Elle a reçu une lettre de son amant. Au milieu du courrier,
distincte des autres par ce petit signe dont ils avaient convenu. Un moment
elle la sert contre son cœur et, en courant, elle monte les escaliers pour
aller la décacheter. En chemin elle rencontre son mari, mais il ne se doute de
rien, et elle continue sans plus faire attention à lui.
Il l’aime, tout va bien. Demain ils se verront. Rassurée, elle descend manger,
avec son mari. Il lui parle un instant de ce qu’il a fait, le voisin avec qui
il s’est battu, le mur de la maison qu’il veut abattre, mais elle ne l’écoute
pas. Il lui a écrit des mots si doux, si beaux. Elle revoit son visage, ce beau
visage d’ange et ce corps qu’elle désire. Sans finir son assiette, elle se
lève, salue rapidement son mari et s’en va rejoindre son amant.
***
Le jour se lève, elle a passé la nuit chez lui… Qu’importe, ce n’est pas son
mari qui s’en plaindra, ce grand nigaud ne se plaint jamais. Elle le voit en
passant la porte, il la salue mais elle l’ignore, elle a bien mieux à faire, il
doit l’appeler bientôt.
Terrible coup du destin, son attente a été vaine. L’aurait-il oubliée ?
L’aurait-elle déçu ? C’est soucieuse qu’elle enjambe son mari, assis sur les
escaliers. Que faire, comment rétablir la situation ? Ce n’est jamais que son
amant, mais elle l’aime tant, elle ne veut pas le perdre. Demandant à son mari
de bien vouloir nettoyer l’escalier lorsqu’il aura terminé, elle s’en va quérir
un taxi pour le rejoindre. Elle saura alors lui tirer les vers du nez et, à
nouveau, se faire aimer. Qui sait, peut-être pourront-ils à nouveau coucher
ensemble.
***
La voilà comblée, quelle douce félicité. Elle ne sait plus que faire, chanter,
rire ou danser… C’est si doux l’amour, si beau lorsqu’on vous le susurre à
l’oreille. Il lui a offert un joli collier pour se faire pardonner, et il l’a
enlacée comme jamais elle n’avait été enlacée. Elle rencontre son mari qui
termine d’asperger d’essence la voiture, et lui sourit de toutes ses dents.
S’il se doutait seulement de son bonheur, si seulement il savait combien elle pouvait
être, en cet instant, comblée. Elle referme la porte tandis que s’élève le
rougeoiement des flammes et le tonnerre de l’explosion.
***
Rapidement elle s’habille, il veut la voir, il vient de l’appeler. Tant pis
pour le souper, il lui faut partir, il l’attend et elle veut le rejoindre. Avec
horreur elle s’aperçoit qu’elle est mal coiffée. Que va-t-il donc penser en la
voyant, pourra-t-il encore l’aimer ? Elle court à la salle de bain et,
empoignant peigne et brosse, se met en devoir de se faire belle. C’est à peine
si en partant elle aperçoit ce grand benêt de mari, allongé dans son bain qui
dort dans de l’eau complètement rouge de sang.
***
Elle rentre mortifiée, abattue, presque morte. Il ne l’aime pas. Il l’a prise,
se l’est appropriée et maintenant l’abandonne comme une vieille serviette usée.
Ils étaient trois dans le lit cette nuit-là, elle avait bien voulu lui
permettre cette fantaisie, elle croyait qu’il l’aimait, mais au matin il lui a
dit de partir sans jamais revenir. Elle pleure beaucoup, marche dans les
couloirs sans but, se tient comme elle peut aux murs, passe de salle en salle
en cherchant à percer le vide terrible qui l’agresse, l’absence de celui
qu’elle aime.
Soudain elle aperçoit son mari. Il prend le thé avec un cadavre. Il lui explique
qu’il a tué le facteur trois jours plus tôt et a conservé le corps à la cave
pour cette occasion. Elle se contente d’acquiescer, mais peu lui importe tout
cela. S’il ne l’aime pas, plus rien n’a d’importance.
***
Qu’elle était bête de s’en faire, ce n’était rien, absolument rien. Il l’a
rappelée, il veut la voir, elle s’empresse de le rejoindre. Elle ouvre le
placard et se met à choisir une robe, et son mari la rejoint. Il s’excuse et se
saisit de la boîte au haut de l’armoire puis va sur le lit sortir l’arme. Elle
prend une robe rouge, l’enfile et, sans oublier de souhaiter une bonne et
superbe journée à son mari, s’en va rejoindre son amant. Elle ferme la porte en
riant tandis qu’à l’étage retentit la détonation.
***
Il lui a légué la maison, tout ce qu’il possède, c’est à dire pas grand chose
et il a pris soin de ne pas mettre de sang sur les draps, il est allé à la
salle de bain. Elle a invité son amant à vivre avec elle, pour pouvoir le
sentir près d’elle le matin. Il a accepté et depuis ils invite beaucoup d’amis
à venir dormir, et des amies aussi. Mais elle est heureuse, elle aime
particulièrement le masser lorsqu’il revient, le soir, et elle sait qu’il
l’aime, malgré tout, elle le sait.
Dans le jardin, il y a un petit monticule de terre, parce que ça coûtait trop
cher d’enterrer le mari dans un cimetière. Elle a fait brûler tous ses habits,
et elle a revendu la dernière chose qu’il lui ai offerte, après sa mort, dans
ses dernières volonté, parce qu’elle ne veut rien garder de lui.
Celle qui depuis possède le collier, parfois, raconte comment, par un simple
hasard, elle a réussi à ouvrir le pendentif et à trouver le message qui y était
contenu. Elle l’a appris par cœur, parce qu’il est étrange, et parce qu’elle
obtient toujours un franc succès lorsqu’elle le raconte. Il était marqué ceci :
« Tu l’aimes comme je t’aime, et puisque rien ne semble pouvoir attirer ton
attention, autant que vous vous passiez de moi. J’espère que tu sera heureuse,
Ton mari, affectueusement tien. »
Il est dit qu’elle aura vécu avec son amant un amour parfait, et la légende
veut qu’ils aient poussé leur dernier soupir ensemble, main dans la main, et
regard dans le regard. Elle eut cinq enfants.