Etoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactives
 

En vingt-quatre minutes d’engagement sans avoir pu retourner un seul tir le vaisseau amiral de la quatrième flotte s’était fait anéantir avec neuf impacts de missile Harpon et quatre voies d’eau aux niveaux inférieurs. Les flammes étouffées sur sa coque ronflaient encore dans les couloirs et l’équipe au contrôle des dommages luttait sous les fumées noires mètre par mètre pour atteindre les foyers. Les secousses avaient démonté des conduites, renversé les magasins, l’équipe travaillait dans la pénombre des lampes brisées, sans autre coordination que leurs moniteurs. Dans la citadelle, à tous les postes de combat l’équipage se tenait prêt pour la prochaine vague d’assaut.

Au poste des communications l’officier Londant attendait un appel de la passerelle ou de Radens. Toutes les radios s’étaient tues les unes après les autres, une fois les dernière annonces passées, puis les deux équipes à l’écart, du radar et de la contre contre électronique avaient à leur tour abandonné tout activité. Ils attendaient en ordre, à leur place, qu’une consigne arrive ou une information. Le brouillard comme une chape les coupait de tout contact avec l’extérieur et à bord, les dégâts avaient coupé plusieurs lignes.

Le brouillard si dense roulait jusqu’aux canons de la seconde tourelle, depuis les meurtrières l’équipage ne voyait que le voile blanc, ils en sentaient la chaleur et le mouvement, ils n’entendaient rien que le long grincement de la structure et le grésillement des moniteurs. Alors le journaliste avec eux, resté à l’écart, risqua d’une voix blanche sa question. Il la murmura d’abord et quand quelques regards se tournèrent vers lui, il répéta. L’ennemi n’était plus visible, plus aucun tir n’était annoncé. Tout le monde tenait son poste prêt au combat quand tout combat était devenu impossible faute de visibilité.

Dans la main de l’officier de pont le chronomètre à gousset tournait dans le vide depuis deux minutes. Elle l’annonça d’une voix glaciale, de son côté, sans impact sur le reste du pont. Pour tous la pièce était devenue trop étroite, étouffante, dans celle-ci leurs oreilles sifflaient légèrement les rendant sourds du fait du silence. La logique d’engagement, peu à peu, cédait le pas à l’impatience, ils découvraient cette accalmie, cette pause en plein combat, et dans le brouillard et dans cette pièce étroite, tous se sentaient prisonniers. Le capitaine Arnevin, le premier, rompit le silence, demanda quels étaient les ordres.

Comme il le demandait le commandant se détourna de son second pour se rendre à la salle des cartes. Il demanda en même temps au tir et à la maintenance un rapport sur les capacités de combat. Déjà ses officiers le suivaient, le regardaient mesurer la distance du bâtiment jusqu’aux différentes îles alentours, à la recherche d’un couvert. La première l’officier Bramelin répondit, l’air hagard et agacé, pour demander si c’était une plaisanterie. Elle devait jongler, avec ses moyens, entre six à sept voies d’eau noyant le cinquième des compartiments. Ils s’enfonçaient, irrémédiablement, ils s’enfonceraient mais ne couleraient pas parce qu’ils auraient chaviré avant. Tous à bord sentaient les quelques degrés de tangage, tous percevaient le sol se dérober à leurs pieds.

À sa suite s’annonça l’officier de tir Radens. Seule la tourelle deux était restée intacte. Quand il apprit cela le commandant Saures s’arrêta dans sa tâche. Il secoua la tête, ordonna de rétablir au moins neuf canons. Malgré l’absence d’outils pour les réparer il ordonna de faire fonctionner ces tourelles, et pour l’hélicoptère sur la tourelle quatre, de l’ignorer complètement. Après quoi le silence revint.

« Commandant, » intervint Roland, « nous n’aurons pas neuf canons. »

« Débrouillez-vous pour les avoir. »

Il rongeait dans sa gorge quelque sentiment qui n’attendait que d’éclater. Ses deux poings plaqués sur les cartes, la tête penchée, Saures cherchait quelle erreur il avait pu commettre pour en arriver là. Leur dernier refuge serait Beletarsule, sans quoi ils seraient forcés de revenir à la quatrième flotte. Or Beletarsule, à la pointe de la chaîne des Nores, était séparée d’eux par la seconde escadre du Liscord. Ses officiers près de lui l’entendirent murmurer qu’ils avaient perdu. Le commandant répéta, plus fort, qu’ils avaient perdu et frappé d’une humeur soudaine, comme un coup de sang, il repoussa Arnevin, revint devant sa barre, la saisit pour ne plus la lâcher.

Tout cela depuis son coin de la passerelle le journaliste l’avait vu. Avec son appareil, il l’avait filmé. Il se préparait à questionner Saures sur sa prochaine stratégie quand un signal l’en prévint, son sujet changea pour le bloc médical du lieutenant Quirinal. Alors s’excusant auprès du bord il quitta la pièce et, par les couloirs, constatant les quelques dommages de la citadelle, il descendit jusqu’aux ponts inférieurs.

Les couloirs devant le bloc étaient encombrés d’hommes et de femmes qui, pansés, saignants, se tenaient debout ou appuyés et patientaient là inertes. Ils ne parlaient qu’à mi-voix, discutaient de l’engagement en cours, demandaient quand le dernier tir avait eu lieu. Le journaliste enregistrait leurs voix tremblantes, tout en demandant le passage, écoutait les histoires d’explosions, de flammes et de portes défoncées. Les brûlés cachaient leurs plaies, tenaient les compresses en place dans l’attente de leur tour. Dans le bloc les odeurs de médicaments mêlés au sang séché remuèrent le ventre de Rhages.

Le médecin était là, avec son équipe. Et tandis que l’équipe suivait les différents patients lui, les mains gantées, opérait sur la jambe d’une opératrice de la tourelle quatre. Le journaliste fut chassé d’un geste de la main, avant d’être reconnu. Quirinal lui présenta l’opératrice, lui montra le coin d’où l’éclat avait ricoché, la blessant dans l’infirmerie même. Elle avait la priorité sur tous, si bien qu’il s’était senti obligé de mener l’opération en personne. Tout le monde patientait sur elle pour être traité.

Tout en causant le médecin oeuvrait, si bien que quand il releva la tête enfin il découvrit le visage du civil. Le visage hébété et tremblant contenait tous les spasmes de la bataille. Calme en surface, il n’aurait pas su dire à quel point sa voix ressemblait à celle des blessés, le temps qu’il mettait à prononcer ses mots et la difficulté à articuler. Quirinal lui ordonna de s’étendre sur le champ, débarrassa un lit et le fit coucher.

« Ça va reprendre » lui dit-il seulement avant de l’abandonner. Aussi violemment sentant tout son sang refluer Simon Rhages sombra dans l’inconscience.

Une série de calculs s’afficha sur les écrans radars. Le chef d’équipe s’adressa à Londant qui, à son tour, vint voir ces milliers de lignes s’accumuler. Les postes radio, tour à tour, annoncèrent le même phénomène. Alors Londant prenant la radio informa la passerelle que Tristan opérait en brut. Il n’en chercha pas la cause mais bientôt les postes s’éteignirent et quand il voulut rappeler la passerelle, celle-ci ne répondit plus. Alors ses équipes commencèrent à paniquer. Il leur imposa le silence, envoya quelqu’un chercher le second et les informer de la situation. Dans le même temps la presque totalité du bâtiment était plongée dans le noir.

Les bancs de brouillard se déchiraient, lentement le fumigène perdait en densité. Il ne restait qu’une poignée de minutes au commandant pour donner ses ordres. Ce dernier rappela Radens, lui demanda combien de canons il aurait à disposition. La réponse le mina, quand même il s’y était préparé. Le cap donné le bâtiment vira pour sortir de son couvert, prêt pour la fin de l’engagement. Alors Saures fit rappeler Bramelin et tandis que le membre d’équipage venu du poste radio informait Arnevin de la situation, il demanda à son officier de maintenance ce qui les empêchait d’utiliser les tourelles. Toutes les raisons données, il les balaya, puis se tourna vers Roland.

Celui-ci prévint tout échange : « Vos ordres, commandant ? » Ce faisant il scellait le sort du cuirassé Dominant.

Déjà le voile de fumigène s’ouvrait devant eux effiloché, la proue s’échappa à l’air libre, sur l’océan à perte de vue où brillait le soleil et le ciel dégagé, l’alarme de bord sonna. L’ennemi avait calculé leur position et les attendait pour achever le bâtiment. Celui-ci vira de bord pour présenter le profil à la première escadre, à trente degrés, en même temps que s’élevaient les canons de cinq cents millimètres. Les quatre tourelles en position étaient prêtes à tirer, alors que les échos de missiles se multipliaient, Saures donna l’autorisation.

La poupe émit un craquement assourdissant, les canons un à un des flammes au-dessus de l’océan. Douze obus disparaissaient dans la distance, à courbe maximale, déjà les canons retournant à faible hausse étaient chargés pour la prochaine salve. La tourelle deux relevait ses canons, alors que l’équipage tendait l’oreille pour l’impact des missiles les trois canons tirèrent en salve et les détonations de par la pression engendrée furent audibles jusqu’au cinquième pont. Bramelin relevant la tête demanda ce qui se passait, apprit pour les canons, eut un haussement d’épaule nonchalant.

Depuis la passerelle les officiers écoutaient grêler les cent cinquante-cinq. Le radar n’affichait plus rien, ils étaient aveugles, Roland aveugle comme eux annonçait cependant les missiles, leur position, leur distance et temps d’impact. Cependant Hersant écoutait retentir pour la troisième fois les canons de la tourelle deux, et elle gardait les yeux fixés sur le chronomètre qui affichait plus de cinquante secondes. La minute passée, elle se mordit la lèvre, grimaça et se tourna vers le commandant. Les quatre tourelles ouvrirent le feu à la suite dans un grondement infernal.

Il se passa encore trente secondes que l’officier de pont annonça de sa voix glaciale. Elle cherchait quelqu’un pour l’entendre mais la grêle avait cessé, seuls les canons de cinq cents, en de longs intervalles, secouaient la chape assourdissante de la passerelle. Elle annonça un et quarante, à quoi Arnevin demanda contre quoi ils tiraient. Ils étaient aveugles, les tourelles tiraient à l’aveugle, les munitions sans guidage du bâtiment tombaient à l’aveugle sur l’adversaire. Roland conseilla de cesser le tir.

Alors un écho radar, un seul bref écho leur dévoila la première flotte. Toute la première escadre avait opéré un demi-tour brutal et se repliait sur Arvesule. Ils n’avaient pas capté tous les échos, ils ne comprenaient pas encore la situation. Seulement Roland, après une seconde, passa l’annonce suivante, qu’un croiseur de la huitième division à l’aile droite de la première escadre avait été coulé, le second probablement endommagé par le feu indirect, et trois destroyers parmi leur écran manquaient.

« C’est impossible ! »

Ils venaient de couler en une minute et quarante secondes un croiseur furtif de troisième génération, de classe équivalente au croiseur Dine fierté des chantiers du nord. Un frisson indescriptible s’empara des membres de l’équipage. Le bloc médical avait fait silence. Ils n’arrivaient pas à se réjouir, ni à rien, mais sentaient la même tension. Le croiseur avait été coulé à plus de huitante mille mètres de distance, écrasé par presque soixante obus de deux tonnes. Personne à bord n’arrivait à réaliser.

La première escadre se repliait, la seconde à bien plus de distance tenait la position mais, leurs propres magasins presque vides, se contentaient d’écranter leur bâtiment amiral. L’un après l’autre les deux groupes de chasse réapprovisionnés, protégés par les chasseurs électroniques, se déployèrent pour attaquer le Dominant. Celui-ci n’en voyait rien mais tournant au nord attaquait de plein front les six croiseurs qui leur coupaient encore la route du nord. Tristan concentrait alors toute sa puissance dans la défense rapprochée.

Un nouvel écho leur révéla l’encerclement. Les chasseurs du Fieris s’étaient engagés en profondeur dans le second écran, à moins de vingt kilomètres du cuirassé pour tirer leurs missiles. Trois vagues de trois côtés se déclenchèrent pour la saturation. Aussitôt les canons s’alignèrent et les lanceurs au centre de la citadelle s’ouvrirent prêts à l’interception. Mais le commandant n’en tenait plus compte. Il venait de demander à Roland s’il était possible d’atteindre le Dine. Alors Roland abandonnant les annonces, bientôt couvert par les tirs en rafale des canons, donna ses nombres et ses estimations.

Au flanc gauche quatre canons encadrèrent la première salve, tandis que trois canons ouvraient le feu sur la seconde. Depuis le front s’écartant en panache seize Harpon s’approchaient sans être inquiétés. Il restait huit secondes avant impact. Un rideau d’obus s’abattit sur les projectiles en pleine course, à six kilomètres, à quatre kilomètres, les missiles déchiquetés s’effondrèrent dans les flots. Avant de les avoir tous abattus les tourelles se tournaient, le bâtiment vira à trente degrés d’inclinaison, la coque présentée à toutes les attaques, avant de rétablir son profil. Les missiles quittèrent les lanceurs, à la première seconde filaient en verticale, la seconde suivante retombaient en pleine accélération sur les ogives en approche. Dans les derniers instants les canons crevèrent à bout portant les dernières munitions, alors que leurs chambres se vidaient, les explosions se multipliaient sur et autour du cuirassé.

Il ne resta bientôt que les traînées des missiles et l’eau remuée, encore pleine de vagues qui allaient s’écraser sur les canons fumants. Roland donna une nouvelle estimation, aussitôt Saures donna l’ordre et Radens le prenant au mot ordonna le tir à volonté. Les chargeurs encore engagés se vidèrent, une trentaine de missiles Dard envahirent le ciel et partirent dans toutes les directions. Les deux groupes de chasseurs dégageaient, lâchaient les leurres et plongeaient pour s’échapper. Hersant annonça vingt secondes, la totalité des missiles engagés quittèrent leurs lanceurs en une seconde salve, puis trente seconde, sans que plus rien ne se produise. Soudain Arnevin pointa l’horizon du doigt, au travers des meurtrières, il indiquait les colonnes de fumée noires tombant dans l’océan.

Quand une autre minute fut passée et qu’ils virent que plus un seul missile n’était tiré, quand le capitaine Arnevin comprit que le Dominant sortait vainqueur il fit l’erreur de crier victoire. L’émotion l’avait emporté sur la raison, le commandant le rappela violemment à l’ordre, sans Roland il lui aurait fait quitter la passerelle. « Nous avons perdu » répéta Saures en appuyant sur chaque mot comme s’il lui en coûtait. Un troisième écho leur donna alors les positions de la seconde escadre couverte par les îles. Dans l’environnement saturé par la guerre électronique, brouillés par le relief et la distance, ils ne trouvaient pas le Dine.

Plus d’une heure s’était écoulée depuis le début de l’engagement. Des deux côtés les munitions manquaient et à présent la première flotte avait encaissé une lourde perte. Avec le repli de l’aviation l’escadre se tenait en défensive. Le cuirassé n’approcherait pas sans être coulé par la combinaison des armes. Cependant l’officier de tir Radens appelait chaque tourelle pour un rapport, avant d’informer le commandant qu’il attendait de nouvelles coordonnées. Ce fut Tristan qui, rétablissant le radar, leur donna leurs dernières cibles pour cet engagement.

Neuf canons de cinq cents millimètres se dressèrent dans le ciel, à quarante-cinq degrés et pleine charge. Colin tous ses écrans au vert attendit confirmation pour ordonner le feu. Aussitôt Rhages fut éveillé en sursaut par les secousses simultanées, la bordée des neuf canons. Il crut que le navire chavirait, il se jeta sur Quirinal qui le plaqua à terre. Le docteur bourrant sa pipe avec assez de mal se retrouva à calmer l’effronté, aidé de Fernier il l’obligea à reprendre raison. « C’est fini » expliqua-t-il l’air maussade mais détaché, alors que d’une main distraite il grattait son allumette.

Trois divisions de destroyers ouvrirent le feu en même temps, avec leurs propres missiles Dard contre les obus en approche à quarante kilomètres. Vingt secondes plus tard deux nouvelles salves furent tirées successivement sans parvenir à les dévier. Les destroyers brisèrent la ligne et bientôt leurs autocanons de cinquante-sept millimètres, grondant, répercutèrent ces derniers instants contre l'île proche. Un à un les bâtiments de huit mille tonnes éclatèrent comme des fétus de paille. La seconde escadre se retirait de la chaîne des Nores sans chercher à prolonger l'engagement.

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