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Prologue


Il s'agissait d'une très fine chaîne en or au bout de laquelle pendait ce qui semblait être une dent de requin. Le croc paraissait cependant plus droit et de légers reflets métallisés brillaient sur sa surface polie.

"Alors ? Qu'est-ce que tu en dis ?
_Il est magnifique, Matt ! Quand tu m'as dit que tes parents t'avaient offert un collier, tu ne m'as pas précisé qu'il était aussi beau ! Il te va à merveille !
_Merci, c'est vrai que je l'adore, celui-là. Mes parents ont peut-être du goût, finalement.
_Et en quel honneur te l'ont-ils acheté ? Nous sommes au début du mois de juillet, ton anniversaire date d'il y a trois semaines et ce présent n'est pas banal...
_Oh, euh... En fait, c'est un cadeau d'anniversaire en retard, bafouilla-t-il.
_Tu es sûr que ça va ? Tu es devenu tout pâle.
_Je vais bien, ne t'en fais pas pour moi. C'est juste une fatigue passagère de rien du tout.
_Hum... Très passagère alors, fis-je remarquer, constatant qu'il reprenait déjà des couleurs.
_Il faut juste que je me repose un peu, je ne dors pas beaucoup ces temps-ci. J'étais juste passé pour te montrer mon collier et prendre de tes nouvelles.
_Je vois. Tu ferais mieux de rentrer chez toi pour t'allonger, c'est vrai que tu as l'air épuisé, mon pauvre.
_Je dois prendre ça comme une invitation à partir ?
_Parfaitement, répliquai-je d'un ton amusé. Et ne reviens que lorsque tu auras dormi et que tu n'auras plus une tête à faire peur.
_Tu sais ce que j'aime le plus chez toi, Anna ?
_Non ?
_Ta franchise et ton soutien amical. Avec toi, on se sent aimé, on n'a pas du tout envie de t'étrangler.
_Et encore, je n'étais pas à mon maximum, là, ajoutai-je, le sourire aux lèvres.
_Je préfère éviter d'entendre la suite et m'en aller maintenant, si tu permets.
_Voilà, vas-y et n'oublie pas de te reposer, surtout !"

J'ouvris la porte et le poussai dehors pour le taquiner. Après une bise rapide, il sortit de chez moi et disparut dans l'obscurité naissante. J'étais toujours de bonne humeur après les visites de Matthew, il avait le don de me faire rire en toute occasion.
C'est mon meilleur ami, je le connais depuis la maternelle et on ne s'est jamais disputé depuis. Nos désaccords se règlent à l'amiable et on est tous les deux prêts à faire des compromis l'un pour l'autre, même si nos goûts et nos envies ne diffèrent guère. C'est fou le nombre de gens qui s'étonnent de voir une pareille complicité entre nous.
Bien sûr, j'ai de la chance d'avoir un tel ami et je m'en rends compte, croyez-moi. Chaque fois que je le vois, quoiqu'on fasse, je sais que je passerai un bon moment. J'espère qu'il peut en dire autant de moi.
Pour en revenir au moment présent, ma joie était teintée d'une légère inquiétude pour lui. Je n'avais pas menti en lui disant qu'il faisait peur. Il avait les traits tirés et de grandes cernes violettes sous les yeux. D'ailleurs, en y repensant, cela faisait des jours qu'il semblait épuisé. Lui qui était d'un naturel si séduisant avait perdu son bronzage impeccable pour le remplacer par une peau d'une pâleur cadavérique. Son regard était en revanche plus brillant, comme s'il était fiévreux.
Cependant, il devait passer plus de temps à faire du sport, car il devenait de plus en plus musclé et ses réflexes paraissaient plus efficaces. En réalité, il était comme ça depuis son anniversaire. Peut-être sa majorité l'avait-elle affaibli, même si l'évènement remontait à presque un mois maintenant.
Après un court instant de réflexion, je décidai de l'appeler le lendemain afin de prendre de ses nouvelles. Je m'aperçus enfin que j'étais restée devant la porte, perdue dans mes pensées pendant près de cinq minutes. Il fallait vraiment arrêter de m'angoisser pour rien. Si Matt avait quelque chose, il me le dirait.
Rassurée par cette perspective, je me secouai et me dirigeai vers la cuisine. Il était 18 h 00 et je n'avais rien avalé depuis le petit-déjeuner qui n'avait pas été copieux.
J'avais déménagé récemment et ne m'alimentais pas correctement depuis que je vivais sans mes parents.
C'est vrai que 18 ans, c'est tôt pour quitter le domicile parental, mais j'avais été acceptée dans une école à Paris et mon père et ma mère avaient jugé plus simple d'acheter une maison de la zone pavillonnaire parisienne. Oui, ils ont assez d'argent pour ça.
J'étais actuellement en vacances, mais j'occupais déjà mon nouveau chez-moi. Je m'y sentais bien et savais que j'étais privilégiée d'habiter un tel endroit, et j'essayais d'en profiter pleinement.
Bref, arrivée dans la cuisine, je me rendis compte qu'un saut dans le supermarché le plus proche s'avèrerait nécessaire. Soupirant devant cette corvée à laquelle je n'étais pas encore habituée, j'enfilai une veste légère, sortis et refermai la porte à clé. Le portail électrique coulissait sans bruit derrière moi tandis que je m'enfonçai dans les ténèbres de ma rue.
Je n'aurais jamais dû sortir de chez moi ce soir-là. Car c'est là que tout a commencé.
Lorsque j'ai vu ces trois gouttes de sang par terre, je n'y ai pas prêté attention tout de suite. Mais quand elles se sont transformées en traînée rouge, mon cœur s'est arrêté de battre. Je me trouvais dans une rue proche de celle où Matthew garait sa voiture.
Le sang avait l'air encore frais. Mon Dieu, faites que Matt aille bien, par pitié, faites qu'il soit rentré chez lui en bonne santé, ai-je immédiatement pensé.
Je suivis la trace sanglante des yeux. Elle s'étendait sur plusieurs mètres avant de disparaître dans une étroite ruelle. Prudente, je me munis de mon spray au poivre que je gardais en permanence dans mon sac à main et avançai vers le coin de la rue, prête à me faire agresser à tout moment. Je longeai le mur sans bruit et tournai brusquement dans la ruelle.
Le sang continuait son chemin jusqu'à la grande route où il s'arrêtait dans une flaque qui me donna aussitôt la nausée. Heureusement, il n'y avait plus de danger et le quartier semblait désert. Je m'adossai avec soulagement contre un mur d'une propreté douteuse et tentai de respirer calmement... Soudain, un bruit.
Une portière de voiture qui claque. Je me redresse en entendant le moteur démarrer. Lorsque le véhicule s'éloigne, je me précipite pour l'identifier, il a sûrement un lien avec tout ce sang. En fait, je l'ignore, mais mon geste est irréfléchi.
Quand la voiture entre dans mon champ de vision, ma respiration se bloque, mes battements de cœur s'affaiblissent, je vois trouble. Malgré la nuit qui tombe, je pourrais reconnaître ce 4x4 entre mille. J'espère me tromper, mais je suis sûre de moi.
Il devrait déjà être garé devant chez lui, il est parti depuis quinze minutes maintenant, mais il est là. Matthew... Qu'a-t-il fait pendant tout ce temps ? D'où vient le sang ? Tant de questions qui m'inquiètent et qui restent sans réponse... Et s'il s'était fait agressé ? Vu sa fatigue, il n'aura rien pu faire...
Mais surtout, ce sang me rend malade. Je n'en ai jamais vu autant si près de moi. L'odeur me monte à la tête, le liquide poisseux me fait imaginer le pire. Je sais, je suis méfiante de nature et m'angoisse souvent pour rien, mais là, j'avais raison. Ce sang a changé ma vie.
Je m'appelle Anna Reilly et ceci est mon histoire.


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