À propos des sons.
- Vuld Edone
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J'ai eu l'occasion ailleurs de réfléchir à l'utilisation des sons dans nos textes (vous savez, les voyelles et consonnes, tout ça) et j'en étais arrivé à une observation assez intéressante.
Et comme les Chroniques sont le meilleur lieu pour ça, je voulais vous la soumettre.
En bref, et de façon générale, on utilise les sons par "allitération / consonantisme", en créant des chaînes plus ou moins longues d'un même son et en les concaténant. Par exemple :
1) "Par la porte le plein jour pleuvait dans la pièce."
Je ne reviens pas sur la "motivation" du son, c'est-à-dire son rapport au fond, à ce qui se passe dans le texte. On trouvera toujours une excuse à un son et des préférences et c'est la partie très vague de comment que ça s'utilise : ici par exemple, pour un exemple artificiel et sans réflexion, on dira que le /p/ sert à donner de la violence, voire une idée d'intrusion à la lumière.
Alors que bon c'est juste une mauvaise description d'une belle matinée ensoleillée.
En fait, j'avais fait observer qu'au départ l'explication scolaire était que le son se voulait "mimétique", qu'il voulait mimer un son réel. Type le /s/ pour le sifflement du serpent, qui doit être l'exemple canonique. Mais ensuite le son devient plus abstrait et ce qu'il mime est plus une impression, ici la violence.
Tout cela c'est la théorie classique, ce qu'on apprend en littérature et ça ne va pas très loin. On pourra tout juste dire, question de faire au moins encore un pas, que ces chaînes de sons permettent de regrouper les mots ensemble (bêtement, pensez à la rime qui lie deux mots à distance) et, inversement, de séparer nettement deux mots ou groupes de mots :
2) "Le marquis opposait son intelligence aux lances du maquis."
Mais la littérature ne m'avait jamais expliqué "où mettre quels sons" et pourquoi. Pourquoi là. Pourquoi comme ça. Pourquoi utiliser une structure ABAB ou le chiasme ABBA...
Je n'ai pas... pas vraiment observé et je me dis que les Chroniques ont un énorme corpus de textes pour voir ça mais mon idée est que le placement des sons est motivé par la grammaire. Au sens où la grammaire crée effectivement des groupes de mots et donc des frontières naturelles dans le texte.
Par exemple en (2) le premier A est sur le sujet, le premier B sur le premier complément (direct), le second B sur le second complément (indirect) et le second A sur, certes, le complément du complément, mais aussi un éventuel second sujet ("Le maquis opposait ses lances à l'intelligence du marquis.")
Et c'est là toute l'idée : les sons, au-delà ou plutôt en-deçà de vouloir exprimer ce qui se passe dans le texte, (/p/ pour l'intrusion, /s/ pour le sifflement), serviraient à découper le texte. Une sorte de sur-ponctuation qui permet au lecteur de savoir constamment où il se trouve, quel groupe s'arrête où, quels mots vont ensemble : qui dirige la lecture en somme.
D'où trois observations :
1) On a tendance à employer les mêmes sons dans un même groupe ("Pierre Picot" -> /p/ /i/)
2) On a tendance à utiliser un même son isolé pour la transition entre deux groupes. ("le chevalier blanc entra" -> /en/)
....2a) ça peut servir à délimiter une parenthèse. ("le chevalier blanc tout à ses pensées entra")
3) On a tendance à changer les sons entre deux groupes pour les séparer ("Sans se soucier de son sac Kevin se prépara à accueillir la horde." -> /s/ contre /r/)
Tous ces exemples étant artificiels, dans la pratique on pourrait plus parler de "proportions". Par exemple une phrase a tendance à avoir plus de /e/, ou bien la phrase débute avec plus de /b/...
Pour moi, la sonorité du texte a toujours été une grande inconnue, une zone grise où "je le fais sans savoir comment" et encore à présent je doute de bien comprendre son fonctionnement mais l'idée que le son serve à découper le texte me plaît beaucoup et j'aurais voulu avoir votre avis et votre expérience dessus.
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- Zarathoustra
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Par exemple, dans l'histoire du fil du destin, j'ai essayé de retranscrire la sensation du fil qui s'enroule ou qui bifurque, notamment dans l'introduction. C'est sans doute très superficiel, mais cela faisait partie pour moi du jeu avec le lecteur.
Pour ma part, tu évoques les aliterrations/consonantismes, c'est curieux, car il m'arrive au contraire de casser cet effet quand des mots se ressemblent ou que ça ne sonne pas bien. Dans ce cas, je vais chercher à séparer ces mots par d'autres mots ou créer des inversions pour les atténuer.Je n'ai pas... pas vraiment observé et je me dis que les Chroniques ont un énorme corpus de textes pour voir ça mais mon idée est que le placement des sons est motivé par la grammaire. Au sens où la grammaire crée effectivement des groupes de mots et donc des frontières naturelles dans le texte.
Pour la 3-, c'est typiquement un effet que j'aurai cherché à éviter. En l'occurence, l'alliteration en "s" n'a pas de sens et j'aurai cherché des synonyme de "soucier" pour la supprimer. Donc en plus du rythme, il faut le lier au sens. Ici, je dirais qu'elle distrait le lecteur inutilement. Pourtant, ton idée de marquer une séparation est bonne (cf ton autre sujet: regrouper les mots) et le procédé est certainement judicieux. Mais difficile de parler des "sons" sans tenir compte de leur signification. Si on utilise un effet, il doit avoir un sens. En tout cas, ce serait ma position, car sinon, il devient un procédé ou un artifice inutile. Pour que ça fonctionne, il faut: un sens dans la séparation des mots (pourquoi les séparer et opposer?) et un sens dans l'allitération (qu'apporte-t-elle? Quelle impression crée-t-elle?).D'où trois observations :
1) On a tendance à employer les mêmes sons dans un même groupe ("Pierre Picot" -> /p/ /i/)
2) On a tendance à utiliser un même son isolé pour la transition entre deux groupes. ("le chevalier blanc entra" -> /en/)
....2a) ça peut servir à délimiter une parenthèse. ("le chevalier blanc tout à ses pensées entra")
3) On a tendance à changer les sons entre deux groupes pour les séparer ("Sans se soucier de son sac Kevin se prépara à accueillir la horde." -> /s/ contre /r/)
"Le Chevalier noir entra" fonctionne pareil, pourtant pas d'allitération. "Le chevalier vert entra" fonctionne bizarre (en partie à cause de l'alliteration en "v" et la succession "é" / "è" qui est dure à prononcer, alors que "le vert chevalier entra" retrouve la dynamique de la première phrase, pourtant, on a également la même aliteration en "v", seulement la dynamique des mots est plus équilibrée.
Autre exemple, "le chevalier blanc entra" et "le chevalier vêtu de ses blancs collants entra", on a une alliteration encore plus forte, pourtant la première phrase fonctionne mieux parce que le rythme est bon. Et si j'écris maintenant "le chevalier vêtu de ses blancs collants tachés de sang entra", curieusement, on retouve un rythme qui fonctionne. D'ailleurs, j'ignore pourquoi. Du moins, pour moi, le rythme coincide avec le sens. L'apparition des taches de sang crée une tension qui légitime la longue proposition descriptive. Elle crée une sorte de suspense. Et là, le notion de regroupement fonctionne. On a le chevalier d'un côté qui est dynamique et ses vêtements tout en allietration en "an/en" qui crée un pont de focal sur ses vêtements comme si on suivait des yeux le chevalier en train d'entrer. D'ailleurs, cette impression est certainement renforcée par l'alliteration des "l" avec "blancs collants". La dynamique de la phrase est sans doute aussi provoqué par la cassure de l'aliteration des "l" avec de l'allitération finale dentales des "t/d", donc des sonsorités dures.
A noter que je n'ai pas crée cette phrase pour son sens, mais uniquement pour les sons, or, on voit que les sons renforcent le sens (qui en soi n'avait aucune importance au départ). Et en l'occurence, c'est sans doute pourquoi la phrase "sonne" mieux à mes oerilles (et les votres?)
Je ne sais pas où tout cela peut mener, mais ton approche nécessite sans doute d'intégrer d'autres notions pour être complètement éclairante. En tout cas, tu abordes un sujet très intéressant et très complexe.
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- Vuld Edone
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/è/ - /a/ - /é/ - /a/ pour simplifier, c'est une structure ABAB.... alors que "le vert chevalier entra" retrouve la dynamique de la première phrase...
Cela dit je suis mauvais en poésie et comme dit -- je l'ai dit ? -- ces histoires de sons me dépassent, je ne les ai jamais vraiment théorisées. En fait, je n'ai vu nulle part dans mes études quelqu'un capable de les expliquer "scientifiquement", au-delà de "c'est pour le rythme / la signification"...
Attention, dans ton exemple il y a un phénomène de révision : "... de ses blancs" laisse entendre que "blancs" est le substantif. Alors oui, on interprète vite que c'est un adjectif mais il est en position de substantif, il y a un effort demandé au lecteur."le chevalier vêtu de ses blancs collants entra"
Or cette effort, ici, ne se justifie pas : on a inversé nom et adjectif sans la moindre raison. C'est typiquement ce qu'on reprocherait à un habitué : "il est très beau ton effet de style mais il a servi à quoi ?"
Quand tu écris "de ses blancs collants tachés de sang", ton groupe nominal se dédouble en deux sous-groupes : "blancs collants" et "tachés de sang". Sur le fond, on oppose la blancheur au sang. La séparation est alors autant distinguée, comme tu l'as dit, par "tachés", que par l'inversion nom-adjectif. De même, l'inversion met en avant la blancheur, ce qui, une fois encore, correspond au fond.
Tu n'as pas eu à le faire consciemment : on en a juste l'habitude.
Ce que je veux dire ici, c'est que si l'une bloque là où l'autre passe, ce n'est pas forcément lié aux sons. Ici, c'est le mécanisme de révision qui dans le premier cas est immotivé et, dans le second, justifié. Même si ça reste trop coûteux pour ce que ça apporte.
Tes observations m'amènent à un dernier constat : c'est quoi le "rythme" ?
On en a l'intuition et on ne peut pas nier que nos textes ont un rythme, qu'on joue avec. Mais encore ? C'est, comme en musique, une sorte de cadence ou de portée qui participe à la lecture. Mais encore ? On dit que le "rythme" est rapide quand les phrases sont courtes et suivies. On dit que le "rythme" est lent quand les phrases sont longues et ponctuées. Mais encore ?
a) "Il frappa encore encore et encore jusqu'à être à bout de forces."
b) "Il frappa. Encore. Encore. Encore. Jusqu'à être à bout de forces."
Est-ce qu'on peut vraiment résumer le "rythme" à ça ? Non, l'ordre et le choix des mots importe, le jeu des sonorités également. Et l'enjeu est "scientifique", ou littéraire du moins. Quand on parle de "rythme", actuellement, on pense à la phonologie : le débit (la vitesse) auquel la personne parle, et ses intonations (montante ou descendante).
c) "Il frappa >encore / encore / et encore< / jusqu'à être à bout de forces \"
Je passe sur ces annotations bizarres ("> <" et "/" "\") mais c'est une manière dont la phrase peut être prononcée, à quoi il faudrait ajouter les pauses d'ailleurs mais passons. Quand on parle de "rythme" on pense à ça. Et la question qui se pose alors, et qui est liée à ce qu'on fait "tous les jours", est de savoir si le rythme ne dépasse pas cette vision assez simple de "mimer la façon dont les gens prononceraient la phrase".
Justement en changeant les mots ou l'ordre des mots, etc... ?
Mais c'est là vraiment une réflexion très large, et je préfère en rester à l'utilisation concrète des sons dans les textes, avant même de considérer le sens. Je m'intéresse à l'outil avant de voir comment cet outil peut être exploité.
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- Zarathoustra
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C’est marrant parce que tu parles du rythme et on sent très bien que :On en a l'intuition et on ne peut pas nier que nos textes ont un rythme, qu'on joue avec. Mais encore ? C'est, comme en musique, une sorte de cadence ou de portée qui participe à la lecture. Mais encore ? On dit que le "rythme" est rapide quand les phrases sont courtes et suivies. On dit que le "rythme" est lent quand les phrases sont longues et ponctuées. Mais encore ?
le chevalier vêtu de ses blancs collants entra
et
le chevalier vêtu de ses collants blancs entra
n’ont pas le même rythme. Or en théorie si on ne parle que de ponctuation, elles devraient avoir normalement le même rythme, et du coup le même sens, pourtant elles ne produisent pas la même dynamique. La deuxième se prononce plus facilement et en même temps se dit sur un ton que je qualifierai de descendant. La première est plus « sautillante », l’inversion « blancs collants » crée une sorte de sursaut (sans doute lié à la consonne « b » sur lequel on bute parce qu’on n’est pas préparé à une prononciation impliquant les lèvres (j’ignore le terme) alors que la seconde est liée par les sonorités linguales qui fait que le « b » est aspiré par les « l ».
J’analyse de manière empirique, sans avoir fait d’études sur la question, hein… Un expert dirait peut être autre chose. Tout ça, pour dire, que les sons créent une dynamique notamment avec les consonnes et que les voyelles atténue le rythme et vont créer une harmonie plus ou moins mélodieuse. En l’occurrence on a des voyelles avec des sonorités très voisines (une majorité de é/eu et de an/a).
Or cette effort, ici, ne se justifie pas : on a inversé nom et adjectif sans la moindre raison. C'est typiquement ce qu'on reprocherait à un habitué : "il est très beau ton effet de style mais il a servi à quoi ?"
Réponse : il a bouleversé la dynamique de la phrase (cf. plus haut).
Quand tu écris "de ses blancs collants tachés de sang", ton groupe nominal se dédouble en deux sous-groupes : "blancs collants" et "tachés de sang". Sur le fond, on oppose la blancheur au sang. La séparation est alors autant distinguée, comme tu l'as dit, par "tachés", que par l'inversion nom-adjectif. De même, l'inversion met en avant la blancheur, ce qui, une fois encore, correspond au fond.
Je pense aussi que le son « an » rapproche les deux mots blanc/sang. Et ce rapprochement renforce d’autant la force de l’opposition des couleurs. Le blanc parait plus blanc et le rouge plus rouge. Donc les sons agissent aussi sur notre perception des mots, et donc des images qu’ils créent.
Quand on parle de "rythme" on pense à ça. Et la question qui se pose alors, et qui est liée à ce qu'on fait "tous les jours", est de savoir si le rythme ne dépasse pas cette vision assez simple de "mimer la façon dont les gens prononceraient la phrase".
Justement en changeant les mots ou l'ordre des mots, etc... ?
Oui, je pense que l’ordre des mots, par le jeu des sonorités, influence la dynamique. D’ailleurs, le terme de dynamique me parait plus approprié que rythme (qui pourrait être affecté à la ponctuation, même si une phrase, même non ponctuée a en elle implicitement des pauses plus ou moins importantes entre les groupes de mots, ne serait-ce par la notion de respiration). Je crois d’ailleurs qu’on tient quatre notions différentes :
- Le Rythme d’une phrase : liée à la ponctuation
- La Dynamique d’une phrase : liée aux sonorités (et certainement à l’enchainement des consonnes)
- La Musicalité de la phrase : liée principalement aux voyelles (et qui se matérialise certainement de manière plus poussée dans la poésie)
- La Respiration d’une phrase : liée à la nécessité de respirer surtout quand on lit à voix haute, et qui peut créer des pauses différentes que la ponctuation. Il y a aussi des pauses nécessaires quand on lit on pauser des repères dans une phrase qui s’étire.
Et pour ma part, je dirais que ces notions font ce que j’appellerais une « voix ». J’ai l’impression qu’on a dans notre tête respective chacun une voix qui nous apparait. Celle-ci fait certainement que chacun de nous n’écrit pas pareil et ne recherche pas à transcrire la même voix. Et cette voix, pour ma part, je l’entends parfois pour mes personnages. Je me dis qu’un personnage ne parle pas pareillement qu’un autre. Et d’ailleurs quand je lis une histoire, les personnages ont aussi des voix différentes. A titre d’anecdote, Hergé avait dit à propos de l’adaptation en film de Tintin que l’acteur n’avait pas du tout la voix que lui entendait en le dessinant.
J'ignore si ça colle au sujet ou si vous êtes d'accord. Mais difficile selon moi de parler des sons sans le reste. OU alors il faut étudier de manière très analtyique:
- d'un côté: les effets autour des consonnes (dentales, lingués, lèvrés(?)) pour créer des dynamiques différentes
- de l'autre, autour des voyelles: étudier l'impact d'une dominante ou d'une disonance
- voir comment combiner les deux
Mais je pense qu'il doit y avoir des études déjà faites sur la question... Ensuite, cela revient parfois à analyser quelque chose qui se fait très intuitivement. Pas sûr que ça apporte pour écrire. Par contre, cela pourrait permettre de mieux comprendre pourquoi certaines phrases sonnent bien ou mal. Mais en aucun cas de les écrire. Et j'ai peur qu'une écriture très consciente de tous ses effets deviennent d'autant plus laborieuse tant à écrire qu'à lire car trop "étudié". Et puis, je dirais que c'est une approche qui touche plus à la poésie qu'à l'écriture de récit.
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- Vuld Edone
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Certes, le débutant a lui aussi une "voix" et donc sa manière propre d'écrire, même s'il ne s'en rend pas compte. Mais de fait, surtout chez les 13-15 ans, la narration est généralement très semblable et cette voix n'existe pour ainsi dire pas. Même chez des auteurs de 17-21 ans, on peut être surpris de trouver des textes dont le "ton" est très proche, où on pourrait comparer les phrases et se demander en quoi le rythme, par exemple, est différent.
Il ne faut pas oublier que cette intuition a été travaillée au départ, et certes inconsciemment mais au fil des années. Quand on dit à quelqu'un "ton texte manque de rythme", on est incapable de lui expliquer en quoi.
D'ailleurs, quand on dit ça, on ne parle même pas de son : quand on dit ça, généralement, on parle de "tension". D'une histoire qui aurait du mal à avancer ou à se renouveler.
D'ailleurs (répétition), prenons le problème à l'envers ?
Au niveau du texte, donc, par chapitres entiers, parler de "rythme" désigne la tension, la planification de l'intrigue et des événements. Un mauvais rythme signifierait trop de temps morts ou au contraire trop de "tout qui nous tombe dessus en même temps".
Au niveau du paragraphe, le même "rythme" s'applique. Pense au "accélère" ou "wow, wow, moins vite, prends ton temps" : une description expédiée en une demi-phrase ou au contraire le registre foncier complet et exhaustif de la foutue chambre du personnage. C'est une question de pertinence, de quantité d'information disponible -> toujours aucun lien avec les sons.
Qu'en est-il au niveau de la phrase ?
On dira, ici, que dans la première phrase le rythme est bon, et que dans la seconde c'est du grand n'importe quoi. Lié aux sons ? Peut-être. Mais plus probablement que l'information est organisée presque au pif, j'ai fait exprès de tout mélanger : on parle du village et soudain on nous dit que Pierrot descend... et que le chemin est à flanc de falaise, okay, super...1) Le village, qui était à flanc de falaise, et Pierrot l'avait vu en descendant, avait deux stèles à l'angle du chemin...
2) Le village, Pierrot en descendant l'avait vu, avait deux stèles à l'angle du chemin à flanc de falaise...
Là encore, "rythme" ou même "dynamique" peuvent être utilisés pour l'agencement de l'information, plus que pour le son ou l'intonation mêmes.
C'est là peut-être le plus intéressant pour moi : dans le cas (3), clairement l'auteur (moi, humblement) a tenté un jeu de sonorités. Le /k/ est censé signifier le danger ou l'interdit dans l'esprit de Pierrot -> pani-/k/. C'est même d'autant plus intéressant que Pierrot cède comme un cadenas.3) Au cliquetis du cadenas Pierrot céda à la panique.
4) Au bruit du verrou Pierrot prit peur.
Mais quand on compare avec (4), où certes on a un peu de /p/ pour faire joli mais qui est beaucoup plus basique... eh bien... on ne peut pas dire que dans un cas le rythme est meilleur que dans l'autre. Au mieux, on dirait que les rythmes sont différents. Et encore. Vraiment ?
On peut argumenter que "cliquetis du cadenas" et "céda a la panique" sont plus longs que "bruit du verrou" et "prit peur". On peut aussi argumenter que l'intonation serait légèrement différente, mais en fait ils me semblent trop proches pour suggérer ça. En termes de diction... les phrases s'équivalent.
Pour différencier la "voix", il faudrait alors dire que l'une emploie des mots plus compliqués que l'autre. Ce serait une question de registre : (4) est plus familière.
Si ces observations se confirment, ça signifierait que les sons n'ont au fait qu'un rôle accessoire, voire négligeable lorsqu'on parle de "rythme". Que le rythme ne serait pas lié aux sons mais, comme le suggèrent (1)-(2), à l'agencement de l'information.
Et là on revient aux "blancs collants".
On dit que le rythme est différent, soit. Et effectivement, on peut facilement argumenter qu'il y a une intonation montante après "blancs". Mais j'argumenterais que cette intonation est simplement liée à l'ordre des mots :
-> "le chevalier suivi de son vieux coffre entra" vs "le chevalier suivi de son coffre vieux entra"
Où est l'intonation ? Il semble simplement qu'à l'inversion du nom et de l'adjectif, quand l'adjectif est en première position l'intonation du groupe a simplement tendance à se situer juste après, avant le nom. En d'autres termes ce n'est pas l'intonation qui fait le rythme : l'intonation serait ici accidentelle, un "dégât collatéral" si on veut.
Le rythme est simplement dû à l'agencement de l'information.
Et ça, pour moi en tout cas, c'est une révolution dans la manière d'envisager cette notion même.
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Zarathoustra écrit: C’est marrant parce que tu parles du rythme et on sent très bien que :
le chevalier vêtu de ses blancs collants entra
et
le chevalier vêtu de ses collants blancs entra
n’ont pas le même rythme. Or en théorie si on ne parle que de ponctuation, elles devraient avoir normalement le même rythme, et du coup le même sens, pourtant elles ne produisent pas la même dynamique. La deuxième se prononce plus facilement et en même temps se dit sur un ton que je qualifierai de descendant. La première est plus « sautillante », l’inversion « blancs collants » crée une sorte de sursaut (sans doute lié à la consonne « b » sur lequel on bute parce qu’on n’est pas préparé à une prononciation impliquant les lèvres (j’ignore le terme) alors que la seconde est liée par les sonorités linguales qui fait que le « b » est aspiré par les « l ».
=> Je voudrais réagir sur le passage en gras. Tu analyses bien les sonorités en présence mais ce qui m'interpelle c'est que tu ne fais pas un jugement de valeur : pour toi, les deux phrases sont aussi agréables à lire l'une que l'autre ?
Personnellement, aucune des deux ne me convient tout à fait. Pourquoi ? Parce qu'à mes yeux, elles ne sont pas totalement fluides. Quand on les lit, à voix haute ou basse, il y a des accrocs : pour la première, comme tu dis, on bute et ça donne un mouvement de lèvres désagréable, un peu comme si on pataugeait, bref la lecture est freinée en plein milieu de la phrase ; pour la deuxième, c'est mieux mais je sens comme un effort pour la lire d'un trait, un peu comme s'il fallait retenir son souffle en fait (je me demande si c'est la succession de mots relativement courts qui entraîne cet effet).
Vous allez dire que je suis trop pointilleux, et bien je vous répondrai que c'est exactement ça. Il y a quelques années, je parlais avec un pigiste et lui ai demandé tout un tas de conseils sur l'écriture en général. Je lui ai montré mes textes, et chaque fois, ce qui en est ressorti c'est une tendance à la lourdeur (lui avait évidemment un style très fluide, sans accroc et on pouvait lire ses phrases d'un trait avec une respiration normale). Ensuite, on s'est perdu de vue et je n'ai pas pu lui en demander davantage, mais ses conseils me sont restés en tête. J'ai commencé à me poser mille questions, me demandant d'où venait cette lourdeur, et ce qui rendait la lecture de mes textes un peu laborieuse (à tel point qu'on a tendance à décrocher parfois, du moins je pense).
Ma première résolution ç'a été d'épurer mon style au maximum, en virant tout le superflu (sauf que la médaille a un revers : à force de me cantonner au strict minimum, j'ai perdu toute fantaisie dans mes phrases).
Ensuite, j'ai porté un oeil attentif à l'enchaînement des mots. Je me suis alors rendu compte que c'était une vraie catastrophe : on trouve un paquet de consonnes agressives à l'oreille qui s'enchaînent n'importe comment, ce qui provoque le fameux mouvement de lèvres à la lecture, et qui la rend laborieuse. J'ai aussi constaté la présence de phrases uniquement constituées de mots trop longs, ou trop courts (je pense que l'idéal ce serait une bonne alternance des deux, tout en terminant la phrase par un mot court), des dissonances entre les mots, les mêmes terminaisons qui se succèdent trop souvent, etc... Bref un désastre.
Je m'étais inscrit, il y a trois ans, sur un forum pour évoquer ce problème, et on m'a répondu qu'en gros cette dictature de la fluidité risquait de m'entraver, me poussant à me focaliser sur la fluidité au détriment de tout le reste (ils avaient raison). Ils m'ont conseillé de faire preuve de patience, m'expliquant que tout viendrait à force de pratique, mais que, pour le moment, ce n'était pas la peine de produire des efforts conscients, voire acharnés, pour rendre mes phrases plus fluides. Mais voilà, moi, je les trouve absolument dégueulasses, mes phrases ! Si l'une d'elles ne me plaît pas, je peux bloquer dessus pendant une heure et demie, modifier l'assemblage des mots, en virer certains, en choisir d'autres, jusqu'à obtenir un résultat satisfaisant (ou devrais-je dire : acceptable). Sinon, je ne passe pas à la suivante. Imaginez un peu le calvaire.
Mais en général, et je dois l'avouer, je rencontre ce problème uniquement lorsque je veux tourner ma phrase d'une manière bien précise. Vous savez, quand je pense avoir sous la main une tournure de phrase originale, complexe, je m'y accroche comme une sangsue. Et c'est le noeud de mon problème car souvent, avec ces tournures-là, je n'ai pas à disposition les mots qui me permettraient de faire un enchaînement fluide. Raaah ! Quand j'améliore un secteur c'est au détriment de l'autre. Foutue impuissance...
Mais bref ! Avez-vous déjà été dans mon cas ? Je vous vois dire que la recherche de la fluidité (musicalité), ça vaut surtout pour la poésie, mais quand même, je ne pense qu'il y a des limites. Vous n'accepteriez pas de produire des phrases dissonantes (pour un effet de style recherché, ça va, mais si ça se reproduit à chaque phrase...), non ?
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- Vuld Edone
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1) Un manque d'information (par rapport à la quantité de mots) et
2) Un manque d'information (par rapport à la complexité des mots).
Je sais, j'insiste trop sur l'idée d'information et on sent que je prêche pour ma paroisse mais j'essaie aussi de décrire ce que je rencontre chez les autres et c'est à peu près ce que je trouve de plus consistant.
Mais revenons aux sons.
Comme dit, ce n'est vraiment pas un sujet sur lequel j'ai beaucoup réfléchi. Et pour cause ! La littérature n'en dit presque rien (allitérations... et c'est à peu près tout) et la linguistique n'en traite qu'en "phonologie", un domaine auquel je ne me suis quasiment jamais intéressé.
Si je devais réécrire la phrase "le chevalier vêtu de ses collants blancs entra", en oubliant qu'en général on n'a pas le choix des objets, j'écrirais "le chevalier drapé de blanc entra" au niveau des sons pour deux raisons.
1) À la lecture basse, la phrase d'origine semble décrocher au son /k/ ou /o/ de "collants". Ici, on devrait supposer une "distance" entre les sons et dire que celle-ci est trop grande soit entre /e/ et /o/, soit entre /s/ et /k/.
2) Le contexte ne nous dit pas pourquoi on parlerait de collants et du coup le lecteur n'a pas d'attentes à ce niveau. Je sais que ça vous parle peu mais la pertinence a un rôle écrasant dans la lecture d'un texte. Ici la blancheur seule compte, j'élimine donc l'information "inutile", une fois encore, faute de contexte.
On retrouve du coup, dans ma phrase réécrite, des techniques simples de concaténation : /a/ - /e/ répété entre "chevalier" et "drapé" -> structure ABAB ; mais aussi les sons /p/ et /b/ très proches (entre "drapé" et "blanc"), ce sont des labiales (au niveau des lèvres), tandis que /d/ est "dentale" : tout se passe donc à l'avant de la bouche.
...
Oh.
On peut y réfléchir en termes phonétiques, donc. En termes de lieu et de manière dont le son est créé.
Il y a quatre lieux dans la bouche pour créer le son :
- les lèvres (labiales)
- les dents (dentales)
- le palais (palatales)
- le truc-super-en-arrière (vélaires)
Par exemple le /k/ est produit au niveau palatal, ou vélaire apparemment... okay je suis nul en phonétique mais comme dit avant, passer d'un son comme le /s/ produit au niveau dental à un son comme le /k/ produit au niveau... vélaire donc, demanderait plus d'efforts que de rester au niveau labial avec nos /p/ /b/.
Les voyelles sont moins touchées par cette distance au sens où elles sont toutes palatales ou vélaires (à l'arrière de la bouche) donc ça c'est réglé. La distance s'exprime plutôt en ouverture (de la bouche même), entre le /i/ et le /u/. Il ne me semble pas que les voyelles demandent un effort particulier de variation mais une fois encore, le passage entre /e/ et /o/ peut s'expliquer ainsi.
Reste d'autres critères pour la production des consonnes et là j'expédie -- par exemple ranaf' des nasales -- avec la différence entre sonores et sourdes. Les sonores étant les consonnes qu'on peut répéter sans fin, type /f/ ou /s/, et les sourdes les consonnes qui n'ont pas justement ce son continu, type /t/ ou /k/. Cette distance, comme d'autres, semble anecdotique au sens où... ben "str" par exemple, ou "pl" d'exemple...
Je pense donc que s'il doit y avoir une "distance" dans les sons elle ne concerne vraiment que les consonnes (à vérifier) et uniquement leur lieu de production (des lèvres jusque derrière le palais).
"le chevalier vêtu de ses sarments blancs entra"
"le chevalier vêtu de ses ornements blancs entra"
Oui, au test il semble bien que ce soit la seule distance vraiment pertinente, et celle qu'il faudrait mettre en avant au moins dans un premier temps. La fluidité ici est simplement l'idée de ne pas sauter d'un lieu à l'autre de la bouche au moment de produire les sons, mais d'y aller progressivement.
Cela dit, tout ça reste de la spéculation, et il faudrait vraiment tester (ou trouver des contre-exemples en contexte) pour débroussailler tout ça.
EDIT: Juste pour bien préciser : je ne suis parti que sur une hypothèse (celle que le problème se situait à "collants"). Rien qu'en relisant mes deux derniers exemples, il me semble que "vêtu de ses" pose également problème, d'où une nouvelle hypothèse où là je soupçonnerais plutôt une saturation.
Mais bref.
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- Zarathoustra
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Après, il y a aussi la notion d'exigence. A priori, tu l'es hautement avec toi-même. Or ici, on est là pour apprendre, pas à chercher la perfection. Donc profites-en. Je pense que tu nous en a trop dit pour ne pas nous proposer l'un de tes textes
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