file Bourrin.

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il y a 15 ans 2 semaines #15260 par Vuld Edone
Bourrin. a été créé par Vuld Edone
Je n'avais pas prévu de livrer ce récit. [barre:3kdqx665]Et s'il te plait, Krycek, n'y réponds pas. Nous serions seuls sinon.[/barre:3kdqx665]

Il s'agit d'un double défi :
- écrire sur un bourrin (un vrai bourrin, autour duquel gravite le monde) et
- que quelqu'un dise à ce bourrin : "tu dois sauver le monde".
Cela dans une ambiance qui se prend au sérieux.
Contraintes secondaires : à l'époque médiévale et le bourrin doit avoir au moins trente ans.
Défi relevé, en trois pages.

J'avais des tas d'anecdotes à raconter sur ce texte mais tant pis...

Bourrin

Les parcelles de champs du Londurin avaient été piétinées par les fers l’an dernier, l’an d’avant et l’an d’avant encore. Voir sur ces terres de montagne, foulées par la guerre plus souvent que ne sonnait la cloche d’église, pousser après trois ans de boue sèche les premiers blés, voir les marais devenir des maraîchages et repousser les vergers, voir renaître la paix sous les coups de bêche et les lames de charrues devait être pour Bernier le dernier plaisir qu’il connaîtrait sur sa terre.
À trente-et-un ans passés, marié et père de sept enfants – dont quatre filles qui le rendaient fier, il profitait de la force de l’âge car bâti plus solidement qu’un destrier, le corps noué de muscles comme les branches d’un chêne millénaire. Des mains d’ogre, charnues parce qu’elles retournaient la terre, résumaient mieux que mille autres détails une vie sans égale, qui dans toutes ses épreuves lui avait forgé un corps plus robuste que l’acier, et une force de volonté suffisante pour renverser les montagnes, ou balayer les pics, s’il y voulait placer ses champs de betteraves.
Il tirait à la main, disait-on dans les villages, seul sa charrue du matin au soir, quand son bœuf s’épuisait à la tâche.
Mais le temps qui refuse toute trêve prenait un premier acompte de cette force colossale, sous la forme de ses cheveux en broussailles : du noir comme frappés par le mal ils blanchissaient et beaucoup plus tombaient qu’il n’aurait dû être raisonnable.
Parce que de tout le Londurin, même de toute la Marche personne n’avait plus de poigne, les voisins venaient sans cesser quérir son aide. Il fallait la compassion de sa femme, sa douceur et son intelligence pour que le mari accepte. Ainsi un matin alla-t-il se rendre au-dessus d’Orbière, dans les hautes cultures où les travaux n’avançaient pas.
Sur la route d’Orbière passait ce même jour une troupe de cavaliers qui dépassait en nombre les habitants du village. Leurs montures portaient des couvertures de soie qui tombaient en plis jusqu’au sol. Eux revêtaient des hauberts à triple mailles. Leurs gonfanons couvraient le ciel. Suivait derrière eux un tel bagage de sommiers et de serviteurs, portant argent et or, et une colonne d’hommes d’armes, que cette troupe paraissait une armée aux habitants.
À leur tête chevauchait dolent le chevalier Ronin, héros de toutes les guerres qui secouaient les marches et vassal à la forteresse imprenable de Casran. Il portait de riches vêtements en tissu oriental, nu sans son épée, ce qui le rendait dolent car il ne supportait la vie qu’au plus fort des combats. Lui et sa suite, partis voilà trois jours de la forteresse, passaient par Orbière déjà tôt le matin, pour prendre par le bas dans la vallée et rejoindre une ferme particulière.
Leur chemin ne pouvait que croiser celui de Bernier.
Ce dernier allait avec deux de ses fils, ayant douze et seize ans, à un tel pas que les deux enfants devaient sans arrêt courir pour le rattraper. L’aîné s’appelait Gérard, dont la beauté lui faisait bien plus que ses poings une réputation dans les fêtes de village : buveur et beau parleur, il était haï des pères et aimé des filles. Il devait hériter de la terre et sans son manque de morale, l’enfant serait un bon parti.
Gérard se plaignit le premier tant l’allure l’épuisait. « Eh père, on n’a toujours pas ton âge ! » Cela ne fit pas réagir Bernier, qui continua du même pas égal et éreintant. « Quoi, tu joues la vache à lait, c’est bien qu’ils sont paresseux à Orbière ! On y sera en avance, eux en retard et on devra attendre là-haut quand on pourrait se reposer en bas. » Un tonnerre de voix assourdi par la vie paysanne, qui ferait s’entrechoquer les os s’il y frémissait seulement une once de colère, et toute prête à éclater, lui répondit : « Alors on attendra. »
Eudes était de tous deux le cadet, et pourtant plus âgé que leur frère dont ils avaient vu les couches. Eudes avait le terrible défaut de la timidité, d’esprit face à Gérard et de corps face à Bernier. Enfin il ne pouvait pas lutter contre ses sœurs. Aussi même à son âge paraissait-il un petit géant désorienté qui ne saurait pas quoi faire de ses muscles. « Mais je suis fatigué » gémit-il plus à Gérard qu’à son père qui les distançait encore. Dans un an ces mots de sa bouche seraient incongrus.
Ils passaient alors la dernière branche d’un bois de pins et pouvaient voir les maisons d’Orbière, ainsi que la troupe de cavaliers qui en sortait.
À ce spectacle les fils s’arrêtèrent, bouche bée car c’était une chose d’entendre parler de batailles et de voir défiler les hommes d’armes ; c’en était une autre d’admirer les palefrois et la chevalerie de la Marche. Un royaume se déplaçait en longue colonne, avec dans ses coffres les promesses les plus riches comme les plus sanglantes. Bernier fit tonner sa voix et ses deux fils, sursautant, coururent pour le rattraper.
Or Ronin avait redressé la tête. Son cœur s’était serré, aussi violemment que sous le coup d’une épée, et le sang bouillonnait imitant l’imminence des batailles. Il se sentait revivre et en cherchait la cause, et tournait la tête pour trouver quelle présence avait bien pu le pousser en alarme. Son écuyer vit l’homme au loin, avec ses deux fils, qui sortaient du bois de pins, et les désigna à son maître.
« Inconcevable ! » fulmina-t-il. « Et pourtant c’est lui. Mais quel air ! Je ne me le figurerai jamais que tout en armes. »
Un geste de lui fit partir son écuyer, au grand galop jusqu’au bas du chemin, jusqu’à l’homme qui le reçut sans un regard. « Mon seigneur… » mais Bernier le dépassa. L’écuyer fit tourner sa bête, revint devant : « Mon… » inutilement et il se résolut à marcher au pas.
« Mon seigneur Ronin vient de Casran pour vous parler. » Comme l’homme ne répondait pas : « Il s’est déplacé de Casran l’imprenable avec cent quarante compagnons et leur livrée. Il a chevauché trois jours sans repos pour vous trouver. » Mais Gérard qui n’avait cessé de regarder cet écuyer, voyant que cet animal n’était pas plus terrible qu’un autre, répondit pour son père : « Il ne mettra pas trois jours à trouver notre ferme, qu’il aille se reposer là-bas. »
« Il possède vos terres ! » s’exclama l’écuyer. Mais Gérard : « Il peut même les hanter si ça lui chante. »
Le serviteur pris de colère, serrant la bride entre ses gants, jeta un dernier regard sur l’effronté avant de repartir au galop. Sa nouvelle fit naître un sourire féroce à Ronin. « C’est bien lui ! » Il ordonna qu’on lui amène son destrier ainsi que ses armes. Sa colonne approchait de Bernier, Bernier s’approchait de lui. Les deux fils inquiets restaient derrière leur père. Quand les regards se croisèrent, entre l’homme et le chevalier, ils s’accrochèrent avec la fermeté du roc. Les chevaux surprenant la tension commencèrent à piaffer.
Quand il ne resta plus qu’une poignée de mètres, Bernier se campa sur ses deux pieds, croisa les bras et, devant lui, la colonne entière des cavaliers se figea.
Ronin s’approcha suivi seulement de son destrier. Arrivé à hauteur, il se pencha pour regarder plus en détail le visage lourd, aux os si épais qu’ils paraissaient déchirer la peau, et cette dernière leur résister en prenant la consistance du cuir bouilli, où se dégageaient les traits du paysan. Ce visage du présent avait conservé toutes les marques du passé. Il fit sourire le chevalier, tel un carnassier.
« Prends les armes, Bernier ! J’ai besoin de toi. »
« Moi pas. »
Le chevalier leva son bras, théâtral, et sans se démonter : « Trop tard, mon ami ! La guerre veut ton sang et la guerre n’attend pas. Tu verras ! Que je t’insulte deux ou trois fois et tu ne pourras que me suivre. » Il s’arrêta soudain, toute son expression figée dans l’attente, tandis que Bernier l’écrasait du regard.
« Je vais avancer et tu vas t’écarter, toi et ta troupe. »
« La famille n’est-ce pas ? Ah, ce qu’on a grandi ! » et le sourire mourut. « Bernier. Tu peux me commander, tu peux nous terrasser tous » les chevaliers « ou faire trembler une cité, mais la guerre n’écoutera pas tes raisons. C’est une guerre comme tu n’en as jamais vue. Une qu’on ne peut pas fuir. »
Sur le visage du paysan s’enfoncèrent ses sourcils comme deux armées de lances sombres. La colère, une pointe infime, l’enflamma et dans l’instant ses enfants s’écartèrent, aussi surpris que face à un incendie ; Bernier, un Bernier mort depuis quinze ans, se réveillait de sa torpeur ; une dalle de tombeau en se brisant n’aurait pas causé moins de trouble ; il faisait trembler les gens dans la paume de son poing.
« Quelle guerre ? » Sans qu'il pose la question.
« Aussi loin que tu pourras aller, toutes les nations en seront. Oublie les marches, oublie le royaume, oublie les empires lointains. Que ce monstre s’éveille, il te dépassera de taille. Pas une lame ne sera épargnée. C’est une guerre, mon ami, qui ne doit pas se déclarer. Il n’y sera pas question de rançon. Les cadavres couvriront plus de terres qu’on ne peut en parcourir de son vivant. Tout sera son champ de bataille. C’est une guerre qui ne se gagne qu’avant qu’elle ne se déclare, et c’est pourquoi mon suzerain, ses suzerains et leurs suzerains dépendent entièrement de toi. Aussi loin que je puisse en juger, si c’est toujours possible, toi seul peut encore sauver le monde. »

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il y a 15 ans 2 semaines #15264 par Imperator
Réponse de Imperator sur le sujet Re: Bourrin.
Je manque de mots... quelqu'un saura peut-être mieux exprimer ça que moi.

Vu les objectifs, je dirais "atteint", mais quelque part, selon un critère d'aptitude (et non de tâche), vu ton niveau, ça manque d'originalité. Les tournures sont belles, un rien de redondance au départ (le corps de Bernier deux fois décrit), mais le reste est quand même banal.

Un héros à la retraite avec une famille (tiens, "patriote" et je ne sais combien d'autres avant lui), un paysan dont l'aide est requise par un seigneur (ça doit pouvoir se trouver), deux fils pas à la hauteur dont un coureur de jupons ("Grumbler et fils" ?)...

Le style est là, pour moi c'est indéniable, mais j'ai la sensation que le fond ne suit pas. Cette histoire est... plate. C'est le seul mot qui me vient à l'esprit. Non pas plate à la lecture, mais avec le recul.

Impe.

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il y a 15 ans 2 semaines #15268 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet Re: Bourrin.
Oui, je l'avoue, c'était "facile".
...
Maintenant que j'y pense, j'aurais pu faire quelque chose.
Le résultat serait à peu près le même, avec à peu près les mêmes personnages (même si Bernier apparaîtrait plus... humain ?)

On est dans la maison de Bernier, le soir. Une des filles a peur du noir et dit qu'untel lui a dit (original, quoi) qu'il y aura la guerre.
Les parents rient de sa naïveté, son père la fait asseoir sur ses genoux et lui explique que quand les gens veulent faire la guerre, il lui suffit de taper du pied sur le plancher pour que tout le monde dépose les armes.
Là les enfants rient, c'est impossible, donc le père continue et explique que "dans ma jeunesse" soit quand il était haut comme trois pommes c'était la guerre tout le temps et lui et son copain ont tapé sur tout le monde.
En plein au milieu de son conte à dormir debout où il accumule les exploits (disons au siège d'une ville, lorsqu'il enfonce les portes principales au poing), l'histoire rejoint la réalité et le copain - Ronin - débarque tout en armes en annonçant qu'il va y avoir la guerre.
Bien sûr, Bernier tape sur le plancher puis attend comme ahuri (voire, effrayé), avant de déposer sa petite fille, lui dit de dormir et sort.
Dehors nos cent quarante cavaliers et le refrain "la guerre qui ne doit pas se déclarer".

Est-ce assez feurnardien à ton goût ?

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il y a 15 ans 2 semaines #15269 par Krycek
Réponse de Krycek sur le sujet Re: Bourrin.
Je n'ai pas eu le temps de poster ma critique hier.

Je vais faire comme le texte, quick and simple : ça partait bien, sur un style moqueur, sarcastique mais la fin est décevante. Je m'attendais plus à quelque chose de plus froid,du genre que Bernier savait connaître plus les champs de batailles que les champs de patates. Que sa vie ne pouvait être que dans une mêlée sanglante.
Simple, franc, non constructif et plus que subjectif : la fin gâche tout.

Voilà, voilà... :D

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il y a 15 ans 2 semaines #15270 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet Re: Bourrin.
Je dirais que le texte se gâche déjà partir de "... parce que de tout le Londurin..." qui est véritablement la frontière entre exposition et développement.
Un "sauver le monde" sera de toute manière décevant mais effectivement, je vois en partie mon manque de cohérence. Décrochage, certainement. Puisque l'idée me tente, je chercherai à moins varier le ton.

On verra.

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il y a 15 ans 2 semaines #15271 par Imperator
Réponse de Imperator sur le sujet Re: Bourrin.
Je ne sais pas exactement pourquoi, mais l'histoire de la petite fille et des explication narrées me paraît tout aussi plate, quoiqu'un peu plus subtile.

Perso, dans ce style, j'exploiterais plus le créneau ouvert par Pratchett avec des héros bourrins qui ont largement passé l'âge de se battre.
L'inverse, souvent, est aussi très sympathique (mais difficile) avec des héros immatures et inconscients (étudiant actuellement la psychologique du développement de l'enfant, je dirais que c'est un texte qui pourrait être intéressant, mais immensément difficile de par le développement moral chez l'enfant).

Comme tu le sais, je vais essayer de développer mon propre héros surbourrin, et je pense même lui offrir un dragon, pour la forme. Mais la grosse différence, c'est qu'au fond, sa force, dans l'histoire, ne lui servira à rien pour atteindre ses objectifs. Aussi puissant sera-t-il, il sera encore plus démuni qu'un nouveau né.

Impe, malheureusement, je ne possède pas ton style pour l'écrire.

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