Etoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactives
 

Tout se jouait dans ces derniers instants, alors que le monstre était si près d’anéantir les deux chroniqueurs au sein même de leurs Chroniques. La règle du jeu qui l’avait jusqu’alors contenu les emprisonnait à leur tour. C’était au docteur de jouer, au bonhomme de joues rebondies et quelque peu docte qui résistait à sa frayeur près de la porte. Ses options se résumaient à mourir ou à donner son seul dé à son comparse qui rachitique, squelettique dans ses habits miteux, n’avait qu’un mur dans son dos et devant lui la masse de brouillard sombre à moins d’un pas.
« J’hésite, » remarqua le docteur. « L’occasion est trop belle de me débarrasser de toi. Après, qui sait, j’aurai peut-être de la chance aux dés. »
Il ne croyait pas à ce qu’il disait. Mais l’idée de se faire manipuler par Vlad comme une marionnette le poussait à se révolter. Si seulement il n’avait pas lancé si dédaigneusement ses dés, alors le chroniqueur aurait eu le cou tordu et l’histoire se serait arrêtée là. À cause de cette étourderie, il se retrouvait à la merci de deux monstres.
« Ce n’est pas grave. J’ai tout le temps. Il y aura encore nombre, nombre d’occasions. Cela pourrait même devenir récurrent, qu’en dis-tu ? J’ai vaincu des chroniqueurs bien plus puissants que toi. Allez, sauve-moi maintenant, et finissons-en. »
Quirinal lança son dé avec désinvolture, puis leva les bras dans l’attente que le chroniqueur lui lance le Libra. Il était chroniqueur lui aussi, pourtant. Mais ce livre, ce livre tout particulièrement lui était insupportable. Quand il l’eut en mains, sa première envie fut d’en arracher toutes les pages, de le brûler. Cependant son tour venait de passer, à l’instant où il était entré en possession de l’ouvrage.
La masse dans son brouillard de ténèbres se détourna alors du loqueteux pour observer le nouveau porteur. Il allait se diriger sur lui quand d’un sursaut sec, toute sa masse revint sur le chroniqueur misérable qui avait tout planifié.
« Celui qui gagne ne bouge plus ! Quand je t’aurai dévoré, ton ami me sera servi sur un plateau-repas ! »
« Tu veux jouer ma mignonne ? Et si j’te disais qu’t’as perdu ? »
Son cœur avait battu comme jamais. Il relevait seulement les yeux de son jet, alors que les deux dés s’étaient immobilisés après avoir roulé sur sa paume. Au moment où la créature l’enveloppait de son brouillard, Vlad se dégagea d’un bond et alla se placer derrière une table qu’il renversa entre lui et elle. La masse sombre s’abattit contre et fit craquer la surface de chêne. Pour une fois, le chroniqueur se réjouit que ce salon soit resté si archaïque.
Il se mit à courir en direction de la porte, droit sur Quirinal qui le voyant venir comprit que tout se jouait et se préparait déjà à lancer le Libra à son compagnon d’infortune. La table retomba lourdement au fond de la salle, dans un effroyable fracas. Le brouillard avait déjà rattrapé Vlad, le loqueteux y disparaissait presque. Il avait relancé ses dés cependant et d’un nouvel élan s’extirpait de l’emprise lorsque soudain la masse noire se figea derrière.
« Quoi, t’veux plus jouer ? »
Au lieu de paroles, ce furent des cris délirants et des sons graves, tirés du gouffre de sa gueule, qui firent éclater sa colère. Déjà le loqueteux s’était engagé dans le couloir, juste assez loin pour qu’à son tour Quirinal ne l’atteigne pas, puis il demanda de recevoir le Libra. Le livre projeté à sa suite retomba entre ses mains, les dés roulèrent et son compagnon chroniqueur quitta précipitamment le petit salon où grondait la bête.
Quand son propre tour fut achevé, alors la masse noire s’engouffra par la porte et masqua la lumière des fenêtres. L’obscurité s’effondra dans les couloirs, dont toutes les torches à l’entrée de la bête dans le château avaient été éteintes. Ils ne voyaient plus rien.
« Je suppose que cela ne faisait pas partie du plan. »
Le drogué n’avait, lui, plus aucune envie de plaisanter. Il avait lancé les deux dés sans résultat : le Libra l’immobiliserait toujours. Alors, avant que Quirinal ne le rattrape – et ne le tue pour s’emparer des deux dés – il lui lança le livre puis courut.

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