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Catégorie parente: Science-Fiction
Catégorie : Pandemonium
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Montréal, Automne 2061

Un taxi longeait le terrain de basket au grillage détruit où trois ados faisaient quelques paniers sous une bruine persistante. Le chauffeur fit un bref écart évitant le ballon qui vint se perdre sur le trottoir. Un homme en costume froissé descendit de la voiture et paya rapidement avant de traverser la rue vers une maison décrépie. Un coup d'œil en arrière, les jeunes semblaient continuer leur partie. L'homme inséra la clef dans la serrure avant d'ouvrir la porte.

Une formidable détonation retentit projetant l'homme contre une voiture stationnée de l'autre côté de la rue. La valise qu'il tenait à la main échoua contre le trottoir près du grillage. La maison flambait intégralement, le souffle ayant anéanti le perron et l'homme, littéralement carbonisé, ne bougeait plus, gisant sur le capot de la voiture.

Les trois jeunes se regardèrent, stupéfiés. La fille commença à reculer tandis que l'un d'eux, au teint basané, d'environ seize ans s’avançait. D'abord lentement, puis couru vers la valise brûlée qu'il ramassa en jetant un coup d'œil alentour. Il revint vers ses deux amis et regardant l'homme, il dit :

_ On ne peut plus rien pour lui. Les flics feront le reste.

Il jeta un regard vers la mallette et annonça souriant :

_ Par contre pour elle, relevant la tête, et pour nous...

Une sirène au loin les poussa à s’éloigner en courant. Mais en fait de brigade, une voiture noire, qui était apparue au coin de la rue et avait surpris la scène, démarra et commença à suivre les trois ados en fuite. Ceux-ci s'engagèrent dans une ruelle, puis une autre avant d’être hors de portée de la voiture qui s’éloigna rapidement.

***

De retour chez eux, Angie, ferma les rideaux et se retourna. Fixant la valise puis son camarade elle dit sèchement :

_ Tu te rends compte de ce que tu viens de faire Amîn ?! Et de quel droit amènes-tu la valise ici ? C'est chez moi…

_ Chez nous, coupa Noé, je te rappelle que c'est chez nous ici depuis que les parents sont morts. Pense-y.

_ Ouais, fit Amîn conquis, si tu ne veux…

_ Tais-toi ! Trancha Noé. Elle n’a pas tort, qu'est ce qui t'a pris de piquer cette mallette ? T'es fou ? Tu veux que les keufs débarquent et nous ramènent au foyer d'accueil ?

_ De toute façon, là où est son propriétaire, il n'en a plus besoin de sa mallette ! Pour le foyer, vous n'en avez rien à faire, vous êtes français et sans papiers, que veux-tu qu'ils te fassent ? Personne ne paiera ton éducation ici ! Et pour la mallette, on regarde ce qu'il y a dedans et s'il n'y a rien d'intéressant, on la rapporte sur les lieux… sans les biftons bien sûr, ajouta-t-il le regard pétillant.

_ D’où tu tiens qu’elle contient de l’argent ?

_ Et les empreintes, rétorqua Angie, tu y as pensé ?

_ Alors on l'emmènera aux objets trouvés, voilà, c'est tout.

_ Tu crois que tu as le droit de faire ça ? continua Noé. Tu penses vraiment que tu peux voler quelque chose et le ramener si ça ne te plaît pas ? Tu te crois où ?

_ Je ne l'ai pas volé, c'est un emprunt… à long terme ! Tu as une autre solution ? On n'a plus d'argent et le frigo est vide, tu ne crois quand même pas que ce sont tes petits boulots au noir qui vont nous faire vivre toute la vie ?

S'en suivit un long silence que Noé rompit :

_ On l'ouvre. Mais s'il n'y a rien d'intéressant, on ne la ramène pas, on la détruit. Si on trouve du fric, on partage et on avise. Ok ?

_ Et si on trouve autre chose que du fric ?

_ Comme quoi ?

_ Je ne sais pas, autre chose. Un truc important…

_ On verra. Si ça se trouve, il n'y a que des photos ou des fournitures de bureau, des dossiers…

_ Tu te ferais tuer pour des paperasses sans importances ? Non, à mon avis…

_ Tu crois vraiment qu'on l'a tué ?

_ Non, non… fit Amîn puis plus sarcastique : tout le monde pose alarmes reliées à des bombes chez soi pour éviter les voleurs, il s'est juste trompé de code.

_ Tu l’ouvres cette foutue mallette ?! coupa Noé.

Amîn posa la mallette sur la table et, se prenant au jeu, demanda à Noé de fermer la porte à clef avant de l’examiner d’un faux air connaisseur.

_ Deux serrures, deux clefs différentes.

Il prit un trombone.

_ Attends, fit Angie, si la serrure était piégée ?

_ T'as vu le style du mec ? C'est pas James Bond, tu regardes trop la télé.

_ J’ai surtout vu sa mort et ça m’avait l’air très télévisuel !

_ Tu devrais tenter du côté des gonds, ils semblent avoir souffert dans l'explosion. Et puis c'est pas avec ce pauvre bout de fer que tu vas l'ouvrir, fit Noé.

Amîn sourit.

_ Ok ! C'est bon, c’est bon ! Éloignez-vous, vous m'empêchez de respirer ! De toute façon, ça va prendre du temps, si elle est piégée, il faut que j'y aille tout doux, ajouta-t-il.

Noé esquissa lui aussi un sourire en pensant aux facilités d'Amîn pour la cambriole. Même s'il ne restait plus des masses de serrures sur les maisons des riches personnes, remplacées par des cartes magnétiques, Amîn avait développé une habilité au crochetage et au vol, mené par une faible conscience. Effectivement, après une demi-heure celui-ci s'écria :

_ Tranquille, c'est fait ! Elle n'était pas piégée, mais vu la taille des serrures et l'épaisseur, ça doit être important.

Noé et Angie vinrent le rejoindre autour de la valise. Amîn attendit un petit instant savourant sa victoire avant d’ouvrir complètement la fermeture éclair qui séparait les compartiments et leva tout doucement la cloison. Ils ouvrirent en grand les yeux et Angie poussa un cri. La valise contenait une arme et une centaine de liasses de billets de 500 dollars dont quelques-unes tachées de sang.

_ On est riches, fit Noé en prenant une liasse, riches !

_ Et armés, fit Amîn en prenant le pistolet.

_ D'où vient cet argent à votre avis ? Fit Angie n’osant toucher les billets.

_ Je ne sais pas répondit Amîn, et je ne veux pas le savoir. Je vois déjà les couleurs des côtes européennes !

Angie commença à rire et ses amis aussi : ils étaient inopinément riches. Mais Noé se figea et leur fit signe de s'arrêter.

_ Bien quoi ? T'es pas heureux ?

_ Il ne manque que le champagne, fit Angie en riant, ce que je suis pressée de retrouver l'Europe !

_ Chut ! Taisez-vous !

Ils se turent et écoutèrent… le silence. Angie sourit et Amîn commença à rire tout bas. Mais Noé énervé leur intima de se taire. Alors ils entendirent alors un bruit du côté de la porte.

_ Quelqu'un force la serrure, murmura Noé. On se tire ! Vite !

Il prit sa sœur par le bras et la mallette dans l'autre main, Amîn les suivit, mais s'arrêta au bout de quelques mètres, fit demi-tour, récupéra les quelques liasses et billets qui restaient sur la table et cacha le flingue entre son jean et son T-shirt en repartant. Noé se retourna lui intimant de se dépêcher, pendant qu'il aidait Angie à passer par un conduit de ventilation.

Au moment même où Amîn passa la porte de la seule chambre, un coup de feu se fit entendre. De l'autre côté de la porte, ils tiraient sur la serrure pour aller plus vite. Une fois cette dernière en morceaux, trois hommes entrèrent dans la cuisine, deux avec des fusils à pompe et le premier, moins costaud, avec un Colt. Celui-ci vit Amîn entrer dans le conduit derrière Noé et commença à tirer, le manquant. Il laissa échapper une injure et cria aux deux gorilles derrière lui de boucler les sorties de l'immeuble. Ce dernier étant désaffecté, il devrait être facile de filtrer les sorties. Mais les trois jeunes le connaissant par cœur avançaient vite dans les conduits.

Soudain Noé demanda à Angie de s'arrêter, il défit une grille sur sa droite et sorti du boyau. Il sortit de la pièce par une porte en ferraille et descendit les escaliers qui s'en suivaient faisant signe à ses amis de le suivre. Amîn essayait tant bien que mal de réajuster l’arme qui glissait irrémédiablement dans ou hors de son pantalon. Finalement il la glissa dans une poche fermée de son blouson où elle continua de battre son torse au rythme de leur course effrénée.

_ Où peut-on aller ? demanda Angie.

_ D’abord on essaie de sortir sans se faire plomber, fit Noé.

_ Sans quoi ? risqua-t-elle un peu plus fort.

Mais seule une rafale de balles tirée d’en contrebas lui répondit. Celles ci sifflèrent à leurs oreilles et ricochèrent contre l'escalier de fer. Noé obliqua à droite dans un corridor, descendit un escalier, puis un autre, une coursive de fer, et tout en vérifiant qu’Angie et Amîn suivaient il enchaîna un dernier escalier avant de se ruer dans un sombre couloir puis s'arrêta dans une veille cave humide, ne voyant rien d'autre que le noir d’encre qui les cernait. L’ambiance du lieu les empêchait de gaffer en parlant trop fort :

_ Et maintenant ?

_ On attend…

Des bruits de pas se firent entendre. Ils virent passer deux hommes dans le couloir qu’ils avaient quitté. Ils s’arrêtèrent pour guetter tout bruit suspect. Une fois que les pas se furent éloignés, Amîn alluma son briquet et indiqua un gros trou dans le mur, expliquant à voix basse qu'il devait rejoindre les égouts.

Arrivés sous une ouverture annotée du nom de la rue où elle débouchait, Amîn gravit l’échelle qui y menait et souleva difficilement mais calmement la plaque. Jetant un œil à la dérobée avant de la retirer entièrement il aperçu les deux hommes qui les recherchaient rejoindre le plus trapu qui semblait être leur chef. L’homme en question semblait maudire ses acolytes puis entra dans une Mercedes noire avant de filer dans la direction opposée, laissant ses deux gorilles garder l'immeuble. Une fois ceux-ci rentrés, Amîn pris alors la décision d’enlever la plaque d’égouts complètement et fit signe à ses amis de sortir. Ils repartirent alors sans reprendre leur souffle tâchant de ne pas se faire repérer…

Il était midi et la pluie avait fait place à un soleil de plomb.

***

Noé fit signe à ses amis de s'arrêter devant un immeuble; ils avaient pris le métro et se trouvaient maintenant en centre ville. Durant tout le trajet aucun des trois n'avait soufflé mot. Amîn était occupé à compresser une blessure sur sa jambe, une balle l’ayant éraflé durant la cavalcade même si sur le coup il n'avait rien sentit, sûrement trop occupé à courir. A présent au repos la douleur lui monopolisait l'esprit.

Le bâtiment devant lequel ils se trouvaient maintenant se composait d'une vingtaine d'étages. Noé leur expliqua qu'une de ses connaissances y habitait et qu'ils pouvaient sûrement s’y reposer pour le moment. En entrant, ils se rendirent vite compte que l’immeuble paraissait en meilleur état de l'extérieur. Les murs étaient couverts de graffitis, l’odeur d'urine se mélangeait avec celles de friture. Ils prirent le seul ascenseur qui semblait encore fonctionner et, arrivés au dixième étage, Noé en sortit le premier évitant une vieille dame et une mère qui pestait contre sa fille. Il emprunta le couloir de gauche et s'arrêta devant une porte qui portait le numéro 47. Se tournant vers ses amis qui arrivaient, il fit :

_ Je vous préviens tout de suite, il est un peu bizarre. Mais ne parlez surtout pas de ce qui s'est passé, vu ?! Disons que notre immeuble a été bouclé pour une enquête de police et que nous n'avons plus où loger.

Sur ce, il frappa à la porte. Des bruits de pas se firent entendre et un homme en chaussons non rasé, mal habillé, ouvrit la porte. Noé prit la parole :

_ Donnay ! Tu me reconnais ? C'est moi, Noé !

_ Noé ? Fit l'homme encore dans le pâté. Euh… ouais Noé… non je ne vois pas.

Celui-ci qui commençait à sourire prit un air mi-étonné, mi-énervé.

_ Tu ne te rappelles pas de moi ? On a bossé ensemble sur les presses d’Exington dans l’équipe d’Hadley.

_ Hadley avec le bras enflé ? Hellboy ? Il t’avait pas collé une de ces raclées avec la…

_ Oui, oui, c’est ça. Laisse-nous entrer s’il te plaît, c'est urgent.

_ Fais donc ! Et c'est qui ceux-là ? demanda-t-il en désignant Amîn et Angie.

_ Ma sœur et un ami qui sont dans le même pétrin que moi. On a eu une dure matinée !

_ Moi je n'en ai pas eu, tu viens de me réveiller. Je vais me recoucher. Fais comme chez toi, même pour le ménage hein, n’hésites pas à nettoyer.

Il passa dans une pièce à côté et referma la porte. Quelques minutes plus tard, alors que Noé faisait les cafés, des ronflements se firent entendre du côté de la chambre.

_ T’as de drôles de connaissances, lança Amîn.

_ M’en parle pas, fit Noé en lui rendant son regard.

Puis jetant un œil par dessus son épaule :

_ Et encore, il était assez vif aujourd'hui. De toute façon, j'ai l'impression qu’on ne va pas moisir ici.

_ J’espère bien. Mais il y a une chose que je ne comprends pas : les gars qui nous poursuivaient étaient sûrement là pour la mallette…

_ Perspicace, glissa Angie fatiguée.

_ …mais comment ont-ils fait pour nous trouver ?

Noé leur servit les tasses et s’assit dans le canapé, tout du moins sur le tas de vêtement qui le recouvrait. Amîn reprit :

_ C'est vrai, on ne connaissait pas le mort, personne ne nous a vus et personne ne sait où nous squattions. Alors comment ?

_ Il y a une solution, proposa Angie, la mallette. Il y a peut-être un émetteur dedans ou un truc du genre…

_ Mais bien sûr, tu regardes trop la télé !

_ Non, corrigea Noé, elle a peut-être raison. Passe-moi la mallette.

Tout en l'ouvrant et la fouillant Noé continuait de parler :

_ Imagine un instant qu'il n'y ait pas que du fric dedans, file-moi ton couteau !

Il entreprit alors d’en découper le fond et surprise générale, elle contenait un bloc de feuilles reliées ainsi qu’un dispositif électronique.

_ Oh non… désespéra Angie.

_ Et merde, sûrement un émetteur ! Casse-le ! On va se faire repérer.

_ Non, répartit Noé songeur. J'ai une meilleure idée. Ne bougez pas je reviens.

Il prit ce qu'ils pensaient être l'émetteur et franchit la porte en courant… Un quart d'heure plus tard il réapparut, essoufflé. Angie l’interrogeait du regard alors qu’Amîn comptait les billets tout en vérifiant de temps en temps par dessus son épaule que leur hôte ne se réveillait pas.

_ J'ai fourré l'émetteur dans le coffre d'un taxi. À l'heure qu'il est, ils doivent être en train de courir après !

_ ‘bon ça ! Lança Amîn. J'ai regardé les feuilles pendant ton absence, et devine de quoi ça parle ?

_ Des plans ? Des photos compromettantes ?

_ Mieux que ça ! Ou pire… Des photocopies de documents ultrasecrets, concernant les USA.

_ Ah ! Fit Noé déçu. J’aurai peut-être aussi dû m’en débarrasser en même temps que l’émetteur. Ca ne nous apportera rien de bon, si tant est qu’ils soient réellement importants. A l'approche du traité d'Atlanta il y a beaucoup de faux documents qui circulent pour perdre les journalistes.

Les USA étaient effectivement près de signer un traité d'alliance avec le Canada et l'Amérique Latine afin d'unir leurs territoires. L'époque était sûrement à l’unification internationale mais c'était plus une nécessité politique et économique qu'une réelle volonté populaire. L'Amérique devait faire face aux états de l'Est qui s'étaient réunis et formaient la RPE sous la direction du général Akdov, successeur de Raivac, récemment mort dans de tragiques circonstances… La Russie avait ainsi à nouveau rassemblé sous son égide ses voisins limitrophes et changé de nom afin d'afficher une collaboration plutôt qu'une suzeraineté. L'Europe était aussi alliée et dirigée par un seul et unique gouvernement en parallèle d’une monarchie évoluée.

Amîn songea aussi aux médias qui ne parlaient plus que de course à l'alliance et aux suppressions de frontières, montant le tout dans une optique de conflit quelque soient les intentions premières des gouvernements. Ses pensées éveillèrent sa curiosité et il continua :

_ On dirait une série de projets établis par les états-majors américains. Il est question du Nouveau-Mexique, de Kennedy et de… de Toma… Tomakaks.

Noé se retourna à ces derniers mots :

_ De Tokamaks ?

 _ Oui, c'est ça ! Des Tokaka-machin. Tu connais ?

_ C’est un projet qui date du siècle dernier, basé sur la fusion nucléaire, utilisant nos déchets radioactifs actuels pour produire de l’électricité. L’étude et le test des prototypes coûtent un max et il est difficile aux nations d’allier leur budget tant qu’ils n’en ont pas une utilité immédiate. Montre !

_ D’où tu tiens ça ?

_ Il est passionné par les nouvelles technologies… répondit Angie avec un soupçon de fierté envers son frère.

Noé prit les feuilles des mains d'Amîn et les parcourut.

_ Ca a l’air vraiment important ! Je me demande qui était cet homme, il s'est sûrement fait tuer pour ces papiers, il est possible qu’ils valent plus que l'argent de cette mallette. Ca semble être les résultats de tests mais j'ai du mal à déchiffrer ce vocabulaire, on dirait qu'il est… en partie codé. Je n'arrive pas à comprendre…

_ Passionné ne veut pas toujours dire compétent, grimaça Angie.

Noé ne releva pas le commentaire affectueux. Amîn, lui ne comprenait pas :

_ Comment des résultats de tests peuvent valoir plus que… tout ça ? interrogea-t-il en désignant les billets.

Noé regarda Amîn, sentant un intérêt infime chez son ami pour sa passion. Il répondit en souriant :

_ Ces tests coûtent très cher au vu des chances de succès. Il faut débourser pour l’étude, la conception, la construction du prototype tout cela sans savoir si ça va fonctionner. Par contre, une fois que l’on a la certitude que le procédé marche, c’est une mine d’or. Le pays en connaissance de cause peut alors déposer les brevets, préparer des constructions en série, rafler les marchés de traitements des déchets nucléaires, gagner en autonomie énergétique.

Il réfléchit quelques secondes puis ajouta :

_ En fait ça va même plus loin, il suffirait d’acheter discrètement et à très bas coût les déchets radioactifs des autres pays puis, lors du lancement du projet, communiquer ses intentions transformant ces déchets en richesse étant une possible source d’énergie à très long terme. Leur cours en bourse s’envolerait, assurant un petit pécule de départ pour financer la mise en œuvre.

_ Eh bien, je suis épaté ! Je ne te connaissais pas ce côté là.

Noé eut un sourire mi-figue, mi-raisin :

_ Si nos parents n’étaient pas…

Il regarda Angie qui détourna le regard et repris :

_ Je voulais faire des études scientifiques. Ce n’est pas pour autant que j’ai arrêté de m’informer en lisant les magazines en kiosque ou sur le net. Mais bon, fit-il rapidement en revenant aux documents, je m’emporte peut-être, je ne comprends pas la plupart de ce rapport et rien ne dit que les tests sont probants.

Un léger silence s’installa. Amîn entreprit de panser sa blessure grâce à la découverte d’une trousse de pharmacie dans un placard. Angie observait Noé, plongé dans ses réflexions et tenta de suivre son raisonnement :

_ En revanche, si c’est le cas, fit-elle, si les tests sont concluants ces documents sont importants et valent une fortune. Si on considère qu’ils tueraient pour…

_ Oui, continua Noé, des guerres se sont déclenchées pour moins que ça. Ici la possibilité d’une énergie abondante pourrait… ça me dépasse mais je crois que l’on ne peut pas l’ignorer, que l’on ne peut pas se permettre de négliger ces informations.

Tous trois se regardèrent, ne sachant que faire. L’arrivée dans leur vie d’une grosse somme d’argent était déjà longue à digérer. Tous n’avaient en tête que d’en profiter mais ces documents étaient le revers de la médaille, et il fallait s’en occuper avant. Ils pouvaient s’en débarrasser et passer leur chemin, les poster à un journal quelconque ou les remettre anonymement aux forces de l’ordre… mais à présent ils savaient aussi que si leurs poursuivants les retrouvaient sans les documents avant d’être à l’abri, ils passeraient sûrement un sale quart d’heure. Leur proposer de les rendre n’était pas tout à fait sûr non plus, l’échange risquant de mal tourner.

Tous les trois cheminaient sur les mêmes pensées, loin d’être transportés par ce cas, ils se sentaient plutôt diminués et à court d’idées quant à la démarche à suivre. Personne n’eut malgré tout l’idée d’en vouloir à Amîn d’avoir volé la mallette. Une bonne épaisseur de billets et la possibilité de sortir de leur situation misérable les en empêchaient.

_ Un ami de mon père est scientifique, ou approchant, je crois. Il pourrait peut-être nous aider.

Noé et Angie se turent. Laissant toute latitude à leur ami pour continuer. Il lui était rare d’évoquer ce qui avait trait à son père. Aucun d’eux ne savait ce qui s’était vraiment passé, mais à ce qu’ils savaient le père d’Amîn était quelque accro à la drogue et l’avait mis à la porte il y avait trois ans de ça. Sa mère, aussi toxicomane, était déjà partie bien avant, fuyant le père, abandonnant le  fils.

_ Il était militaire, repris Amîn, ça pourrait nous être utile tant qu’on ne sait pas si on a vraiment semé ces types armés.

Il comprenait la réticence de ses amis envers l'autorité. Elle avait été pour eux synonyme de placements en centres d’accueil, obligations mais surtout de surdité à l’égard de tous ceux qui ne dépassaient pas la majorité. Puis ils s’étaient rencontrés tous les trois dans un foyer, suscitant leur fuite, forts de leur complicité, échappant au racket généralisé et autres violences quotidiennes. Leur autonomie était devenue leur fierté.

_ Et que lui demanderait-on au juste ? interrogea Noé.

_ Je ne sais pas, je me suis juste dit que…

Amîn détourna le regard vers la fenêtre, perdu.

_ Je pensais qu’on lui remettrai les documents, il choisirait alors ce qu’il faut en faire. Mais je suggère fortement d’en faire des copies et de garder les originaux en lieu sûr. Ce doit faire plus de huit ans que je ne l’ai pas vu et ne sais pas ce qu’il est devenu depuis.

_ C’est une bonne idée, acquiesça Angie, mais on a intérêt à trouver une histoire solide quant à la façon dont on a trouvé ces papiers.

_ Oui, fit Noé, se débarrasser de ces documents sans les perdre. Bonne idée Amîn. Où peut-on le trouver ?

_ Il habite en Pennsylvanie. Il y en a pour cinq heures de train. Ca nous permettra aussi de mettre un maximum de kilomètres entre nous et les tontons flingueurs. Puis même si ces papiers sont sans importance, on verra du pays avant de choisir ce que l'on va faire.

_ Très bien, on s’occupe de faire des doubles, on se débarrasse du flingue et on met en lieu sûr les billets avant. Puis on réfléchira à la suite dans le trajet, résuma Noé.

_ On pourrait peut-être même manger un morceau entre-temps, ajouta Angie souriante, se décidant enfin à toucher quelques billets.

Un sourire les gagna, la nourriture ne serait plus un problème. Mais au fond d’eux quelque chose leur disait que leur insécurité avait pris le relais.

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