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Une étape essentielle de la mission avait été franchie : ils avaient en leur possession un spécimen de cette race d'indigènes qu'ils devaient amadouer. Il n'en fallut pas plus pour que la vive intelligence d'Agratius entrevit les rouages d'un plan des plus ingénieux. Le plus important, dans un premier temps, était surtout d'éviter que le Ouaglah soit maltraité...

Et cette tâche n'allait pas être facile ! Le gouverneur voulait mettre l'indigène en prison, pour son crime. Les Kharfaflas, si naïvement spontanés, voulaient tout simplement le lyncher. Mais l'autorité d'Agratius était implacable. Il faut dire que son exploit lui avait offert sur un plateau une stature héroïque.

« La Firme fait appel spécialement à nous pour opérer avec doigté. Nous ne sommes pas là pour déclencher une guerre, gouverneur ! Nous sommes là pour convaincre les Ouaglah de notre bienveillance à leur égard et de les persuader de coopérer plutôt que de les contraindre.

« Je ne suis pas certain que cela plaira aux Kharfaflas... Mais je suppose que vous savez ce que vous faites.

En réalité, le gouverneur doutait... Il doutait car, dans le fond, comment Agratius comptait extirper des informations à l'indigène sans utiliser la force ? Sans compter le fait qu'il ne connaissait pas sa langue !

C'était oublier l'atout majeur de l'équipe d'Agratius : le pouvoir d'Ophélia lui permettait d'entrer dans l'esprit de tout être et d'y déceler ses pensées. La langue était difficilement une barrière aux pouvoirs télépathiques... De cette manière, ils obtiendraient tous les renseignements nécessaires sans faire le moindre mal.

Le Ouaglah était encore inconscient quand ils le déposèrent sur le sol. Il était sonné, certes, mais vous auriez vu dans son regard la détermination, l'arrogance, la colère ! Tant et si bien que ce seul regard fit reculer le gouverneur. Dans le fond, voilà qui allait faciliter la tâche d'Agratius.

« Nous allons commencer par la méthode simple. Nous ne ferons appel à Ophélia que si cela est nécessaire.

Le garçon se pencha vers l'indigène et s'adressa à lui. Il fallait bien articuler et employer des mots simples.

« Moi pas vouloir du mal à toi. Toi me dire qui toi être, et quoi toi faire là.

Agratius fut bien servi : deux bonnes minutes de paroles ininterrompues ! L'indigène éructait dans une langue rauque et désagréable.

D'un coup, le gouverneur prit l'initiative de traduire la réponse. Après tout, qui connaissait cette langue ici à part lui ?

« Agratius, c'est un ramassis d'insultes ! Il dit qu'il maudit les étrangers à la peau blanche. Il dit que nous ne pouvons rien contre eux car ils sont puissants et bien plus intelligents que nous. Il dit que nous ne corromprons pas leur culture avec la saleté de notre race. Et je crois qu'il nous traite de démons dégénérés et de sous-hommes régressifs. Pour moi, il y a toutes les raisons du monde pour le mettre en prison.

C'était un peu facile... Le gouverneur pouvait bien traduire ce qui l'arrangeait ! Lui qui rêvait de lancer l'assaut contre la tribu des Ouaglah... Mais vous ne serez pas surpris d'apprendre que notre Agratius n'allait pas se laisser avoir si facilement.

« Non, gouverneur... Cet individu a peut-être de la rancoeur en lui, mais ne nous risquons pas à déclencher une guerre. Il est temps de faire entrer Ophélia pour un dialogue plus apaisé.

Croyez le ou non : à la vue d'Ophélia, l'indigène abdiqua toute agressivité sur son visage. Lui aussi était fasciné. C'était là l'effet que produisait la petite fille sur tous les hommes, quelle que soit leur race.

Elle s'assit face à lui. Le spectacle était beau : un premier contact tout en douceur, si apaisant. Voilà qui faisait du bien après le fâcheux épisode de tensions... Il l'admirait.

« Vas-y Ophélia, dis-nous ce qu'il y a dans son esprit.

Au début, le contact avec le Ouaglah fut un peu difficile. Forcément : dans la simplicité de sa race, il ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Alors il résista. Mais le pouvoir d'Ophélia était trop puissant, et il dut bientôt céder.

Comment vous transcrire les visions d'Ophélia ? Comprenez bien que son esprit fonctionne d'une façon si complexe... Alors oui, elle n'est qu'un robot. On pourrait donc penser que ce ne sont donc que des suites de 0 et de 1. Je pourrais l'expliquer avec un charabia scientifique jargonnant que vous feriez semblant de comprendre. Tout ça pour faire croire qu'Ophélia n'est que pure logique, qu'elle traduit la stricte vérité de ce qui se trouve dans le crâne de l'indigène. Non, ça serait bien trop facile.

Oui, Ophélia est un robot, mais elle est plus que cela ! Elle est capable de ressentir des émotions humaines. Ces émotions ne peuvent pas être traduites sur le mode binaire !

Ce qu'elle lit quand elle scanne l'esprit de l'indigène, ce n'est pas qu'une suite de formules mécaniques. Ce sont des sensations, des ressentis... Toutes ces imperfections qui font de nous des humains que la science ne pourra jamais déchiffrer entièrement ! Vous les livrer telles quelles ne vous aiderait pas. Cela ne ferait que vous embrouiller encore davantage.

Alors comment vous transcrire les visions d'Ophélia ?

Elles contenaient toute l'histoire des Ouaglah, et par les principaux intéressés, s'il vous plait !

La tribu des Ouaglah vit au milieu de la jungle, dans un gros village de huttes en paille. Les toits sont en feuilles de palmier. Ils ont besoin de peu pour vivre : ils chassent et cueillent des fruits. Il y a une rivière d'eau douce qui coule près du village.

Il semble qu'ils ne rient jamais. Pas de danse, pas de chants joyeux comme les Kharfaflas. La vie au milieu de la jungle, la vie sans le contact d'autres êtres humains, les a rendus trop sérieux. Ils passent leur temps à travailler, dans la tribu ou dans la jungle. Chacun à sa place et son rôle. C'est une vie monotone qu'ils mènent, chaque jour identique au précédent.

Ils sont toujours à l'affût d'un danger. Surtout d'un danger qui viendrait de nous, les hommes de la métropole. Ils sont convaincus que nous leur voulons du mal.

Car c'est un peuple vivant sous la tyrannie d'une organisation implacable. Leur plus grande crainte est que nous perturbions leur équilibre ! Il y a l'heure du lever. Il y a l'heure du repas. Il y a l'heure de l'assemblée de la communauté. Les chefs de la tribu ont tout prévu pour leurs sujets.

Quel plaisir y a-t-il à vivre sans le goût de l'imprévu ? Et qui sont donc ces chefs qui aliènent toute une tribu ? Voilà ce que cherchait à savoir Agratius et Ophélia...

La réponse était masquée derrière une fable des plus surprenantes...

Il y a plusieurs décennies de cela, un étranger est arrivé au milieu du village. Il s'est installé là, et s'y est imposé. Il vit dans une hutte de métal. Les parois sont rigides et froides. La porte s'ouvre automatiquement. Ses pouvoirs magiques subjuguèrent la tribu et il devint leur chef !

Les Ouaglah l'appellent « le professeur ». C'est un homme encore plus sérieux que toute la tribu réunie. Peut-être même est-ce lui qui les oblige à ne jamais s'amuser ! Il n'est pas un des leurs, et pourtant il les commande. Il les gouverne d'une main de fer et donne ses ordres par l'intermédiaire de gardes. Ils ont des fusils étranges. Des fusils qui clignotent vert.

Le professeur leur a dit de se méfier des hommes qui allaient débarquer d'au-delà des mers. Il leur a dit de leur faire la guerre pour qu'ils s'en aillent ! Il leur a dit qu'ils ne devaient à aucun prix entrer dans la tribu.

Il leur a ordonné d'enlever les enfants des Kharfaflas !

Quand elle eut fini de lire les pensées du Ouaglah, Ophélia eut l'air un peu surprise. Évidemment : elle ne s'attendait pas à trouver ici un tel mystère.

D'un coup Cirus prit la parole :

« Des enlèvements d'enfants et un professeur ? Est-ce que le professeur Sapiens serait...

« Je ne sais pas, Cirus, l'interrompit Agratius. Sapiens est mort dans l'explosion de son laboratoire... Mais je t'accorde que la coïncidence est troublante.

Il aida Ophélia à se relever. Il fallait maintenant clarifier les choses avec le gouverneur.

« Vous voyez gouverneur : j'avais raison de vous retenir. Les Ouaglah n'y sont pas pour grand chose. Ils sont les jouets d'un individu mauvais qui profite de leur naïveté pour en faire les instruments de sa vengeance. Notre mission est double désormais : il nous faut les délivrer de cette emprise, et leur montrer ce qu'une saine culture représente et permet. Les faire rire un peu ! On dirait que ces pauvres Ouaglah n'ont aucun objet de distraction.

« C'est bien triste, dit Lucius. Mais ils sont si différents de nous ! Crois-tu que nous puissions les aider malgré eux ?

« C'est notre mission, Lucius, aussi difficile que cela paraisse. Et j'ai besoin de quelqu'un de solide, comme toi, pour leur expliquer les subtilités de la civilisation.

Agratius avait raison : les Ouaglah n'étaient pas en cause. C'était ce « professeur » qui leur avait embrouillé l'esprit pour en faire des robots sans âme... Il était temps de remédier à tout ça.

« Voilà ce que je vous propose : nous allons partir en expédition avec le Ouaglah. Il nous conduira dans sa tribu. Je vous rappelle que sans lui, nous ne pouvons pas franchir le champ de force qui encercle leur village ! Une fois sur place, il suffira de démasquer le « professeur » pour libérer les indigènes.

Il en fallait peu à Agratius pour entrevoir un plan. Il savait que grâce au pouvoir d'Ophélia il allait être facile de montrer aux indigènes dans quels pièges ils sont tombés.

Le gouverneur fit un pas en avant.

« Vous m'avez convaincu, Agratius. Mais avant de pouvoir nous mettre en route, je crains qu'une tâche bien difficile nous attende !

« Que se passe-t-il gouverneur ?

« Les Kharfaflas ont réunis le conseil des anciens. Ils ont déjà commencé les danses de guerre. Depuis l'enlèvement de Deogratias, ils sont surexcités : ils veulent en découdre avec les Ouaglah. Et je crains qu'ils ne soient plus difficile à persuader que moi...



A l'annonce du gouverneur, Agratius sortit en trombe de la cabane. Les Kharfaflas s'étaient agglutinés sur la grande place et leurs chants retentissaient dans tout le village. Ils se peignaient sur le visage d'étranges symboles.

En quoi consistent ces « danses de guerre » dont parlait le gouverneur ? Des jeux d'adresse, des parties de jonglage à deux, trois, quatre participants : on jette en l'air des armes qu'il faut rattraper sans se blesser, on lance des couteaux sur des cibles de plus en plus éloignées, parfois sur des cibles vivantes pour renforcer le challenge. Les hommes se costument et se maquillent pour avoir l'air d'horribles monstres : le but est d'effrayer l'adversaire plutôt que de combattre !

Quant au conseil des anciens, voilà de quoi il s'agit : dans la société primitive des Kharfaflas, les anciens sont le principal organe du gouvernement. Ce sont eux qui décident des danses qui organisent la vie de la tribu. Et ce jour-là, leur résolution était claire : la guerre !

Agratius monta sur l'estrade d'où il avait tenu son premier discours. Il frappa dans ses mains pour attirer les regards.

Les Kharfaflas se tournèrent vers lui. C'est alors qu'il prit la parole.

« Je comprends votre enthousiasme ! Je comprends votre excitation à l'idée qu'une nouvelle partie de guerre va bientôt commencer. Mais je dois vous demander de la repousser. Je dois vous demander de participer à un jeu plus subtil. Permettez-moi de vous le présenter...

« Que savez-vous de ceux que vous appelez vos ennemis, les Ouaglah ? Ils enlèvent vos enfants ! Ils contrôlent la magie ! C'est ce que les apparences vous disent, mais j'ai découvert que tout cela était un coup monté. Je l'ai découvert grâce à celui que vous voulez exécuter. Loin des sortilèges dont il est le captif, il a accepté de se confier à nous. S'il a kidnappé Deogratias, c'est qu'il n'avait pas le choix. À présent, pour se repentir, il est d'accord pour nous aider à rétablir la vérité.

« La vérité, c'est que les Ouaglah sont sous l'emprise d'une force maléfique qui s'est abattue sur leur tribu. C'est elle qui les oblige à voler vos enfants. C'est elle qui a construit autour de leur camp une barrière invisible qui nous empêche de rentrer mais... les empêche aussi de sortir. Ils sont prisonniers d'un démon, et ce que je vous propose, c'est de triompher ensemble de ce démon pour éviter qu'il ne s'attaque à vous !

« Ce démon, vous ne pouvez pas l'affronter seuls. C'est pourquoi, dans un premier temps, il faut que vous rangiez vos armes, et que vous écoutiez mon plan. Le Ouaglah va nous conduire au camp de sa tribu. Il nous servira de monnaie d'échange et nous pourrons entrer sans problèmes. Une fois à l'intérieur, nous terrasserons le démon. Le sort qui pèse sur les Ouaglah sera levé et vos deux tribus pourront vivre en paix.

« Bien sûr, c'est une mission dangereuse... Il ne faut pas que nous soyons trop nombreux pour ne pas éveiller les soupçons. Je partirais avec Ophélia et notre ami Lucius. Le brigadier Cirus restera avec vous et le gouverneur pour assurer votre sécurité en cas de problèmes. Mais ne vous inquiétez pas ! Ophélia et moi avons affronté de bien plus grands dangers.

« Sans doute craignez-vous la magie et les dieux maléfiques des Ouaglah... Pour vous rassurer, je vais vous faire un présent divin, si vous acceptez de coopérer avec nous. Je vais vous montrer que des dieux sont aussi avec nous, et que nous n'avons rien à craindre. Si vous en êtes d'accord, je vous dévoilerai mon secret ce soir.

Le plan d'Agratius était décidément brillant. Il partirait avec Ophélia et Lucius en éclaireur pour vaincre le professeur tout en gardant la confiance des indigènes alliés. Quelle bonne idée que de se baser sur leurs vision primitive d'un monde magique pour leur faire croire qu'un sort avait touché leurs ennemis ! Et en cas de grabuge, si les Ouaglah s'avéraient plus coriaces, il serait encore temps d'utiliser la force. Mais il y avait un condition cruciale... Il fallait que les Kharfaflas l'écoutent.

Dans la foule des Kharfaflas, le silence se fit. Les indigènes commencèrent à s'agiter. Ils avançaient vers Agratius ! Certains mêmes montaient sur scène ! Allaient-ils s'emparer de lui ?

Avec tout le stoïcisme dont il était capable, le garçon se laissa faire. Les indigènes l'attrapèrent et le montèrent sur leurs épaules. Un murmure traversa l'assemblée. Même le gouverneur n'osait pas agir ! Agratius circula d'épaules en épaules jusqu'à atterrir face aux anciens.

Que faire ? Lucius voulait impressionner Ophélia. Il s'apprêta à se jeter sur Agratius pour le protéger, fendant la foule des indigènes.

Mais... Une pensée lui traversa l'esprit. Soudainement, comme une évidence. C'était Ophélia qui l'invitait à faire confiance à Agratius. Le garçon savait ce qu'il faisait, bien sûr. Agratius sait toujours ce qu'il fait. Ne pas interrompre l'étrange cérémonie improvisée qui avait lieu sous leurs yeux. Le nain arrêta son élan.

Car entre temps, une curieuse chorégraphie avait commencé.

Le conseil des anciens formait un premier cercle autour d'Agratius. Ils murmuraient chacun une note, en continu. Tous ensemble ils prononçaient l'ensemble de la gamme, et le son résonnait dans le village. Partout, oui, même dans le sol et même dans le coeur des spectateurs incrédules.

Plusieurs Kharfaflas sortirent des rangs et formèrent un second cercle de danseurs. Ils ne faisaient pas que danser : ils frappaient dans leur main et sur leur corps pour battre un rythme entraînant. Le rythme se superposait au chant des anciens.

Il semblait que les indigènes improvisaient un nouveau ballet, spontané et mystérieux.

S'agissait-il d'un spectacle de vie ou d'un spectacle de mort ? Pour l'instant, rien ne laissait présager de la suite. Tous, les Kharfaflas, mais aussi le gouverneur, Lucius, Cirus et ses hommes, étaient comme hypnotisés par le chant.

Seuls Agratius, au centre du courant, et Ophélia, en retrait mais aux aguets, étaient attentifs aux mouvements de chaque danseur. Agratius avait-il mis en colère les indigènes par ses paroles pacificatrices ? S'agissait-il d'une curieuse cérémonie de jugement, propre à ce peuple qui exprimait tous ses sentiments sous la forme de danses et de chants ?

Agratius regarda Ophélia. Elle lui dit de ne pas avoir peur.

Un large rire éclata dans le cercle des anciens ! Le rythme des danseurs autour s'accéléra.

Le rire était franc, sans ambiguïté. Leurs intentions étaient bonnes !

Le plus âgé des anciens commença à parler dans sa langue. Un long discours, passionné et dans lequel, sans même comprendre un mot, on pouvait lire l'admiration pour Agratius.

Le gouverneur entrepris de traduire :

« Bravo Agratius ! Le conseil des anciens vous décerne le titre de prince Kharfafla. Vous êtes officiellement leur roi, à présent !

Quel retournement ! Et maintenant, tous les Kharfaflas joignaient leurs frères dans la danse. Une danse folle et pleine de rires !

« Je suppose que cela veut dire qu'ils sont d'accord !



Une question restait encore en suspens... La danse des Kharfafla a interrompu les promesses d'Agratius, au moment même où il faisait mention d'un « cadeau divin ». A quoi pensait-il ?

Cherchez bien, car la réponse est quelque part au début de cette histoire... Agratius n'a pas encore dévoilé tous ses atouts, et il sait que pour impressionner encore davantage les indigènes, il faut les mettre en présence d'un peu de surnaturel. Les Ouaglah ont leur bouclier invisible... Eux aussi ne sont pas dépourvus de « magie ».

Pour ceux qui n'auraient pas la patience de chercher la réponse à cette énigme, voyons un peu ce que prépare Agratius.

Après son numéro sur l'estrade, il s'est tourné vers les hommes de Cirus. Il leur a demandé de veiller sur les Kharfaflas. Ce sont eux qui auront la responsabilité de la tribu pendant l'expédition d'Agratius.

« Votre rôle est essentiel. Il ne s'agit pas seulement de protéger la tribu et nos intérêts en cas d'échec de mon plan et d'attaque des Ouaglah. Il s'agit aussi de les éduquer pendant que nous sommes partis. Montrez-leur nos jeux. Participez à leurs danses ! C'est de cette façon que nous introduirons, petit à petit, les joies de la civilisation dans leurs coeurs. Ils ont beaucoup à apprendre de vous, et vous êtes nos meilleurs ambassadeurs. Ne dit-on pas que les jeux de la guerre sont les plus complets, car ils mêlent stratégie, compétition et entraide ? Alors allez-y, apprenez-leur à s'amuser comme nous savons si bien le faire. Cela les occupera, et les éduquera en même temps.

Une mission essentielle ! Cirus saura certainement diriger ses hommes dans la bonne direction. Et, pour les aider, ils disposeront du fameux « cadeau divin »...

Le dernier passager, celui qui n'est pas encore descendu sur la terre ferme... Le robot V !

Aidé de quelques hommes, Agratius descendit les caisses qui contenaient, une après l'autre, les pièces du robot. Lorsqu'elles furent toutes ouvertes, il demanda aux soldats de commencer à assembler l'androïde.

Pendant ce temps, évidemment, les Kharfaflas, curieux de nature, et justement intrigués par les promesses d'Agratius, s'étaient rassemblés autour des caisses.

« Voilà le cadeau divin que je vous ai promis. Chez vous, ce sont les danses et les chants qui servent à communiquer avec les dieux, et à invoquer des pouvoirs magiques. Chez nous, c'est la connaissance des métaux et de leur assemblage qui permet de réaliser des prodiges.

« Ce que je vais vous montrer à présent est une de nos merveilles... C'est une statue de métal qui représente l'un de nos dieux, le dieu de la guerre... Je suis certain que vous en avez un aussi ! C'est un dieu protecteur, mais colérique ! Pour lui plaire, nous réalisons cet assemblage à son image. Il y pénètre alors et peut entrer en contact avec nous.

La démonstration était parfaitement coordonnée : pendant qu'Agratius présentait le cadeau, les soldats montaient une à une les pièces du robot V. Il prit progressivement forme humaine.

« Et vous allez bientôt voir que le dieu va nous répondre...

À cette phrase, Cirus appuya sur le bouton qui mit en route les circuits du robot. Ses yeux s'allumèrent. Ses mains se déplièrent. Ses jambes se contractèrent. On aurait presque dit une chorégraphie kharfafla !

D'ailleurs, sans doute est-ce comme cela que les indigènes interprétèrent la gymnastique de réveil du robot V, car ils applaudirent à chaque mouvement. Mieux encore : ils réalisaient, simultanément, les mêmes gestes que le robot !

« Nous entends-tu, dieu de la guerre ?

Cirus actionna la tête qui acquiesça. La réaction du robot fascina encore davantage la foule.

« Voilà le présent que je vous fait en signe de bienveillance. Notre dieu protecteur veillera sur vous le temps de notre expédition !



Le départ était prévu au lendemain matin. Comme vous pouvez l'imaginer, Agratius et Ophélia étaient pleinement satisfaits de leur réussite. Ils avaient réussi à calmer les ardeurs des Kharfafla. Et l'aventure chez les Ouaglah promettait d'être palpitante ! Les Enfants de la Dernière Chance adorent les mystères et les dangers, et ce voyage en promettaient beaucoup !

Que devenait le Ouaglah, pendant ce temps ? Agratius accepta, face aux arguments du gouverneur, de l'enfermer dans une pièce gardée. Mais que les choses soient claires... Il n'était pas prisonnier et, dès le lendemain, il partirait avec le groupe sans la moindre entrave.

D'ici au départ, les Kharfaflas avaient prévu une surprise pour leurs sauveurs : une fête était donnée pour la nomination officielle d'Agratius comme roi de la tribu !

Le plus incroyable dans cette fête était que tout le monde mettait du sien pour y participer !

D'abord, les indigènes s'étaient regroupés pour inventer de nouvelles danses. Cela faisait longtemps qu'ils n'avaient pas eu de roi à la tête de la tribu, et il fallait se remémorer les grandes fêtes des temps passés. Les anciens étaient là pour organiser les ballets.

Il y avait ensuite les hommes de Cirus qui avaient parfaitement compris leur rôle : il fallait montrer aux indigènes les merveilles du monde moderne. Ils sortirent de leur valise leurs plus beaux jeux. Il y avait de tout, car l'équipage avait été bien doté au départ.

Imaginez au milieu d'un village indigène tout l'attirail des grands magasins. Des quilles sculptées. Des cibles de fléchettes à décompte automatique. Des centaines et de centaines de cartes à jouer ! Les soldats distribuèrent généreusement tous leurs paquets. Ils organisèrent des tables et des poules, et ce fut le départ d'un grand tournoi ! Belote, whist, poker, bataille, bridge... Tout y passait !

Mais le plus beau était encore à venir... Les soldats et les indigènes, sous la houlette de Lucius, avaient préparé des festivités encore plus surprenantes. Ils avaient inventé de nouveaux jeux !

Il fallait d'abord honorer le nouveau roi... On installa Agratius sur un trône en paille et en bambou. Il se trouvait au milieu de l'estrade. De là où il était, le garçon voyait toute la fête : les répétitions de danse comme les tables de jeux.

Enfin Lucius vint devant le nouveau roi pour lui présenter ses inventions.

« Nous avons suivi tes conseils judicieux, Agratius. Nous avons cherché à mêler les traditions !

Des jeux de danse alors...

Oui ! Le premier jeu consiste en un automate produit des mouvements de danse plus ou moins élaborés avec les bras et les jambes. Les joueurs doivent suivre son rythme, qui s'accélère progressivement, et le gagnant est celui qui parvient à suivre la danse du robot jusqu'au bout !

Et le deuxième jeu est encore plus incroyable : un tapis est posé à même le sol. Des cercles de couleur sont cousus sur le tapis et chaque cercle est numéroté. Une girouette désigne à chaque tour la couleur du cercle sur lequel les joueurs doivent poser la main ou le pied. Le gagnant est le dernier sur le tapis !

Voilà des jeux qui feront fureur une fois de retour au pays !

La soirée en arrivait maintenant à la dernière étape de la fête... Agratius allait être officiellement nommé roi. Une femme s'approcha de lui et commença à appliquer sur son visage plusieurs pigments. En quoi transformait-elle le garçon ? Des yeux ronds et brillants ici. Une peau cuivrée. Des articulations bien marquées. Des coutures le long des muscles...

Ce fut évident pour quiconque regardait la scène... Ce d'autant plus qu'Agratius entendit un lourd bruit de pas venir derrière lui.

Le robot V ! Le « dieu » avait décidément fait forte impression ! Tous et toutes se prosternèrent et félicitèrent la maquilleuse.

Mais ce n'était pas tout ! Un des anciens, lui aussi maquillé comme pour la guerre, tenait dans ses mains la télécommande du robot. Derrière Agratius, des grincements, des cliquètements... Que se passait-il ?

« Lucius... Es-tu certain qu'il soit prudent de leur laisser les commandes du robot ? C'est une arme, après tout...

Agratius avait bien tort de s'inquiéter ! Les Kharfaflas étaient tellement enthousiastes...

De toute façon, il n'eut pas le temps de s'en faire : en un instant, il était soulevé au-dessus du sol par la main du robot...

Et là aussi, nul besoin d'esquisser derrière son masque des traits d'inquiétude. Agratius était parfaitement en sécurité.

Il montait, il montait...

Les indigènes l'acclamaient ! Les hommes de Cirus aussi !

Il se trouvait maintenant à plusieurs mètres au-dessus du sol...

Sous ses pieds, le vide. Le vertige du vide, de la gloire, du triomphe des idéaux de la civilisation !

Des dizaines d'indigènes accomplissant des danses folles, s'enivrant dans des parties endiablées de cartes, venant toucher les pieds du robot comme une relique sacrée !

Quelle fête mémorable ! Elle restera certainement dans l'histoire du pays !

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