Écrire un tableau

J'ai eu cette problématique dans le Loup-Garrou où je brosse le portrait d'une peintre. En fait, les deux approches peuvent fonctionner. Soit on part d'un détail, puis d'un autre et peu à peu on révèle l'ensemble. Soit on part de l'ensemble et on rentre dans les détails. Le but, c'est qu'à la fin, on ait créé une image. Je ne suis pas sûr que le rendu de l'image soit la même.

En fait, ces deux approches se retrouvent dans le fonctionnement des gens. Ils sont spontanément l'un ou l'autre fonctionnement. Par exemple, moi, j'ai besoin d'avoir une vue d'ensemble avant qu'on me parle de détails. Et si on commence par les détails, j'ai l'impression qu'on me noie le poisson. A contrario, je sais que quand j'expose une problématique en partant d'un ensemble et en donnant le point d'arrivée sans expliquer les étapes (les détails), je peux perturber ceux qui ont besoin de voir les détails en premier.

Tu devrais d'ailleurs tenter d'écrire le tableau des deux manières, cela t'obligera à penser le fonctionnement de deux lecteurs différents. En fait, il faut arriver à ce que les deux types de personnalité s'y retrouvent à la fin.

Au-delà de l'image, il y a effectivement l'atmosphère, les thèmes, la lumière d'un tableau. En fait, tout dépend du regard que tu recherches: est-ce celui du peintre ou est-ce celui qui regarde? C'est celui qui regarde, alors il va empiler sa subjectivité sur le tableau. Il doit lui parler par rapport à son vécu, donc des associations d'idées peuvent renforcer ce vécu du personnage. Si c'est l regard du peintre, tu dois te confronter à des questions plus techniques: les règles de composition, le cercle chromatique, les valeurs des couleurs etc. Et tu peux également jouer avec ses intentions cachées ou avec sa quête. En gros, si tu veux le faire peintre, tu peux aussi donner l'objectif final et chercher à travers lui à placer les moyens dont il va disposer pour l'atteindre.

Bref, il faudrait que tu soit plus explicites pour qu'on te guide.

Effectivement, sans contexte ça va être un peu compliqué.

Cela dit et de façon générale, on est désormais une société de l'image, habituée à tout visualiser, et l'auteur se retrouve trop souvent à essayer de décrire une image qu'à en construire une.
Garde en tête que ton lecteur va "reconstruire" l'image de son côté. Il n'aura jamais accès à l'original et sa reconstruction sera imparfaite. À toi de lui donner assez d'informations pour que ce qu'il reconstruise ressemble au tableau que tu as en tête. C'est l'exercice du "dessine-moi un mouton".
Avec ceci en tête, ton but est de reprendre tous les détails de ton tableau, d'en abstraire les dénominateurs communs, les traits qui y reviennent le plus souvent, puis de sélectionner les détails qui expriment le mieux ces traits.

Par exemple mettons que je doive décrire le bar du Joe Bar Team. D'un côté, c'est une bande dessinée, j'ai donc le bar sous de nombreux angles -- et inversement de nombreux angles morts. De l'autre, la bande dessinée a son atmosphère, que je dois nécessairement retranscrire, et que je décrirais par un mélange de bonne humeur et de nostalgie. Rajoute un zeste de découverte pour le lecteur et on a ton défi.
Alors.
D'instinct, j'adopterais une description dynamique, qui suivrait le regard du lecteur en train d'entrer. Probablement partir du barman, Joe, pour dériver sur le comptoir et jusqu'au flipper. Par exemple, le comptoir : comment y exprimer la bonne humeur et la nostalgie ? Plutôt que de décrire la couleur et la matière du comptoir, je dirais qu'il s'y trouve "trois petits verres vides". Le "petit" est sympathique, le "vide" est triste.
Ce coup de regard va donc passer en revue une série de détails et pour chaque détail tenter de coller mes deux étiquettes, autant que possible, de la bonne humeur et de la nostalgie. C'est cette répétition des mêmes traits un peu partout qui va permettre ensuite au lecteur de se reconstruire le Joe Bar Team, même pour ceux qui ne l'ont jamais vu.

Après, ce n'est qu'une option, parmi les plus classiques. Une autre est de décrire durant l'action, sans s'arrêter. Le lecteur entre, remarque les sièges du comptoir où s'asseoir (on vient de décrire les sièges), fait signe au patron pour un verre (on vient de décrire le patron), s'attarde sur les bouteilles derrière pour choisir (on a décrit l'arrière), puis remarque la discussion près du flipper (on a décrit le flipper). Ici on fait mine de ne pas décrire, mais à chaque fois qu'on introduit un élément, au lieu de dire "deux gusses s'énervaient sur le flipper" on va dire quelque chose comme "deux gusses s'énervaient sur un vieux flipper clignotant" oui je sais la description est générique mais il est presque minuit...

L'important à retenir est que tu ne peux pas tout décrire et que le lecteur n'aura de toute manière jamais la copie exacte. Sélectionne les détails les plus importants et assure-toi seulement qu'à partir de ceux-là le lecteur puisse approximer une image assez fidèle.
À mon sens, prends bien le temps d'installer l'atmosphère. Elle a l'air d'importer pour ta scène. N'oublie juste pas, tu veux décrire une atmosphère, pas un tableau précis.