Ce texte est basée sur l'idée d'écriture Switch proposée par San ici : http://les-chroniques.eg2.fr/forum/10-la-taverne/17610-une-idee-pour-ecrire.html#17821






Comme chaque matin, le réveil sonne à plusieurs reprises, et San, invitée par mes marmonnements incompréhensibles, le repousse à chaque fois.

Comme chaque matin, la sonnerie de huit heures sonne le glas de ma nuit, et laissant ma moitié à demi endormie, je quitte le confort douillet de mon lit pour errer jusqu’à la salle de bain.

Comme chaque matin, je tiens mes habits d’une main, gardant l’autre pour rattraper mon éventuelle chute, et je viens me placer devant le miroir pour poser mon regard sur mon propre reflet.

Nous sommes vendredi et la fatigue de la semaine se répercute inévitablement sur ma capacité à distinguer ce que je vois dans le miroir. Je plisse donc les yeux.

Tiens, on dirait que j’ai rapetissé pendant la nuit.

Au travers du brouillard matinal qui voile mon regard, je constate non sans étonnement que le miroir est situé suffisamment haut pour que je voie ma tête en entier même quand je me tiens droit. Pratique pour se raser, me dis-je, avant de réaliser que quelque chose cloche vraiment.

Tiens, on dirait que j’ai une perruque sur la tête.

Me demandant ce qu’il s’est passé la veille pour que je m’endorme affublé d’un tel accessoire, je laisse échapper un petit cri :

« Wow ! »

Tiens, on dirait que ma voix est plus aigüe que d’habitude.

Ca commence à faire beaucoup de choses étranges pour une seule personne, même une personne dans le pâté telle que moi. Je me frotte les yeux, et désormais bien réveillé, je pose un regard inquiet sur le miroir.

Devant moi se tient une jeune femme blonde dont les cheveux bouclés tombent sur ses épaules et glissent sur sa jolie poitrine, au demeurant fort peu vêtue.

« Pas mal, celle-là ! » est la première pensée qui me traverse l’esprit, aussitôt remplacée par « C’est pas le moment de penser à ça ! ». S’ensuit une foule de questions à base de « Qu’est-ce que… ? » et de « Comment.. ? », qui se termine en apothéose par « C’est quoi c’bordel ? » que je vois s’échapper des lèvres de la demoiselle ébahie en face de moi, tandis qu’elle porte les mains à ses seins nus.

Sentant le contact de ces deux boules toutes chaudes et douces sous mes doigts, je ne peux réfréner un frisson qui parcourt l’intégralité de mon échine. Je détourne alors du miroir mes yeux, toujours écarquillés mais refusant de regarder ce qui se trouve devant eux.

Sans baisser le regard sur mon corps, je cours alors vers le miroir de la cuisine. Quel geste futile ! Comme si celui de la salle de bain avait pu me mentir.

Ayant obtenu la confirmation de mes craintes les plus inexplicables, je constate que mes mains sont toujours crispées de manière comique sur cette poitrine inconnue, exprimant ainsi une pudeur toute nouvelle pour moi. Relâchant mon emprise, je me mets à observer mon reflet, pivotant sur moi-même et faisant ainsi le tour du propriétaire, à la recherche d’une explication à cette histoire absurde.

« Ce n’est pas possible ! Ce n’est pas moi ! » me dis-je en mon for intérieur.

Je commence par me pincer, pensant qu’il s’agit d’un rêve.

« Aïe ! »

Pas de chance de ce côté-là.

Retournant dans la salle de bain, je marche sur un morceau de tissu. Baissant pour la première fois les yeux depuis mon réveil, je remarque les vêtements que je tenais un peu plus tôt, et que j’avais laissés tomber sans m’en rendre compte. En lieu et place du jean et de la chemise à manches courtes que j’avais placés à mon chevet la veille, je me trouve désormais en possession d’une jupe aux motifs écossais horriblement courte à mon goût et d’un petit haut moulant. Mon regard glisse ensuite sur ce qui me tient lieu de corps, et que je couvre toujours bêtement de mes mains, comme si un comité de censure venait d’élire domicile dans mon cerveau. Ma semi nudité commence à me choquer cruellement, mais je ne peux décemment accepter d’enfiler la tenue que j’ai sortie : je suis un homme !

Jetant fébrilement les vêtements dans le panier à linge sale, je retourne dans la chambre en quête d’un accoutrement plus masculin. Après avoir posé un premier pied sur la moquette, je réalise une chose cruciale : San me prend-elle pour un homme ou pour une femme ? Ne sachant les raisons de cette hallucination, j’ai peur de me retrouver confronté à ma moitié, et décide donc de rester le plus discret possible, profitant de son sommeil pour tirer cette histoire au clair.

Après avoir enfilé un pantalon au genre le plus neutre possible – et passablement délavé – que j’ai trouvé au milieu de toute ces culottes, ces jupes et collants qui ont remplacés mes tee-shirts humoristiques et geeks, je me retrouve avec un soutien-gorge dans les mains.

Je ne vais quand même pas porter ça ! Comme s’il était brûlant, je relâche prestement le bout de tissu, et m’empare d’un haut noir et épais à la coupe classique.

Enfin vêtu d’une façon qui me semble décente, je me rends dans le salon avec une seule idée en tête : qu’il s’agisse d’une hallucination, d’un monde parallèle, d’une réincarnation, du travail d’un chirurgien hors pair ou que sais-je encore, il faut que j’aie une meilleure compréhension de mon environnement, afin de trouver l’origine du problème, et aussi pour pouvoir garder profil bas en attendant de m’être sorti de ce pétrin. Et la seule chose qui me donnera des réponses sans me poser de question en retour, c’est mon ordinateur.

Déjà scotché à mon écran, les mains rivées sur le clavier, je soupire de soulagement : mon mot de passe est toujours le même. Un petit tour sur mes mails me permet de constater que la plupart des échanges dont j’avais le souvenir ont bien eu lieu. Par contre mon compte n’est pas « Yoskopolite », mais « Illys ».

C’est fou, il s’agit du pseudonyme que je donne à mes avatars féminins dans les jeux vidéo ! Et les différences ne s’arrêtent pas là : tous les messages où je parle de moi utilisent le féminin. S’il s’agit d’un coup monté, ceux qui ont fait ça sont très forts !

Après une fouille minutieuse, j’arrive à la conclusion qu’ici, rien n’a changé à part mon genre : tous le monde est persuadé depuis toujours que je suis une femme nommée Joanne, et surnommée Jo ou Illys. Par contre tous le reste est semblable à ma vraie vie. Je travaille bien toujours au même poste et avec les mêmes personnes, et j’ai toujours les mêmes passions.

Rassuré par le fait d’avoir quelques éléments auxquels me raccrocher, je lève enfin le nez et regarde l’heure : déjà huit heures trente ! Je suis en retard !

Me levant en quatrième vitesse, je repasse une dernière fois devant le miroir, comme pour vérifier que les choses ne sont pas rentrées dans l’ordre. Mais tout ce que je vois, c’est une jeune femme aux cheveux ébouriffés et aux tétons qui pointent sous son tee-shirt.

Zut ! Je ne peux pas sortir comme ça, ça serait indécent. Si je veux éviter de faire des vagues, j’ai tout intérêt à me mettre dans la peau du personnage. Retournant à la salle de bain, je récupère dans le panier à linge les vêtements que j’y ai jetés quelques minutes plus tôt, et les enfile.

Je m’échine pendant au moins deux minutes à agrafer le soutien-gorge dans mon dos, avant de me rappeler qu’il est aussi possible de l’attacher devant avant de le faire pivoter. Chassant la dégoûtante impression de m’habiller comme un travesti, je glisse le pantalon et le tee-shirt dans mon sac – juste « au cas où », et je m’apprête à partir.

Passant devant la chambre, où San dort encore à moitié, je prends ma voix la plus grave et lui souhaite une bonne journée, en espérant qu’elle n’ait pas remarqué le ton ridicule que j’ai employé.

*

*          *

J’ai déjà porté un kilt à une ou deux reprises, mais je ne peux retenir une grimace en sentant l’air glisser sous la jupe. Je tente de l’ignorer et porte mon attention sur ma démarche. Est-ce que je dois accentuer mon déhanché pour avoir l’air normale ?

Au cours de mes essais infructueux, je croise le regard d’un passant, et me sens tout à coup complètement ridicule. Je suis vraiment nul à ce jeu.

En montant dans le métro quelques instants plus tard, je décide de chasser tout cela de mon esprit, et de m’octroyer un peu de répit en me replongeant dans mon livre. La lecture me libère peu à peu de mes tracas, jusqu’à ce que je remarque le regard insistant d’un jeune homme assis devant moi.

« Mais qu’est-ce qu’il me veut, celui-là ? » me mets-je à penser. La colère me montant au nez, je retiens tout juste un « J’espère que t’es pas en train de mater mes nichons, sale pervers ! ». Je décide donc d’abord de tourner ma langue dans ma bouche, afin de trouver un moyen de faire en sorte qu’il m’oublie sans avoir à faire une scène. Je ne peux m’empêcher de rire intérieurement en pensant au fait qu’il serait probablement très déçu s’il apprenait ce que je suis en réalité.

Plongé dans ma réflexion, je sursaute lorsque le jeune homme s’adresse à moi :

« C’est plutôt rare de voir une fille s’intéresser à des lectures de ce genre. »

Par « des lectures de ce genre », il entend en réalité « des bouquins sur des langages informatiques obscurs ». Bien obligé de reconnaître qu’il s’agit d’un ouvrage qui intéresse généralement la gente masculine, je hoche la tête, lui lance un sourire poli, puis reprend ma lecture.

« Vous êtes une développeuse ? »

Mais tu vas me lâcher, bordel ?

« Oui, je… » Décidément, je vais avoir du mal à m’habituer à cette voix ! « Hum… Je suis ingénieuse informaticienne. »

Eh merde… Qu’est ce qui m’a pris de vouloir passer ce mot au féminin ?

Le voilà qui rigole. Il doit me prendre pour un parfait imbécile... Une parfaite imbécile !

« Ah ah ! Elle est pas mal celle-là. On ne me l’avait jamais faite ! »

C’est encore pire que ce que je pensais : il pense que je plaisante ! Il croit que je lui donne mon aval, et il va continuer à me draguer. Quelle nouille je fais !

Comme un geste divin pour me sortir de cette situation désagréable, une voix mécanique annonce le prochain arrêt du métro.

« Oh, c’est là que je descends ! Bonne journée » dis-je en filant sans lui laisser le temps de réagir.

Pensant le pire derrière, je me détends un peu en attendant ma correspondance, puis monte dans le métro suivant, bien plus bondé. Sans même chercher une place assise – ce qui serait ici un doux rêve – je me faufile jusqu’à la barre centrale afin de trouver un point d’ancrage et éviter ainsi la chute au démarrage de la rame.

On est serrés ici, ce n’est même pas la peine que je sorte mon livre. Surtout si c’est pour me faire aborder à nouveau…

Ma main se crispe sur la barre, mais le démarrage se fait en douceur pour moi. Je ne peux en dire autant du type derrière moi, qui me tombe à moitié dessus. Il reprend sa place comme si de rien n’était, et sans même un mot d’excuse.

Encore une fois, je me retiens de rouspéter, ne voulant pas me faire remarquer. Après tout, je suis déjà bien assez mal à l’aise dans ce corps sans en plus attirer les regards d’une foule d’inconnus sur moi.

Tout à coup, mes cheveux se hérissent sur mon crâne. Je rêve, ou ce type est en train de me mettre une main aux fesses ?

L’instant d’horreur se fige pour moi, tandis que mes pensées s’accélèrent. Je suis vraiment maudit ! Quelle était la probabilité qu’on m’agresse ainsi alors qu’il s’agit de mon premier jour dans le corps d’une fille ?

Je chasse immédiatement de mon esprit l’idée que les hommes sont tous des porcs. J’en suis un, après tout. Enfin… j’en étais un, et je n’étais pas un gros porc pour autant. Enfin… pas trop…

Remettant rapidement de l’ordre dans mes pensées, je tente d’analyser ma situation aussi froidement qu’elle le permet, listant les options qui s’offrent à moi. Dois-je me retourner et lui mettre mon poing dans la figure ? Dois-je lui mettre une baffe à la place, pour faire plus « féminin » ? Je peux aussi me mettre à crier – comme ces filles dans les films qui hurlent lorsqu’on les agresse.

Mais la peur du regard des gens autour de moi m’empêche d’avoir recours à une méthode aussi flagrante. Cependant, je ne peux me permettre d’envoyer à cet homme un signal en demi-mesure, de peur qu’il interprète le message à contresens, comme l’avait fait le jeune homme du métro précédent.

J’envisage brièvement de prier les dieux de toutes les religions connues pour qu’ils me sortent de ce cauchemar, avant de me trouver stupide et de me remettre à réfléchir, toujours aussi crispé sur la barre de métal.

Alors même que je commence à désespérer de trouver une sortie à cette situation inextricable, une personne interpelle mon agresseur :

« Excusez-moi, monsieur. Votre main… » dit-il calmement et laissant sa phrase en suspens.

L’autre retire promptement sa main, et j’en profite pour tourner la tête et observer la scène. Mon sauveur n’est autre que le jeune qui m’avait abordé dans le premier métro ! Les deux hommes se regardent en chiens de faïence pendant plusieurs secondes, avant que l’agresseur ne détourne le regard et décide de fuir plus loin dans la rame.

Visiblement personne d’autre n’a remarqué l’échange. Décidément, les gens sont vraiment trop enfermés dans leur petit monde pour regarder ce qu’il se passe autour ! Même si j’avais crié, je suis sûr qu’aucun n’aurait daigné réagir.

A part…

Le jeune homme qui m’a sauvé se tourne vers moi, et avec un grand sourire, me fait un clin d’œil. Réalisant enfin qu’il n’y a pas que des salauds dans ce monde, je sens un poids disparaître de mon cœur. Mes sentiments, jusqu’ici occultés par ma colère, refont désormais surface, et je sens les larmes me monter aux yeux.

Je vois mon sauveur détourner innocemment les yeux, comme si rien ne s’était passé. Aurait-il senti ma gêne ? Soulagé face à cette pudeur bienvenue, je le remercie intérieurement sans oser m’adresser directement à lui.

*

*          *

Après l’incident du métro, je me sens comme anéanti. L’arrivée au travail se déroule sans encombre puisque je suis là avant tout le monde. Mais seul dans mon bureau, je ressasse les premiers évènements de cette journée qui s’annonce difficile et fatigante.

Pour la première fois de ma vie, des doutes s’installent dans ma foi en l’humanité. Etre dans le corps d’une femme m’obligeant à voir les choses sous un autre angle, je me demande si la situation finira par faire de moi un, ou plutôt une féministe.

L’arrivée de mes collègues se passe sans trop de difficulté. Je prétexte un rhume et un début de fièvre pour justifier mon mutisme et ma mauvaise humeur. Je constate avec soulagement que les gens décident de me laisser tranquille, et j’en profite pour dédier une prière à la roue de la chance qui semble avoir un peu tourné.

Plutôt que de me plonger dans le travail pour oublier, je décide de réfléchir à ma situation. Comment en suis-je arrivé là ? Pourquoi suis-je dans le corps d’une femme ? Je jongle ainsi pendant une heure avec les différentes hypothèses qui m’ont traversé l’esprit, sans en trouver une seule de plausible.

Peut-être que je prends le problème à l’envers. Si ça se trouve, la question devrait plutôt être : pourquoi est-ce que je suis persuadé d’être un homme ? Et si les changements que j’avais subis n’étaient pas physiques, mais mentaux ? Et si j’avais toujours été une femme ? Le fait de remettre en cause ma santé mentale m’effraie au plus haut point, finissant de me démoraliser.

Qu’est-ce que j’ai bien pu faire pour mériter ça ? Pourquoi est-ce que ça m’arrive ? Et pourquoi moi ?

De temps à autre, le travail vient me tirer de mes sombres pensées. Mais c’est sans compter les propos de mes collègues. Entre les remarques misogynes de Sébastien, même s’il ne le pense pas vraiment, et Carole qui qualifie nos échanges de discussions de filles, il m’est impossible d’oublier ma nouvelle condition.

Je profite alors d’une envie pressante pour m’échapper du bureau et me diriger vers les toilettes des femmes. Mais à l’instant où je verrouille la porte derrière moi, je prends conscience du fait que je n’ai pas encore eu le temps de regarder sous ma culotte. Oh, j’ai déjà vu des femmes nues, et pas qu’en photo !

Malgré tout, ce dernier obstacle effrayant achève de me démoraliser, et j’éclate en sanglots, me laissant glisser au sol.

Les minutes passent et mes pleurs laissent place aux reniflements et autres petits hoquets. Finalement, après m’être vidé de toutes ces émotions qui alourdissaient mon cœur, je retrouve enfin mon calme.

Dans un éclair de lucidité, je réalise que la situation étant ce qu’elle est, et n’ayant aucun pouvoir sur elle, je suis bien obligé de l’accepter. Alors autant ne pas se torturer avec ça.

J’essuie mes joues salées par les larmes, me mouche un bon coup, et décide de prendre le problème à bras-le-corps. Je baisse ma jupe, puis ma culotte. Au moins, il ne s’agit pas d’un string – c’aurait été un peu trop tôt pour que je puisse envisager ce genre de choses. Je suis tout aussi soulagé de constater l’absence de serviette hygiénique. J’aurais dû vérifier ça ce matin avant de partir, mais  je n’étais pas vraiment moi-même…

Et maintenant, suis-je moi-même ? Qui suis-je vraiment ?

Visiblement, je suis le genre de fille à se raser le maillot, en tout cas ! La réflexion me fait rire. Juste un peu. Mais c’est un début.

A cet instant, la contraction de mes muscles fait pression sur ma vessie et je m’assois sans plus tarder pour éviter la catastrophe.

« Quelle sensation étrange ! » me dis-je. Il m’est plus difficile de me retenir qu’avant. Je ne dois plus avoir besoin de faire appel aux mêmes muscles pour cela, j’imagine.

Mais le plus étrange dans tout cela, c’est le fait de ne plus avoir de pénis. J’ai encore l’impression qu’il est ici, mais dès que je passe ma main à son emplacement, mes sens envoient des signaux contradictoires à mon cerveau. Je ferais probablement un sujet de test passionnant pour des chercheurs en neurologie.

*

*          *

Le reste de la journée s’écoule sans encombre. Mon hypersensibilité émotionnelle étant passée, je peux aisément me replonger dans mon travail. De plus en me concentrant sur les choses qui n’ont pas changé, je parviens à reprendre le contrôle de mon existence. Le midi, j’en profite même pour faire une petite cure de normalité en prenant un Macdo et en passant par mes magasins favoris.

Après cette journée hors du commun, je rentre enfin chez moi, et m’arrête devant ma porte, la clé à la main. Dois-je parler de tout cela avec San ? Ou dois-je me comporter comme si de rien n’était ? Nous avons certes l’habitude de partager tout – nos expériences comme nos pensées.

Mais j’ai été seul à traverser cette épreuve, et j’ai bien trop peur d’aborder le sujet. Et si elle me prenait pour une folle ? C’est une situation surréaliste. Non, je vais juste la tester un peu, et on avisera après. Entrant enfin, je manque de m’étaler par terre lorsque San me saute au cou.

« Bonjour, ma chérie ! me dit-elle avec un grand sourire.

- Eh bien, quel accueil ! Tu vas bien ?

- Bien, et toi ? Comment était ta journée ?

- Ca peut aller… » Je lui raconte de manière évasive ce que j’ai fait, en éludant toute la partie où je change de sexe. « Dis, ma chérie : si j’avais été un mec, est-ce que tu aurais pu m’aimer ?

- Eh bien… Oui. Je pense sincèrement que notre genre n’a pas de véritable importance. Tu sais bien qu’avant toi, je ne m’intéressais qu’aux hommes. Mais mon amour pour toi était tout simplement plus important, et c’est pour ça que j’ai adapté ma sexualité. Je ne vois donc pas pourquoi la situation aurait été différente si tu avais été un homme. Et toi, tu le vois comme ça aussi ?

- On peut dire les choses comme ça, oui. Bon, sur ce, je vais aller me prendre une petite douche.

- Oki, à toute Joanne. » dit-elle avant d’ajouter « Il aurait tout de même fallu que tu aies d’aussi belles fesses que ça pour que je puisse t’aimer en version homme. »

Elle reluque ostensiblement mon arrière train, et j’éclate de rire. C’est fou comme les choses ont pu rester les mêmes et ce malgré ce retournement de situation étrange.

Une fois enfermé dans la salle de bain, je me déshabille rapidement, mais au lieu de monter immédiatement dans la douche, je reste planté face à mon reflet. Ce reflet qui m’avait fait si peur ce matin même.

Sans quitter mon corps des yeux, j’approche ma main gauche de mon entre-jambe, la passant sur ce mont de Vénus qui m’était encore inconnu la veille. De nouveau, mon esprit me joue des tours, et me signale ce paradoxe où je ressens la présence résiduelle de mon pénis malgré son absence évidente.

Il n’est plus là, me dis-je. Il me manquera probablement un peu. Voire beaucoup. Mais je dois faire avec ! Je suis une femme, maintenant. Comme pour m’en assurer, je répète cette phrase tout haut :

« Je suis une femme ! »

Et pour toute confirmation, j’écoute ma voix féminine résonner sur les murs de la salle de bain. Si je veux vraiment m’y habituer, il faut que je commence à penser au féminin. Je ne suis pas beau, mais belle ! Ou laide. Mais peu importe, car… Je suis une femme !

A cette idée, je ne peux retenir un fou rire. Je suis une femme !

Inutile de se morfondre et d’espérer revenir en arrière. Autant accepter les choses telles qu’elles viennent. Je suis une femme !

Je ne me raserai plus le visage. A la place, je me raserai le maillot et les jambes. Même si cela parait plus long et difficile, ça ne me dérange pas vraiment. Je suis une femme !

Avec une légère pointe de tristesse, je cesse de regarder en arrière. Je n’oublierai pas mon ancienne vie, et je chérirai les souvenirs de l’époque où j’étais un homme. Mais je ne dois pas les laisser m’empêcher d’avancer. J’ai devant moi un avenir plein de découvertes, un chemin inédit que j'ai désormais hâte d’emprunter.

*

*          *

La douche est pour moi l’occasion d’explorer mon nouveau corps. Pleine de curiosité – mais aussi d’innocence – j’en parcours chaque recoin du bout des doigts, réapprenant à connaître chaque courbe, chaque angle que fait ma peau.

Et quelle peau ! Si douce et toute lisse. Elle n’a certes jamais été rêche comme une feuille de papier de verre. Mais je joue aujourd’hui dans une toute autre catégorie ! Naïvement, je commence à presser mes paumes contre mes seins, puis je glisse quelques doigts entre mes cuisses.

Envahie par une soudaine vague de chaleur et de désir, je réalise que mes gestes n’ont presque plus rien de l’innocence qui m’animait quelques instants plus tôt. Prise par cette curiosité muée en désir incontrôlable, j’assiste pétrifié à l’accélération indécente de mes doigts. Après quelques secondes, je parviens tout de même à recouvrer mes esprits, et toute effrayée que je suis, j’écarte mes mains et tourne le robinet d’eau froide à son maximum.

L’eau glaciale ne se fait pas attendre et parvient même à me faire lâcher un petit cri de surprise. Après un gros soupir, je me fais la promesse de ne pas me précipiter, et de prendre mon temps pour découvrir ces sensations ignorées.

Quelques instants plus tard, je débarque dans la chambre, enroulée dans une serviette et les cheveux dégoulinant sur la moquette, avec une seule chose en tête : quelle surprise me réserve ma garde-robe ? J’ai toujours ressenti un intérêt certain pour les styles vestimentaires féminins, et j’ai aujourd’hui l’occasion d’en jouer. Pourquoi m’en priver ?

Je parcours frénétiquement les tiroirs et étagères, m’arrêtant de temps à autres pour en tirer un sous-vêtement par-ci, une robe par-là, ou ici encore un petit haut original. Une fois le tour du propriétaire effectué, je me retourne et regarde sur le lit la pile de vêtements que j’ai jetés là négligemment.

Je ne vais jamais pouvoir porter tout ça.

« C’est ta nouvelle façon de ranger ? me demande San avec humour, alors qu’elle passait par là.

- Je ne sais pas trop comment m’habiller. Ca te dirait de m’aider à choisir ?

- J’ai une excellente idée : tu n’as qu’à rester toute nue ! » Après avoir soutenu mon regard faussement courroucé pendant quelques secondes, elle reprend : « Sinon, tu peux toujours mettre ta minirobe à fleurs.

- Tu parles de celle-ci ? dis-je, attrapant un bout de tissu transparent qui me parait plutôt léger pour une robe. Et avec ça ?

- Mmh, attends voir… Tu pourrais mettre ce serre-taille noir par dessus. Comme ça, pas besoin de soutif. Et pour le dessous…

- Un truc de ce genre ? » dis-je en montrant une petite culotte bleu pastel.

- Non. On risque de la voir au travers de la robe. Un string comme celui-là serait parfait. » Elle me tend le sous-vêtement, que j’attrape après un instant d’hésitation.

Le regardant d’un air dubitatif, je me demande si je serais capable de porter quelque chose d’aussi léger. En plus, ça rentre dans la raie des fesses !

D’un autre côté, si je souhaite exercer ma féminité naissante, il n’y a probablement pas mieux. Approuvant les choix de San, je m’habille puis retourne me contempler dans le miroir dans la salle de bain.

Me remémorant la pensée qui m’était venue lorsque j’avais posé mes yeux pour la première fois sur ces jolies courbes, je me dis : « pas mal, effectivement ».

*

*          *

J’ai passé une soirée formidable, et une nuit encore meilleure. Jonglant entre les moments habituels et les moments de découverte, je me suis amusée comme jamais. Lorsque nous sommes allées nous coucher, San s’est montrée très attentionnée – sans jamais s’étonner de ma maladresse et de ma fébrilité – et m’a fait découvrir des sentiments et sensations que j’ignorais pouvoir ressentir.

Lorsqu’au petit matin j’ouvre les yeux, je ne suis pas à moitié endormie comme j’en ai l’habitude. Au contraire, je suis excitée comme une puce. Le weekend commence à peine, et j’ai encore des tonnes de choses à découvrir !

Je sens que cette nouvelle vie va être passionnante. Je suis heureuse. Je suis une femme !

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