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C’était bien le plafond du vestibule, au-dessus de lui, avec ce lustre luminescent que sa vision troublée rendait en une mare indistincte. Mais c’était le même plafond de l’autre côté de la porte, avec la même mare luminescente qui éclairait ses pieds. Comme quoi ce n’était pas compliqué d’ouvrir une porte.
Quand même, c’était curieux. Le chroniqueur se releva, tituba un peu à cause du sang qui refluait de sa tête, et regarda des deux côtés. Curieux, ces deux vestibules face à face. Duquel venait-il, déjà. Maintenant que Vlad était debout, rabougri dans ses haillons, il n’arrivait plus à distinguer l’avant de l’arrière. Heureusement les battants de porte, comme les feuilles d’un livre, s’étaient écartées du même côté, de sorte qu’il put les utiliser comme repère. Sans cela, le vestibule à l’extérieur aurait été indiscernable du vestibule à l’intérieur.
« Dingue ça. Si c’n’tait pas les Chroniques, j’jur’rais qu’ce s’rait les Chroniques. »
Accompagné par cette pensée profonde, il fit les premiers pas dans ce lieu familier, non sans remarquer qu’il avait laissé le manuel de l’autre côté. Ce devait être en se levant. Il crut se retourner pour le récupérer mais au lieu de cela, de ses deux bras, Vlad referma la porte d’entrée. Le mot de « Verrou », en attaché, scintilla dessus, ce qui le fit reculer. Il attendit encore, quelques secondes, en croyant qu’il entendrait à nouveau racler la bête, mais rien ne troubla le silence, sinon le crépitement des torches.
Il était aux Chroniques, il était bel et bien aux Chroniques, dans ce château si familier que les drogues lui rendaient si distant. Quirinal, l’autre chroniqueur avec qui il traînait, l’attendait au petit salon (qui portait mal son nom), l’une des rares pièces accessibles de leur demeure devenue, depuis peu, un véritable labyrinthe. Si sa mémoire ne le trahissait pas – justement sa mémoire le trahissait – il était à la recherche d’un livre pour ouvrir toutes les portes du château. Voilà, c’était ça.
Les dés roulèrent dans le lointain.
Le chroniqueur vêtu de sa défroque en haillons se dirigea avec une rapidité surprenante et une aisance qu’on n’aurait pas attendue de lui en direction du salon, par les couloirs au travers desquels il croisa autant de portes verrouillées. Arrivé à quelques pas d’un angle, il s’arrêta. Les dés roulèrent encore. Il repartit impatient de retrouver Quirinal, excité par les graines qu’il avait prises. La lumière des torches laissa place à la lumière naturelle, celle des fenêtres, au travers de la porte grande ouverte. Il s’arrêta encore, attendit et dans un nouveau roulement, surgit au milieu de la pièce où l’attendait son compagnon chroniqueur.
« Ah, te voilà enfin. »
Ce dernier s’était calé dans l’une des chaises et, se balançant sur deux pieds, n’arrêtait pas de nettoyer ses lunettes. Devant lui sur la table, les séparant, se trouvaient les ouvrages qu’il avait promis de lire et qu’il ne semblait pas avoir ouverts, seulement empilés. Malgré ses sens aiguisés par les drogues, Vlad ne trouva pas dans la pile le recueil brûlé. Mais déjà il regardait du côté de la treizième fenêtre – il aurait dû y en avoir douze – où flottait, à l’intérieur, le livre qu’il cherchait.
« Oui, » répondit Quirinal à l’air interrogateur de son ami, « je n’ai pas pris la peine de le récupérer. »
« C’est qu’tu s’rais paresseux, Quir’. »
« Oh, j’ai tout mon temps. Tout. Mon. Temps. »
Les dés roulaient déjà. Le chroniqueur dans ses loques passa entre les tables, jusqu’au bout du salon, jusque devant le livre flottant. C’était bien lui, le livre sans nom, avec toutes les pages blanches. Il l’ouvrit, il le feuilleta et trouva dans les premières pages la petite écriture de pictogrammes au trait forcé, ce morceau de texte dont une partie était rayée, qui décrivait comment un chroniqueur, méfiant d’un autre, avait caché là ce livre et installé un mécanisme pour y accéder.
Il tenait le Libra, ses doigts frissonnaient de le toucher seulement. Mais d’autres dés roulaient, d’autres dés que les siens, et il réalisa soudain que la partie n’était pas gagnée.

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