En deux mille soixante-trois, le monde aurait dû être anéanti. Mais un
groupe de hackers, professionnels ou passionnés de l'informatique,
s'alliant les services de leurs confrères de par le monde, pirata les
banques de données militaires, les systèmes de renseignement, les
communications. L'événement se réitéra, plus fort encore, en deux mille
soixante-quatre et cette année là encore, le monde aurait dû être
anéanti. Mais par deux fois un groupe minuscule, une fraction
d'humanité avait sauvé la planète. Ils étaient quatre et derrière eux,
ils étaient innombrables. Ils allaient plonger le monde pendant trois
années dans un chaos de paix relative : ce fut la White Hat War.
Aucun livre d'histoire ne couvrait cette période et personne ne pouvait
dire exactement ce qui s'était passé, sinon les instigateurs mêmes de
l'action. Quant au rôle du Libra dans tout cela, Jean gardait là-dessus
le silence.
Il restait plus de deux mille ogives actives de par le monde. En sept
ans de guerre les stocks n'avaient pratiquement pas été sollicités.
Nombre de villes avaient disparu sous les missiles, des régions
entières de Russie n'étaient plus que terre brûlée et malgré cela,
l'holocauste avait toujours été évité. En partie grâce aux boucliers
ELW qui protégeaient désormais les villes d'Eurasie comme du Nouveau
Monde. La plus puissante arme humaine avait été mise à défaut, soit
qu'elle n'était plus assez puissante, soit qu'il n'était plus resté
personne pour l'utiliser. En deux mille soixante-huit, sa menace était
ignorée allègrement.
Désormais c'était l'Ange Noir qui faisait trembler le monde.
- Regardez cette entrée.
Ils s'étaient arrêtés dans le couloir pour souffler, pour se remettre
des événements. La flotte se dirigeait plein sud au-dessus des terres,
après avoir dépassé la baie de James. La vitesse des Pornev était
extraordinaire. Leur vaisseau traînait à cause des incendies, beaucoup
de personnel était mort. C'était une démonstration saisissante de la
sauvagerie du Nouveau Monde.
Kyréna avait regardé à nouveau le journal, surtout pour en savoir plus
sur la provenance du Libra. Il avait alors découvert l'arrivée
prochaine de l'Ange Noir. D'après le journal, la flotte l'avait déjà
réceptionné au-dessus de la dernière baie. Cela ne fit pas le même
effet au biochimiste qui offrit une moue désintéressée :
- Vous savez votre problème, Kyréna ? Vous êtes vieux jeu !
- C'est un Ange Noir.
- Oh le vilain ange ! De toute manière, il n'y a plus de flotte
internationale à couler ! Et Akdov ne risque pas de tirer sur la sienne
!
- Justement...
Le capitaine faisait défiler l'écran du journal en continu. Il ne
trouvait nulle part mention d'Akdov. Celui-ci avait donné l'ordre de
détruire les hangars, lui seul avait pu le faire ; mais si la
destruction était enregistrée, il n'était nulle part question du
général. Il n'apparaissait pas, pas plus qu'eux deux. Ils étaient
absents de la base de données.
- Ce programme est défectueux.
- Ah, vous voyez ! Vous voyez ! Et il répéta : Vous voyez !
- Vous avez deux heures pour vous improviser informaticien. Akdov ne
nous laissera pas beaucoup de temps pour retrouver ce Noé et si nous
tardons trop, il reviendra sur ses bons sentiments. Une fois à
Montréal, nous n'aurons que ces damnées machines pour nous guider.
- Ah, ça y est !
Jean triomphal présenta un plan du Pornev sous les yeux du blessé. Ce
dernier ne comprit pas mais sentit la migraine revenir plus forte.
- Quoi encore ?
- J'ai repéré l'infirmerie du bord !
Il se justifierait plus tard, bien des années après les événements,
s'il survivait à tout cela, par son état de santé pour expliquer que le
biochimiste ait réussi à le faire rire.