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Dans le vestibule les lustres brillaient toujours. Les statues, les tapisseries, tout avait été chamboulé à l’entrée de l’intrus. Les deux battants de l’entrée, du bois le plus épais, avaient laissé passer une fine couche de sable. Ils étaient ouverts, moins défoncés que rabattus vers l’extérieur, bien que leur surface fût couverte de fêlures profondes.
Vlad arriva le premier dans cette pièce. Son pas s’arrêta, aussi tira-t-il encore les deux dés sur sa paume pour avancer en direction de la lumière. Les couloirs avaient été plongés dans le noir. Quirinal lui en voudrait. Justement Quirinal suivait derrière, de peu, aidé par les résultats qu’annonçait et contrôlait le Libra. Le livre le précéda, envoya d’un jet de haute voltige au premier chroniqueur. Tous deux se retrouvèrent à quelques mètres de distance, au fond du vestibule, à écouter la bête se mouvoir dans des éclats furieux.
« Finalement, ce n’était pas si effrayant. Je note que les portes sont dans un état acceptable, les refermer ne sera pas un problème. Mais une fois de l’autre côté, tu n’y survivras pas, Vlad. »
« C’est qu’tu s’rais d’venu un vrai pessimiste. Toujours à voir l’pire. Ça t’dérange tant que j’survive ? »
« Puisque tu sembles parti pour vivre, autant te le dire. Je n’ai fait qu’utiliser ce petit jeu, je n’en suis pas l’auteur. C’est un autre chroniqueur qui voulait mettre en sécurité le Libra. Crois-moi, avec le genre de pouvoir que recèle ce livre, mieux vaut ne pas chercher à comprendre. Parfois, ça défie trop la logique. »
« Et t’fais aussi dans l’sentiment ? Mon pauvre Quir’, tu sais qu’ça s’soigne. »
En arrière le vacarme s’atténuait, peu à peu mourut. Une dernière fois le Libra passa de main en main. Le loqueteux traversa en quelques instants tout le vestibule, jusqu’à côté de la porte de l’autre côté de laquelle il pouvait voir également le vestibule des Chroniques. Mais pour cette seule fois, il voulut bien suivre le conseil de Quirinal et ne chercha pas à comprendre. Le livre passa près du plafond avant de retomber entre ses mains. Son camarade était allé se cacher derrière une statue renversée.
La bête à son tour apparut à la lumière. Le brouillard d’ombres qui l’enveloppait s’étendit en hauteur jusqu’à voiler le premier lustre. Il s’étendait le long des murs, sur les surfaces, malgré la règle du jeu qui l’obligeait à se tenir là, jusqu’à son tour. Vlad jugea qu’il était temps d’en finir. D’un geste moqueur, il tendit le Libra à la bête avant de le jeter de l’autre côté de la porte. Ce fut son tour. Alors tirant de son vêtement miteux une bande de tissu, il y emballa les deux dés qu’il lança en direction des ténèbres.
« Allez ma mignonne ! C’est par là qu’ça s’passe ! »
Il vit les deux dés disparaître dans la masse, puis celle-ci se détacher et soudain s’étendre dans toutes les directions, peu à peu absorber l’ensemble du vestibule. Mais déjà lui-même consommait son mouvement pour franchir la porte. D’un bond spectaculaire, la bête traversa toute la distance et son corps informe traversait également les deux battants. Mais Vlad agrippant le Libra se laissa rouler en arrière, se releva, saisit les deux anneaux de la porte et de toutes ses forces, la referma.
Il se retourna ensuite, pour constater que le vestibule était toujours aussi dévasté. Des coups sourds frappèrent le bois dans son dos, puis seulement des grattements, des frottements, puis plus rien. Il sentit la fatigue le tirer en bas, il se laissa tirer au sol. Le manuel était resté là, tout ce temps. Sans y songer, Vlad le récupéra et se rendit compte qu’il le lisait encore. Il en était à la page neuf. Les instructions du jeu expliquaient que l’image des Chroniques n’était pas les Chroniques, qu’il ne s’agissait que d’un effet résiduel et qu’en s’y rendant le joueur se retrouvait hors du château. Le drogué sourit. Les graines de bulbe cessaient leur effet. Il se laissa balancer de gauche à droite.
« Encore, encore des historiettes. Encore plus d’menaces et plus d’pièges. »
Pris dans sa névrose, le drogué sentit à peine ses doigts se refermer sur le Libra. Il n’avait jamais quitté les Chroniques et Quirinal restait Quirinal. Il appréhendait de le rencontrer.

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