Etoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactives
 

Elle n’avait même pas pris la peine de se mettre à la fenêtre pour écouter ce qu’ils se disaient. Dehors devant la boutique de l’herboriste, elle avait attendu leur retour pour les filer. Ils ne risquaient pas de s’échapper : si d’aventure l’apothicaire et le frère de l’enquêteur royal s’y amusaient, elle n’aurait aucune peine à les rattraper en quelques bonds depuis son poste. L’assassine était persuadée qu’ils ne savaient rien de sa présence, et cela bien qu’ils auraient dû s’y attendre s’ils savaient vraiment qui ils affrontaient. Après le passage de Fadamar, elle n’avait eu qu’à les attendre cachée sur son toit, elle les avait vus lancer le pavé puis disparaître derrière la porte. C’était trop facile.
Ils ressortirent, lui assez grand et lourd, la tête ronde, lui plutôt petit, malingre, plongé dans le rêve éveillé de ses substances. Et ils devaient les mener à Mederick T’Nataus ? Ces pauvres fous n’avaient que l’allure de n’importe quel habitant, aussi riches que les pauvres de leur Palace, mal vêtus. Ils n’avaient certainement pas la moindre idée de ce qui se passait, encore moins de liens avec la secte. Elle avait l’impression de perdre son temps, à présent, à le suivre de rue en rue jusqu’à la Voie magique où il sembla que se méfiant tous deux pressèrent le pas pour la traverser jusque de l’autre côté avant de guetter si quelqu’un les voyait. Leurs tentatives étaient vaines, depuis des années elle savait se faire plus discrète que la rumeur du vent. Ils repartirent plus pressés encore, le plus velu tirant l’autre à la manière d’un sac d’os pour l’obliger à suivre tandis que ce dernier délirait et riait, riait comme s’il ne comprenait pas ce qui allait arriver. Ils allaient à leur demeure.
Fadamar les y attendait.
Elle se précipita pour les devancer dans le boyau de rues plus étroites qui s’enfonçait par le côté des habitations, vers le seul passage ouvert qu’ils risquaient de prendre pour s’enfuir. Ses pieds touchant les tuiles sans âge les frôlaient à peine avant de s’évader dans un nouveau saut. Muette, elle était aussi invisible dans ses mouvements, à peine une ombre tapie derrière toutes les surfaces. La liberté grisante de ces courses au-dessus de la capitale excusait tous les actes de son métier, juste pour quelques instants de plus à se détacher de toute cette masse. Elle était heureuse, non, plutôt satisfaite. La mort et le sang-froid que demandait son art ne lui permettait pas des sentiments aussi forts que le bonheur.
Un petit chemin chevauché par des nacelles de pierres serpentait à chaque angle des maisons séculaires, pavé lui-même par la pierre où perçait la mauvaise herbe et gouttait une eau putride. Il n’aurait plus manqué que les visages des hères pour en faire une artère profonde du quartier nobiliaire. Elle ne pouvait pas voir au-dedans ce qui s’y trouvait, seulement le mouvement fugitif de quelque animal. Son passage dérangea un bord friable des toits, de la poussière glissa sans bruit au fond de l’ombre. Malgré tout ce qu’elle se répétait depuis des années, cela lui manquait autant qu’il pouvait manquer sa jambe à un amputé, un corps mort dormant en elle qu’elle s’efforçait d’oublier. L’impression lui restait trop présente d’être retenue par la terre, quand elle voudrait aller plus haut, plus loin, plus vite, plus vivement enfin cette impression l’enchaînait au commun des mortels.
Mais jamais, non jamais elle ne regretterait d’avoir perdu son nom.
Cachée là derrière la vieille bordure de pierre l’assassine regarda passer les deux hommes encore occupés à se disputer, qui avançaient à grands pas, à grand bruit également. Ils ne remarquèrent même pas ce passage, leur seule échappatoire, ils passèrent devant sans s’arrêter. Fadamar les attendait, elle leva la tête, elle n’eut qu’à se déplacer un peu pour le voir quitter sa propre cachette, vêtu de ses habits noirs, en cape, le visage masqué par un foulard. Était-ce la nuit, sa mission ou sa propre faiblesse, elle ne ressentit pas une flamme lui brûler le cœur. Plus tard. Plus tard ils pourraient se retrouver, quand leur mission s’achèverait. L’esprit froid, les idées claires, elle se détacha de la bordure, se laissa tomber dans la ruelle, elle ne sentit même pas le choc au sol quand ses jambes se plièrent. Ils n’avaient rien entendu mais elle eut la prudence de s’effacer contre le mur. C’était trop facile, beaucoup trop facile. Un instant de doute la fit craindre pour Fadamar.

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