve s'épuise...

C'est doublement ma faute pour avoir choisi un rythme élevé et pour avoir révélé trop tôt ce que je préparais pour le feuilleton.
Bref.
Prends ton temps. Pour le moment j'en ai et je ne compte rien faire sans toi.

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il y a 15 ans 3 mois #15797 par Monthy3
Réponse de Monthy3 sur le sujet Re: Feuilleton - Libra
<Dans les bras de la drogue>

Enfin Q. comprit qu’il était sauvé, momentanément. Une demi-seconde après qu’il eut franchi la porte, une ombre s’empressa de la refermer, non comme on referme une porte, mais comme on ferme un livre, et pressa sur le loquet non comme on presse sur un loquet mais comme on repose la plume.

Il n’eut pas le temps d’exhaler un soupir de soulagement qu’une voix d’une raillerie traînante s’éleva dans son dos.
« Ben alors, Quir’ ? On a eu quelques soucis ? J’vois qu’tu reviens les mains vides.
Quirinal ne lui prêta d’abord aucune attention. Il ressortit ses lunettes, les essuya avec leur chiffon, les rangea dans leur étui puis satisfait, tandis que son pouls s’apaisait, il prit enfin la peine de se retourner vers ce qui lui servait actuellement de compagnon.
Il s’agissait d’une silhouette de petite taille, très-maigre, dont le visage se dissimulait dans les replis d’un capuchon – celui d’une robe miteuse. D’une certaine façon, ce n’était pas plus mal car Vlades Jan se révélait véritablement hideux et, lorsque l’ombre se dissipait, il ne présentait que des traits mous sur une peau flasque, pendante – alors qu’il n’était pas si vieux. La consommation abusive de drogues de toute nature l’avait réduit à l’état de loque humaine, aussi débile que puante, et Quirinal se languissait de trouver un autre compagnon dans ce labyrinthe qu’ils parcouraient ensemble depuis… depuis trop longtemps. Il se détourna de Vlad et retira son manteau, le laissa pendre dans le vestibule.
- J’ai fait quelques découvertes intéressantes.
Détours et euphémismes. Tout s’était mal, très mal passé. Il repensa à cette formulation, quand la lanterne s’éloignait. Pas mauvais, pas trop mauvais. Il n’aurait jamais cru que le mot écrit sur le sable fonctionnerait, par contre. Bizarre, ça, il faudrait vérifier. Mais diable, que ça s’était mal passé !
Le petit homme s’assura une dernière fois que la porte était bien verrouillée, puis il se rapprocha de Quirinal. Même à plusieurs mètres, celui-ci pouvait sentir les détestables effluves de son compagnon. Il l’entendit fouiller dans la sacoche qu’il portait en permanence autour de son cou – il y stockait ses substances nauséabondes ainsi que ses crayons – et il devina qu’il en ressortait son habituel bâtonnet noir. Ce fut donc en mâchouillant que Vlad le questionna.
- Dis, Quir’, j’ai vu une sale bestiole avant de clore la porte. Ca aussi, c’est une découverte intéressante ?
- Je classerais plutôt ça du côté des expériences fâcheuses – mais cela reste une expérience, et en tant que t…
- Chut !
Il se tut immédiatement. Vlad penchait curieusement la tête, les yeux plissés, l’air d’écouter quelque chose que Quirinal n’entendait pas. Son compagnon avait beau être une loque, les drogues avaient tendance à aiguiser ses sens et il ne doutait pas de son acuité auditive. Vlad se mit à osciller d’avant en arrière, en tirant un sourire bizarre.
- Elle gratte, la bête, elle gratte et grogne. Mignonne p’tite bête, joue-nous ta berceuse, égaye donc mon ami Quir’…
Quirinal hocha la tête, de dépit. Et maintenant ce machin-chose, ce Megereve aux portes des Chroniques ! Voilà qui était fâcheux. Tiens, Megereve, mais c’était si bête. Ce prêtre ne s’était donc pas rendu compte qu’ils avaient rajouté les « e » parce qu’il ne restait, dans le journal, que des consonnes ? Quatre lettres, c’était toujours une piste. Mais ce monstre aux portes des Chroniques ! Fâcheux.
Dans tous les cas le journal lui avait échappé, et il avait découvert la carte, pour la perdre immédiatement ! Quirinal n’eut pas la moindre pensée pour ce mystérieux F., mais rigola en l’imaginant découvrir qui avait réalisé cette carte.
- ‘musant, nan ? Une pièce de plus dans not’puzzle – le minotaure du labyrinthe.
- Il n’y est pas encore. Et jusqu’à preuve du contraire, c’est le nôtre, de labyrinthe.
- Qui sait ? »
Vlad retroussa ses lèvres et laissa apparaître des chicots noircis, tissés de toiles de bave. Il se mit à se diriger d’un pas étonnamment aérien vers la grande bibliothèque, cette gigantesque salle qui leur servait de quartier général – l’une des rares dont les secrets leur étaient accessibles en l’immense château. Quirinal haussa les épaules, puis lui emboîta le pas. Il n’y avait pas grand-chose d’autre à faire. Malgré sa démence apparente, Vlad avait parfaitement compris qu’il leur fallait récupérer ce que lui avait abandonné dans sa fuite et, pour cela, trouver de nouveaux manuscrits s’avèrerait indispensable.
Et, avec cette menace d’autant plus oppressante que Quirinal ne la décelait pas, mieux valait ne pas perdre plus de temps. Quitte à s’embarrasser dans sa prochaine équipée du petit chroniqueur drogué.

* * *

But de la scène : présenter Vlades Jan, tout simplement. Glisser quelques allusions au lieu où ils se trouvent. Et c'est à peu près tout.

* * *

Désolé pour la pauvreté, Feurnard. Je me suis contenté de reprendre ta fin de scène pour y insérer quelques éléments et un nouveau personnage, mais je ne suis pas très frais ce soir (anniversaire alcoolisé...) et donc, je n'ai pas poussé bien loin. N'hésite pas, évidemment à reprendre les points relatifs à Quirinal (notamment s'il ne s'exprime pas, en dialogue, comme tu l'entendais).
La main est au suivant !

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il y a 15 ans 3 mois #15798 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet Re: Feuilleton - Libra
Je ne vais pas contrevenir à une règle essentielle des Chroniques, qui est de ne pas se prendre la tête.

Trop fatigué pour penser à ce qui suivra. Nous avons, de toute manière, une semaine entière pour y réfléchir.
Je suis fatigué, content mais fatigué.

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il y a 15 ans 3 mois #15807 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet Re: Feuilleton - Libra
Même après trois jours je ne suis toujours pas sûr de m'être remis d'un inexplicable appesantissement. Avec un ou deux "p" mais peu importe, ceci ne concerne pas les Chroniques et c'est hautement égoïste.

Je me souviens encore de ce qui m'était immédiatement venu comme reproches ("reproche" étant le mot qui me vient en tête au lieu de "remarque" (mais "remarque" aurait dû être plus approprié)) et de la raison pour laquelle je me refusais à les exprimer.

J'avais d'abord immédiatement constaté que cette page faisait plus d'une page, ou moins d'une page si j'en soustrayais le partie de la page dix.
J'avais noté ensuite que reprenant beaucoup de mes passages, il s'agissait surtout d'allonger sur ladite page des informations qui n'en couvraient auparavant qu'une moitié. L'image qui m'est venue était alors celle de la confiture sur la tartine, pour ceux qui sont familiers avec cette expression.
J'avais remarqué également que ces passages conservés tel quel ne prenaient pas réellement de direction, pas plus que les rajouts, de sorte que même si les personnages se dirigent vers un lieu, rien ne dit au lecteur où il va ni pourquoi il continuerait.
J'avais observé également que si le personnages de Vlades Jan était très bien rendu, et que j'avais particulièrement apprécié de voir Quirinal vivre sous la plume de Monthy3, il était par contre impossible de reconnaître ou de retenir les Chroniques. Comme Monthy3 l'a dit, il n'y a que des détails épars, qui font que le porte-manteau est plus concret que le couloir.

Seulement il y avait la page trois et il y avait le "collaboration" dans la signature du feuilleton.
J'ai compris que tous mes projets échouaient parce que j'imposais mon point de vue aux autres, que je les étouffais.
Je ne peux pas mentir et je ne peux pas taire ce qui me déplait, c'était aussi une raison d'être sur les Chroniques. Mais je ne peux rien rejeter de cette page parce qu'elle correspond à ce que devrait être le feuilleton.

Tout ce que je peux te dire, Monthy, c'est que si tu n'écris pas la suite, je serai incapable de continuer. Il me faut savoir où je vais, au moins à court terme. Ce que je dois atteindre, ce que je dois préparer.
Je ne peux pas écrire et le feuilleton risque de mourir si tu ne me dis pas comment tu vois les Chroniques.

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il y a 15 ans 3 mois #15808 par Monthy3
Réponse de Monthy3 sur le sujet Re: Feuilleton - Libra

Seulement il y avait la page trois et il y avait le "collaboration" dans la signature du feuilleton.
J'ai compris que tous mes projets échouaient parce que j'imposais mon point de vue aux autres, que je les étouffais.

C'était flagrant, hein - et un peu frustrant. :D

Mais je pense que cela vaut la peine de continuer, de tenter le coup, c'est pourquoi je vais tenter d'écrire une page supplémentaire demain, entre deux chapitres de l'Echiquier (4 chapters left !). Si l'écriture en commun te rebute décidément, ce qui est compréhensiblle (j'ai moi-même du mal à faire confiance aux gens dans ce domaine), alors nous trouverons en attendant un autre moyen d'animer la taverne - à coups d'inspirations imagées, par exemple.

Pour le moment, poursuivons tant bien que mal le feuilleton ;)


EDIT : bon, Feurnard... Je suis navré, l'Echiquier envahit terriblement mon esprit et, comme je touche au but, j'essaie d'en profiter pour le conclure rapidement. En somme, il me sera difficile (mais pas impossible, tout dépend de mon degré d'avancement et de mon programme) d'écrire cette maudite page avant peu ou prou une semaine. Je m'en veux, je t'avais dit que je te suivrais sans souci, mais l'occasion est trop belle de boucler ce récit qui m'occupe depuis quand même quatre longues années. :?
Voilà, à toi de voir si tu continues ou si tu m'attends - je ne m'en plaindrai évidemment pas (je t'assure, malgré mon exécrable égoïsme).
Mille excuses, donc :oops:

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il y a 15 ans 3 mois #15815 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet Re: Feuilleton - Libra
Je vais continuer, Monthy (je n'avais pas lu ton "EDIT" avant).

En fait, j'aimerais continuer seul pendant encore une trentaine de pages. Avec Vlades. Si tu pouvais m'aider, ce serait en critiquant l'emploi que j'en fais, et en proposant des scènes et des univers à explorer.
Mais pour le moment, tu ramasses trop et j'encaisse plus que mon état ne me le permet. Le feuilleton est actuellement un échec. Et je ne veux pas l'abandonner.

Si tu veux mon avis, mieux vaut que toi, Iggy, Krycek ou n'importe quel autre chroniqueur propose déjà un autre projet en taverne. Sachant que je vous suivrai, autant s'engager dans autre chose de faisable, plutôt que de s'épuiser là-dessus.

Je n'ai jamais su si les renards étaient sociaux ou solitaires.

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il y a 15 ans 3 mois #15817 par Monthy3
Réponse de Monthy3 sur le sujet Re: Feuilleton - Libra
Fort bien, je te laisse faire - et je veillerai à ton bon emploi de Vlad :twisted: Plus sérieusement, c'est un personnage qui, même s'il a un rôle déterminant, n'apparaît que dans quelques chapitres de l'Echiquier et est donc plutôt "libre".

En tout cas, je suivrai attentivement le feuilleton made in Feurnard ;)

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il y a 15 ans 3 mois #15818 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet Re: Feuilleton - Libra
J'espère que le feuilleton méritera quand même sa signature de "collaboration". Mais pour le moment, le plus urgent est ce fichu tampon, un mois d'avance est vraiment nécessaire.

Tu pourras déjà noter d'importants changements en fin de la page 10, et ça ne fait que commencer. Il y aurait d'ailleurs une discussion à mener en conseils d'écriture à propos des conclusions de chapitre...

Sinon ce feuilleton est un vrai gouffre à temps. Je n'ai même pas jeté un seul coup d'oeil à la MàJ depuis. Dès que j'aurai de la marge, j'y remédierai.

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il y a 15 ans 3 mois #15823 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet Re: Feuilleton - Libra
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>Table<

Quatre pages hier, soit 11-14. La 11 est déjà en ligne.
Page 11 : Vlad et Quirinal papotent dans le vestibule puis découvrent que Megereve est derrière la porte, plus question de retourner dans ce monde.
Page 12 : Nos deux chroniqueurs vont dans un "petit" "salon" pour trouver un plan et euh... ouais.
Page 13 : Petite parano' de Vlad qui a un Libra et veut le cacher à Quiri' dans le salon, en utilisant le pouvoir du Libra. Il part sur un échec pour la bibliothèque.
Page 14 : La bibliothèque se trouve dans une partie rénovée. Après une mauvaise blague sur la porte, les deux chroniqueurs retrouvent leurs sept livres récupérés et Quiri' remarque qu'avant il y en avait huit (suspense suspense...)

Vlad me sert maintenant de personnage principal, mais je vais souvent alterner.
La page 12 m'a servi à mettre en abime les Chroniques, les mondes visités et le feuilleton, sur l'image du jeu de société.
La page 13 me permet de décrire l'emploi d'un Libra, bien que chaque emploi diffère selon le personnage.
À partir de la page 13, je me suis rendu compte qu'une véritable intrigue dans les Chroniques était ridicule. Les pages suivantes iront donc plutôt vers de l'humoristique.

Encore 26 pages, je les fournirai le plus tôt possible pour que tu puisses intervenir dessus (n'hésite pas).

[size=150:j6jlqqty]****[/size]
>Bureau<

Déjà le désert et sa nuit n’étaient plus que de très lointains souvenirs, pareils au sortir d’une lecture. Mais un raclement mou – oui, mou – traversait encore la porte. Vlad le confondait avec le pétillement des torches qui éclairaient ce vestibule de pierre taillée, couvert de tapis et aux murs tapissés, chargé de tableaux, de lustres, de statues, un foisonnement d’art devenu banal à force de passer devant. Ils étaient chez eux aux Chroniques, comme deux visiteurs étrangers à ce lieu qui leur était si familier.
Il s’amusait de ce sot de Quirinal, l’archétype du bourgeois satisfait et incapable de récupérer quelques papelards. Il fouilla dans sa sacoche, celle qui pendait en permanence à son cou – il y gardait ses substances ainsi que ses crayons – jusqu’à en extirper entre ses doigts son éternel bâtonnet noir, qu’il comptait bien mâchouiller, au dégoût à peine dissimulé de son compagnon.
« Comme j’te disais, j’ai du nouveau. Sur les bouquins, tout ça. »
« Une minute, » détacha Quirinal avec les deux sourcils relevés, « nous devons d’abord récupérer la carte. »
Vlad précéda sa réponse en se grattant le nez. «T’fallait y penser avant d’clore la porte. »
« La porte est close mais pas le sujet. La carte était à portée de ma… »
« Chut ! »
Son compagnon se tut immédiatement. Il pencha curieusement la tête, plissa les yeux et cette fois il distingua clairement le raclement sur la porte. Le bâtonnet lui resta entre les dents. De l’autre côté, quelque chose essayait d’entrer. Le petit homme avait beau être une loque, ses sens s’étaient aiguisés : la drogue, bien entendu. Là, juste sous la porte, il aurait juré voir des grains de sable. Mais derrière c’était un être conscient.
« Eh ben, Quir’ ? T’as laissé un ami derrière ? »
Quirinal fit une moue d’ennui tout à fait hors de son caractère. Il mit un temps à répondre, car il confondait les personnages.
« Oh, ça » constata-t-il enfin en voyant le loqueteux se pencher contre le battant. « C’est Mgrv, je crois bien que les voyelles… »
« Elle gratte, la bête. »
Il s’était mis à osciller, d’avant en arrière, et tirait un sourire inquiétant. Vlad avait repris son mâchonnement, qui coupait ses paroles et les rendait plus difficiles à comprendre. Le docteur en vint à se demander si son compagnon ne sortait pas tout droit du désert que lui venait tout juste de quitter. Mais il continuait :
« Elle gratte, elle gratte et grogne. Mignonne p’tite bête, joue-nous ta berceuse, égaie donc mon ami Quir’… »
« Ah, ça suffit ! »
Il crut à son tour entendre la masse de ce monstre de fantaisie frotter contre la porte, racler le bois ou bien c’était le raclement d’une gorge énorme. Mais Vlad se tira en arrière et il n’y eut plus de bruit, seulement la certitude qu’il ne fallait plus ouvrir cette porte. Le petit homme tourna la tête vers son compagnon chroniqueur qui grommelait d’agacement et s’extirpait de sa veste pour la faire pendre au porte-manteau (un porte-manteau aussi ?)
Derrière sa démence apparente, le chroniqueur drogué songeait que cette porte close ressemblait trop à toutes les autres portes verrouillées du château. Il avait traversé des couloirs entiers de portes fermées, parfois même barrées de chaînes, qui donnaient au château des Chroniques un aspect de labyrinthe à force de déambuler. Lui, il avait beau se savoir chroniqueur, il avait beau se sentir chez lui, ce château lui paraissait aussi étranger que tous les mondes inscrits dans les livres. Il n’avait même pas besoin de drogue pour s’en détacher. En même temps, il était peut-être juste dément. Il ne savait pas. Il trouvait juste que ce n’était plus une très bonne idée que de rouvrir toutes ces portes.

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>Bureau<

Sur l’une des tables en chêne du petit salon (ah bah tiens…) avait été abandonné un jeu de compagnie avec son plateau coloré, ses petites figurines et ses dés. Les deux chroniqueurs s’étaient assis à l’écart – du moins l’un d’eux avait-il obligé l’autre – pour reprendre leur discussion morte-née quand ils étaient encore dans le vestibule. Par les fenêtres ils pouvaient voir la lande alentours, noyée en partie dans la brume du matin. Quirinal, assoiffé par sa lecture, avait ouvert une bouteille aussi enveloppée que lui et servait de force le loqueteux qui lui servait de compagnon.
Ce salon faisait partie des dernières parcelles accessibles du château, depuis qu’à leur retour ils avaient constaté que toutes les autres parties avaient été, pour ainsi dire, condamnées. Des trois accès à cette pièce, deux ne les laisseraient pas plus passer que les murs. Pourtant, leur impression n’était pas celle de l’enfermement mais celle, au contraire, d’avoir laissé trop d’ouvertures. Ils sentaient s’infiltrer quelque chose de malsain, autre que la puanteur du loqueteux.
Depuis son retour, Quirinal s’attendait d’un instant à l’autre au « alors Quir’, on fait quoi maint’nant » que lui demanderait inévitablement Vlad, quand bien même le docteur ne savait pas le moins du monde quoi répondre. Et la question vint.
« T’as un plan, Quir’ ? »
« Dans le manuscrit brûlé, » commença le bonhomme en parlant du désert, « ce Q., le prêtre… il a écrit un mot sur le sable. Il allait être dévoré et il a écrit non. On dirait que ça a changé l’histoire. Tu saurais l’expliquer, toi ? »
Mais le chroniqueur rachitique ne voulut pas répondre. Il savait ce qu’était ce pouvoir, pour l’avoir expérimenté. Il pensait l’avoir compris. Seulement ce pouvoir devait permettre de rouvrir les portes et ça, ce n’était vraiment plus une bonne idée, plus du tout. Alors il se taisait et son silence fut mal interprété par Quirinal, qui y vit de la méditation.
« Et si tu t’trompais ? Si la question c’tait pas, comment qu’on ouvre une porte, mais qui les a fermées ? »
« Qui ? »
« Y a qu’des chroniqueurs aux Chroniques, donc c’t’un d’entre nous. Pas d’nous deux, hein Quir’ ? Un autre. Mais un seul, certain. J’ai fait l’tour des portes, c’est l’travail d’un seul. ‘Suffit d’le r’trouver et tout est réglé. T’en dis quoi, Quir’ ? »
« C’est un bon plan. »
Le sourire de Quirinal était aussi bonhomme que lui, un peu chaleureux, un peu grotesque, en tous les cas beaucoup plus rassurant que les chicots noirs de Vlad. Ils terminaient la bouteille en songeant l’un que cela impliquait quand même de fouiller au hasard dans les manuscrits, l’autre que cela impliquait d’ouvrir une porte et que ce n’était pas, mais définitivement pas une bonne idée. Ce qu’avait fait le docteur avait dû être ce que firent tous les chroniqueurs, et même son esprit malade pouvait en conclure qu’ils se trouvaient ou bloqués derrière les portes, ou enfermés dans les livres.
« À ton avis, » demanda-t-il au docteur, « qui avait commencé cette partie ? »
Il désignait le jeu de compagnie, laissé à l’abandon pas si loin d’eux. Il s’agissait d’un jeu à plusieurs mais un seul pion était posé sur le plateau. Les autres avaient été entassées par-dessus un petit manuel imprimé noir sur blanc. La poussière avait fini par tout recouvrir.
« Je crois savoir qui. Cette tête de linotte n’a jamais suivi les règles. »
L’esprit malade du drogué s’était laissé emporter par l’abime du jeu. Il laissait pendre son regard sur le plateau, fasciné par les couleurs, un petit rire en bouche prêt à sortir. Son bâtonnet noir pendait. Au fond, lui aussi, il s’en fichait des Chroniques. Il le savait bien, ce n’était pas si important, si toutes les portes restaient fermées. Celui qui avait joué à ce jeu l’avait compris, lui.
Les règles étaient juste trop compliquées, trop dangereuses, pour être suivies.

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>Bureau<

Vlad avait tenu à rester au petit salon sur excuse de le décrire et effectivement il le décrivait, tandis que Quirinal se rendait à la bibliothèque. Cependant il ne le décrivait pas pour les raisons qu’aurait pu s’imaginer l’autre chroniqueur, mais il couvrait la page de petits pictogrammes malhabiles et fortement appuyés pour modeler la pièce à son envie, pour en faire une cachette sûre où placer sa découverte. Il avait porté sous ses haillons un Libra, un ouvrage dont justement il voulait mesurer le pouvoir en même temps qu’il lui fallait le dérober aux yeux de Quirinal.
Six tables de chêne constituaient le principal mobilier. Elles se partageaient une vingtaine de chaises de bois plus clair, plus légères, dont certaines avaient été écartées près des murs. Les tapisseries monochromes côtoyaient les trophées de chasse, assez nombreux, qui faisaient face aux fenêtres. Celles-ci s’avançaient, dehors, au-dessus de contreforts et au mot près pendues dans le vide. Il en compta douze, en nota treize, sur toute la longueur. À hauteur de la huitième, la pièce avait été surélevée de trois marches. Au lieu de tapis, les tables reposaient sur des peaux de bêtes. Le drogué fit mine, avec le pouce, de calculer la distance jusqu’aux grandes armoires vitrées emplies de bouteilles et de coupes.
« Ouah, j’ai dû me tromper. »
En regardant ces armoires pleines, la porte du fond, la porte de service, la trappe, il repensa aux jours d’activité lointaine et son esprit perçant, avivé par les hallucinogènes, imagina la foule diverse et son vacarme. Il écrivit, tandis que sa pensée vagabondait : « Il y a une cache sous la table du coin. » Puis Vlad se rendit au coin et avec peine, soufflant, il écarta la table, rabattit la peau de bête et chercha la cache. Vaine recherche.
Ses doigts tremblèrent sur la pierre nue. Entre ses lèvres soufflait sa pensée la plus brute : « Pourtant j’ai vu ! » Et il revoyait le pouvoir du livre en action. Mais pas de cache. Alors il recommença à écrire, et cette fois : « La cache est là, sous la table, une pierre qui s’écarte quand on presse sur elle deux fois » il raya précipitamment ce passage. C’était stupide, la table risquait de presser dessus par accident. « Quand on fait un rond dessus deux fois avec le doigt, en son centre. » Et il claqua le livre.
Rien.
« Mais foutue saleté de… !!! »
La première chose qui lui tomba sous la main pour calmer sa colère fut le jeu de société. Il en fit valdinguer les pièces et le support, la boîte avec, et regarda l’ensemble se répandre par terre sans grand bruit. Se retournant, Vlad constata qu’il avait déplacé toute la poussière, si bien que même s’il la remettait en place, la table du coin serait suspecte. Cela le fit rire. Il riait sans exactement se rappeler pourquoi, de rancœur peut-être, pour des raisons que seul un esprit malade pouvait saisir.
Néanmoins, aussitôt calmé, retourné à sa place le drogué se remit à écrire, et presque recroquevillé sur le livre, il notait : « Le chroniqueur suspecte son ami d’être dangereux. Alors, avant de le rejoindre, il cache le livre dans le petit salon, là où il a la certitude que son ami ne le trouvera pas. » Il s’arrêta, réfléchit et sans se soucier de vérifier si cela fonctionnait : « Au cas où son ami trouverait la cachette, il installe un mécanisme relié au vestibule pour pouvoir l’ouvrir sans que son ami ne le puisse. »
Le petit homme remarqua enfin qu’il était en train de baver sur la page. Après un acte peu ragoutant il referma l’ouvrage et le regarda encore, comme s’il allait s’animer. La couverture ne portait aucun titre. Il savait toutes les pages blanches, restées vierges. Peut-être se trompait-il sur son pouvoir, peut-être était-il vraiment dément. Il n’était jamais sûr et ça l’amusait. Sans plus se soucier de ce qu’il avait écrit, Vlad rangea l’ouvrage sous ses haillons avec cette certitude que si son ami le trouvait, alors son pouvoir n’était qu’illusion, et qu’au cas contraire son ami ne le trouverait pas.
Il se retourna sur le pas de la porte, pour regarder encore le saccage qu’avait laissé son passage. Et il compta les fenêtres.

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>Bureau<

Sa main tâtait constamment l’ouvrage, alors qu’il traversait les couloirs labyrinthiques des Chroniques, pour rejoindre la bibliothèque. Cela déformait sa démarche comme s’il claudiquait, manière de parler, ou bien traînait le pied. La bourse pendue au cou du loqueteux trottait sur sa cage thoracique. Mais déjà les couloirs prenaient l’architecture moderne, Le sol de pierre se couvrit d’un parquet, les murs se boisèrent et les torches laissèrent place à des bougies sous verre. Des bougies consumées, dont il ne restait que la flaque. « V’là les rénovations » se dit-il. Quelques fenêtres heureusement perçaient ici et là, de sorte qu’il s’engagea dans les couloirs sans autre souci.
Il trouva son compagnon chroniqueur devant une porte fermée qu’il reconnut tout de suite à sa poignée – déjà qu’il y en avait une – et au petit symbole d’étagère à hauteur des yeux. Quirinal le voyant arriver montra théâtral la porte qui lui résistait.
« Je croyais que nous l’avions ouverte » fit-il observer.
Vlad se gratta le front, ce qui dégagea immédiatement une purulence d’odeurs contenues entre les plis de sa peau. Il s’inquiétait du ton employé par le docteur, où le chroniqueur croyait trouver de la méfiance à son égard, voire du soupçon. Mais la porte ne pouvait pas être fermée. Il n’y avait personne, à part eux deux, pour le faire. Ou bien, peut-être, un chroniqueur se trouvait derrière. Ou autre chose. Décidé à l’apprendre, il alla jusqu’à la porte, poussa le docteur de côté – ce dernier se laissa faire d’autant plus volontiers qu’il cherchait à échapper à l’odeur – et colla son oreille contre le battant. Il crut bien entendre quelque chose, pour mieux écouter s’appuya plus fort et soudain tout se déroba à lui.
Il se retrouva le nez par terre dans la bibliothèque. Quirinal s’était lancé dans une onomatopée à la première voyelle interminable.
« Il fallait donc pousser ! »
« Ben oui, Quir’, pousser. R’en qu’à voir la porte tu pouvais l’savoir. »
« Moi, tu sais, les rénovations… »
Difficile de savoir si ce grand gaillard grassouillet le disait sérieusement ou si, comme le drogué, la situation lui apparaissait dans tout son ridicule. Il ne savait plus s’il avait eu peur – ç’aurait été ridicule, dans les Chroniques – mais il lui semblait bien avoir eu peur, et pourquoi, il n’aurait pas su dire. L’idée l’obsédait que Quirinal l’avait fait exprès.
La bibliothèque (une des bibliothèques, dites) avait été entièrement remise à neuf, si récemment qu’il semblait encore aux deux chroniqueurs qu’ils s’en souvenaient. Des étagères métalliques, penchées comme des bacs, s’alignaient dans l’anarchie la plus totale, partout où il y avait de la place, dans un labyrinthe à l’intérieur du labyrinthe des Chroniques. Il semblait qu’un enfant en avait imaginé le plan, qu’un vieillard l’avait dessiné, qu’un couple divorcé l’avait réalisé et que les chroniqueurs étaient passés derrière. De nombreuses places de travail, faites de bancs montés sur place, côtoyaient les casiers à tiroirs de couleur grise. La lumière venait abondamment des fenêtres (y en a partout, des fenêtres, pratique) et tirait les ombres démesurément.
En tout et pour tout cette bibliothèque de quelques cent mètres carré contenait une demi-douzaine de livres.
Sans être sûrs de les avoir tous récupérés, ils les avaient empilés sur le bureau le plus proche de l’entrée, tous les manuscrits qu’ils avaient pu trouver dans toutes les Chroniques – du moins, les parties accessibles du château. Sept livres, sept malheureux livres. Rien qu’à voir ce tas, les deux chroniqueurs sentaient déjà leur moral flancher. Ils en avaient, du reste, déjà fait le tour auparavant. Mais bon sang, s’ils savaient ce qu’étaient devenus les autres ouvrages…
« Ça ne va pas. Quelque chose cloche. »
« Pas assez d’tension à ton goût ? ‘Faut en rajouter ? »
« Je parle des livres » soupira le docteur, « il en manque un. J’en avais compté huit, la dernière fois. »

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il y a 15 ans 3 mois #15825 par Monthy3
Réponse de Monthy3 sur le sujet Re: Feuilleton - Libra
C'est vraiment bon !

Deux remarques :

- Tu t'es impeccablement approprié Vlad, vraiment - d'ailleurs, tu sembles prendre du plaisir à le manipuler. Juste une chose : dans mon esprit, Vlad, étant perpétuellement détaché du monde (plus ou moins), n'était pas du genre à manifester son énervement par des gestes violents (comme envoyer valdinguer un plateau). En revanche, il avait tendance à se vexer assez facilement dès lors que son interlocuteur se montrait distrait ou ne lui accordait pas toute l'attention qu'il estimait mériter.
Mais, encore une fois, ce Vlad-là est très, très chouette 8)

- Ta description des Chroniques est quasiment la même (de ce que tu en montres) que celle que j'avais en tête donc, sur ce coup-là, je ne peux que m'incliner bien bas.

Voilà pour un retour. En tout cas, les bases sont excellentes ! Et je ne dis même pas cela parce que ça m'arrange honteusement que de te laisser poursuivre seul (pour le moment ? Encore un chapitre, et l'Echiquier sera achevé). :P

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il y a 15 ans 3 mois #15827 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet Re: Feuilleton - Libra
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>Table<

Aïe, je savais avoir manqué un coche avec Vlad.
En fait, Vlad et Quirinal ont cet inconvénient d'être des personnages secondaires. Le premier est un névrosé (angoissé ?) détaché de son entourage et le second est un apathique observateur indifférent aux événements. Deux personnages passifs, donc.
Il m'a fallu les adapter, l'un devenant nerveux et brusque, l'autre sociopathe avec une légère paranoïa. Sans quoi ils seraient restés à boire au salon.
On retrouvera les vrais personnages une fois chacun revenu dans son monde d'origine, où je compte bien te voir interpréter avec brio Vlades Jan.

Je songe d'ailleurs au prochain monde que visiteront les chroniqueurs. Comme j'en ai marre de m'imposer, que dirais-tu d'aller visiter l'Échiquier ?
J'avais pensé à Warhammer mais ma répulsion pour cette franchise l'a emporté, donc, étant donné la place qu'a prise ta saga pour les Chroniques, ne serait-ce pas un bon choix que d'ouvrir l'intrigue sur ton monde ?
Quitte à, au mois de septembre, réduire le rythme à quatre pages par semaine, en hebdomadaire.

Tu as le temps d'y réfléchir. En fait, le tampon que je mets en place sert justement à te donner ce temps.

À part ça, voici les 17 pages suivantes :
Page 15 : Quirinal en a marre et va faire une sieste, Vlad se fait voler le Libra et en avertit son ami.
Page 16 : Frustré, Quirinal décide de tout tenter et pousse Vlad à lui révéler le pouvoir du Libra.
Page 17 : Vlad tente de lui expliquer ce pouvoir, peine perdue, puis ils retournent au salon en emportant tous les livres.
Page 18 : De retour au salon, les deux chroniqueurs se tournent au ridicule avant de trouver la cache du Libra (il n'avait pas été volé, c'bouquin ?)
Page 19 : Tous deux cherchent un moyen d'accéder au Libra. L'attention de Vlad se porte sur le manuel.
Page 20 : Vlad lit à haute voix le manuel. Dans une subite révélation, Quirinal en comprend les instructions absurdes qui y figurent.
Page 21 : Le manuel est un manuscrit (comme n'importe quel livre), Quirinal convainc Vlad d'aller chercher le Libra (en passant par la porte du vestibule).
Page 22 : Vlad arrive au vestibule. Oui, c'est à peu près tout.
Page 23 : Vlad délire (il a mangé des graines de bulbe) sur les règles absurdes du manuel. La page s'achève alors qu'il semble avoir percé le mystère.
Page 24 : Vlad a projeté les règles du jeu sur les Chroniques. Il se rend au salon où l'attendent Quirinal et le Libra (les déplacements se font à coups de dés).
Page 25 : Quirinal n'est plus lui-même, il explique avoir piégé Vlad et vouloir le tuer. Vlad utilise le Libra pour faire entrer Megereve dans les Chroniques (bah tiens).
Page 26 : Gros délire, Vlad met au point un plan pour s'échapper avec le Libra, en obligeant Quirinal à coopérer.
Page 27 : Le délire continue, le monstre arrive au salon et cherche à atteindre le porteur du Libra (le porteur ne peut pas bouger). Les deux chroniqueurs récupèrent chacun un dé tombé par terre.
Page 28 : Il semble que le plan de Vlad fonctionne mais il force Quirinal à un chantage pour que celui-ci lui donne l'autre dé.
Page 29 : En possession des deux dés, Vlad s'enfuit, suivi de près par Quirinal.
Page 30 : Sans qu'on sache vraiment trop comment, Vlad parvient à sortir du jeu tout en restant dans les Chroniques et en même temps à faire sortir Megereve. Fin du délire.
Page 31 : Quirinal se réveille sans souvenir de ce qui s'est passé. Il découvre le salon saccagé et Vlad de "retour" avec le Libra. Et n'a pas l'air de s'en formaliser.

Encore 9 et le tampon sera plein.
'Suivent toutes les pages dans le prochain message (s'il est assez long).

EDIT : Pardon, dans les deux messages qui suivent. Ai-je besoin de préciser que c'est long ?

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il y a 15 ans 3 mois #15828 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet Re: Feuilleton - Libra
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>Bureau<

Vlad détenait le livre manquant, le livre qu’il avait tenté de cacher à son compagnon de fortune et dont ce dernier notait à présent l’absence. Il cherchait à deviner les pensées de ce dernier dans les petits tics de son visage. Le livre était là, sous ses haillons, il pouvait le sentir contre ses côtes. Mais peut-être n’était-il pas trop tard.
« T’auras mal compté. Là, r’garde, trois, quatre, y en a sept. »
« Merci je vois. »
Ce fut au tour de Quirinal de se poser des questions. Qu’est-ce que c’était que cette réponse ? Son regard étonné devait ressembler à celui d’une chouette effrayée, c’était dire, passablement inexpressif. Le chroniqueur se mit à écarter les livres pour les reconnaître les uns après les autres, dans un décompte assez lent que les plis de son front – qui, eux, étaient dus à la vieillesse – rendaient plus lent encore. En même temps il grommelait parce que le drogué ne l’aidait pas.
Le dernier livre qui lui tomba entre les mains était le manuscrit du désert. Il s’agissait d’un recueil d’histoires, tirées d’un journal, lui-même tiré d’un document oublié, et le recueil lui-même n’était pas l’original mais une copie personnelle retrouvée là par accident. L’ouvrage était petit, format de poche, pas très épais, avec une reliure cartonnée. Il était en majeur partie brûlé, de sorte que son titre n’était plus qu’une poignée de lettres dépourvues de sens. Ils l’avaient trouvé enroulé dans un linge, au salon, mais d’où il venait réellement les deux chroniqueurs n’en avaient aucune idée. Il n’était pas répertorié en bibliothèque.
« Eh, Quir’, p’têtre qu’la grosse bête l’a mangé ? Hein, ton bouquin. »
Il laissa tomber l’ouvrage parmi les autres, sans grand soin. Mangé. Voilà exactement pourquoi le chroniqueur était pressé de retrouver un autre compagnon que ce drogué. Même avec un livre de plus, ce maigre tas de papier ne pouvait pas les aider plus avant. Le manuscrit brûlé avait été encore leur meilleure chance. Ironiquement, elle était partie en fumée. Il songea que deux verres n’aidaient pas à la clairvoyance et qu’une sieste s’imposait. De toute manière, l’odeur de son compagnon lui donnait la nausée.
« Bonne chance pour ta recherche, je vais me reposer. Si tu trouves quelque chose, je serai au salon. »
« ‘Tends, ‘tends ! » s’exclama soudainement le loqueteux chroniqueur, qui prit un livre au hasard : « T’as pas essayé celui-là ? Hein Quir’, ‘faut pas laisser tomber comme ça ? »
‘Faut pas qu’il aille au salon, pensait Vlad. Bon sang ce qu’il m’énerve, rétorquait toujours en pensée Quirinal. Le récit qu’il lui tendait contenait surtout de la poésie, que le drogué aurait pu écrire du reste, et dans laquelle le docteur n’arrivait pas à s’immerger. Aussi ce geste, loin de le dissuader, le poussa plus avant dans le couloir et vers le salon. Il ne pouvait de toute manière rien y découvrir. Il n’y avait rien là-bas à découvrir, puisque c’était lui qui détenait toujours le livre manquant.
À peine le chroniqueur avait-il quitté la pièce que son compagnon tira le précieux ouvrage de sous ses haillons, avec une sorte de jubilation comme l’enfant chapardeur et heureux de son coup. Il déchanta. Ce qu’il tenait entre les mains était le manuel de règles du jeu de société, celui qu’il avait renversé dans le salon. Ce qu’il fit alors, seul un dément pouvait le faire. Mais justement il était chroniqueur :
« Quir’ ! Eh, Quir’ ! »
« Quoi ? » s’exclama le bonhomme en revenant précipitamment dans la pièce, le front plein de sueur d’une course de dix mètres. « Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qu’il y a ? »
« On m’a volé l’livre ! »
Promesse. Pendant plus de dix secondes, tous les deux se regardèrent à la manière de deux épouvantails, sidérés l’un et l’autre par leurs réactions réciproques. La tête que tirait Quirinal était désormais exactement celle d’une chouette, ou d’un hibou. Après dix secondes, il réalisa de quel livre son compagnon parlait, et balbutiait une espèce de réponse sous le regard goguenard du drogué.

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>Bureau<

Il n’arrivait pas à comprendre que son compagnon lui avait caché un livre, il n’était même pas sûr de comprendre exactement ce qu’il voulait dire par « voler ». Mais l’attitude désinvolte, moqueuse de Vlad, son allure de hère, ses haillons, l’agacement qu’en éprouvait le chroniqueur face à son homologue lui suffit pour s’énerver.
« On t’a volé quoi ? »
« L’livre, l’livre manquant, tu sais ? Eh ben, r’garde, j’l’ai plus. »
Quirinal jeta un regard large sur toute la bibliothèque, à la recherche d’une réponse plus cohérente sur laquelle exercer sa colère que les propos à moitié dingues de son ami. Il ne savait plus que penser. Plus encore, son crâne s’alourdissait d’un début de migraine.
« Doucement. Doucement. » Il expira longuement. « Ce livre volé que tu n’avais pas, » il fit une pause, « tu l’avais ? »
Le sourire difforme du chroniqueur, où les lèvres et la gencive se disputaient de crasse avec les dents cariées, le convainquit d’abandonner la question. Son regard était tombé sur le manuel que l’autre tenait dans sa main : c’était bien le même manuel qu’il avait vu au salon. Il tendit la main pour le prendre et son compagnon drogué le lui donna de bonne grâce. Quirinal n’y trouva qu’un banal manuel.
« Voilà qui est des plus frustrant. De retour aux Chroniques, le château est verrouillé et à l’abandon. Je passe mon temps à faire des allers et retours de la bibliothèque au salon pendant que tu te fais voler des livres que tu me caches. Plus vexant encore, le seul lieu auquel j’ai pu accéder était en cendres et ne m’a fourni aucune réponse. Qu’en conclus-tu ? »
« Qu’tu touch’ras pas à mes réserves. »
« Je suis certain que tu t’amuses beaucoup mais les événements actuels m’obligent à repousser ma sieste et cela a tendance à me fâcher. Donc, ou tu m’aides, ou j’asperge les portes avec de l’alcool à quatre-vingt-dix degrés et je les fais brûler avec une torche. »
Le sourire de Vlad disparut instantanément, moins de ce que son ami montrait des signes de nervosité évidents qu’à l’idée de voir de multiples incendies se déclencher chez lui, au-delà de l’évidente violence. « Et si cela ne suffit pas, je les terminerai à coups de bélier, avec une statue ou une table. » Le docteur avait l’art de le dire sans montrer une forme de colère apaisée par des décennies de vie paisible qui ne demandaient qu’à éclater. Il ne pouvait plus l’empêcher de libérer les monstres imaginaires qui effrayaient tant le drogué. Ou bien il n’était plus sûr. Est-ce qu’il avait peur ?
« Non là c’sûr t’as piqué dans ma réserve. »
« Oui, il est plus simple de se disputer et dans une défiance réciproque, de poursuivre un fantôme en boucle pour récupérer un livre dans un but encore inconnu. »
Ces mots dits, Quirinal se retourna l’air le plus bonhomme du monde en direction de ses projets pyromanes, pour se prendre le pied dans le relèvement du parquet (c’est fini de critiquer les rénovations ?) et de se retrouver les deux jambes en l’air dans le couloir.
« Dis, Quir’. »
Le chroniqueur drogué s’était adossé – comme il pouvait – dans l’encadrement, de la lumière plein ses haillons. Il fouillait à nouveau sa bourse pour récupérer le petit bâtonnet noir, une envie soudaine. Lui, il voulait récupérer son livre, et puis ça lui déplaisait d’incendier son chez-lui. Même s’il n’en était pas sûr. Alors au fond…
« L’bouquin en question, t’écris d’dans, c’qu’est écrit s’produit. »
« Excuse-moi, » répondit Quirinal en se relevant, « aurais-tu la traduction ? »
« Avec c’livre t’pourras ouvrir les portes. Ça, c’pas plus simple, hein ? »
L’idée qu’un livre ait ce pouvoir ne dérangea nullement le chroniqueur, qui au contraire y vit la chose la plus naturelle. Il hésitait dans le même temps à attribuer cette réflexion au caractère dément de son ami. Mais son tempérament le poussait à reconsidérer la solution incendiaire, d’autant que les alcools du salon ne devaient pas avoir un indice bien élevé et que, du reste, les portes étaient épaisses.

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>Bureau<

En vérité la situation était plus frustrante encore que Quirinal ne se l’était décrite. Enfermés chez eux sans en connaître la raison, les deux chroniqueurs à peine retournés au château des Chroniques découvraient les œuvres de plusieurs vies anéanties avec, comme coupable présumé, l’un d’entre eux. La paranoïa de Vlad n’était qu’un divertissement en comparaison de ce qui arrivait à leur demeure. Ils étaient tous deux sans réponse, à subir des événements qui les dépassaient et cela, chez tous deux, même s’ils ne s’en rendaient pas compte, leur pesait énormément sur les nerfs.
« Tu es en train de me dire, » reprit Quirinal après avoir ajusté ses lunettes, « qu’il existe un livre permettant d’ouvrir les portes. C’est bien cela ? »
Son compagnon drogué secoua la tête dans une approbation théâtrale, qui renversait de peu son capuchon puant et sale, ainsi que tout son maigre corps.
« C’tait pendant qu’t’explorais ton désert. J’cherchais dans les autr’ bouquins quand j’ai ouvert c’ui-là. Toutes les pages étaient blanches. Toutes. »
« Mais encore ? »
« Bah ‘l est magique. Un truc d’chroniqueurs, c’doit être le même qu’a fermé toutes les portes. Quand t’écris d’dans, c’que t’as écrit s’réalise. Tu vois ? Pas dans l’livre, mais vraiment. »
Il laissa cette fois le docteur perplexe. Quirinal à défaut de comprendre trouva bon d’astiquer une fois de plus ses lunettes, et comme son ami attendait toujours de lui une réaction, les ayant remises sur son nez : « Et ? » Il n’avait aucun mal à imaginer qu’un chroniqueur écrive un tel livre. Il pouvait s’agir de la clé laissée par les autres avant leur départ. Seulement les implications le dépassaient encore et, notamment, que son ami ait eu le besoin de cacher cet ouvrage.
« Tout cela est bel et bon. Seulement nous n’avons plus ce livre, et je ne compte pas tourner en rond pour le retrouver. »
« Et alors, Quir’ ? Tes jambes t’lâchent déjà ? C’pas loin, l’bouquin est au salon. »
À cela le docteur allait demander le pourquoi du comment quand il fut pris d’un long soupir. Il l’aurait deviné, bien sûr, puisqu’il n’y avait guère plus de trois pièces où cacher ce livre, auxquelles lui-même exceptait déjà le vestibule, n’y voyant pas une cache idéale. Pourtant, sa crainte se réalisait, d’être condamné à aller et venir entre ces trois lieux en huis clos, avec un compagnon des plus désagréable.
« Allons-y, finissons-en au plus vite. »
Tous les deux furent pris d’un petit rire en quittant la bibliothèque mais alors qu’ils se trouvaient dans le couloir, Quirinal s’arrêta. C’était bête, c’aurait été trop bête de laisser tous les ouvrages là au lieu de les emporter, pour ne plus avoir à se rendre en bibliothèque. Il s’en retourna donc sans demander son avis à Vlad, ramasser tous les livres qu’il pouvait accumuler sur lui, jusqu’à les avoir tous du bout des doigts jusqu’au menton. Son ami s’apercevant de son retard revint sur ses pas et le trouva qui se déplaçait lentement, gêné par sa charge pourtant légère. Il avait peur d’en échapper un.
« Mais aide-moi, au lieu de sourire ! »
« T’les aimes tant qu’ça, ces bouquins ? Ou bien c’est l’rénové qui t’plait pas ? »
« Et arrête de critiquer les rénovations ! »
Le chroniqueur tira les bras de ses loques pour ramasser deux ouvrages dans une main, le livre brûlé dans l’autre, et malgré sa petite taille et ses airs faméliques, tandis que les pages s’imprégnaient de son odeur – infecte – il repartit avec une aisance étonnante dans le couloir, d’une allure qui laissait son compagnon pantois. Ce dernier s’entêtait à porter ses livres empilés contre son ventre et sa démarche de pingouin ne cessait pas, de sorte qu’il n’avait pas quitté le parquet de bois lorsque Vlad revint le décharger de deux autres livres et le laissa bête dans le couloir.
Toutes les portes avaient beau être fermées, ça restait les Chroniques.

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>Bureau<

La vue du petit salon vaguement en désordre, sinon tel qu’il l’avait laissé, donna au chroniqueur bedonnant le très vif sentiment qu’il allait encore perdre du temps. Vlad y trônait au centre, l’air victorieux, mais comme l’avait prévu le chroniqueur il n’y avait pas la moindre trace de livre. À peine la table du coin avait-elle été dérangée et il nota le jeu de société par terre. Les livres récupérés avaient été déposés sur la plus proche table, il y déposa les deux derniers. Encore un verre, laissé à l’abandon. Autrement, la pièce était navrante d’ennui.
Pris d’une envie soudaine, il se rendit à la trappe fermée (mais où pouvait-elle bien mener), pour vérifier que cet accès leur était toujours verrouillé. Puis, ayant constaté que c’était toujours le cas, il fit de même pour la porte du fond, n’était-ce que pour éviter d’avoir à constater qu’il était revenu au petit salon pour rien. Il s’efforçait de tirer et de pousser le battant, sans résultat, et reprenait son souffle quand Vlad surgit derrière lui.
« Tu r’marques rien ? Sur la porte, c’t immanquable. »
Il recula de quelques pas, tourna la tête vers son compagnon persuadé que celui-ci se moquait de lui, et resta une bonne poignée de secondes à essayer de voir ce qui était si immanquable sur la surface de bois rugueuse, sinon qu’elle résistait à ses efforts. Cependant l’autre chroniqueur s’était mis à déplacer la table du fond, dans un vacarme qui lui parut tonitruant, avec une jubilation qu’il ne lui avait pas vue jusque-là.
Tout cela était bien mystérieux. Il déplaisait au chroniqueur de suivre les quatre volontés d’un drogué mais ses actes, à force, prenaient une sorte de sens, à défaut d’être dirigés, dans lequel peu à peu il se laissait prendre. Quel qu’ait été son avis, Quirinal songea que son ami avait de meilleurs yeux, une plus grand acuité au détail et qu’il avait meilleur temps de lui faire confiance. Ce dernier s’acharnait à faire des ronds sur les pierres taillées du plancher.
« C’était bel et bien immanquable. »
Bon, le loqueteux avait perdu toute notion de la réalité. Cela ne lui disait ni comment ouvrir les portes, ni comment retrouver ce fameux livre, si tant était qu’il existait. Il sentit trop vivement à quel point sa situation était désespérée, comparable à l’insecte pris dans une toile d’araignée. Sans l’araignée. Après un coup d’œil sur les armoires à alcool, Quirinal se décida à retourner vers son compagnon chroniqueur qui s’entêtait à arrondir les pierres de son doigt.
« J’aurai besoin de ton reste de lucidité pour me dire quoi faire. »
Vlad releva sa tête à moitié découverte, qui affichait tous les plis mous et flasques de sa peau – et libérait sa puanteur – avec, dans sa bouche, son éternel bâtonnet noir, qu’il mâchouillait toujours entre des restes de dents nécrosées.
« Y a une cache sous la table, j’suis sûr qu’le bouquin est d’dans. »
« Tu essaies donc d’ouvrir une cache afin, perspective finale, d’ouvrir une porte. Aussi passionnante que soit ta démarche, voici la mienne : réveille-moi quand tu auras fini. »
Le loqueteux s’entêta sur le sol encore quelques minutes, bien après que son ami se soit étendu sur trois chaises pour s’assoupir. Il devait bien admettre que sa cache n’existait pas. Donc le livre ne fonctionnait pas. Mais à dire vrai, il n’était plus sûr de rien. Si le livre n’était pas là, il ne servait à rien de le retrouver. Or il avait vu son pouvoir, il l’avait vu en action. Alors délaissant la table du coin le petit chroniqueur se mit à chercher dans toute la pièce.
« Eh Quir’ ? T’viens pas m’aider ? Tu n’veux plus ouvrir d’porte ? »
Mais son ami, dans un élan de coopération, ne fit que se retourner sur ses chaises, à la recherche d’une position plus confortable. Vlad en était à soulever toutes les peaux de bête, à regarder dans les têtes empaillées, il fouillait parmi les coupes alignées dans les armoires et, fatigué, alla se courber à une fenêtre qu’il ouvrit grande pour respirer. Du moins voulut-il l’ouvrir. Elle lui résista.
« Eh, Quir’ ? Quir’ ? L’bouquin, j’l’ai r’trouvé. Il est… là. »
Son bonhomme d’ami s’étira, se leva et le rejoignit devant la fenêtre. Il vit le livre suspendu ou plutôt comme pris dans le verre, de l’autre côté, bien en évidence. Impossible d’ouvrir. Cependant le drogué remarquait que cette fenêtre, au bout de la pièce, était la treizième.

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Ils comptèrent ensemble le nombre de fenêtres, treize exactement. Ils en avaient profité pour les ouvrir et du dehors leur venait l’air assez froid et humide de la lande. Mais la treizième leur résistait, insensible à toutes leurs tentatives. Elle était, comme les autres, à loquet, un verrou simple mécanique qui courait le long de son plaqué. Et le livre que les deux chroniqueurs cherchaient se trouvait juste devant eux, bien visible quand ils se mettaient en face, ironiquement, à portée de main.
« Peut-être qu’en faisant des ronds dessus avec le doigt ? » ironisa Quirinal.
À sa surprise son camarade drogué obtempéra, à plusieurs reprises, sur toute la surface de la vitre. Il laissa des traces de doigt telles qu’elles évoquaient la nausée, à part quoi ses tentatives restèrent sans résultat.
« Je n’vois pas d’verrou. C’pas comme les portes. » Puis, plus vivement : « ‘Doit y avoir un mécanisme, à coup sûr. Ouais, un mécanisme r’lié au vestibule. »
« Pas question de quitter cette pièce » répondit avec un aplomb quitte de toute bonhommie son camarade.
Ils tâtèrent néanmoins le cadre de la fenêtre, puis les pierres environnantes, puis passèrent les mains sur les tapisseries et en retournèrent plusieurs, sans résultat. Tandis que Vlad continuait à chercher, le docteur lui se remit devant la vitre et observa de plus près le livre. Il n’en voyait que la reliure, qu’il jugeait riche, sans le moindre titre dessus, pas même une lettre.
Un vacarme le fit se retourner : le loqueteux avait fait tomber par terre une partie des alcools contenus dans une armoire. Il secouait ses haillons dégoulinants. Le docteur sourit : cela réduirait peut-être son abominable odeur. Il devait aussi admettre que son ami cherchait, ce qui le réconforta. Jusqu’alors, il s’était senti seul, livré à lui-même. Quand bien même c’était un drogué, son ami chroniqueur n’en était pas moins un allié désormais. Le livre aurait au moins eu ce pouvoir.
« Du calme, pas de précipitation » lança-t-il de son air docte. « Procédons scientifiquement. Une pierre devrait pouvoir briser cette vitre. »
« ‘Pas possible, t’es claustro’, Quir’ ? »
« Je veux dire : celui qui a caché – si je puis dire – ce livre ici devait souffrir d’une démence grave. Quoi qu’il ait prévu pour le récupérer, c’est au-delà du bon sens. Pas question que je ne m’y engage. »
« Si c’est d’la démence qu’y faut, ça doit pouvoir s’trouver. »
C’était exactement ce que voulait entendre le docteur, qui ne put s’empêcher de sourire à son ami toujours trempé, ses chausses sales au milieu des débris de bouteilles. Oui, cela le tranquillisait de pouvoir compter sur ce boulet de Vlad. Il était même d’eux deux le mieux préparé pour cette situation hors-norme. Pas question de se rendre au vestibule, cela était arrêté, mais lui-même n’était pas contre un léger chamboulement de la décoration dans le petit salon, qui lui avait toujours paru trop convention de chasse pour lui plaire.
Tous deux se remirent donc à fouiller patiemment, l’un jubilant dans l’attente de voir le pouvoir du livre se réaliser, l’autre pressé que selon son habitude tout lui tombe tout fait sous la main. Ils faisaient un vacarme de tous les diables, à déplacer les tables, à renverser les chaises, à ouvrir et fermer les fenêtres – si si – dans différents ordres (juste au cas où) et quand ils en eurent assez, dans le chantier de ce petit salon transformé en salle de taverne après le coutumier passage du héros, l’un et l’autre se rassirent pour faire le point.
Ils n’avaient rien trouvé et cela ne les dérangeait pas vraiment. Pour une fois, rien qu’une fois depuis leur arrivée, ils avaient enfin l’impression d’aller quelque part. À cette seule idée d’un objectif concret, accessible bien que retors, leur esprit de chroniqueur retrouvait le moral. Quirinal en supportait presque les piques incessantes de son camarade.
Ce dernier s’était mis à ranger le jeu de société, jusqu’alors délaissé sur le sol. Il prenait les figurines en vrac et les jetait dans la boîte, puis les dés, puis le plateau et quand il allait refermer la boîte : « Eh, et l’manuel ? » Une idée alors germa.

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Le loqueteux drogué s’était mis à lire les instructions de jeu à haute voix, devant un Quirinal qui n’en revenait pas. Non seulement le bonhomme n’en aurait pas imaginé son ami capable, mais il était sidéré d’entendre des règles sans queue ni tête, proférées avec une très forte raillerie qui rendait la scène encore plus grotesque. Plutôt que d’essayer de comprendre, il s’adossait à sa chaise et détachait ses pensées de l’instant en cours.
Il fallait ouvrir une porte. Pour ouvrir une porte, il fallait récupérer un livre. Pour récupérer le livre, il fallait ouvrir une fenêtre. Pour ouvrir une fenêtre, il ne savait pas quoi faire. Mais même la porte une fois ouverte, Quirinal n’était pas sûr de ce qu’ils trouveraient tous deux derrière. La raison qui avait provoqué l’abandon des Chroniques. Ou la personne qui avait verrouillé presque tous les accès du château. Comme souvent, le chroniqueur réalisait que les Chroniques n’avaient jamais eu de véritable finalité, sinon d’emmagasiner les textes. Ou d’écouter déclamer par un drogué les règles d’un jeu de société.
« Si c’est pour m’obliger à quitter la pièce, je te préviens, c’est peine perdue. »
Son ami cessa d’agiter ses loques, laissa se dérouler les quelques pages du manuel de jeu et l’agita sous le nez de Quirinal.
« T’aimes pas la lecture ? Mais c’est logique, t’vois, logique. Où tu laiss’rais des instructions, Quir’ ? Où tu dirais comment ouvrir la f’nêtre ? »
« Dans… un… manuel de jeu de société ? »
« Exact’ment. C’est plein d’notes là-d’dans, on n’a qu’à les suivre et l’bouquin est à nous. »
Lorsqu’il regarda les pages, Quirinal y constata en effet des tas de notes griffonnées, sortes de pictogrammes forcés sur le papier, qui couvraient presque les instructions originales. Il y en avait pour plusieurs pages.
Le docteur n’osa pas demander à son ami si c’était lui qui les avait écrites, ces instructions. Il avait l’impression de deviner déjà la réponse, de par l’écriture et de par l’absurde d’une telle idée, mais aussi parce qu’il se souvenait avoir vu ce manuel dans sa main, un peu plus tôt. Cela tombait du ciel. Sans importance. L’essentiel pour lui était qu’ils avaient progressé d’un pas, aussi insensé ce pas pouvait-il être. Cette absence de souci pour la cohésion, comme la lenteur, était commune aux Chroniques.
Vlad avait déjà remis le plateau sur la table, et placé son pion. De bon gré Quirinal choisit le sien, le posa à côté et se retira les deux mains sur le ventre.
« But du jeu, » déclama le drogué, « but du jeu : aucun. L’premier joueur commence en s’cond. R’tournez l’plateau pour déplacer les pions avant d’commencer l’tour. L’premier joueur à gagner un point lance les dés. »
« Jusque-là c’est très clair. »
Ils regardèrent tous deux le plateau renversé, leurs pions dessous et les dés à côté. Les instructions suivantes n’eurent pas plus de sens. Même l’état de santé mentale de Vlad ne justifiait pas des consignes aussi folles. « Chaque tour comprend deux séries d’trois ordres. Chaque ordre compte deux temps plus un temps par joueur en moins. » Le visage du drogué se décomposait lui-même devant un tel absurde. Ils n’essayaient même plus d’appliquer les règles (ils ne l’auraient pas pu) et la lecture continuait dans le même ton : « N’appliquez c’te règle qu’si elle est appliquée » marqua tout particulièrement ce bonhomme de Quirinal, qui cherchait un terme clinique pour ce genre d’esprit dérangé.
« Un instant » coupa-t-il soudain, faisant taire du doigt son compagnon. « Un instant. » Il semblait plongé dans une réflexion profonde, presque un assoupissement.
« Ces consignes me rappellent quelque chose. »
Il n’en dit pas plus que cette mystérieuse révélation. Tout cela lui semblait si familier, si évident qu’il ne l’avait pas vu jusqu’alors. Il avait la réponse sur le bout des lèvres, la clé d’une énigme qu’ils désespéraient de comprendre. Elle était en fait très simple, pour un chroniqueur. Enfin Quirinal ressortit de son interminable réflexion et, voyant la face puante de Vlad qui l’interrogeait, il soupira. Il n’irait pas dans le vestibule, pas question.

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Quirinal venait d’expérimenter l’écrasant pouvoir de Libra, sans même s’en rendre compte, le pouvoir du mot, la plus grande richesse potentiellement parmi toutes celles que détenaient les Chroniques. Il n’aurait pas pu le deviner.
« Maintenant je comprends » dit-il en s’étirant, soudain satisfait, profondément contenté dans tout son être comme le chien qui ayant rapporté la balle voit son maître assoupi et décide de faire un somme sur ses pieds, sa langue bien baveuse au-dessus de la semelle.
« ‘Te prive surtout pas d’me t’nir au courant. »
« Oh, » fit-il en se rendant compte de la présence de Vlad, de cette loque aux haillons imbibés d’alcool, puant, au visage amorphe, vieilli par la prise de stupéfiants. Cela coupa net son petit bonheur.
« Retourne au vestibule, ouvre la porte et tu devrais arriver de l’autre côté de la fenêtre. »
Il se surprit à voir ce même visage amorphe se morfondre dans une sorte d’expression qui devait exprimer de la crainte ou, terme plus médical, de l’angoisse, et qui était une sorte de tiraillement de son sourire sur ses chicots noirs. Bien entendu, le chroniqueur ne comprenait pas où Quirinal voulait en venir. Mais Quirinal ne faisait que suivre les règles.
« Tu ne veux tout de même pas que je te déploie tout le raisonnement ? »
« Avoue, t’attends qu’ça. Pas vrai Quir’ ? »
« Soit. » Il nettoya encore ses lunettes, les rangea dans leur étui puis se pencha vers son compagnon. « En fait, c’était évident. Tout manuel de règles est un manuscrit, même s’il s’agit d’instructions de jeu. Un manuscrit, comme le recueil du désert. Pareil. Un chroniqueur a réécrit ce manuel, de sorte à pouvoir se rendre au lieu où il a caché le livre, donc, de l’autre côté de la fenêtre. »
Pour Vlad, la drogue aidant, cette explication parut limpide. Elle ne l’était pas forcément. Jusqu’alors, enfermés chez eux au château des Chroniques, les deux chroniqueurs avaient pensé que les instructions du manuel leur permettraient de trouver un mécanisme qui ouvrirait la fenêtre derrière laquelle se trouvait le Libra.
En fait, le mécanisme était les instructions elles-mêmes. Ce simple livret de règles pour jeu de plateau était devenu, sous la main d’un chroniqueur, le manuscrit nécessaire pour accéder au Libra. Ainsi, seul un chroniqueur pouvait y accéder. Ce qu’essayait de dire Quirinal, ou plutôt, ce qu’il essayait de ne pas avoir à expliquer, c’était que les instructions que Vlad lui avaient lues ne disaient pas comment accéder au livre mais comment lire les instructions. Il avait reconnu ce tour retors, particulièrement malade, parce que celui-ci lui avait paru très familier.
« Dis, c’chroniqueur, » demanda Vlad, « ce n’serait pas c’lui qu’aime pas suivre les règles ? »
« Je n’ai jamais aimé ce qu’il a écrit de toute façon. »
Le drogué n’était toujours pas sûr d’avoir bien compris cette histoire et à dire vrai, il s’en fichait. S’il suffisait de se rendre au vestibule et d’ouvrir une porte, alors peu importait la machination particulièrement vicieuse qui se cachait derrière. Un chroniqueur n’était par ailleurs pas réputé pour se poser des questions. Seul problème à l’horizon, ça impliquait d’ouvrir la porte. Or derrière, il pouvait toujours y avoir un monstre.
« Et si t’y allais toi ? Hein Quir’, t’as bien b’soin d’exercice. »
« Je ne bougerai plus de ce salon tant qu’il n’y aura pas plus de trois salles où se rendre. »
« ‘Me dis pas qu’t’as peur, Quir’. C’est pas la bêt’des sables qui t’fait peur ? Oh, elle va t’manger la sale bête. »
Le concerné, qui durant la conversation avait récupéré le manuel, le lança sur son comparse dans une saute d’humeur bougonne. Lui aussi, après tout, ça l’effrayait cette histoire de monstre, juste là, de l’autre côté de la porte. Il n’en avait juste pas conscience, il n’avait pas les narcotiques qui l’auraient obligé à admettre que, qu’il le veuille ou non, les Chroniques n’étaient plus aussi sûres, et que ce cauchemar du désert pourrait bien par mégarde, d’un moment à l’autre, surgir à l’intérieur.

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Il sembla au chroniqueur drogué, alors qu’il traversait le couloir, que celui-ci titubait. Le mélange de ses substances et de l’alcool qui imbibait ses loques ne l’aidait pas à garder les idées claires. Il mâchait son éternel bâtonnet et, la main contre le mur, progressait d’un pas plus ou moins sûr en direction du vestibule. Son autre main tenait le manuel, entièrement griffonné de pictogrammes, qui devait lui permettre d’accéder au Libra. Il n’y voyait qu’un livre, avec le pouvoir d’ouvrir les portes, et préférait sans nul doute ne pas envisager ses autres possibilités.
Quirinal était resté en arrière, dans le petit salon. Il avait promis de lire un peu en attendant son retour. Cela ne rassurait pas le loqueteux. Se séparer n’était jamais une bonne idée, jamais. Ouvrir les portes, ça non plus, ce n’était plus une bonne idée depuis quelques temps. Celle du vestibule lui sembla entrouverte, mais ce n’était qu’un jeu d’ombres dû aux torches. Il engloba toute la pièce, la trop vaste pièce, d’un seul regard, pour s’assurer qu’aucun monstre ne s’y cachait. Question de prudence.
Une fois qu’il se fut rapproché de l’entrée, à moins d’un mètre, il entendit à nouveau ce qu’il craignait, le raclement mou sur le bois, comme un raclement de gorge. C’était toujours là. Ou bien son esprit lui jouait des tours, il n’était plus très sûr. Il serra le bâtonnet entre ses deux gencives mises à nu, colla l’oreille au battant et doucement, tout doucement, il se mit à osciller d’avant en arrière en écoutant la bête gratter.
« Allez ma belle, encore un effort, allez. T’en fais du bruit, allez gratte. J’t’entends moins bien, allez gratte, joue-nous ton air… »
Le bruit s’étouffait, peu à peu, s’éloignait à mesure qu’il parlait et à mesure Vlad haussait la voix pour faire revenir ce bruit. Alors il le revit, le verrou, sur la porte. Il revit cette écriture très claire, marquée à même le bois, dans le bois, briller au-dessus de sa tête. C’était un mot tout simple, quelqu’un qui avait écrit « Verrou » avec une majuscule pour « V », en attaché. C’était sur la porte, immanquable.
« Oh la pauv’ bête ‘peut pas passer. »
Il se releva d’autant que son corps pouvait le lui permettre, soit assez peu tant il était petit et maigre. Le bruit avait disparu. Il voyait clairement le verrou, ce qui le convainquit d’ouvrir, parce que, sans étonnement, l’accès était verrouillé. Il avait tiré sur l’anneau en vain. Comment avait fait Quirinal ? Il ne se souvint pas d’avoir jamais voyagé dans un de ces lieux que décrivaient les livres. Ou peut-être que si, comme toujours, il n’était sûr de rien. En tout cas le loqueteux ne voyait pas comment ouvrir.
Alors plutôt que de chercher, il tira de la bourse qui pendait à son cou quelques graines de bulbe séchées et les avala. Puis il s’accroupit dos contre le bois, le regard perdu au loin dans le vestibule. Le manuel lui échappa d’entre ses doigts et fit « floc » en touchant la pierre. Il glissa tout à fait, avachi dans ce coin du château des Chroniques, à laisser sa tête dodeliner sur quelque air que lui seul connaissait.
Peu importait, oui, s’ils ouvraient les portes ou non. Quelqu’un les avait verrouillées, il y avait bien une raison. En fait, il valait mieux tout laisser fermé. Les autres chroniqueurs avaient fui, il faudrait peut-être faire pareil. Vlad broyait ces pensées comme il tentait de broyer son bâtonnet. Quirinal et lui étaient seuls, personne pour les aider, personne pour leur expliquer. Alors forcément, c’était déprimant. Il songeait que d’autres chroniqueurs, bien plus prestigieux, s’en seraient sorti bien mieux que lui. Lui-même n’avait rien à se prouver. Il ne voulait rien. Il se sentait bien. Là. Sous l’effet des graines.
De toute manière la porte était verrouillée.
« Ah ah non, j’rigole. »
Ce qu’il avait avalé constituait un véritable concentré de méninges. Ce n’était pas une minable porte ni une minable bête qui allaient le retenir ! Grisé par la dose prise, le drogué se plongea dans les explications inextricables de Quirinal, en quête d’un moyen pour passer, récupérer ce livre – son livre – et retrouver ses potes chroniqueurs.

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Armé seulement d’un manuel de neuf pages, tiré du jeu de plateau et annoté, le chroniqueur était bien décidé à récupérer son livre. Les pièces de son puzzle mental n’étaient pas bien nombreuses : outre ledit manuel, il n’avait qu’une porte, le verrou de la porte et lui. Le vestibule, avec toutes ses statues, toutes ses peintures, tout son étalage de savoir-faire grandiloquent, ne lui apparaissait d’aucune aide. Les graines de bulbe faisaient leur effet. Son cerveau bouillonnait d’idées multiples qui fusaient dans tous les sens. Il se sentait sortir de lui-même. C’était forcément simple, forcément banal.
« But du jeu : aucun. » Vlad avait récupéré le manuel, par terre, et s’était remis à le lire à haute voix. « L’premier joueur commence en s’cond. » C’était un véritable plaisir de découvrir qu’il y avait plus artiste que soi.
Le chroniqueur laissait la drogue agir, lentement. Il reprenait les règles, point par point, il s’en imprégnait pour les comprendre mais n’arrivait jamais au bas de la première page, comme bloqué. Impossible de la tourner, tant cela manquait de sens. Il écoutait sa voix répéter ce que ses yeux filtraient, tandis que lui apparaissait la fibre du papier, l’épaisseur de l’encre et comme un monde dans ce petit manuel. Mais son attention n’était pas détournée pour autant, loin s’en fallait. Elle agissait comme un filtre puissant, dans lequel il s’abimait tout entier.
« But du jeu : aucun. »
Non, l’autre chroniqueur n’aurait pas pu écrire directement la solution, non, ç’aurait été trop simple. Il fallait inventer une énigme insoluble qui ne parlait pas même à un esprit dément. Le drogué fouilla chaque lettre pour la dépouiller de son sens et ne trouva rien. Ce manuel était vide, d’un vide effrayant.
« But du jeu… »
Quirinal avait dû voir ça, lui aussi, lorsqu’il le lui avait dicté pour la première fois. Dans le petit salon, il avait dû penser à ça, Quirinal, que c’était vide. Si c’était un monde, alors c’était un monde vierge, sans règle, en devenir. Et c’était là-dedans qu’avait été caché son livre, par qui ? On le lui avait volé, il s’en souvenait clairement.
Mais cela importait peu : « N’appliquez c’te règle qu’si elle est appliquée. » S’il comprenait bien, cette règle, il ne pouvait pas l’appliquer du tout, puisqu’il fallait qu’elle le soit déjà avant de l’être. Sans les graines de bulbe, il aurait souffert d’un affreux mal de crâne. Il en allait de même pour le premier joueur. S’il jouait en second, alors il n’était plus le premier joueur. Donc personne ne jouait jamais. Vide.
« Oah, c’lui qu’a écrit c’truc d’vait être vraiment fatigué. »
Son esprit soumis aux drogues se mit alors à tout mélanger et, lentement, de ces consignes sans queue ni tête, il tira ses propres règles beaucoup plus rigoureuses, qui prenaient forme peu à peu pour lui, à mesure qu’il lisait et relisait cette première page. « N’appliquez c’te règle… » Il ne réfléchit pas plus loin. Cela lui devint clair. Ou cette règle était appliquée, ou elle ne l’était pas. Normalement, aucune règle n’était appliquée avant même le début de la partie. Mais les Chroniques n’étaient pas la normalité. Donc : « La règle est appliquée. » Et ainsi de suite. Il réécrivait dans sa tête le manuel.
« Tout joueur est second. Le premier qui veut commence. Le plateau n’est donc pas retourné (la partie a commencé). Cela fait gagner un point au joueur qui a commencé. Il lance donc les dés (grâce à son point). » Et ainsi de suite… jusqu’à ce qu’il arrive en bout de la première page et qu’automatiquement son regard remonte tout le long de la feuille, par les sinuosités du papier imprimé, par la fibre, dans les mares d’encre, jusqu’aux premiers mots.
« But du jeu : Libra. »
Pour la première fois, le chroniqueur dément lisait ce mot qui ne le perturba pas, malgré son apparition sur l’imprimé du manuel. Il relut les règles et cette fois le texte lui parut limpide – aussi parce que lui-même n’avait pas l’esprit sain – aussi facile à lire que n’importe quel récit. Et cet imbécile de Quirinal qui allait chercher la réponse à des kilomètres ! Cette fois le regard du chroniqueur arriva en bas de page et d’un doigt, il la tourna.

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Modérateurs: SanKundïnZarathoustra
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