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Catégorie : Portraits des Jours Anciens
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Jezeb


La neige tombe depuis si longtemps que, peu à peu, tout en est recouvert. Elle tombe encore et encore, encore et toujours, si bien que son poids immobilise toute vie. Tout devient uniformément blanc, tout se cache, tout se meurt sans même le savoir. Difficile de trouver la force de lutter, de ne pas succomber, paralysé, par son froid. Elle hante chaque pensée, engourdit toute joie et écrase notre volonté. Et pourtant, comme un battement de cœur, je suis dessous, vivant, calme, et j’ai encore un long chemin à faire, vide, seul, mais vivant. Je trace mon propre passage oblique dans sa virginité. Tout me pousse à me résigner et à la laisser m’emporter dans son linceul de poussière : le souvenir d’un abris, d’un repas chaud, d’une nuit sereine, des détails bien misérables au vue de ce qui me motive ce soir.

J’ai beau me rappeler, j’ai l’impression que, depuis toujours, cette neige caresse mon visage comme un décolleté de soie, s’immisce dans chaque fissure de mes vêtements, comme une langue pleine d’appétit, me souffle sa victoire sur la volonté des êtres, comme un ultime coup de reins avant le néant. Qu’importe, je devine déjà la foule impatiente qui se réchauffe pour le grand spectacle. Et lorsque j’arrive, je suis un peu comme eux. Je les observe, tous en cercle, unis dans une même ferveur. Sous cette neige, sous mes paupières, je vois partout le rouge comme gronde le torrent. Je les regarde mais me voient-ils seulement ? Comme un tunnel la montagne, je défie l’assemblée entière. Mais qui me comprend ?

Indifférente, la neige continue sa chute sur les pauvres mortels, sans doute inconsciente de leurs défaites. Tout se fige autour de moi. Je sais que la cérémonie va commencer. Je pourrais pleurer toutes les larmes de mon corps, je sais combien elles sont inutiles. Je ravale mes cris comme des morceaux de verre. Je hais ce monde, je vomis ces êtres qui ne vivent que pour mourir dans leur confortable petitesse. Se protéger de la neige ? Mais pourquoi ? Il faut l’affronter encore et encore, jusqu’à ce que le froid soit notre flux vital, comme la rage rouge qui me ronge ce soir dans une ronde amère et grave. Regarde les vivre ! Regarde les vivre ! Regarde les vivre ! Regarde les mourir ! N’est-ce pas l’unique et même chose ? Il faut lutter. Qui suis-je ? Lutter pour ne pas céder. Qui suis-je ? Lutter pour vivre. Qui suis-je ? Je le sais. Nous le savons.

 

Cette nuit tombe la neige. Et le feu soudain se lève, comme l’aigle sur sa proie. Et le monde se change. La neige elle-même l’accueille avec bienveillance. Sait-elle seulement qu’elle aussi va mourir ? Le bûcher n’est plus que brasier. La foule se presse pour voir. La foule montre sa toute puissance. La foule crie son hystérie, comme si demain pouvait être différent. Les flammes montent dans une vertigineuse ascension vers la petite forme pas encore noire qui se tord sous leurs yeux avides. Puis, d’un coup, c’est une véritable muraille et, plus encore, un château de carte qui s’écroule dans la tourmente.

 

Cette nuit tombe la neige et meurt la sorcière, libre comme un enfant de jouer.

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