file La maladie du bonheur (+ questions)

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il y a 15 ans 8 mois #15243 par Vuld Edone
La maladie du bonheur (+ questions) a été créé par Vuld Edone
Un mot avant de commencer.
Le titre résume le texte : le bonheur comme maladie.
À la mise en page, à la taille et à certaines tournures, on notera qu'il date.

Comme publicité, p'tit jeu : je pose à la fin dix questions sur le texte. Si vous êtes arrivé jusque là, essayez d'y répondre.
C'est une manière comme une autre de concevoir les commentaires...

La maladie du bonheur

Olivia trouva l’amour. Tout ajout à un bonheur trop complet ne pouvait plus que lui nuire. Elle souriait jour et nuit, encore plus belle quand son amour menaçé perdait une fraction d’intensité, malgré cela superbe pour cet unique être aimé.
Des deux soeurs d’Olivia, elle s’éloignait le plus de Constance, bien au contraire parce que celle-ci soutenait leur amour parfait, tandis que Sarah le jalousant lui retirait cette fraction d’intensité qui rendait Olivia si belle. Aussi leur amour ne se parfaisait-il qu’avec la jalousie de Sarah tandis que Constance souriante ne leur servait de rien.
Au mariage Olivia fut la plus belle. Ses parents la félicitèrent pour sa robe et pour ses fleurs, ses grands-parents pour sa chance, son arrière-grand père et avant lui son père lui parlèrent d’une prudence à laquelle elle n’entendait rien. Mère remercia encore l’ar-arrière tante Luve puis ils jouèrent de l’orgue des heures durant autour des tables, en applaudissant toutes les promesses de bonheur. Ni Olivia ni son amour ne voyaient ces marques d’attention, trop attentifs à leur propre plaisir.
Quand Olivia partit avec son amour vivre la vie des gens amoureux, le vide creusé dans cette famille parfaite ne produisit en vérité aucun effet de surface, seulement de vagues remous du coeur qu’exprimait bien seule et bien mal Sarah.
Comme l’une partait, les parents voulurent se débarrasser des autres.
Ils reportèrent leur attention sur Sarah, pas longtemps, puis sur Constance, lui parlant de plaisir et d’amour et des secrets de la vie. Or Constance les satisfit très vite, passionnément souriante jusqu’à ce que les parents comprennent que d’amour n’existait en son coeur pas une once de cuivre.
Le docteur Quirinal, le docteur de famille, le leur expliqua après auscultation.

"Monsieur le professeur ! Monsieur le professeur !"

Le professeur pointa son élève du doigt, pour que le banc se taise, pour qu’il cesse d’agiter le bras. La craie sur ce tableau noir le faisait tousser. Désigné, l’élève répéta sa question : "Monsieur, c’est quoi le bonheur ?" A côté son camarade voulait répondre. La classe cherchait dans ses notes, quelque part, la raison pour se moquer.
- Le bonheur signifie la bonne fortune, c’est la satisfaction, le contentement de soi, un état agréable qui dure. Certains y ont vu le but de l’existence. Aujourd’hui nous dirions que c’est la fin de tout homme.
Aucun des enfants n’y comprit rien mais persuadés par leur manque d’intérêt ils tournèrent leurs têtes moqueuses vers le camarade qui à son tour agitait le bras puis sans attendre : "Le bonheur c’est ce qui tue ?" Le professeur, gêné sans raison : "Seulement en trop grandes quantités." Déjà le banc se battait et comme ils allaient perdre la parole l’un d’eux se leva presque :
- Monsieur, monsieur, le bonheur c’est une maladie ?
- Oui, soupira le professeur.
Quand le professeur soupirait, son visage se décomposait de telle sorte que les élèves préféraient ne plus poser de question. Parfois il entrait soupirant, alors le classe se passait silencieuse. Quand pourtant il quêtait encore quelque réaction, alors que tous baissaient la tête, ce même visage n’aimait pas leur silence.
Un enfant brisa l’attente, celui-là même qui avait commencé, qui s’adressait moins à la classe qu’à son camarade, comme la dernière preuve à sa démonstration : "Moi ma grande-soeur elle est heureuse." Le professeur, retourné à son tableau noir, plein de craie qui faisait tousser, ne répondit rien.

Monsieur et madame Beaumont avaient fini d’attendre à la clinique du docteur. Pour cette quatrième rencontre, ils patientaient à ce banc de couloir, dans l’hôpital Sorors, à regarder passer les blouses blanches de leurs yeux fatigués.
Père Beaumont regardait souvent sa montre, grondait pour la forme, parfois se levait pour se rasseoir aussitôt car mère lui tendait alors ses yeux suppliants. Mère prenait cela beaucoup plus au sérieux, tant qu’elle répétait ne se soucier que de sa fille. Quatre visites, la garde à vue de Constance, par la suite le manque de repos l’avaient persuadée de s’inquiéter.
Ensuite, mère assurait que ce ne pouvait qu’être rien, tandis que père parlait de croire le docteur.
Le docteur Quirinal avait tardé encore avant de se présenter devant eux. Il tenait dans ses mains le porte-documents duquel pendait, attaché à une cordelette, un stylo d’industrie. Ses premiers mots furent pour Sarah mais tandis qu’ils se serraient les mains père lui demanda de cesser sa plaisanterie.
Il voulait l’entendre dire que leur fille allait bien.
Le docteur Quirinal hocha la tête : "J’aurais voulu vous rassurer-" - "Nous rassurer ?" Père lui rappela qu’on parlait de bonheur, alors le docteur fâché : "Six ans, au mieux." Il s’excusa ensuite de toutes les manières possibles, sans pouvoir pardonner qu’après l’avoir répété à présent quatre fois, les parents bien forcés ne pouvaient pas comprendre.
Mère voulait voir sa fille. Père, qui avait cru comprendre entretemps la différence, demanda s’il avait bien compris la différence, à propos d’Olivia. Ils parlaient, parlaient tout en sachant n’avoir pas vraiment de raison de parler, sinon peut-être une qui les dépassait, parce que déjà cette histoire ne concernait plus ni les parents ni même le docteur Quirinal.
Constance assise sur le papier fripé de la couchette suivait la sorte de mortier entre les petites dalles au bas des murs. Un rideau la séparait d’une autre pièce, étroite comme celle-ci, où toussait parfois avec violence une autre patiente. Constance ne toussait pas, elle souriait, sans regarder la porte quand passaient les gens.
Mère la vit avec sa chemise blanche, trop ouverte au col, qui la pâlissait. Elle vit en même temps le sourire de Constance, quand celle-ci répondit à son exclamation, ces yeux qui la traversaient. Comme le docteur la tenait éloignée d’elle et que sa coiffure avait perdu de son éclat, mère crut bien sa fille malade.
Elle dut y croire, aux six ans et à la maladie, elle dut penser que la circonstance le demandait, aussi se mit-elle à pleurer. D’abord, ses pleurs nerveux passèrent inaperçus, père parlait avec confiance mais quand elle éclata, les deux mains sur le visage, père gêné regarda Quirinal qui, gêné également, tenta de consoler cette femme. Père crut bon de paraître touché.
Ils l’étaient réellement.
Leur fille voyant mère pleurer alla se couler dans ses bras, la serra si bien que les larmes tarirent, qu’un sourire revint sur ce visage. Alors Constance se détourna pour se rasseoir, à quoi mère hoquetant s’excusa, la main juste sous les cils, car elle se sentait à nouveau mal. Sa fille ne la regardait plus.

Le local avait cette odeur des choses dites et redites cent fois. Un peu de café coula à côté, sur les brochures destinées au public, sur tous les sujets que la politique disputait à la médecine. Elles avaient des couleurs rouges, bleues ou jaune maladif. Le docteur Fernier avait ouvert la plus récente, avec ses caractères gras énormes, ses images, son message.
Il avait délaissé pour cela ses propres notes de travail, ainsi que les tables chargées de chiffres étalées par-dessus le journal plein seulement de faits divers et de bonnes nouvelles. Sa pause durait depuis bientôt une demi-heure.
Le docteur Fernier ne buvait pas de café, pourtant à chaque fois il faisait fumer une tasse, peu avant qu’un collègue n’entre pour la prendre à sa place. Cette régularité étrange et son jeune âge, ainsi que son silence, l’avaient écarté de la profession. Qu’il se mette à boire du café, alors le docteur Fernier aurait paru moins fatigué, plus réceptif, donc plus causant, moins jeune, tout à fait normal. Si le personnel arrêtait de prendre son café, peut-être le boirait-il.
Ce jour-là le premier entra le docteur Quirinal, qui lui jeta un regard noir de fatigue, ensuite un regard au café, l’air de demander, il prit la tasse en connaissant la réponse.
Sa présence au service de l’hôpital devenait si courante que tout le monde finissait par oublier qu’en vérité le docteur Quirinal avait sa propre clinique. Seul Fernier prenait le temps, quand ils se rencontraient, d’en demander des nouvelles. A chaque fois, Quirinal haussait les épaules, signe qu’il allait parler de la maladie du bonheur.
- Ce n’est pourtant pas nouveau ! s’emportait-il alors. On le sait depuis, quoi, trois mille ans ? que l’excès nuit autant que le manque.
Fernier cita quelque article nouveau qui approuvait le docteur, ainsi que la brochure, pour le réconforter. Il savait que Quirinal, loin d’une quelconque idéologie, se déchargeait juste des tensions, après avoir rencontré les familles, les patients et calculé le nombre de jours restant.
Récemment, les chercheurs avaient remis en question la seule réelle inconnue de la maladie du bonheur, sa contagion. Personne n’avait pu trouver l’agent transmetteur, de sorte qu’on ne pouvait prouver ni que la maladie était contagieuse ni qu’elle ne l’était pas.
Les plus extrêmes, niant les découvertes empiriques, parlaient du contact charnel.
L’argument principal, pour nier la contagion, venait de la nature génétique de la maladie. Aucun autre cas médical ne connaissait de modification génétique due à une simple exposition. Sans les expériences, toutes corroborant la contagion, cet argument l’aurait emporté depuis longtemps.
Or si Quirinal revenait sur cette dispute actuelle, dans le milieu scientifique, de la transmission, il le faisait parce que loin d’un cas d’école, la réponse concernerait directement la politique.
- A ce propos, vous avez déjà averti les Anges ?
Mais le docteur ne voulait pas parler des Anges. Il avait déjà vidé sa tasse, de sorte que la machine grondait au-dessus de ses paroles. Le café concentrait ses pensées dans la mousse. Depuis le temps qu’il envoyait ses rapports, une dizaine au plus sur toute sa carrière, à chaque fois un frisson lui venait, frisson qu’il réprimait avec la pensée sage de protéger la communauté.
Si la contagion n’existait pas, il n’aurait rien protégé du tout.
L’argument principal, pour affirmer la contagion, venait de la modification même apportée avant naîssance, que les chercheurs proposaient incomplète ou le segment obtenu instable, de sorte que le facteur encore à déterminer rétablissait le code original, en entier ou en partie.
Il avait fallu qu’un seul fragment du corps humain soit cause du vieillissement en général, que ce même fragment soit cause en même temps du phénomène appelé bonheur. "Penser le bonheur comme génétique, même de nos jours..." disait le docteur Quirinal "... c’est si difficile pour les gens."
Fernier répondit quelque chose qui ne répondait rien. Il regardait de temps à autres le cadran sur le mur du fond, où tournaient les aiguilles noires. Il ne disait plus rien parce qu’à moins de trois mois de cette discussion, il lui faudrait participer à la conférence sur cette maladie, où il exprimerait la position de l’hôpital, alors que personne ne connaissait la sienne propre.
- Je vais envoyer le rapport. Ils lui laisseront bien quelques jours, à la petite Beaumont.
- Nous parlons trop, conclut Fernier.
Encore, puisque deux ou trois générations avaient scellé avant eux le traitement du bonheur, ce traitement ne les dérangeait pas. Il les dérangeait beaucoup plus de penser, l’un comme l’autre, qu’il valait mieux que le bonheur reste une maladie, que cette maladie reste contagieuse, pour que le monde reste meilleur.
Voilà pourquoi le docteur Fernier parlait de se taire.

Constance se réveilla sur le papier fripé, dans sa chemise de patiente blanche qui la pâlissait. Elle avait été contente quand la toux de l’autre côté du rideau l’avait tenue éveillée, pour le cas où un médecin était passé la voir, à présent l’absence de toux qui l’avait laissée s’endormir la rendait contente aussi.
Personne ne pouvait lui donner de chambre parce que les chambres partagées auraient brisé son isolement. Là-bas les mêmes rideaux blancs ne devaient pas avoir les mêmes vertus de séparation, ce qui lui sembla tout à fait compréhensible. Contente de ne pas déranger en restant ici, contente de ne pas avoir à changer de salle, elle réajusta sa chemise seulement pour se rendre compte qu’elle était contente de la porter et qu’il existe l’hôpital.
Elle était contente aussi de n’avoir pas de grippe, comme ses parents l’avaient craint en l’emmenant à la clinique, une semaine de cela.
La toux lui manquait maintenant, en même temps qu’elle se satisfaisait du silence. L’absence de montre lui faisait aimer l’ignorance du temps passé, de sorte qu’elle ne sortait pas dans le couloir où, à quelques mètres, se trouvait un cadran. Au lieu de cela, immobile, elle se récitait une chanson sans paroles, mélange des chansons qu’elle aimait bien et de son assoupissement.
Ni sa jambe ni son bras ne lui faisaient plus mal.
Par la porte ouverte, sans battant lui semblait-il, passa une infirmière pressée dont les chaussures claquaient sur ce sol propre. Elle portait ses cheveux en chignon, la tête relevée, pleine de soucis d’horaires et de doses à administrer. Sa blouse et ses mains pétries l’une dans l’autre avaient dû lui faire oublier le rêve de toute fille normale, quand ce n’était ni coiffeuse ni vétérinaire.
Ensuite passa un vieil homme à l’allure lente, qui s’arrêta dans l’encadrement pour lui jeter un long regard, bête car dénué d’expression. Le patient fit trembler sa main devant lui, tandis qu’il paraissait articuler quelques mots dans sa bouche, qui ne traversaient pas ses lèvres, après quoi il reprit sa marche lente dans le couloir.
Elle resta dans la petite salle, à attendre que la toux revienne en s’imaginant ce qu’il y avait aux deux bouts du couloir.
- Vous êtes charmante,
dit le docteur Fernier avec le geste de frapper à la porte avant d’entrer, ce même sourire satisfait aux lèvres pour lui répondre, "mademoiselle Beaumont ?" Elle se redressa, il se mit d’abord debout près d’elle, après quoi il s’assit à côté d’elle en soulevant les pans de sa blouse.
- Vous ne vous ennuyez pas ? - Oh non. - Ni faim ni soif ? - Non merci. - Pour une personne heureuse, vous êtes plutôt négative.
Il cochait en même temps une fiche remplie de cases vides sur la droite, de formules lapidaires à gauche, sans les cacher à la patiente qui ne regardait pas.
- Vous voulez rentrer chez vous ? Rester ici ? Qu’avez-vous fait depuis la dernière visite ? - J’ai dormi. - Et ensuite ? - J’ai imaginé ce qu’il y avait au bout du couloir. - Pourquoi n’être pas allé voir directement ?
Elle répondit ne pas savoir, d’une parole pleine d’hésitations, incomplète parce que formée sans la moindre attention, jetée aussi bien que si elle n’avait pas répondu. Sans son état, elle aurait pu dire qu’imaginer lui servait à s’occuper, non à savoir, que savoir l’aurait fait s’ennuyer par la suite.
L’ignorance la contentait mieux.
- Vous savez pourquoi on vous garde ici ? - Je suis malade. - Quelle maladie ? - Le bonheur ?
- Le bonheur. Ce qui fait vieillir les gens. Comme si ce gêne constituait la raison d’être de l’organisme, dont toute l’activité ne servirait qu’à atteindre cet état et qu’une fois cet état atteint, ayant accompli sa fonction, l’organisme se laisserait dépérir.
Ce discours ne fit pas plus réagir Constance que toutes les tentatives précédentes. L’habitude prise avant la maladie la poussait à des sommes d’efforts incroyables pour se préoccuper du docteur, sans quoi elle ne serait plus occupée qu’à faire danser sur ses doigts quelque papillon imaginaire.
- Le gêne même supprimé avant la naîssance réapparaît parfois après, pour un minuscule pourcentage de la population. Il pousse alors à un état de bonheur tel que le patient devient indifférent à la réalité et que l’organisme se meurt rapidement.
Elle avait beau essayer de suivre, rien de cela ne lui parlait. Il lui suffisait de penser qu’elle était malade, qu’il lui restait six ans à vivre et qu’elle ne reverrait plus ses parents pour que tout lui paraisse plus simple et plus satisfaisant.
- Voudriez-vous guérir ? - Oui ? - Pourquoi ? - C’est bien de guérir. Non ? - Oui mais vous ? - Quoi ?
Le docteur Fernier sourit, satisfait lui aussi qu’elle ne comprenne pas, qu’elle ne puisse pas comprendre le sens même de sa question. Ce vous qui correspondait chez elle à un moi, qui appelait un jugement, ne jugeait depuis longtemps plus de rien. Elle désirait autant guérir qu’elle se contentait de son état, se considérant la plus chanceuse des femmes dans les deux cas.
Il se leva donc, prit encore quelques notes pour la forme puis précisa quand les Anges viendraient la prendre. Il ajouta : "Je sais que votre état vous empêche de le dire mais que vous voudriez voir votre soeur. Je vous promets qu’elle passera vous voir demain." Constance n’aurait pas su dire si on lui parlait d’Olivia ou de Sarah.
Quand elle se retrouva seule, à nouveau couchée sur le papier fripé, dans sa chemise de patiente, Constance se rappela qu’elle avait voulu être infirmière, d’où une autre source de joie à se retrouver à l’hôpital, quand de toute son enfance elle n’avait jamais eu à y aller.
La plus chanceuse de toutes les femmes.

Elle serrait contre elle sa jupe, elle regardait de travers. Assise face au docteur, Sarah ne voulait rien entendre. Elle était venue ce matin après avoir dit qu’elle ne viendrait pas. Elle refusait à présent de voir Constance. "Vous ne savez même pas ce qui est bon pour nous," disait-elle, "pour vous c’est des nombres et des idées, rien que des idées !" Face à elle le docteur Quirinal parfois acquiesçait, parfois hochait la tête pensivement.
Fernier aurait dû la recevoir mais plus personne ne trouvait Fernier. Le personnel l’avait fait patienter longtemps, jusqu’à ce qu’une assistante appelle à la clinique. A présent Quirinal l’écoutait refuser de voir Constance, avec des yeux de reproches.
Ils se levèrent pour se rendre non pas aux chambres mais à la petite salle où, couchée sur le papier fripé, Constance dormait encore. L’infirmière avait oublié de reprendre le plateau repas, en équilibre à l’angle du meuble. Elle-même dormait malgré la porte ouverte sur le couloir.
- Vous ne lui avez même pas donné un lit !
S’emportait Sarah sur un intraitable Quirinal. Le docteur ne prenait pas la peine d’expliquer ce qui allait de soi. Il passa juste le doigt sur ses lunettes lorsque Constance, réveillée par cet éclat de voix, leur adressa son sourire.
Sa chemise de patiente tirait sur l’épaule.
Elle avait l’air tellement démunie, tellement pâle que Sarah révoltée resta à distance, dans l’encadrement. Sarah se révolta encore contre le docteur qui, après avoir posé une ou deux questions à sa patiente, préoccupé de retourner à son établissement, les laissa toutes deux ensemble.
Constance retourna à sa rêverie, qui consistait à ne rien faire, absolument rien, parce que le sommeil continuait d’agir en elle avec force. Sa soeur fripait ses mains l’une dans l’autre, l’air de l’ignorer sans le pouvoir. "Eh bien, tu es contente de toi !" lui lança-t-elle pour obtenir une réaction. Elle lui jetait de temps en temps des regards noirs.
Le plus énervant pour Sarah consistait à voir sa soeur dans cet état lamentable, au lieu du lit chaud et de la fenêtre ouverte, à rideaux, que lui avait dépeints son imagination. Cette chemise blanche à cordelettes la rendait mal à l’aise.
Rien de tout cela ne comptait vraiment. Dans deux jours les Anges passeraient. "Ca te fait plaisir, hein ?" Elle répéta : "Tu aimes tout ça, cette scène et te rendre intéressante !" Constance ne savait ni quand ni ce qu’il lui fallait répondre. Elle se contentait de regarder bêtement sa soeur.
- Mais tu vas répondre, oui ! - Pour dire quoi ? - Tu sais le mal que tu fais à père, à mère ! Ca t’amuse, hein ! Tu veux les faire souffrir, c’est ça ! - Non. - Tu veux juste te faire voir ! La petite fille à sa maman ! Et qu’est-ce que tu fais là, hein ! Tu peux me le dire ? - Je suis malade. - Foutaises ! T’es pas malade ! Y a pas de gêne, tout ça c’est des histoires ! Ca existe même pas, le bonheur ! Et toi tu joues la comédie et tout ça juste pour nous faire souffrir, t’es détestable !
Constance continuait de sourire gentiment. Elle cherchait, par habitude, avant sa maladie, à retirer son sourire, elle voulait hocher la tête et n’arrivait qu’à nier, d’un lent mouvement de gauche à droite qui ne faisait que plus enrager sa soeur. Un petit hoquet léger jouait sur sa gorge.
- Mais tu t’en fiches, hein, qu’on souffre ! Tu t’en fiches complètement !
Ce petit hoquet la pâlissait encore plus. Elle sentait son épaule nue et cela lui importait peu parce que Sarah se tenait le visage, les cheveux sur les joues et sa voix se fripait comme du papier. Les mains de Sarah n’étaient plus que des poings.
- Pourquoi tu leur dis pas, que t’es pas malade ! T’as juste à leur dire et ils te laisseront partir ! Maintenant arrête !
Plus Constance souriait, plus Sarah s’énervait, plus elle s’enfonçait entre ses poing. Sarah avait des cernes aux yeux, ce détail peut-être convainquit Constance de répondre.
- J’ai essayé, j’ai vraiment essayé d’être malheureuse. J’ai voulu pleurer, j’ai voulu souffrir, j’ai tout fait mais c’est si difficile. Ca fait des années que j’essaie.
- Alors pourquoi tu ne continues pas ! Mens-leur, fais n’importe quoi, pourquoi est-ce que tu devrais nous abandonner ! T’as juste à mentir, pourquoi tu ne le fais pas ?
- Je ne sais pas, moi, le bonheur ?
- Tais-toi ! Tais-toi !
Sarah se jeta sur elle, elle avait dû vouloir la frapper de ses deux poings mais leurs deux corps brisés de fatigue s’étaient juste embracés. Constance serrait sa soeur contre elle qui la serrait pareillement et l’une pleurait et l’autre souriait, toutes deux du même mal.
Le docteur Fernier fit mine de frapper à la porte, en même temps qu’une fausse toux, pour séparer les deux soeurs. Il avait dit ces mots pour convaincre Sarah de venir : "Votre soeur doit choisir entre la vie et le bonheur." Le docteur savait pour Sarah, qui s’était confiée à lui, que Sarah ne devait pas répondre pour sa soeur mais pour elle.
Peut-être que Constance, aussi, l’avait compris, dans les yeux cernés de Sarah.

Olivia envoya une lettre à ses parents, qui disait comment elle et son amour vivaient bien. Si père ne jugea pas bon d’en parler, mère s’empressa de répondre en parlant en détails de la maladie. Elle recevait plus tard dans la journée une nouvelle lettre empressée d’Olivia, qui grondait sa soeur en trouvant bêtes les gens qui tenaient à perdre plusieurs siècles de vie pour une illusion.
Les Anges se présentèrent le lendemain, armes et uniformes, aux portes de l’hôpital. Cependant une décision de Quirinal avait fait déplacer Constance à la clinique, toute proche.
Le docteur les salua aimablement, d’un ton tout de même froid de professionnalisme pour ne perdre en autorité. Chaque fois qu’il revoyait les uniformes militaires, le docteur Quirinal se rappelait que la quarantaine avait de l’importance, parce qu’ils voulaient vivre plus longtemps même s’il leur fallait moins sourire.
Constance les attendait dans l’arrière-salle, leur avait assuré Quirinal, avant de leur tendre le dossier. Il avait encore fait une prise de sang, ce matin, qu’on lui demanda de remettre. Dehors les attendait la camionnette, pour l’aéroport, pour les îles, pour la quarantaine. Ils voulaient en finir au plus vite.
D’une certaine façon, visiblement, cela les dérangeait aussi.
Constance ne se trouvait pas dans l’arrière-salle. Le docteur Fernier, passé plus tôt, l’avait emmenée dans le jardin, où ils se trouvaient seuls à cause de l’herbe humide, qui avait chassé tous les autres patients. Derrière les haies le passage des voitures couvrait le silence des arbres. Elle assise sur un banc écoutait Fernier, ce dernier debout faisait danser sur ses doigts un papillon.
- Et puis il y a ceux qui disent qu’on vous isole pour que vous ne perdiez pas votre bonheur, qu’en fait la contagion viendrait des autres et que nous serions les malades.
Constance pouffa de rire, à sa suite pouffa Fernier, comme deux enfants sous les yeux des Anges et du docteur Quirinal.
- Vous ne m’avez toujours pas dit, si vous vouliez guérir.
- Oui, dit-elle en souriant, je voudrais guérir, vraiment. J’essaie encore, je n’y arrive juste plus du tout.
Elle baissa la tête tout en riant et Fernier à côté d’elle : "Ce n’est pas grave." Il salua les Anges dont on ne voyait pas si derrière leurs masques ils souriaient. Tous deux s’avancèrent, Constance les devança, se laissa prendre entre leurs poignes. "J’aime Sarah !" lança encore Fernier tandis qu’elle disparaissait.
Le docteur Quirinal, bien qu’il travaillait encore, trouva le moment approprié pour fumer la pipe. Il tira une bouffée, il regarda Fernier qui souriait, même après que Constance soit partie, qui souriait encore. "Vous ne seriez pas malade, vous ?" Et lui aussi se mit à sourire.

Questions

À répondre si possible sans se reporter au texte. Même avec le texte, certaines seront difficiles.
1. Pourquoi Constance s'appelle-t-elle Constance ?
2. Quelle est la réplique centrale du texte (dite par Constance) ?
3. Pourquoi trois soeurs, et pas deux ou quatre ?
4. Que dit Quirinal sur le bonheur ? Une phrase dans le texte.
5. De qui Olivia est-elle amoureuse ?
6. Qui a besoin de soins ? (question-piège)
7. Quelle "pique", quel bon mot Fernier lance-t-il à Constance ?
8. Qui le docteur Fernier soigne-t-il ? (question-piège)
9. Ce texte est-il un combat ?
10. Quel est l'enjeu du texte et quelle est la réponse ?
J'espère surtout que vous arriverez à répondre à la dernière.

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il y a 15 ans 8 mois #15253 par Krycek
Réponse de Krycek sur le sujet Re: La maladie du bonheur (+ questions)
C'est pas bientôt fini tous ces textes ?!! :x x na:

Quelques commentaires si je puis me permettre :

Des Anges, c'est le trip du moment ? Dû à la sortie d'Evangélion 1.0 ? Ou bien les Anges de l'Ecole d'Alquières t-ont ils rappelé ce texte ?

La mise en page des commentaires, tout sur la même ligne, est-ce voulu ou dû à un copier/coller ?

J'ai trouvé l'idée suivante très bonne :

Feurnard écrit: Il avait fallu qu’un seul fragment du corps humain soit cause du vieillissement en général, que ce même fragment soit cause en même temps du phénomène appelé bonheur.

AMHA ils le voient à l'envers, le bonheur existant par l'éphémère, retirant le vieillissement ils le perdent. J'ai aimé cette façon de l'écrire (depuis leur point de vue).

Feurnard écrit: Sa blouse et ses mains pétries l’une dans l’autre avaient dû lui faire oublier le rêve de toute fille normale[...]

Ici je ne te suis pas, quel est le lien entre les mains, la blouse et l'oubli du rêve ? En fait non, si tu as une bonne excuse, ne réponds pas car je ne serai sûrement pas capable de comprendre (pitié) !

Feurnard écrit: Je sais que votre état vous empêche de le dire mais que vous voudriez voir votre soeur.

J'en comprends le sens, mais je trouve la construction assez alambiquée, non ? Si cette phrase était la clé du texte, la chute, il serait intéressant qu'elle soit aussi travaillée pour en être d'autant plus percutante, mais ici...

[...]plus Sarah s’énervait, plus elle s’enfonçait entre ses poing.

Manque un 's' à poing.

Questions

  1. Pourquoi Constance s'appelle-t-elle Constance ?
    Irrémédiable et Constante dans sa maladie ? Incapable de guérir du bonheur et donc fidèle à elle-même ?
  2. Quelle est la réplique centrale du texte ?
    "Il avait fallu qu’un seul fragment du corps humain soit cause du vieillissement en général, que ce même fragment soit cause en même temps du phénomène appelé bonheur."
  3. Pourquoi trois soeurs, et pas deux ou quatre ?
    Trois est un chiffre symbole de la stabilité. Deux on se casse la figure, quatre c'est hyper-statique. Trois c'est stable, c'est bien, c'est tout ce qu'il faut.
  4. Que dit Quirinal sur le bonheur ?
    Le bonheur ne tue qu'en trop grande quantité.
  5. De qui Olivia est-elle amoureuse ?
    Bonne question tiens. D'elle même ?
  6. Qui a besoin de soins ?
    Je dirais Sarah, car elle n'a pas l'air bien stable. :lol:
  7. Quelle "pique", quel bon mot Fernier lance-t-il à Constance ?
    Aucune idée, vraiment.
  8. Qui le docteur Fernier soigne-t-il ?
    Aucune idée, vraiment.
  9. Ce texte est-il un combat ?
    Moui, il semblerait que les docteurs résistent contre les anges.
  10. Quel est l'enjeu du texte et quelle est la réponse ?
    Plus je réfléchis, plus j'y vois un asile en fin de compte... mais tes questions m'ont perdu, ce pourquoi je ne peux y répondre.

Raaahh... à quand la correction ?

Plus ça va, plus je me dis qu'il faudrait que je te pose des questions sur ta vision des choses, des textes, tes objectifs et ta place dans les Chroniques.
...
Je n'arrive toujours pas à cerner le renard. :roll:

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il y a 15 ans 8 mois #15254 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet Re: La maladie du bonheur (+ questions)
Le renard est par nature insaisissable.
Si je peux me permettre cette référence : " Ozyandmillie : Monuments "

Cela à part, tu ferais mieux d'aller lire Vajuras...

Les "Anges" ne servent à rien, c'est la police telle qu'on la connaît nous, mais au lieu de dire police je dis "Ange".

La mise en page est sauf erreur la bonne, si tu parles des dialogues qui se suivent sans retour à la ligne c'est effectivement volontaire.
Je vais abandonner les tirets pour les parenthèses, en les intégrant au paragraphe.

À propos de la blouse et des mains pétries... J'ai mélangé deux lieux communs : "toutes les filles veulent être infirmières" et "les infirmières sont stressées". Les mains pétries, c'est le stress.
Rien d'important là.

La phrase "je sais que..." n'a que très peu d'importance et je n'ai pas envie de réfléchir à d'autres formulations.
Et je ne corrigerai pas non plus les fautes de frappe.

Brièvement, les réponses quatre et six sont justes, même si à mes yeux Sarah va très bien. Je sais qu'au sens commun elle est "perturbée".
Surpris que tu aies trouvé, pour Quirinal.

Maintenant va voir Vajuras et prépare-nous le SAV.
C'est désagréable ces gens qui vous rappellent que vous êtes lu.

EDIT : je viens de voir la page sans nom et tu as répondu là-bas à la question sept.

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il y a 15 ans 8 mois #15255 par Krycek
Réponse de Krycek sur le sujet Re: La maladie du bonheur (+ questions)

Feurnard écrit: La mise en page est sauf erreur la bonne, si tu parles des dialogues qui se suivent sans retour à la ligne c'est effectivement volontaire.
Je vais abandonner les tirets pour les parenthèses, en les intégrant au paragraphe.

Abandonner les tirets pour les guillemets j'imagine. Y a-t-il une raison sémantique à cela ? Je n'en vois pas de pratique pour le lecteur en tout cas. :?

Feurnard écrit: Brièvement, les réponses quatre et six sont justes[...]je viens de voir la page sans nom et tu as répondu là-bas à la question sept.

4 sur 10 à un test de canidé, je trouve ça plutôt honorable. Oui, ça mène à 8 sur 20 qui doit être ma moyenne (overall) scolaire totale en français/philo.
Pourquoi 4 points ? Parce que la question 3 me semble juste mais c'est une histoire De interpretaccionne (et du coup, par extension, la question 2 mais je n'abuserai pas ici).
Plutôt honnête oui. :)

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il y a 15 ans 8 mois #15256 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet Re: La maladie du bonheur (+ questions)
Oui, parenthès- guillemets.
Et pourtant parenthèses aussi. Parce que c'est bien le but que je vois aux guillemets, que de mettre entre parenthèses la voix des personnages.

La troisième, c'est un peu facile... et si c'était juste, alors tu devrais t'accorder aussi la première, la neuvième et la dixième.
La deux est sans doute trop anecdotique pour que je la retienne, tu peux donc te l'accorder aussi. Mais ce n'est pas ce que j'appellerais une réplique.
Si on va comme ça, tu peux pour ainsi dire t'accorder tout juste et tu te seras compris.

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il y a 15 ans 8 mois #15257 par Krycek
Réponse de Krycek sur le sujet Re: La maladie du bonheur (+ questions)

Feurnard écrit: Si on va comme ça, tu peux pour ainsi dire t'accorder tout juste et tu te seras compris.

Rooh comme t'y vas là ! :D

Il y a quelque chose qui m'avait un peu fait réfléchir, le fait que Sarah souhaite que Clémence guérisse du bonheur pour ne plus souffrir. Si je pars du principe que souffrance et bonheur s'opposent, alors Sarah veut que Clémence souffre pour être heureuse ? Était-ce une idée que tu souhaitais développer ?

Quoiqu'il en soit, inutile pour moi de tâtonner pour trouver la clef, ce serait tricher. J'attends donc qu'un Chroniqueur de passage vienne se prendre au jeu.

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