ABraham Sacrifie.
Tragedie Françoise.
Autheur Vuld Edone,
A la tres sancte espoque ou
l’acent n’estoit point necessaire
IS V. XIII.
C’est pourquoi mon peuple est exilé, faute de
connaissance.
M. M. X. I.
Vuld Edone aux lecteurs,
Salut en nostre Siecle.
Si vos vos demandastes pource que j’ecrivismes bizarement, c’est que grace m’a faict de reinventer une piece ancienne de dix fois quarante ans, qui fust beaucoup, et qu’en ce temps ils parleroient bizarement. Encore que cela n’explique pas tout le pour quoi je l’ecrevisse. Qu’a ceux qui ne le savoient pas encore apprennent ores coment le sieur estudiant de son etat n’eust pas bon temps passe aux siennes estudes, e en a souffrete, qui le decidoit a calmer ses afflictions par fantaisies lesquels sauront le merveilleusement consoler, com fist pour monseigneur Theodore de Besze, le tresveritable autheur de la susdite piece, laquels nostre estudiant lui desrobe pour ce vos la foire partager.
Personnages.
Prologue.
Abraham.
Sara.
Isaac.
La troupe
des bergeRs de la maison d’Abraham, divisée en deux parties.
L’ange.
Satan.
PROLOGUE.
Au diable
le récit, je suis un personnage !
C’est le
monde à l’envers, mais n’en prends pas ombrage !
Encore
quelques vers et je serai un dieu !
Sauf si
l’auteur m’occit, mais ce n’est qu’un peu-
Abraham parle, sortant de sa maison.
Depuis que
j’ai mes versets délaissés,
Et de rimer
ça et là n’ai cessé,
Hélas ma
foi, est il encor’ un homme,
Que ces très
fichues rimes n’assomment ?!
S’il me
restait la moitié de raison,
Je mettrais
là fin à mon oraison.
D’abord
parce que c’est très difficile,
Puis pour
que je ne sois pas si docile,
Enfin que
vaut d’avoir tant de bienfaits
S’il me
faut tant écumer d’imparfaits !
Donc oublions ça et… oh ! Mais quel magnifique jour ! J’ai l’impression d’avoir rajeuni d’au moins bien trente-cinq ans ! C’est clair que moi cette maison et cette scène de théâtre on a l’air incroyablement riches ! A a a a a a ! Je ne vois vraiment pas quel terrible malheur pourrait survenir !
SARA sortant d’une mesme maison.
La la la je parle toute seule et je suis si heureuse ! Bonjour mon mari !
ABRAHAM.
Je ne vois toujours vraiment pas quel terrible malheur pourrait survenir !
SARA.
Et si on chantait ?
ABRAHAM.
SARA.
Mais où est notre fils Isaac que nous aimons tant ? Vite vite retournons à l’intérieur lui préparer un bon goûter avec de la manne en ciel véritable et puis le retirer de l’école pour pas que la vermine des rues ne l’influence, nous sommes de si bons parents !
SATHAN en habit de moine.
… bonjouuuuuuuur, froc froc froc, je suis le Diable, froc froc froc, au revoiiiiiiiiir…
ABRAHAM ressortant d’une troisième mesme maison.
C’est pas tout ça mais comme je trouve tout agréable, il est temps que je compte mes richesses ! Alors, un grain de sable, deux grains de sable, trois…
L’ANGE.
Abraham, Abraham.
ABRAHAM qui dit vraiment ça, sérieux.
Seigneur, me voicy.
L’ANGE.
Ton filz
bien aimé,
Ton filz
unique Isac nommé,
Par toy
soit mené jusqu’au lieu
Surnommé la Myrrhe de Dieu,
Là devant
moy prête attention,
Quand de
ton nom je fais mention,
Abraham, tu
m’écoutes dis ?
Abraham
prête aureil- TUUUUUE ISAAC !
ABRAHAM.
Euh, ouais ?
SARA.
Surtout ne vous émerveillez pas mon mari que j’aime mais quel jour magnifique nous avons ! J’entends nos bergers qui chantent au loin, ils doivent revenir avec notre Isaac qu’on aime plus que tout que tout que tout ! Mais dites-moi mon mari que j’idolâtre, et si un terrible malheur venait à survenir ?
ABRAHAM.
Mais non voyons ! Sur un tout autre sujet, il faut que j’emmène notre fils très loin pour longtemps, et il va me falloir un couteau aussi.
SARA.
Je vais continuer à sourire comme une forcenée sur le point de devenir hystérique et vous demander ce qui se passe !
ABRAHAM.
Il y avait un ange.
SARA.
Un ange.
ABRAHAM.
Il a dit mon nom.
SARA.
Votre nom.
ABRAHAM.
Alors je lui ai dit seigneur, me voicy.
SARA.
Vous n’avez pas dit ça ?!
ABRAHAM.
Si. Et après, l’ange a demandé un sacrifice.
SARA.
Un sacrifice ? J’aime les sacrifices ! Quand partons-nous ?
ABRAHAM.
Sara, tu sais que je t’aime, au point que je t’ai trompé avec Agar puis j’ai chassé Agar et son fils Ismaël dans le désert et on n’en parlera plus jamais dans cette pièce mais j’emmène notre fils en Moria et tu ne peux pas venir avec nous.
SARA.
C’est loin, la Moria, je vais avoir mal aux pieds ! On ne pourrait pas faire le sacrifice là, entre nous ?
ABRAHAM.
En quoi ça t’importe puisque tu ne viens pas !
ISAAC.
Bonjour père, bonjour mère, nous chantions vos louanges dans le désert avec les bergers en ce magnifique jour où ne peut définitivement pas survenir un terrible malheur. Mais, père, vous avez l’air troublé.
ABRAHAM.
Moi ? Mais non, pourquoi je le serais ?
ISAAC.
Tant mieux, car j’ai écrit un poème dans mon temps libre.
Je n’ai
plus le moindre bouton,
Je me
tourne vers l’avenir,
Ce que
j’aimerais devenir,
Plus tard
ce serait un mouton.
Père, je vois que vous ne dites rien, et comme votre bon goût pour la rêverie m’ont fait élever par des bergers j’ai spontanément deviné que vous alliez m’emmener très loin pour longtemps, j’ai déjà le bois et voici le couteau.
SARA.
Adieu mon fils !
ISAAC.
Ma mère,
qu’il ne vous desplaise,
Je vous
veux faire une requeste.
SARA.
Puisque
c’est demandé avec des vers, je l’accepte !
ISAAC.
Est-ce vrai
que vous êtes en même temps la femme et la sœur de mon père ?
SATAN sans h mais toujours en froc.
… froc froc
froc ne faites pas attention à moiiiiiiiiii froc froc froc…
ABRAHAM.
Donc ! Sans interruption nous avons marché pendant trois jours et maintenant que nous sommes loin mais alors très loin de chez nous je vais demander à la troupe de nos bergers de bien vouloir arrêter de nous suivre.
TROUPE.
D’accord.
ABRAHAM.
Isaac… tu ne fais pas partie de leur troupe, tu vas gravir la montagne avec moi.
ISAAC.
Il est temps de vous dire adieu, à toi, à toi, à toi, à toi… à toi, à toi… à toi, chantez une dernière fois pendant les trois jours que nous mettrons à monter, parlez des astres qui à force de flamboyer finissent par s’éteindre, ou ce qui vous amusera le plus.
TROUPE.
D’accord.
ISAAC.
Ce fut une chanson émouvante, père.
ABRAHAM.
Hélas-las ! Quel père je suis !
ISAAC.
Vous aviez oublié le bois, le feu et le couteau, que j’ai pensé à prendre, mais je ne vois rien à sacrifier.
ABRAHAM.
Isaac mon fils, on nous a toujours tout donné de sorte que nous ne pouvons sacrifier que ce qui nous tombe du ciel, aussi allez prier dans ce coin au lieu de me poser des questions.
ISAAC.
Père, je veux bien prier, mais c’est une activité plutôt vague, et vous ne voulez plus que je chante. Que ferai-je ?
ABRAHAM.
Fils, nous ne sommes pas ici pour enseigner une réforme religieuse, aussi quand la prière te serait trop compliquée, occupe-toi de façon plus constructive. J’ai résolu pour ma part de pleurer comme un bébé pour les quelques heures à venir, et quant à toi tu pourrais soupirer pour ta mère, qui est également ta tante, et sur tout ce qui te manquerait si par hasard tu venais à ne pas redescendre de cette montagne.
SARA.
Mon seigneur Abraham, que je prie chaque soir et au matin et toute la journée, je sais que vous êtes quelque part et je lève les yeux bien haut pour vous voir, ramenez-moi mon fils que j’aime plus que tout car quand même, ça aurait été plus simple de sacrifier sur le pas de notre porte, et on n’a pas idée de s’aventurer si loin pour quelque passe-temps d’homme.
ABRAHAM.
Il n’y a pas de conflit en moi, je sais ce que je dois faire, je suis lâche, je n’y arriverai pas !
SATAN.
Paf le conflit !
ABRAHAM.
J’empruntais
pour un fils, le contrat bien signé,
Devant mes
vieux sourcils le leasing prenait forme,
Je payais à
grands frais et grâce au chloroforme
Sur mon
corps encore frais de l’or comme enseigné.
Il m’a
assez coûté ce qu’ore on me réclame !
SATAN.
Ce que t’es
dégoûté, t’as mal lu la réclame !
ABRAHAM.
À bien y
réfléchir voyons sa condition,
Il s’agit
de fléchir, dire oui au parricide,
On voudrait
que je cède à un meurtre placide !
SATAN.
Songe encor’ qu’il décède en pure perdition !
ABRAHAM.
Mais en
plus c’est trop pas du tout son genre !
On avait une alliance, on serait oublieux ?
On avait sa
confiance, on croirait en tels dieux ?
On avait un
couteau, on serait le bourreau ?
On avait
les richesses, or sommes des pauvresses !
Mon vers
s’en va au trot, rien ne rime avec genre
Qui me
satisferait, c’est clair, je le feray !
ISAAC.
Père, prier
ne vous réussis pas, vous hurlez pour toute la Moria et on ne comprend rien à ce que vous dites,
il doit manquer quelques vers ici et là, si vous chantiez plus souvent avec les
bergers vous sauriez ces choses. Mais dites-moi, avez-vous trouvé le sacrifice
que nous allons immoler ?
ABRAHAM.
Mon
fils ! C’est toi.
ISAAC.
Je m’en
étais douté au bandeau que vous m’avez mis sur les yeux et au poteau auquel je
suis attaché, mais cela pose un autre problème, à savoir qui me portera le coup
fatal.
ABRAHAM qui dit vraiment ça.
Las, quel
ennuy !
ISAAC.
Mon père.
ABRAHAM.
Mais si le
sais ne me le demande pas ! Bon et toi là-haut j’espère que tu regardes,
parce que si tu ne m’avais pas promis la Terre cinq fois d’affilée j’hésiterais.
Heureusement le fanatisme permet de vaincre toute les raisons de l’homme, donc
frappons.
Ici le cousteau luy tombe des mains.
ABRAHAM.
C’est un signe ! Il ne veut pas que tu meures, mon fils, il a changé d’avis !
ISAAC.
Non mon père, c’est juste que vous êtes inconcevablement maladroit, et cela ne me rassure pas pour les secondes qui me restent.
ABRAHAM.
Bon alors maintenant je frappe.
ISAAC.
Mon père, je dois être imbécile car je jurerais que vous êtes en train de pleurer à chaudes larmes sur mon épaule.
ABRAHAM.
As-tu fini de me compliquer la tâche ?! J’aimerais t’y voir !
ISAAC.
Père, si vous pouviez vous presser, je commence à avoir mal aux poignets.
L’ANGE.
Abraham, Abraham.
ABRAHAM.
Seigneur, me voicy.
L’ANGE.
Non, sérieux, frappe. ATTends, attends, ! Non non c’est bon, vas-y. NON ATTENDS ! Attends. C’est bon, tu peux y aller. NON NON ! Attends. ATTENDS ! Tu peux ranger ton couteau, on t’envoie un bélier, donc… tu peux… ressortir ton couteau… bref sacrifie-le à la place de ton fils.
ABRAHAM.
Non.
PROLOGUE.
Ici prend
fin
Le court
destin
Et
d’Abraham
À mon grand
dam
Et d’Isaac
… pris dans
le sac ?
Par son bon
père
Com’ il
opère (on va dire)
Et fut
sauvé
Du
sacrifié.
Suit une
morale générique sur les valeurs humaines.