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C’est dans la douleur et l’avilissement que naissent les grandes choses.

Cela va faire bientôt deux ans. Deux ans passés dans la souffrance et dans la douleur. Chaque mouvement m’arrache un gémissement et chaque mot que je prononce me laisse le goût du sang dans la bouche. La Grande Dévoreuse m’a pris, les tueurs de la nuit sont venus et m’ont emporté. Je prie chaque jour pour m’éveiller de ce cauchemar, pour me rendre compte que je n’ai pas été pris. La mort serait une délivrance comparée à ce que je vis ici. Si tel verbe peut s’appliquer à tel lieu.

Mon nom, mon ancienne vie n’ont plus d’importance là où je suis. Je ne les dirai pas, le moindre mot me fait mal. Ici, chacun sait ce qu’est la douleur. Ici, c’est un loisir que de faire mal ; non, pas un loisir, c’est un art. Savamment, chaque jour, des centaines d’êtres sont torturés dans les donjons noirs et hauts qui m’entourent. Il ne se passe pas un instant sans que j’entende un hurlement dément déchirer la nuit permanente. Depuis qu’Ils m’ont arraché les yeux. Leur déchéance et leur perversion dépassent la pire des méchancetés humaines.

La haine que je leur porte est sans limite. Ma colère devient au fur et à mesure du temps plus forte que la douleur dans laquelle je suis plongée. Parfois un de ces êtres malfaisants rôde autour de moi. J’entends ses pas feutrés, le cliquètement inquiétant de ses doits gantés de métal griffu qui se contractent, le son régulier de sa respiration. Jamais un mot, une insulte, jamais une réprimande. Je ne suis qu’un objet, on ne parle pas à un jouet.

Toujours j’imagine leur face blême penchée au-dessus de moi, un rictus sadique leur déformant le visage. Leurs yeux. Deux grands puits sombres. Le gouffre qui mène à la damnation. Beaucoup d’humains se sont perdus en observant ces yeux. Ils y ont vu beaucoup de choses atroces, mais la folie était toujours l’une d’entre elles.

Je sens le métal froid entrer doucement dans ma peau à vif, d’abord lentement, comme une caresse morbide, puis d’un crochet, un lambeau de chair m’est arraché. Ma peau est entièrement recouverte de tissu cicatriciel, je suis chaque jour brûlé, écorché, piqué, mordu, déchiré. Brisé.

Ils ont rompu mes os, arraché mes dents et mes ongles, brûlé mes yeux, décollé ma peau. Chaque jour est l’occasion de la découverte d’une nouvelle façon de torturer. Leur dernière trouvaille : tendre un crochet, arrimé sous ma peau et enrouler doucement la chaîne qui le retient. La peau se décolle lentement d’abord, sans se déchirer, laissant apparaître le muscle à vif. Lorsque l’on tend trop loin, et il prennent plaisir à arriver à ce stade en prenant le plus de temps possible, la peau s’arrache sur toute une longueur, déchirant les nerfs, laissant pendre deux bouts de chair flétrie sur un organe encore chaud et vivant. On pourrait croire que c’est fini mais non. Ils laissent consciencieusement la peau se nécroser, pourrir, l’arrosant si besoin est de toutes sortes d’huiles infectes qui parasitent la peau et font germer des moisissures. Ils ont brisé mes chevilles dès mon arrivée ici, et chaque jour, l’un d’eux venait frapper mes pieds, malmenant mes tendons et mes cartilages broyés. Leur rire est glacial, sans âme, à l’image de leur torture. Froide, dure, implacable.

La précision avec laquelle ils infligent leurs tourments relève plus que de l’expérience, de l’habitude. Ici, la douleur est un mode de vie, une routine banale et humiliante.

L’Humiliation, oui, voilà le plus grand fléau ici. C’est pire que la douleur, pire que tous les maux... On en arrive à oublier la moindre parcelle de notre dignité passée.

Le passé est quelque chose ici de tabou, d’insensé. Le présent est terrifiant de douleur et de torture, l’avenir est sans signification.

Cette fois, ILS doivent me sentir prêt, suffisamment empli de haine et de souffrance pour pouvoir être libéré.

Combien de temps ai-je été enfermé ?

Combien de temps a-t-il fallu pour transformer un fier soldat de l’Imperium en une créature recroquevillée et pitoyable, rompue par la torture et l’humiliation ?

Je ne saurai le dire.

On m’emmène, sans un mot, sans une parole, en me fouettant les jambes avec ce qui me semble être du fil barbelé. On me pousse, on me relève, enfin on m’étend.

Le lit est froid, sans doute fait de métal, une voix râpeuse me susurre à l’oreille :

« Ça ne sera pas TROP long. »

Cette voix désagréable est pire que ce qu’elle annonce, une sorte de crissement rauque et caverneux, qui n’exprime que sadisme et mépris.

Une voix qui annonce une nouvelle ère de souffrance et de tourments.

Là ce sont des heures de torture, pires que les précédentes. Mon geôlier m’a solidement attaché avec des sangles de cuir barbelé d’acier, et chaque mouvement m’écorche les poignets.

Je l’entends, il fait cliqueter ses outils, profère des ignominies dans une langue qui commence à ne m’être que trop familière.

Il m’agrippe soudain la tête, je sens ses doigts gantés de métal se resserrer sur mes oreilles et sur mon crâne, je sens un liquide chaud me couler dans le cou, ce ne peut être que du sang.

Et tout d’un coup...

Je vois.

Ils m’ont greffé un bionique oculaire, ils m’ont mécanisé presque la moitié du corps. Des fils suintant d’huiles diverses me parcourent les bras et les jambes, une plaque de métal m’a été implantée, soudée dans le torse au prix de mille brûlures.

Mais ma main, ma main, elle a été remplacée par une lame effilée, qui brille à la pâle lueur d’une lampe néon.

Je me relève doucement. Devant moi se tient un de ces êtres, il me tend un masque difforme et tient apparemment à ce que je l’enfile.

« Ne découvre ton visage qu’à tes ennemis »

Il fait une pause et reprend :

« Tu auras à présent de te battre, point pour survivre... mais pour vivre, gorgone »

 

FIN

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