[poème] Petit entracte

Ses pupilles ne tremblent pas, ni son regard
Alors que l’air frais vient battre son visage
Sculpté par le temps et marqué par les âges
Le guerrier avance lentement et se prépare

L’autre, jeune mais imprégné du même sang
Songeant à son objectif, répète ses gammes
Sans savoir si son ennemi est innocent
Ou si, par hasard, il serait l’acteur du drame

Des rayons de soleil viennent les percuter,
La scène s’en trouvant alors illuminée,
Et sans applaudissement l’acte se termine
Tandis que le ciel déverse une pluie fine

Alors le champ se noie dans cet aqueux liquide,
Laissant leur course folle se poursuivre sans cesse
Et ils glissent sur le sol à grande vitesse
A travers les ombres qui parsèment l’herbe humide

Le sol s’écrase sous leurs pas déterminés
Et, alors que s’accélèrent leurs foulées violentes,
Affrontant sans gène les vagues déferlantes,
Ils dégainent brusquement leurs longues épées.

Le premier tient à deux mains sa lame sans insigne
Qu’il soulève pour ne pas en user la ligne
Mais sous son poids, alors qu’elle frôle la terre
Sa pointe dessine une traînée de poussière.

Le second, au bras gauche couvert d’un bouclier,
Oppose, à sa droite, une épée longue et légère
D’une garde haute qui défie les Cieux, sévère
Prête à abattre son jugement guerrier

Leur esprits calibrés et forgés par les guerres
Tracent deux chemins destinés à se croiser
Telles des flèches improbables qui fendent l’air
Fonçant vers leurs cibles dans le but de tuer

Ces hommes n’ont qu’une seule fonction : « servir »
Que ce soit leur clan, leur roi, ou même l’Empire
Mettre en jeu leur vie n’est donc pour eux qu’un devoir
Celui de tout donner, sans jamais recevoir

Ils le savent, les détails ont tous leur importance,
Du plus petit des gestes au plus grand des soupirs
Ici, pas de place pour crier sa souffrance,
Ils sont des armes lancées pour tuer ou périr.

Aucun son, ni émotion, d’eux ne s’échappent
Et même si leurs tenues verrouillées d’acier
Pourrait trahir la peur que la mort ne les frappe,
Ils courent sur le champ sans la moindre pitié.

Les styles sont différents, les couleurs aussi
L’un défend les indigents, l’autre son pays
Mais ce ne sont là que prétexte au duel
Dont l’issue sera inévitablement mortelle

Toutes ces failles sont donc de futiles leurres,
Autant d’autres outils de leur funeste dessein
En attestent leurs lames pointées vers le cœur
Et leurs poings serrés sur les pommeaux cristallins

Puis, l’atmosphère retombe, le temps s’arrête.
Ils ont atteint le sommet de la colline
Et maintenant se toisent sous l’épaisse bruine
En attendant qu’un signal enflamme la crête.

Tandis qu’en coulisse, se déchaînent les éléments
Un vent puissant se lève sur le déluge naissant,
Démontant le décor et soufflant à leurs oreilles
Les tristes répliques d’un désastre sans pareil

Cheveux, capes et lanières s’affolent
Dans ce chaos où la prairie est une mer
Où la tempête s’emporte, décoiffant le sol
Quand, en un éclair, détonne le tonnerre

Soudain, leurs yeux se plissent, fixent l’ennemi
Comme ceux de gladiateurs défaits de leurs chaînes
Après avoir été retenu des décennies
Et lâchés sur le sable brûlant d'une arène


...(la suite bientot)