Contrat d'Arcelon (le)
- Vuld Edone
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Au tout départ, c'est le fait d'avoir rouvert "La Peste" de Camus qui m'a donné l'idée. J'ai ouvert un passage au hasard et je suis tombé sur le médecin se disputant avec un prêtre. J'ai alors réfléchi à la manière dont le prêtre pouvait justifier ses actes, et ça a donné le "vous soignez, je réconforte".
Ce n'était pas suffisant pour faire un texte, mais à côté j'avais... la politique. Notamment la fuite aux extrêmes. Il y a un problème, les gens veulent des solutions. Plus la solution est simple, plus elle est populaire, et si les solutions complexes échouent on les rejette. J'ai mis ça en scène avec une population qui, face à la maladie, rejette la médecine au profit de la religion. Le texte, à ce stade, devait être le journal de Marchen, qui n'avait encore ni titre ni nom.
Et puis Zara' a rappelé qu'on avait un thème ce mois, et qu'on manquait de participations.
C'est là où le texte a pris une toute autre dimension. J'ai commencé par imaginer le prêtre regardant la nuit, avec ses réflexions. Mais je retombais dans le problème de Simulation : la nuit n'était qu'une excuse, pas un élément de l'intrigue. J'ai alors fait intervenir les démons. J'ai imaginé que la nuit soit la cause de la maladie, même si ça me paraissait trop classique. Les règles étaient alors que les malades ne pouvaient mourir que la nuit, et que la lumière apaisait les souffrances. Mais mon idée préférée était que chaque habitant du village ait son étoile dédiée, et la nuit annonçait donc ceux qui allaient mourir.
Dans mon plan du texte, le prêtre devait discuter beaucoup avec le médecin. Le prêtre était rationnel et ne pouvait donc discuter de ce qu'il découvrait qu'avec le médecin. À la mort du médecin, le prêtre se parlait en boucle, piétinait, voyait des choses qu'il ne pouvait plus expliquer faute de dialogue, et servait à la population des explications vagues.
Dans mon plan, aussi, à la fin le prêtre avait la visite d'un démon qui lui expliquait le fin mot de l'histoire (enfin pas vraiment mais bref) et un dernier détail : la nuit devait être sans étoiles.
Cette histoire s'inspire enfin d'une toute autre histoire que j'avais en tête, et qui se passe également au Liscord. Une créature joue les démons et emmène une nation guerrière. Un démon l'arrête, anéantit sa nation et l'enferme. Si les survivants font acte de violence, la créature sera libérée et le démon reviendra.
Des générations plus tard, un homme se fait expliquer qu'une telle créature existe et pourrait le rendre très puissant. Il se rend donc sur place, découvre un village de pacifistes et un acte de violence plus tard, invoque la créature. Et là, en compagnie de l'homme, un autre homme qui s'avère être le démon du départ. La créature à peine libérée panique et supplie le démon de l'épargner.
J'ai repris cette légende pour l'appliquer à Arcelon. Ce village guerrier a donc, dans le passé, signé un contrat stipulant en gros qu'ils n'iraient plus se battre. Bien sûr les humains l'oublient et se réarment, réaffirment leur passé guerrier et le démon passe à l'acte. À la fin, le démon qui va voir le prêtre devait lui dire, en gros, "tu as oublié le contrat ? Ce n'est pas grave, le résultat est le même."
J'ai mis plusieurs jours à savoir comment commencer cette histoire.
Déjà, je ne voulais plus entendre parler du format à la première personne. Pas question de faire un journal. Cette règle posée, je savais aussi que l'histoire pouvait prendre deux semaines, ou même un mois. Il fallait donc une narration capable d'accélérer sérieusement les choses. J'avais pensé au format conte, du type "le premier jour où le prédicateur arriva..." où je scanderais les différentes étapes dans le temps, mais j'ai abandonné ça aussi.
Au final j'ai choisi un compromis. J'ai commencé par une description assez large, et classique, pour resserrer sur le village et un media res. Mais c'est la répétition, surtout, qui m'a sorti d'embarras. J'avais une narration qui n'allait pas s'attarder, mais qui allait se répéter, et qui à travers ça allait décrire ce que vivait le prédicateur.
Je bloquais surtout sur ce que comprenait Marchen. Il est censé avoir peur, mais c'est souvent effacé dans le texte. Il est censé réfléchir, de plus en plus, aux causes de la maladie, à mesure qu'il prend la place de Cumier, mais le style ne s'y prêtait pas. À un moment dans le texte il se met à se poser des questions -- à questionner ce ciel sans nuages -- et là je brise le style, mais ensuite je me cantonne à un simple nombre.
Ce qui m'intéressait était la logique de la population. Ni la nuit, ni Marchen lui-même, ni même le démon. Juste la population, avec sa logique. Mais comme on n'y a accès qu'à travers Marchen -- ou plutôt, comme le démon ne s'intéresse qu'à Marchen -- c'est surtout la logique de Marchen qui sert d'intermédiaire. Il joue le rôle de Cumier, il joue le rôle de la population, il joue tous les rôles au final.
L'ajout le plus imprévisible a été le côté bestial. C'est venu en décidant de situer l'action dans les Cendres. C'est aussi une manière de juger le comportement des habitants, proche du bétail.
J'ai rushé la fin, comme dit, parce que je ne crois vraiment pas que ça se termine aussi facilement que ça...
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- Zarathoustra
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Si on y regarde de plus près, le seul moment « objectif » du texte se limite aux trois premiers paragraphes et s’arrête à « Et le ciel restait le même ». A l’intérieur, nous trouvons deux balises familière de le ton univers : les adjectifs «démoniaque » et « bestial ». Et surtout, une fois qu’on a lu le texte, on a cette première phrase qui résume finalement tout ce qui va suivre : On va nous parler d’une malédiction. Ce qui est étrange, c’est qu’en disant pour ainsi dire tout dès la première phrase sans jamais y revenir, on finit par l’oublier. Et on l’oublie d’autant plus que le texte n’y revient jamais mais met en scène cette malédiction.
La subjectivité du récit transparait sans cesse, notamment dans l’emploie des verbes (sentir, songer, sembler) et les comparaisons (avec comme et comme si). Je l’ai d’autant plus remarqué que c’est un registre qui m’ait familier. Je dirais que , pour ma part, je me suis senti en terrain connu car le texte parle d’une problématique qui me tient à cœur et utilise le même style que j’emploie en pareil circonstance (d’autant plus que je suis parfois obligé de le revoir pour éviter les répétitions de ces verbes et tournures). Et quelque part, Marchen est un double de Reyv’avih du Chant des Pierres. Et plus le récit avance et plus les similitudes se renforcent : il ne croit pas en ce qu’il fait, manipule et agit dans son propre intérêt. Dans les deux cas, il y a une sorte de déchéance : l’une psychologique pour mon devin et l’autre physique pour le prédicateur. Et la nature tout autour devient un champ d’interprétation, matérialisé principalement ici par le ciel et notamment la nuit. On y cherche des signes pour comprendre ce qui se passe, ce qui va se passer ou une solution au problème.
La malédiction est donc une maladie qui s’abat sur le village. On peut d’ailleurs accepter qu’il s’agisse d’une malédiction autant qu’une malédiction. Or c’est le village qui interprète cette maladie comme quelque chose de surnaturel. Cette démarche se manifeste en premier lieu dans une défiance dans la Raison, ici représenté par la profession médicale. Et cette défiance va plus loin, elle va même jusqu’à inverser la relation de cause à effet. On est pas malade parce qu’on l’est mais parce qu’on cherche à se soigner. Et la science devient la source du mal (dans le cadre de l’interprétation du village). Raisonnement pourtant illogique puisqu’on ne se soigne pas si on n’est pas malade. Donc les soins ne peuvent être la cause première si on raisonne « objectivement ».
Cette notion d’interprétation se manifeste à tous les niveaux. Ainsi, un simple fait : un bruit de griffe sur une palissade nécessite soudain d’être interprété : il s’agit d’un coup d’une manifestation d’un démon qui nécessite qu’on se protège. Le ciel nocturne est également une source d’interprétation. Parce qu’il y a des morts, le village cherche le signe d’un changement dans la nature et notamment dans le ciel, avec l’idée qu’il devrait « logiquement » devenir plus sombre.
Petit à petit, le texte passe du regard du village à celui de Marchen. Il est d’ailleurs présenté comme quelque un de pas fiable puisqu’il est incapable, lui-même, de savoir s’il dort ou pas la nuit. Et plus on a son regard et plus on voit à quelques points il n’est finalement pas dupe, sans pour autant chercher à comprendre. Pire, il refuse de voir les signes qui pourraient remettre en cause ses croyances. Si le village veut voir le ciel s’assombrir, il l’accepte, sans même le vérifier.
Puis vient l’apparition des nombres qui sont censés tout expliqué. Ils veulent tout et rien dire à la fois. Ils sont un peu comme le mantra des Yhlaks dans mon récit. Ils disent uniquement ce qu’ils veulent dire, mais on veut les interpréter.
Il y a un passage que j’aime bien, c’est quand tu imagines que pour lutter contre la maladie il faut arrêter de se battre contre elle.
Sur la fin, il y a une dernière évolution dans le récit. On a Marchen seul dans le village. Avant, il est avec le village, mais plus le récit avance et plus on l’impression que Marchen n’en fait plus vraiment partie comme s’il appartenait à un autre monde.
Deux autres thèmes traversent le récit : le thème de la nuit et de celui des bêtes.
La nuit appelle en quelque sorte le surnaturelle. Et on cherche son interprétation à travers elle et les étoiles. Mais pour moi, toutes ses manifestations sont une sorte de leurre. Il n’y a rien à trouver à travers elle, elle n’est qu’un moyen pour chercher un sens ailleurs que là où il est.
Le thème des bêtes n’est pas en soit traité (peut-être mise à part dans l’évolution physique de Marchen, qui, en plus vêtu d’une peau, ressemble a priori de plus en plus à une bête). Mais il y a clairement une association faite dans le texte entre elles et les villageois. J’avoue que leur présence n’est pas très claire pour moi, j’ai même supposé à un moment que les villageois se transformaient e bête mais il est clairement dit qu’ils meurent…
Maintenant, quelle interprétation de tout ça ? J’ignore pourquoi mais j’ai fait un parallèle avec la montée du FN et autres parties populistes. En gros, on a des effets objectifs (montée du chômage, immigration etc.) et on veut lutter contre les problèmes que cela pause, mais on finit par ne plus écouter les « médecins » mais des « prédicateurs » qui vantent des solutions surnaturelles… Et ces prédicateurs savent parfaitement écouté pour se comporter et agir comme les villageois le souhaitent. Ils ne disent pas ce qu’ils croient mais ce que les villageois veulent entendre, parce que eux croient surtout aux pouvoirs des chiffres (auxquels on peut tout faire dire). Si on suit ton texte, pour guérir, il faudrait arrêter de vouloir lutter (bon, là, je cale sur l’interprétation)… Mais bon, c’est plus le fait que tu aies évoqué la relecture de La Peste que j’ose ce parallèle…
Mais on peut oser une autre interprétation et revenir à quelque chose de plus littéraire. Il y a les lecteurs qui veulent des choses et qui ont les éléments objectifs pour comprendre et on a l’auteur qui cherche les intentions des lecteurs en même temps que les lecteurs cherchent à comprendre. Mais là aussi, cela ne tient pas forcément la route avec ta malédiction et sa résolution.
Enfin, est-ce que j’ai apprécié ce texte ? Je t’avoue que la première fois que je l’ai lu, j’ai glissé dessus, mais les conditions de lecture étaient mauvaises (le soir après le travail et en plus je lisais sur un petit écran de portable). Donc mes yeux ont plus glissé dessus qu’autres choses ; Quand je l’ai relu sur du papier, je l’ai trouvé clair et j’ai tout de suite tilté sur cette notion de rapport subjectif avec la réalité.
Peut-être que pour capter davantage l’attention et distillé un peu plus d’intrigue devrais-tu mieux mettre en scène l’annonce de la malédiction ? Parce que je me demande dans quelle mesure je l’aurai vraiment « capté » si je n’avais pas lu ta présentation et la genèse du texte.
Par contre, tu parles dans ta présentation de la présence du démon, j'avoue ne pas l'avoir vue. Peut-être dans le fait qu'il exauce à chaque fois les lubbies des villageois jusqu'à ce qu'ils mettent en oeuvre une vraie méthode pour tout arrêter (ce qui logiquement implique justement de ne plus vouloir lutter contre les choses?) Disons qu'on peut plus deviner une présence, une influence.
PS: je viens de relire ta présentation et je vois que j'avais vu juste sur l'aspect politique (j'e lavais oublié et juste retenu ta relecture de La Peste)... Du coup, je laisse mon commentaire tel quel car on pourra en discuter de manière à part dans la discussion si tu le souhaites pour approfondir... Considère comme ça, qu'on peut voir le message sans forcément lire ton commentaire.
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- Le Hibou
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La nuit/la maladie, le prédicateur/le pharmacien, les démons/les villageois, tout le récit se noue d'opposés complémentaires, de visible et d'invisible, de palpable et d'impalpable. C'est au fond une histoire qui ressemble symboliquement à l'homme, à cheval entre deux mondes, entre ce qu'il touche autour de lui et ce qu'il sent à l'intérieur de lui, entre ce qui est concret et ce qui ne l'est pas. Tiraillé par une regression bestiale, attiré par une élévation astrale, l'homme, le statut de l'homme, sa place à part dans l'univers, à la croisée des mondes, est vraiment le cœur du récit.
Le démon tente et c'est sa tentation qui pousse soit à s'élever, soit à s'âbimer. Lui aussi participe à cette cohérence du propos. Le chiffre aussi, comme l'homme, est une chose palpable/impalpable, concrète/non concrète, qui peut tout expliquer en donnant l'impression de ne rien dire.
Je voudrais m'attarder sur un détail qui, par contre, m'a interpellé dès le début :
Tes deux premières phrases, très courtes, marquent le lecteur par leur dureté implacable. Le vocabulaire est dur, voire cruel. La troisième phrase, qui vient ponctuer cette introduction dressant le portrait d'un monde impitoyable ouvre vers le récit lui-même en rebondissant sur la même mot (le nom « vie » dans au début de la seconde, le verbe « vivre » conjugué dans la troisième) pour nuancer ce qui le définissait. Pour reformuler l'impression que ça m'a donné : « la vie n'avait que la valeur d'un instant, certes, mais on y vivait ». C'est justement ça qui est très fort, c'est qu'on y vit malgré cette valeur fugace. Hors, tu passes totalement à côté de la puissance que tu pouvais donner à cette seule assertion en mettant juste après le mot « vivait » un mot de liaison et qui lui enlève toute la force que lui aurait donné un point et, tout de suite après encore, une ribambelle d'indications qui submergent l'esprit du lecteur nouvelles informations. Je résume ces informations nouvelles : il y a des humains, ces humains vivent dans leurs fortifications, ils y sont retranchés, ils cherchent à panser leurs plaies, ces plaies sont démoniaques et, enfin, ces plaies sont d'un autre temps. Ouf ! On était à peine à train de laisser se dessiner dans notre esprit les contours de ces terres des Cendres, des terres de malédiction, où la vie n'y avait que la valeur d'un instant que, surprise, on apprend qu'on y vit malgré tout et, tout s'enchaîne ensuite à la vitesse de l'éclair. C'est à mon sens beaucoup trop abrupt, trop violent, trop maladroit que d'enchaîner directement sur « et retranchés... » après le « vivait ». D'une part, ça enlève tout l'impact de cette « révélation » (on y vit) et, d'autre part, ça rend toutes les informations données presque inutiles (dans le sens où leur accumulation soudaine, après deux phrases où l'information est étalée dans toute la phrase, les rend indigestes – imagine l'impression qu'aurait le visiteur d'un musée tombant brusquement sur un Canaletto après une série de deux monochromes).Les terres des Cendres étaient terres de malédiction. La vie n'y avait que la valeur d'un instant. Mais on y vivait et retranchés derrière leurs fortifications les humains cherchaient à panser ces plaies démoniaques d'un autre temps.
Autre chose aussi :
Très bien cette très courte phrase. A elle seule, elle évoque une image qui persiste durablement sur le paragraphe qui suit, et qui l'emplit de râles. Et sur les paragraphes suivants aussi. Le râle suit le récit. Le seul fait de réutiliser le même mot fait toujours monter d'un cran le son de ces râles à chaque fois que, dans ma tête, il diminuait. C'est à mon sens un excellent moyen de rythmer le récit tout en lui donnant une ambiance. Mais, aussi, le râle est l'illustration d'une des manière de réagir à la condition humaine.Au nord des Cendres, entre montagnes et forêts le village d'Arcelon étendait palissades, fosses et filets, et imitait les cités dans ce recoin bestial. Des petites troupes de chaumières s'accrochaient aux pentes du val et étendaient des chemins de terre, des petits jardins, quelques enclos de bêtes et partout boucliers, blasons et brassées d'armes sous les foyers estivals. Le jour passait aux bruits du fer, aux chutes d'arbres, aux coups de la forge et aux cris guerriers sur la caillasse.
La nuit était emplie de râles.
Voilà pour le moment. J'aurais aimé avoir eu le temps de m'étendre un peu plus encore (car il y a toujours beaucoup à dire) mais, c'est assez difficile de trouver des plages-horaires qui m'offrent à la fois suffisamment de temps et une bonne disponibilité d'esprit pour commenter comme il se doit.
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- Vuld Edone
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Le statut de l'homme est toujours présent à chaque fois que je parle de "bêtes". Du coup, pour moi, il était important de passer rapidement sur le "mais on y vivait". Certes, la vie a peu de valeur, mais on y vit. Certes, on y vit, mais la vie y a bien peu de valeur.
À l'écriture (c'est le "et" qui me le dit) j'avais sans doute envisagé "mais on y vivait" isolément, et arrivé là j'ai eu le besoin de continuer la phrase. Je me rappelle vaguement avoir buté sur la suite, d'ailleurs -- et ça se sent, avec l'ajout final du "d'un autre temps".
Il est possible que, justement, je réservais la mort aux phrases courtes, et que la vie impliquait donc d'allonger un minimum, d'où ce foisonnement -- qui sans doute perd le lecteur, ça je le note. Mais moi j'ai surtout l'histoire des Cendres en tête, un royaume du Liscord que les humains ont perdu. Quand je dis "on y vivait", je ne pense pas forcément aux humains.
Ce n'est pas que les villageois se transforment en bêtes. À mes yeux ils en sont déjà. J'avais prévu, ici et là, de saisir quelques détails d'anatomie qui effraieraient le prédicateur, mais abandonné l'idée (notamment pour que le prédicateur reste proche du village) et cette association bêtes-villageois est restée en arrière-fond.
Dès l'instant où j'avais placé l'action dans les Cendres, il était inévitable que l'association se fasse. Mais c'est surtout le besoin de décrire le val qui m'y a poussé. Enfin il y a la logique qui m'intéresse, la logique villageoise. Marchen, quand il doit expliquer ses actes, en revient toujours à la peur, à l'instinct de survie : il fait ce qu'il doit faire pour vivre. C'est sa vision du monde, c'est comme ça que réfléchit le village, c'est pour ça que le village veut se battre. La loi du plus fort, la loi de la jungle.
Le seul qui aurait pu avoir une logique différente, Dumier, n'est qu'une lanterne assez vite éclipsée.
Je vais aussi éviter une parenthèse sur la politique, et rester général.
Marchen applique une logique shadok: "s'il n'y a pas de solution c'est qu'il n'y a pas de problème". Lui-même continue à "se battre" et cherche des remèdes à la maladie -- séance lumière. Ce qu'il constate, c'est que rien ne fonctionne.
Un exemple qui me revient en tête est un texte sur Fallout, avec un abri antiatomique censé abriter des centaines de personnes durant minimum dix ans. L'abri est géré par un superordinateur. Quelques mois après la fermeture, la puce de purification de l'eau casse et ne peut pas être remplacée. Et là le superordinateur décide de supprimer des gens pour maintenir le reste en vie. Sauf que même s'il ne restait qu'une seule personne en vie, cela ne suffirait toujours pas pour tenir dix ans. J'avais fait : "attends cet ordinateur ne sait même pas faire une simple addition".
Se rendre ne signifie pas qu'en ignorant le problème celui-ci va disparaître. Se rendre signifie abandonner une logique qui, loin de le résoudre, aggrave le problème, ou empêche simplement de s'y attaquer (dixit Dumier). Je pensais, en commençant cette réponse, simplement dire que la résolution n'est pas satisfaisante, et qu'effectivement la métaphore politique échoue là. Et je l'ai dit, dans le projet de départ à la fin le ciel était vide, le nombre était zéro. Mais à y réfléchir, non, je pense la résolution appropriée. Du moins dans une perspective à la Rhinocéros où la maladie correspond à la propagande, à la logique elle-même mise en scène dans le monde.
Ce que je note surtout, en y repensant, est à quel point j'ai tenté d'éliminer toute autre forme de raisonnement. Même les explications de Marchen sur la malédiction sont soumises à la loi du plus fort.
Je me demande aussi, en réfléchissant aux habitants, s'il n'y a pas une certaine prétention à dire "ils sont malades, ils ont besoin d'un docteur". Je sais que j'ai cherché à les rendre sympathiques, à les valoriser (autre raison pour ne pas les montrer en bêtes), mais, pour un texte à métaphore politique... ça reste quand même assez démagogue...
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- Le Hibou
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Il est possible que, justement, je réservais la mort aux phrases courtes, et que la vie impliquait donc d'allonger un minimum, d'où ce foisonnement
Théoriquement, c'est assez cohérent et séduisant. Le problème avec l'écriture (plutôt que de problème, je devrais parler de paradoxe -et quel sublime paradoxe !) c'est que la théorie mise en pratique n'est que rarement satisfaisante. Et ce n'est parfois pas faute aux compétences de celui qui écrit ; c'est juste que, comme en psychologie, l'objet qui planifie la théorie est aussi l'outil qui va la réaliser. La théorie se formule en mots et la pratique aussi utilise le mot.
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- San
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Si, quand même, ce passage :
Je trouve que c'est très beau, les mots, les sons, le rythme, c'est poétique, on dirait une chanson.Et les gens mouraient. Et le ciel restait le même. Parce que les gens mouraient il aurait pu croire que le ciel était plus sombre. Parce qu'il était lassé, et préoccupé, et anxieux même, il faisait en sorte de ne pas regarder le ciel étoilé cette fois.
Comme s'il aurait pu y voir quelque chose qu'il ne voulait pas voir.
Comme si la réponse à une question qu'il ne se posait pas se trouvait là.
Mais quand il leva les yeux le matin allait se lever, les étoiles disparaissaient dans la première grisaille et le froid refluait sur les pentes du val.
Par contre ça :
C'est une figure de style ou une faute?Tous ceux qui veulent se battre tombent de malade !
Ca, c'est très sage :
Parfois, on trouve les réponses là où on ne les cherche pas. Parfois il faut baisser les bras et arrêter de chercher pour les trouver.Aux malades, il tenait le même discours qu'au chef, et lorsqu'on lui demandait quoi faire, comment gagner, sa réponse était la même : « Rends-toi. »
Bref, dans l'ensemble, je comprends le texte, et son propos est intéressant, j'aime bien le côté pacificateur, mais pour moi ça ne marche pas trop. En lisant ton analyse de ton texte, je pense que le plan où prédicateur et médecin parlaient davantage m'aurait mieux ralliée. Ici, la laborieuse et répétitive progression de la narration me rebute. La répétition et le "dark" m'ont fait penser à Dark City au début, mais finalement le côté sombre ne reste pas. Les passages lyriques sont bons je trouve, mais ça manque d'un contrepoids, d'équilibre, je ne saurais trop dire.
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