file [Chimiomécanique] Nouveau(x) chapitre(s)

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il y a 15 ans 5 mois #15638 par Vuld Edone
[Chimiomécanique] Nouveau(x) chapitre(s) a été créé par Vuld Edone
En commençant le projet chimio', j'avais en tête qu'il n'était pas question de livrer un chapitre par mois. Trop lent. Je comptais donc livrer à chaque MàJ le chapitre le plus récent et fournir le reste sur le site, pour consultation.
C'est le cas pour les premier et second chapitres.

Maintenant, il me paraît plus juste de proposer ces chapitres, et en définitive la saga, sur les travaux d'écriture. Question de transparence essentiellement, je pense.
Mais c'est aussi pour suivre l'orientation prise par l'évolution du site.

Les commentaires sont pour la RdM. Ici, du "j'ai lu / aimé / pas aimé" dépassera déjà les attentes.
Pourquoi les sagas attendraient ?

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Chapitre 1 : Sans doute ………..

Un peu moins d’un siècle après son introduction, comme tous ses prédécesseurs, le programme Gilles échoua au test des machines. Ce test demandait qu’un homme ne puisse pas reconnaître, en conversation, la machine d’un autre homme. Aucun autre programme ne fut présenté au test : les experts ignorant tout critère déclarèrent que Gilles avait réussi, et à l’époque, personne ne l’aurait nié. L’homme qui avait testé la machine s’appelait Ferret, président de la seconde puissance mondiale, l’Atasse.
Nous étions alors à presque un demi-siècle de la guerre Décennique.
Jamais l’économie n’avait été si forte, jamais l’homme n’avait connu un tel bien-être. À l’aube du millénaire, le nombre de richesses y compris technologiques laissaient le monde dans une opulence admirative. Quelques années avaient suffi à résoudre toutes les crises déclenchées par l’homme, que l’homme avait alimentées jusqu’alors, qu’il voyait à présent se finir, comme si les chiffres éclatant, les ressources dites intarissables s’avérant infinies, tarissaient l’imperfection inhérente à l’homme.
Le président Ferret accumula quarante ans à son poste, au terme desquels, ses articulations frappées par la maladie, il n’était plus que le vieillard dans sa chaise de santé, quand à la cérémonie de la troisième exploitation dans les Arroches, un incident de cause humaine le blessa mortellement. Il mourait dans les deux semaines, malgré les traitements, après avoir prononcé ses derniers vœux pour la nation.
À vingt-six ans, six ans après le gouvernement Ferret, Alain Rougevin n’était que le président de l’Atasse et forte de quarante drapeaux, de la seconde puissance mondiale. Il n’y avait pas eu d’élections. Tous les pouvoirs lui avaient été conférés, sans limite ni mission, pour guider le monde prospère vers plus de prospérité. Alain n’avait pas eu son mot à dire : cela s’était décidé à ses huit ans. La présidence ne l’avait pas rendu égoïste ; son égoïsme avait fait de lui le président.
Il avait la figure pâle et sèche d’un enfant, sans barbe, le cheveu court, mais aussi le regard rivé au sol. Entre ses dents une pomme croquait comme de la pierre. Tous les jours il trouvait sur son bureau la petite assiette, avec un fruit ou une boisson, recouverte par un mouchoir blanc déplié impeccablement. À quoi s’ajoutaient le sous-main, deux piles de dossiers photocopiés et un seul stylo, posé à l’extrême bord du bureau.
Elle attendait depuis une minute que le président la remarque, alors qu’il tournait les pages négligemment, du rapport d’estimation à la frontière. Elle s’appelait Mélanie Taquenard, elle dirigeait la commission d’aide à l’estimation aux installations de Tiersule, enfin le président savait d’elle qu’elle s’inquiétait des chiffres, après quoi il n’aurait pas été capable de donner la couleur de ses cheveux.
Le Liscord ne répondait plus. Les trois îles de Tiersule, à la frontière, en étaient le plus sûr spectateur. Une à une les communications faiblissaient, se brouillaient jusqu’à disparaître. Il en allait ainsi de tous les réseaux et cela malgré les assurances du continent, qu’il ne s’agissait que de problèmes techniques. La responsable Taquenard comme le président songeaient tous deux que le problème technique n’existait pas.
L’erreur, à quelque stade de la chaîne, était toujours humaine.
Ces six derniers mois, la rupture de contact s’était intensifiée. Le Liscord ne prenait même plus la peine de démentir : il maintenait le silence. Les experts et les diplomates, envoyés là-bas, soit revenaient bredouilles, soit disparaissaient. Le rapport de la responsable Taquenard, qui listait tous les signaux récents de cette situation, et en calculait les conséquences, ne faisait que répéter ce que le président savait déjà.
De sa main il rejeta le feuillet, puis il mordit dans sa pomme qui brunissait : « Sans intérêt » conclut-il la bouche pleine, à lui-même. Elle récupérait son travail de deux cents pages, piquée. « Monsieur le président ! » Mais le président n’écoutait pas. Dans sa tête se faisait le travail que n’importe quelle calculatrice aurait pu faire, que le Liscord était la première puissance mondiale, qu’en cas d’affrontement, en tous les cas, l’alliance ne faisait pas le poids. « Il faut les tuer, tous » soupira-t-il, avant de remarquer qu’elle lui parlait encore des calculs et des quarante simulations.
À part le bureau la pièce était vide de tout meuble, de tout ornement. Les prises de courant le long des lattes rappelaient l’ancien secrétariat. Il avait fallu déménager là, à cause de la fresque dans le véritable bureau présidentiel, qu’Alain Rougevin ne supportait pas, et qui représentait le monde. « Monsieur le président, » répéta-t-elle, « nous avons encore perdu deux cents systèmes sur le réseau et le contact avec trois satellites. Soixante pour cent des signaux de Tiersule sont passés de trois à deux sur trois et le mouvement s’accélère d’un cinquième chaque semaine ! D’ici trois à sept mois… »
« Les nombres se portent bien, » coupa le président, qui savait les centaines de satellites et les dizaines de milliers de systèmes. « Je ne vous parle pas des nombres ! » se plaignit la responsable Taquenard. « Je vous parle d’une crise, monsieur le président. » Alain sourcilla. Le mot rappelait de mauvais souvenirs, du temps où tout allait mal.
« Ne vous inquiétez pas… » il chercha le nom un moment, le trouva. « Je vais consulter Gilles. » Mélanie se sentit soulagée enfin. En supervisant les experts infaillibles de Tiersule, elle avait éprouvé une responsabilité qui ne s’achevait que là, une fois remise à l’infaillibilité de la présidence. Elle resta comme essoufflée après une âpre bataille, et hébétée par sa réussite ; elle serait restée là si le général de toutes les armées ne s’était pas présenté au bureau.
Cet homme, accompagné de onze cadres, avait fait frapper aux portes du bureau. À cela une voix roulante, légèrement aiguë, annonça le général des armées Edmond Larsens. Mélanie regarda tour à tour la porte et le président. Ce dernier se renfermait sur son fauteuil, sans répondre.
Une troisième personne était avec eux dans le bureau. Il s’agissait de Joseph Stine. Ce n’était pas un garde du corps, ni le chef des gardes du corps, mais le garde du corps du président. Pour lui aussi, cela s’était décidé à huit ans. Il en comptait trente-quatre ; il avait passé sa vie à s’entraîner ; sa mission était en outre, en cas de nécessité, d’abattre de sang-froid le président. Plus grand d’au moins deux têtes, taillé, armé pour la guerre, il suivait avec la plus parfaite fidélité son maître.
Sorti de son immobilité, il alla jusqu’à la porte, l’ouvrit d’une main, lui-même effacé sur le côté, pour faire entrer les militaires. Ceux-ci portaient les uniformes de sortie.
« Monsieur le président, notre marine est humiliée. »
Le président Rougevin pencha la tête, se frotta l’œil. « Monsieur ! » Le général Larsens d’habitude ne s’emportait pas, mais suivait le bon vouloir du dirigeant. Cependant il ne pouvait plus se contenir. Il soufflait comme le taureau. « Le financement du porte-avions quatre. Il n’y a pas de porte-avions quatre. » Alain préféra ne pas avouer qu’il n’avait aucune idée de ce dont on lui parlait. « Tout l’argent est passé dans le croiseur lance-missiles lourd du quai Pontier. » Il allait continuer quand le président l’interrompit du doigt. « Combien ? »
« Vingt-deux milliards, » et comme le président se taisait, « monsieur le président. »
« Alors c’est sans importance. » Sous le millier de milliards, l’argent lui faisait l’effet de quelques centimes dans une tirelire. « Monsieur ! » reprit Larsens en serrant les dents. Il ne faisait pas d’emphase. Cet objet le touchait personnellement : « ce croiseur a des canons ! » Le président sourcilla. « Des canons ? » – « Des canons, monsieur le président. Vingt-deux milliards pour une canonnière. C’est une erreur inexplicable, mais monsieur, ça ne remplace pas le porte-avions. »
Avec le retrait de deux navires de soixante mille tonnes, et la promesse réduite de deux à un porte-avions, la flotte nord s’était retrouvée complètement dégarnie, si bien que face aux six porte-avions du Liscord, l’Atasse n’en alignait que trois. Or le Liscord en produisait deux autres. Mais l’opinion ne voyait plus de nécessité dans l’armement.
« Monsieur le président, s’il y a un incident à la frontière, ce n’est pas avec cette blague que nous pourrons tenir nos intérêts. » Alain ne répondit pas. Il jeta un regard de côté, à son garde du corps. Il l’observait immobile, près de la porte. Il devait estimer, à cet instant, le temps qu’il faudrait au soldat Stine pour abattre tous les gens présents dans la pièce. « D’accord, d’accord, » dit-il, « j’en parlerai à Gilles. » Les officiers de l’armée l’en remercièrent.
Mélanie Taquenard était restée présente durant tout ce temps, sans savoir où se mettre. Elle s’était éloignée de quelques pas, avait écouté la conversation. Malgré l’âge, elle était restée belle. Les cheveux, portés longs, contrastaient avec son habit crème. Elle se sentait telle l’agneau parmi les loups, loin de sa place, loin des machines. Le sifflement des ventilateurs lui manquait.
Le général Edmond Larsens, relevant soudain la présence de ce dossier parasite sur le bureau, jeta sur elle son attention, et forçant ses lèvres, demanda ce qu’elle faisait là. Elle n’avait pas fini de répondre qu’il tenait en main le rapport d’estimation à la frontière, avec les simulations. D’ici deux ans, cent douze pour cent du réseau aurait disparu. L’esprit obtus du militaire n’y comprenait rien.
« Quel est votre avis, madame Taquenard. » Il venait de hacher son nom. Elle, elle demanda sur quoi il voulait que son avis porte, le rapport ou l’humeur du militaire. Ses paroles avaient frappé ce dernier comme les vagues un récif, sans l’ébranler. Il l’ennuyait formidablement. Mélanie ne supportait pas la façon dont il tournait les pages. Mais il répondait : « Sur le temps qu’il vous reste pour boucler vos affaires et quitter Tiersule. J’espère que vous calculez vite et bien. »
Le président ne les écoutait pas. Il s’était avancé un peu et à cela, insensiblement, tout le monde s’était écarté de deux pas. Tandis qu’ils parlaient, lui découpait dans la moitié de pomme deux quartiers qu’il vida de leurs cœurs, puis il prit le premier et l’autre main tenant le mouchoir, il le croqua. Mélanie ne sut pas pourquoi elle eut un accès de colère brusque : « Ceci est une affaire civile, général. » Elle songeait qu’aucun navire de guerre ne pouvait rétablir les communications. Larsens se détourna : il avait l’arrière du crâne dégarni, la peau rougie jusqu’au cou.
Parmi les cadres s’avança un trentenaire, cheveux clairs, qui souriait toujours même finement, et très fier de sa moustache. Le général de corps Derdin parla : il rappela à chacun ses fonctions, l’importance de chacun et la modestie dont devait faire preuve l’homme. Mélanie prit pour une excuse le grommellement de Larsens, ce qui la poussa à s’excuser également. À quoi Derdin lui demanda, et la convainquit de leur parler de son rapport. Enfin s’excusant auprès d’elle et auprès du président, il invita le général des armées à reprendre les affaires courantes.
Le dernier officier à sortir, qui se retenait de tousser, la salua d’un « madame » en passant devant elle. Elle répondit machinalement, sans songer à le corriger, sans songer plus à rien jusqu’à se que se referme la porte sur l’extérieur. Mais déjà Rougevin tirait de la pile de dossiers un autre feuillet, dont il parcourut le titre des yeux. « Professeur Frédéric Jean » répéta-t-il deux fois, la seconde fois lentement, butant sur le nom. Le nom de la discipline de ce professeur échappa complètement au président, qui se contenta de faire un signe à son garde du corps.
Joseph Stine sortit de son immobilisme. Il frappa trois coups à la porte, avant de retourner à son poste. Mélanie, qui assistait à tout cela, se rendant compte qu’elle avait été oubliée, balbutia qu’elle allait s’en aller mais n’en fit rien, car elle attendait un acquiescement qui ne vint jamais. La même voix roulante et aiguë reprit : « Le professeur Jean Frédéric est absent. » D’un coup sec, Rougevin avait arraché la page de garde du feuillet, pour la déchirer lentement. Il laissa les lambeaux sur le tas, tira un autre dossier qu’il parcourut sans mot dire. Elle songea que les hommes n’étaient pas fiables.
« Monsieur, » se permit-elle de dire, « je connais le professeur Frédéric, nous avions travaillé ensemble. » Elle ne vit aucune réaction chez son président, sinon un léger froncement au haut du nez. « Je suis sûr qu’il a d’excellentes raisons d’être absent. » Elle se serait attendue à une réplique, puis se surprit à avoir eu une telle attente : le président ne réagissait à rien. Ce mutisme la poussait à insister, toujours plus. « S’il vous communique un rapport, ce doit être important. » Et faisant mine de s’approcher, « de quoi parle-t-il ? »
Elle avait fait deux pas quand Rougevin se rappela de son existence. Il lui demanda ce qu’elle faisait encore là. Il lui demanda encore si une quarante-et-unième simulation justifiait sa présence. Mais elle continua : « Il faut lire son rapport, monsieur le président. » À chaque fois que le titre revenait, elle avait ce goût dans la bouche, comme quelque chose en plus que le titre qui dérangeait tout le monde. Mélanie ne comprenait pas son acharnement. « Le professeur Frédéric… »
« Y a-t-il un aérodrome à Tiersule ? »
Elle s’arrêta, surprise. « Un aéroport. » Lui reprit : « Suffisant pour des bombardiers ? » Elle ne comprit pas. Il répéta, déroula le nom de bombardier atmosphérique à long rayon d’action. Le pays, officiellement, n’en possédait plus. Mélanie, elle, ne comprenait toujours pas ce raisonnement. Elle avait beau déduire, déduire encore, la question était si loin de ses préoccupations et de ses compétences qu’elle en était ridicule.
Le président non plus, ne savait pas où il voulait en venir. Il s’en désintéressait complètement. La question lui était venue comme mille autres ; il s’était senti le besoin de la poser ; à mesure que cette inconnue lui répondait, il sentait que la réponse lui déplaisait autant que la question, et plus elle précisait, plus ces précisions s’éloignaient de ce qui, à un instant, avait pu le préoccuper.
« Allez-vous en. » dit simplement le président. Elle frémit, elle vacilla mais ne montra rien de plus de ses sentiments. Au lieu de quoi Mélanie se piqua encore. Cependant le président rassemblait les restes de sa pomme dans l’assiette, avant de la recouvrir du mouchoir blanc. Elle n’arrivait pas à tourner les talons. Elle le vit prendre le dossier du professeur Frédéric et l’ajouter à la pile, sans distinction.
Mais une heure venait de sonner. Ils n’entendirent pas de son, seulement l’absence de nouveaux rapports la ramena à elle-même : elle jeta un œil à sa montre, ce qui suffit à lui faire oublier toutes ses préoccupations. Seuls lui revinrent en tête ses rendez-vous, sa sieste et le retour à Tiersule. Ce vide lui fit immédiatement prendre la direction de la porte, d’un pas pressé même, pour quitter l’enfermement présidentiel.
Le président souffla pour lui-même, faiblement, « ça y est » mais la pièce n’était pas faite pour retenir les sons. Elle l’entendit, sans savoir pourquoi il avait dit ces mots. Le garde du corps s’arracha soudain à son immobilisme, rejoignit son président et s’arrêta droit au côté du bureau. Il présenta les armes. De huit ans plus âgé que Rougevin, Joseph Stine était toujours le dernier interlocuteur muet de cette séance.
Mélanie revint sur ses pas, précipitamment, sans savoir ni pourquoi ni pourquoi dire et elle se pressa : « À propos du professeur Frédéric, » Le président s’était levé, il gardait les yeux au sol. « Il doit venir à Tiersule lundi prochain. » Elle avait songé à ajouter que le président pourrait le rencontrer là-bas, mais cette proposition lui sembla trop contraignante. En même temps, la responsable Taquenard cherchait la moindre réaction du président. Il la regarda enfin :
« Vous n’êtes pas Gilles. »

Chimiomécanique

Chapitre 1 : . Mon sang ……….

Mélanie Taquenard devait recevoir le jour même une invitation à rencontrer les journaux. Elle déchanta en apprenant la raison : après la conférence de presse, tenue par le président, la nouvelle du jour était ce navire de vingt-deux milliards, qui de porte-avions – les usines de Pontier étaient très concernées – se révélait n’être qu’un vulgaire croiseur. Sans qu’elle ne sache comment, un journaliste avait appris qu’elle en savait plus, et la priait de le rencontrer au quai des Dalles, à vingt-deux heures.
« À vingt-deux heures je serai dans mon avion, sous somnifère. »
Elle s’avachit dans sa chaise en ruminant l’idée que six mois d’efforts étaient ignorés. Mélanie refusait de voir dans ce navire autre chose qu’un fait divers. Cependant à Tiersule les gens se montreraient plus compréhensifs, avides aussi d’apprendre les nouvelles de la capitale. Déjà, la mélodie douce de ses écouteurs l’apaisait. Si ses pensées revenaient parfois au président, autrement, tout le reste sombrait en une brume ouatée.
Son travail lui ne cessait jamais. Autour d’elle deux dizaines d’ordinateurs tournaient dans un ronronnement lancinant, sans écran, seulement des tours épaissies de câbles dont parfois les lumières sur leur boîtier changeaient de couleur. L’air tiédissait en leur présence, se brassait dans la chambre en un léger courant. Cette mélodie lui rappelait sa jeunesse. Elle dodelinait la tête pleine d’équations, de variables, de schémas qu’il fallait calculer et calculer encore.
Son unique interface s’alluma dans un grésillement. L’ordinateur confirmait les réservations du vol, l’arrivée d’une voiture et en dernier lieu affichait une carte avec un petit point clignotant, sur la route des falaises entre la capitale et Pontier. Elle se redressa, frotta un œil avec le côté de sa main, dans l’attente que le petit point clignotant disparaisse. Comme il se maintenait, toujours en direction de Pontier, elle articula : « Qu’est-ce que c’est ? » L’interface fit apparaître le nom auquel sa propre déduction l’avait amenée.
Ce journaliste qui l’avait invitée, vingt-deux heures quai des Dalles, se dirigeait aux chantiers de Pontier une enveloppe de couleur militaire en poche. La chevelure mi-longue, très noire, s’ajoutait à une chemise noire sans col, en coton, et d’un pantalon également noir. Il portait en conduisant d’épaisses lunettes qui lui empêchaient de voir, même si le soir tardait à tomber. De temps à autre le journaliste les relevait pour regarder l’heure, tandis que la voiture corrigeait sur sa route un nouvel écart.
Sa montre était restée dans la boîte à gants. Il regardait l’horloge de sa voiture, une petite familiale de série à l’extérieur sale, sur laquelle se trouvaient collées des publicités pour son journal. On le payait pour que le véhicule reste propre, aussi le faisait-il nettoyer régulièrement et sans faute le véhicule revenait sale. Alors il s’était fait à l’idée. Sa main sur le volant laissait tourner. Il regardait la vingtième minute de vingt heures virer.
Il s’appelait Rhages.
Deux journalistes seulement avaient reçu l’autorisation de voir le croiseur lance-missiles lourd des chantiers Pontier. Il était le premier, le second ne viendrait pas – pas assez professionnel, celui-ci préférait ses amis au métier. Rhages serait donc le premier et le seul à découvrir ce navire. Sur le coup, rencontrer une inconnue comme Taquenard ne l’intéressait plus. Mais plus il regardait l’horloge et plus il se répétait « je peux le faire ». Lui, au contraire, professionnel, il l’était trop.
Il n’entra pas dans Pontier mais passa le long des berges par le faubourg, jusqu’à ce que les bâtiments l’entourent puis le délaissent et qu’après le dénudement bétonné de la côte il aperçoive deux files de grues géantes. La voiture se parqua presque au-dessous. Un signal sur l’écran de bord lui fit ouvrir la boîte à gants et la fouiller. Il resta ensuite, la main sur la portière, à regarder les contrepoids des engins, après quoi il vérifia la plus proche entrée pour s’y diriger.
Une impossible casemate de béton constituait le quai numéro un des chantiers, assez vaste pour contenir un pétrolier, plus large encore. Les grues la jalonnaient des deux côtés. Aux entrées blindées papillonnaient deux caméras. Comme il s’approchait, la plus proche porte s’ouvrit, de laquelle parurent quelques militaires, parmi eux un officier capitaine visiblement fatigué, dont un œil restait presque constamment clos.
« Arnevin, à votre service et bienvenue aux quais Pontier, monsieur ? » Simon Rhages se présenta, carte en main. Il tendit l’enveloppe, qu’il garda ensuite tandis que les militaires le faisaient entrer. Deux couloirs parallèles couraient dans le pied de la casemate. Ils passèrent devant des salles enfumées, toujours plus profondément entre les murs défraichis, tandis que le journaliste posait ses premières questions.
Légèrement devant lui Arnevin lui répondait, non sans pianoter parfois sur un ordinateur de poche pour vérifier l’information. « Cinq cents millimètres » disait-il à propos des canons, douze canons de cinq cents et il cligna de l’autre œil au journaliste. Ce dernier se contenta de noter le nombre sur son appareil, sans autres. La véritable question lui brûlait les lèvres, qu’il ne devait pas encore poser.
Une porte s’ouvrit sur un large hangar, à hauteur de passerelles solidaires aux murs, qui longeaient une véritable maison d’acier. Il constata ce bunker et reportant son attention sur le capitaine, lui demanda quand on lui montrerait ces fameux canons. Les canons étaient là. Il se trouvait à côté. En même temps qu’il dépassait cette maison, il en vit dépasser des tubes longs d’au moins quinze mètres : c’était, penchée, l’une des quatre tourelles entreposées là dont l’anneau de quatre étages reposait sur le sable.
De petites lumières hautes au plafond laissaient sur elles des ombrages crus. L’appareil de Rhages à chaque photographie perturbait cette fixité. « Ce sont des monstres ! » Le capitaine clignait de son œil valide, amusé mais incapable de rire de cette naïveté. Après une vingtaine de prises, il lui fit prendre un autre couloir, jusqu’à un ascenseur dans lequel ils grimpèrent sept étages. Là, Rhages posa d’autres questions, dont le rôle qu’aurait ce navire. Il ne comprit pas ce que le capitaine voulut dire par la stratégie du « saute-mouton ».
De nouvelles passerelles aériennes surplombaient le quai à sec. Un homme s’y tenait, qui regardait devant eux une vaste coupole sans couleur. Le journaliste prit mécaniquement une photographie, puis s’avança et vit le contrebas. Il ne reconnut rien d’abord, sinon une gigantesque masse de métal couleur océan, qui allait presque d’un bout à l’autre du quai : plus de trois cents mètres. De vastes espaces en étaient comme vidés, laissés nus, un peu partout à sa surface. Il comprit que c’était le navire.
Ici se trouverait telle tourelle : on lui en désignait les quatre emplacements, vastes puits circulaires, qui bornaient les deux côtés de la citadelle. Et ainsi de suite. « C’est une blague, » lança l’homme, avec la voix du général des armées Larsens, « une blague à vingt milliards. » Il rejoignit le journaliste, qui photographiait déjà, qui s’écarta légèrement avant de serrer la main tendue. « Une mauvaise blague » trouva seulement à dire le général, droit, la nuque raide, pour ce tas de ferraille.
On lui désignait à l’arrière le pont des hélicoptères, les rampes des drones qu’il ne voyait pas. Le long de la coque, dont on lui décrivait le blindage, se trouvaient seize emplacements vides, destinés aux tourelles d’autocanons. Bien à l’avant, en « plaque de chocolat » se trouvaient cent soixante lanceurs verticaux. Au centre de la citadelle, tout autant. Il ne voyait que des surfaces vides, rectangulaires. Puis il distingua enfin les deux tours.
« Pourquoi ces deux… » Rhages ne trouvait pas le mot. Le capitaine lui expliqua le principe de redondance, doubler l’équipement pour la survie du bâtiment. Quant au mât plein, qui portait le radar, il s’élevait de la tour avant jusqu’à leur hauteur, à quarante-cinq mètres. Ses quatre côtés se couvraient comme de panneaux solaires. « Ce bâtiment est un gyrophare dans une nuit d’encre, » statua le général, qui ne s’intéressait pas à la portée de ces radars. Il y en avait six, plus trois sonars, que Rhages ne voyait pas, et ainsi de suite, pour la propulsion, pour l’énergie et l’équipage.
Le journaliste regarda encore vaguement la masse de métal au-dessous d’eux. « On peut visiter ? » Le capitaine acquiesça.
Ils descendirent tous jusque sur le quai, d’où un porteur les mena sur le pont blindé. L’appareil du journaliste lui fit demander pourquoi le navire n’avait toujours pas de nom. À quoi le capitaine haussa les épaules, avant de parler de brouillard : il obtenait alors toute l’attention du général. À part quelques écoutilles laissées ouvertes, et le matériel de chantier, Rhages ne voyait pas même un garde-fou qui aurait varié ses photographies.
Dedans également, le vaisseau paraissait vide. Il trouva les couloirs étroits, les escaliers encore plus, jusqu’à ce qu’ils atteignent le couloir au fond du navire qui allait d’un bout à l’autre : ils n’en distinguaient le fond des deux côtés que très vaguement. On les mena à l’arrière, où ils virent le second pont des aéronefs. Suivirent les quartiers d’équipage, la chambre du capitaine, puis ils remontèrent dans la citadelle.
Tandis qu’il leur fallait monter un énième escalier, en direction de la passerelle, le général Larsens s’arrêta, arrêta avec lui d’une main sur l’épaule le journaliste et demanda à bifurquer en direction du centre, en désignant une certaine porte verrouillée. Comme toute la citadelle, cette porte était blindée, épaisse de quarante centimètres. Le capitaine dut s’excuser auprès de son supérieur : « cet espace est interdit, même au commandant du navire. » Il ne pouvait pas lui-même dire ce qui s’y trouvait.
Il ne s’y trouvait rien encore. Mais Larsens ruminant ses pensées : « Ce n’est pas un croiseur. C’est un cuirassé. » La différence était d’à peu près soixante mille tonnes, soit cent mille pour ce bâtiment. Le général semblait compter sur ses doigts. Il avait l’air légèrement perdu, ne pouvant pas avancer, ne voulant pas non plus suivre les autres qui s’entraînaient vers la passerelle. Il était seul face à quelque vérité comme un mot sur le bout de la langue.
Quant il rejoignit le journaliste, sur la passerelle, ce dernier tournait autour de la barre en bois aux côtés des manettes neuves, et le photographiait sous plusieurs angles. Larsens alla directement aux postes secondaires, puis aux meurtrières qui donnaient sur l’extérieur. Il lui semblait distinguer le pont avant.
« Votre nom ? » demanda-t-il à Rhages. Ils n’étaient alors plus que trois, à part toutes les consoles de la passerelle, chargée de radios, de moniteurs, d’écrans larges incrustés à la surface pâle. La réception devait être excellente. « Qu’en pensez-vous ? » À cela le journaliste posa la question qui lui brûlait les lèvres : « D’où vient l’erreur ? » Le public ne s’intéressait qu’à cela. « Il n’y a pas d’erreur, » répondit Larsens, avant son subordonné.
« Laissez-moi corriger cela pour vous, Rhages. Quelqu’un voulait ce bâtiment et ce bâtiment précisément. Quelqu’un le veut et je sais du haut de mon grade que c’est pour la frontière. Si vous voulez un coupable, cherchez-le dans l’effondrement des trans’. J’ai eu un tel dossier sous les yeux, d’une spécialiste de Tiersule. Une certaine Taquenard. Oui, elle doit savoir d’où vient l’erreur. »
Il réagit à ce nom, Rhages se mordit la lèvre, il jeta à sa montre un regard sauvage. En quelques mots, le journaliste s’excusait ; il avait quitté la passerelle, il rejoignait sa voiture quand les deux hommes émergeaient sur le pont. Arnevin aimait particulièrement ce bâtiment. Il espérait encore qu’obligée par les événements, la marine ne le démantèlerait pas. La nuit venait rapidement. Toujours plus de lumière tombait sur la coque. Les bras mécaniques reprenaient le travail.
Dehors le journaliste avait repris la route pour la capitale. Le rendez-vous de vingt-deux heures, quai des Dalles, ne pouvait plus être tenu. Il consulta l’ordinateur ; il avait calculé que cette rencontre serait une excuse pour la pousser à le revoir. Sur l’écran s’écrivait son article, avec insertion d’images. La mise en page seule retenait son attention, à peine.
Des séries de camions défilaient contre la bande, en convois. Très loin au-devant, à l’intérieur des terres s’élevait une tour de transmissions. L’armée cherchait son coupable là-bas. Lui-même en doutait ; seulement son métier n’était pas de douter et surtout, son doute n’était pas raisonnable. Ainsi mourraient avec son article la centaine d’autres raisons qui justifiaient ce cuirassé.
La voiture entra sur le quai des Dalles, par le grillage, à vingt-trois moins le quart. Il laissa rouler jusqu’au hangar numéro quatre, avant de distinguer devant le six, face à l’océan, une personne qui se levait. Rhages se parqua entre les deux hangars et sortit à la rencontre de cette silhouette. Il ne la reconnut pas mais demanda, pris dans son script de journaliste :
« Vous êtes madame Taquenard ? »
« Mademoiselle. »
Elle avait attendu toute la soirée, à se promener sur les quais, pour lui dire cela. Sa chevelure à force d’attente s’était défaite. Elle ne portait que des habits légers, contre lesquels un froid vif perçait. « Alors vous êtes Rhages. » Il opina. De Tiersule était parvenu un message, des installations, que confirma ensuite le travail de la responsable sur place. Aussi était-elle restée à la capitale, à se ronger jusqu’au sang, la pensée vague.
Le Liscord communiquait. Un message codé se répétait toujours plus présent qui affaiblissait toutes les transmissions. Ce midi même, Tiersule l’estimait à une poignée d’octets. À deux heures, le code dépassait le méga. Encore n’était-ce là qu’une infime fraction. De son contenu, elle n’en savait encore rien. Après deux heures le phénomène n’était plus détectable : de ses reliquats, il faudrait encore une semaine de traitement. Mais elle avait appris deux faits : le message était adressé à Gilles et la fraction de code était apparue, durant ces deux heures, à toutes les mentions du croiseur lourd quai un Pontier.
« Ce bateau, » demanda Taquenard, maladroite, « qu’est-ce que c’est ? » Le bâtiment n’existait pas pour elle, seulement la mention qui avait permis à son code d’apparaître. Il lui avait semblé, durant les heures de calcul sur place, que le croiseur avait parlé, que quelqu’un lui avait répondu. Et elle s’était sentie jalouse. Elle ne voulait pas de réponse, mais nier le fait.
« C’est un cuirassé, » commença le journaliste, avant de reprendre : « il ne peut pas se battre. Croyez-vous que- » Elle pianotait sur son ordinateur de poche, à la recherche de quelque réponse, et la trouvant, répéta à la lettre près ce qu’elle avait trouvé. En changeant le mot, tout devint clair et lui montrant son écran, les calculs, les conclusions, elle mit d’accord avec elle le journaliste Rhages. Après quoi retrouvant l’assurance scientifique qui lui était familière, Taquenard répéta que rien ne serait sûr avant au moins une semaine.
Le cuirassé ne sortirait pas des chantiers avant des mois. « Vous prendriez un verre avec moi ? » Taquenard ne voulait déjà plus parler de tout cela, mais songeait à la nuit et sa journée dans la capitale. Cependant le journaliste acceptait. Elle lui sourit, de ce sourire de femme, qui reçut un sourire d’homme et ils montèrent dans la voiture.
Sa voiture était un point clignotant sur la carte, sous les yeux du général Larsens. Il éteignit. Au volant son aide de camp, encore bien jeune, regardait disparaître la casemate. Le général se demanda encore ce qui l’avait intrigué chez ce journaliste, puis repensa aux paroles d’Arnevin, puis aux affaires courantes qui ne concernaient plus la frontière. Il se penchait à présent sur une pacotille, plus diverse encore que le cuirassé, qui était un incident de montagne en passe de s’enliser.
Le lendemain et pour toute la semaine allait se produire l’incident du Jutlosges.

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il y a 15 ans 4 mois #15661 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet Re: [Chimiomécanique] Nouveau(x) chapitre(s)
Où en étions-nous ? Ah oui, le Jutlosges. La seule bataille de tout le premier chapitre. J'écris trop vite, j'ai fait l'erreur d'écrire deux chapitres en deux jours et si cela continue, je risque de fournir trop d'un seul coup.
De poster l'histoire sur le forum me rappelle le Wafo', mais en plus agréable.

****

Chimiomécanique

Chapitre 1 : .. Jusque-là ! ………

Une course folle à la technologie, toujours plus performante, toujours plus parfaite, se propageant au militaire allait entraîner le développement de l’arme ultime : une arme qui surpasserait toutes les autres, qui assurerait la victoire, une arme qui ne faiblirait jamais. Cette illusion risible un demi-siècle auparavant ne l’était plus dans l’état de richesses de toutes les nations. Dans l’année précédant la guerre, cette course s’accéléra jusqu’aux extrêmes.
Le Jutlosges culminait à presque sept mille mètres, dans les neiges éternelles. Contre son sommet s’étendait un plateau en pente légère, long d’un à deux kilomètres, où les conditions étaient telles que les deux puissances mondiales y avaient bâti une station commune de recherche, dont le seul accès était un ascenseur souterrain en crémaillère, à part quoi il fallait passer par la voie impraticable du glacier.
Durant les sept premières années de service, son directeur avait été le professeur Jean Frédéric.
Puis les quarante drapeaux s’étaient retirés, le Liscord resté seul luttait pour la survie de cette station. Cela conduisit au déploiement d’une équipe armée dans la chaîne rocheuse internationale, quelques heures après que cessa là-bas toute transmission. Les drapeaux accusaient cette présence militaire tandis que pour le continent, il s’agissait de répondre à la présence du bataillon de montagne, aux armes de l’Atasse, qui s’entraînait sur le glacier. Un bras de fer s’engageait, tel qu’en prenait connaissance le général des armées Larsens.
En quelques heures, la situation se dégrada dramatiquement. Depuis des mois les drapeaux voulaient retirer leurs équipes de chercheurs, qui refusaient de quitter la station, avec l’appui du Liscord. Lorsque les troupes armées bloquèrent l’accès par l’ascenseur, ces chercheurs devinrent des otages. À quoi s’ajouta que plusieurs d’entre eux détenaient des informations sur les projets brouillard et fournaise. Enfin le déploiement armé convainquit l’Atasse de l’importance de la station.
Aussi le commandement de terrain reçut-il l’ordre de prendre d’assaut le Jutlosges. En quelques heures, sous la pression, les occupants se retrouvèrent obligés de faire sauter le tunnel, laissant pour toute route d’accès le glacier. Le lendemain avant l’aube, deux compagnies du bataillon de montagne s’y engageaient.
Dans un effort presque désespéré, le continent parachuta deux cents hommes sur le plateau, qui rallièrent la station ainsi qu’un pont aérien qui répondait à l’effort de ravitaillement du bataillon. Au troisième jour de l’incident, arrivées sur le plateau, les deux compagnies de montagne lancèrent l’assaut. Les premières armes à ouvrir le feu au Jutlosges furent les centenaires mortiers de soixante du Liscord. Après quatorze heures de combat, souffrant du froid et du manque d’air, les assaillant se dégageaient enfin et s’enterraient en aval.
Le commandement passa alors sous la responsabilité du général Edone, de l’Armont : en même temps qu’une unité des forces spéciales, opérant alors au cercle sud, devait renforcer le bataillon. Le commandement établit de nouveaux ordres, planifiés sur trois jours, au terme desquels si la station ne se rendait pas, les ordres prévoyaient son bombardement.
Les éléments du bataillon de montagne se tenaient alors dans un campement temporaire, fait de tentes hermétiques clair-sombre tachetées et bombées autour desquelles s’accumulaient déchets et bouteilles. La première compagnie campait contre le pic, à l’abri du vent, tandis que la seconde, cachée derrière une paroi de glace, fermait l’accès au glacier. Quelques mille mètres plus bas se trouvait leur relai, ainsi qu’en replat les tentes sanitaires. D’épais uniformes blancs confondaient les silhouettes humaines à la neige uniforme.
Plus personne ne captait le relai depuis des heures. Les soldats s’attroupaient devant les tentes, pour le contrôle du matériel, devant eux défilaient les sergents, lesquels ordres en main vérifiaient l’état de leurs troupes. Leurs tenues se couvraient d’épaisses couches glaciales qui cisaillaient les harnais. Ils frappaient leurs armes, buses ouvertes, puis retombaient dans une torpeur asphyxiée. Leurs visages étaient cachés par des masques, lesquels se connectaient aux bombonnes qu’ils traînaient. Ils frappaient aussi les grenades.
À deux heures déjà la brume était montée, qui cachait l’aurore dans une pâleur excessive, et se renforçait. Ils ne voyaient pas plus loin que les tentes, parfois ne distinguaient pas les dernières. Les sous-officiers passaient d’un groupe à l’autre, lentement. Dans ces conditions, ils s’agglutinaient les uns contre les autres, par paquets, et ne bougeaient plus. Les sentinelles semblaient des statues. Leur équipement prêt, leurs radios mortes, les compagnies de montagnes regardaient leurs montres.
Il était six heures.
Un drone Iowa tournait en cercles au-dessus du Jutlosges. Il fournissait des images pour les deux camps. Devant leurs écrans, le commandement ne voyait que la brume qui grimpait en même temps que leurs troupes sur le plateau. Un rideau impénétrable isolait l’action du monde. Alors les ordinateurs calculaient les routes les plus probables et pour tout information, donnaient les graphiques d’avance des troupes, traits surlignés aux images, et en mouvement, que les états-majors suivaient mètre par mètre.
Les compagnies avançaient en deux colonnes, les soldats serrés pour ne pas se perdre. Ils cherchaient chacun la chaleur de l’autre, et à le distinguer au mieux. Leurs chefs en avant regardaient une minute leur boussole, puis relevant difficilement les yeux, une minute à leurs pieds le sol. Ils ne songeaient plus aux crevasses. Ils ne songeaient plus à rien, mais sentaient leur sang leur manquer, leurs muscles s’épuiser et se laissaient mourir sans réaction. Ces gestes lents, saccadés, répétés encore et encore, étaient ceux de machines.
Les munitions de mortier à peine tirées, aussitôt recouvertes d’une forte givrée, s’effondraient sur le sommet. Mais les derniers appuis du Liscord s’en étaient retirés, dû aux conditions intenables. Deux arcs de défense s’étendaient à cent et cent cinquante mètres de la station, creusés en tranchées et en nids dans la glace et que recouvrait le névé. Les soldats s’y enfonçaient à demi. Des heures durant, aucun des deux camps ne vit l’autre : il fallait tout ce temps pour gagner cent mètres.
Vers quinze heures s’établit le contact. La seconde colonne se disloqua. Il leur fallait à chacun un temps interminable pour réagir, bouger, viser, tirer. La visibilité portait alors à moins de vingt mètres. Ils se voyaient, face à face, des minutes durant, se tiraient à bout portant et les munitions légères, affaiblies encore par le froid, allaient s’écraser dans leurs gilets. Les corps tombaient, se relevaient, s’effondraient à nouveau dans la neige.
La première colonne n’entra en contact qu’à dix-neuf heures, après avoir traversé le premier arc et fait une halte au milieu de l’ennemi. Jusqu’à minuit encore, les combattants se tiraient dessus. La brume, au lieu de cesser, n’avait fait que se renforcer d’heure en heure. Le soir venu, la tempête avait commencé et les chutes de neige voilaient tout. Les compagnies de l’Atasse et du Liscord se retrouvaient alors pratiquement en mêlée.
À onze heures, la première colonne se retirait, seulement consciente que trop de temps était passé et que chaque soldat se battait seul. À minuit, la seconde colonne fortifiait sa position sur le premier arc, duquel l’ennemi, épuisé à son tour, se retirait à son tour. Des deux côtés le ravitaillement devint la seule obsession. Ils tentaient par tous les moyens d’emmener les blessés, des deux camps, soit dans la station, soit au nid de blessé, et ne parvenaient pas à les trouver dans la tempête.
Il semblait à la fin du premier jour que les hommes avaient franchi leurs limites depuis longtemps. Mais aucun des deux camps ne faiblit. Après huit heures la tempête faiblit : alors éveillés par cette accalmie relative, et avec ce faible champ gagné, les soldats de la seconde compagnie reprenaient l’assaut. Leurs équipes revenaient de la reconnaissance. Ils se déployèrent en ligne et, dédaigneux des risques, se lancèrent sur le second arc ; sans conscience encore que la première compagnie ne les soutenait plus.
La tempête se leva tout à fait entre quinze et seize heures. Le commandement des deux bords put alors constater la situation : la première compagnie évacuait encore, et cherchait toujours à se rallier. La seconde pressait l’arc mais éclatée n’arrivait plus à progresser d’un mètre. Les mortiers, amenés à dix mètres, tiraient à des angles proches de la verticale. Il n’y avait que des blessures graves, et des morts. Enfin les deux camps n’arrivaient pas à croire que leurs troupes étaient arrivées au contact.
Mais à peine les communications rétablies, et les champs de vision se dégageant, tout s’accéléra démesurément. Des fantômes d’hommes écrasés par la fatigue, qui ne bougeaient plus qu’au-delà de leur volonté et que l’effort aurait dû tuer, se réveillaient une fois encore : le Liscord voyant la première compagnie si loin lança la contre-attaque, écrasa sous leur feu les troupes de montagne et les força à une retraite sur plus de cinq cents mètres.
Alors, avec quelques seize heures de retard, le roulement put s’opérer et les deux autres compagnies du bataillon de montagne, qui avaient à leur tour rejoint le Jutlosges, vinrent remplacer au combat les colonnes à bout de force. Elles étaient elles-mêmes affaiblies par la marche, l’attente et les conditions extrêmes : du même pas lent, de la même haleine, elles marchèrent sur la station. Deux colonnes progressaient, deux autres quittaient la bataille anéanties par l’action.
Aux nouvelles forces d’assaut se joignait l’unité des forces spéciales.
Le général Edone, silencieux, observait les photographies du plateau, et écoutait les rapports des différents postes. Quatre blindés d’électroniques fournissaient plans et estimations pour les minutes, les heures à venir. Et l’état-major n’en revenait toujours pas que les soldats puissent continuer à se battre.
« C’est impossible, » répondit le colonel. Déjà la tempête avait repris, et coupait tout contact entre ordres et troupes. Ils avaient voulu se porter à la rencontre des blessés mais ce geste n’avait pas été estimé nécessaire. « On ne peut pas se battre dans ces conditions. » Mais le général, toujours silencieux, les deux mains jointes au-dessus du menton, constatait simplement les résultats. Les chiffres ne mentaient pas.
Un nouveau rapport arriva de l’ascenseur, où les équipes tentaient toujours de dégager un passage : en vain. Edone prit la parole. « messieurs, nous n’avons servi à rien ! » et concluant là-dessus, il allait se retirer quand les machines s’affolèrent. L’état-major peinait à suivre le flot d’informations qui saturait les bandes : ils calculaient les résultats, totalement imprévus, de l’erreur humaine. Le Liscord faisait sauter la station. « Confirmez. » Le drone Iowa rendait au travers de la tempête les éclats des explosions.
À neuf heures trente au soir du second jour, le Liscord ayant épuisé toutes ses ressources vit qu’il ne tiendrait pas la station. En dernier recours, ses troupes décidèrent une sortie au travers du plateau, par le glacier et jusqu’à une altitude où des hélicoptères pourraient les extraire. Les aéronefs attendaient en effet, sur le territoire de l’Atasse, sans que personne ne les inquiète. À neuf heures trente au soir les charges lourdes, reçues par le dernier ravitaillement, anéantissaient la station de recherche.
Trois colonnes prenaient la direction du glacier. Deux sur les flancs ralliaient l’arc et devaient tenir à distance les compagnies de montagne. Au centre avançaient les chercheurs, dans des combinaisons de l’armée, avec en tête le commandement. Ils portaient avec eux, en civière, leurs blessés braves, et certains à dos d’homme. Une première fusée jaillit de la tempête, pour un court instant, que le drone repéra : elle annonçait le contact. Jusqu’à une heure du matin, il n’y eut plus la moindre information, puis une seconde fusée éclaté presque au milieu du plateau, suivie par une troisième, à près de huit cents mètres.
À quatre heures, le combat s’était généralisé à tout le plateau. Des équipes de deux à quatre hommes cherchaient le reste de leur compagnie ; ils croisaient alliés et ennemis et le plus souvent, après quelques échanges, perdaient le contact ; mais même alors tous savaient parfaitement dans quelle direction aller.
Ils le savaient parce que la plateau était en pente qui, même légère, leur demandait à gravir beaucoup d’efforts. La pente grimpait généralement au nord. Aussi, bien qu’ils ne sachent jamais où exactement, les hommes savaient dans quelle direction sur le plateau ils allaient. Ensuite ils cherchaient des repères, et comptaient leurs efforts pour toute mesure.
Les aéronefs du Liscord prirent la direction du Jutlosges vers dix heures, lorsqu’une fusée éclata presque à hauteur du relai. La colonne centrale avait réussi à s’engager sur l’accès du glacier et descendait désormais impunément. Elle ne savait pas encore que les deux autres colonnes, incapables de progresser, étaient restées là-haut. À midi, les scientifiques du Liscord embarquaient, à la vue du nid de blessés et sous les yeux du Iowa, donc du commandement. Les hélicoptères attendirent encore les autres colonnes, puis à trois heures, calculant qu’elles n’arriveraient plus, ils reprirent la route de l’Atasse, d’où un avion les mènerait sur le continent.
La planification prévoyait qu’après quatre heures, toutes les troupes auraient dû se rendre. Mais à quatre heures, il ne restait plus un seul homme du Liscord en état de se rendre. Le bataillon de montagne comptabilisa soixante morts et presque deux cents blessés graves : aucun blessé léger. Le Liscord comptait vingt-sept blessés graves, soignés par l’Atasse puis rapatriés, et cent quarante morts, la majorité lors de la sortie du troisième jour.
Des deux côtés les nations admirent un incident dont la conclusion ne devait pas porter préjudice aux relations.
Le général Edone attendait qu’arrive son transport pour le quartier général, où il devait doubler le rapport officiel du sien au général des armées Larsens. À côté de lui le colonel prenait connaissance des nombres et des conclusions. Il ne pensait presque plus qu’à rejoindre ses hommes et constater par lui-même. « Cent quarante morts, » commença Edone l’air songeur. Il avait un air détaché, presque moqueur, « savez-vous pourquoi ? » Le colonel le savait. L’unité des forces spéciales avait usé d’un calibre supérieur, qui avait traversé les gilets.
« Officiellement, ce seront des tirs de mitrailleuse. Mais nous savons que les mitrailleuses n’ont presque pas tiré, et ils le savent. » Le colonel aussi le savait. Seules les armes les plus rudimentaires, dans ces conditions extrêmes, avaient pu fonctionner. Enfin le calibre léger faisait partie des lois sur la guerre. En cela, l’Atasse se rendait criminel. Tout à la fois, le colonel n’arrivait pas à deviner ce que pensait le général.
Edone attendait, avant de partir, d’apprendre quel était l’état de cette unité. « Tout s’est parfaitement bien passé, » dit-il en se tournant vers le colonel, l’air encore plus moqueur, « n’est-ce pas ? » Il voulait dire quelque chose, lui aussi, tout comme le colonel avait besoin de parler mais le rapport arriva et avec lui l’hélicoptère, le général Edone prit congé du bataillon de montagne.

Chimiomécanique

Chapitre 1 : … Lis ceci ……..

Après le Jutlosges, les communications se stabilisèrent, puis se rétablirent. Quelques réseaux sortaient de leur silence. Déjà les courbes exponentielles, courantes depuis près d’un demi-siècle, promettaient un rétablissement avant trois mois. Le Liscord accusait de multiples erreurs de personnel, sans rien expliquer encore. Avec ce retournement, les installations de Tiersule perdirent tout attrait. La conférence générale qui devait s’y tenir ne se maintint qu’avec la promesse d’y trouver présent le professeur Jean Frédéric. Quant au message codé, les machines ayant cessé son traitement, personne n’y pensait plus.
Il avait été transmis à Gilles et sans réponse de la présidence, les installations traitaient à vide. Elles avaient estimé la taille du code, « potentiellement », à la taille du système continental. Mélanie Taquenard se sentait responsable d’un aussi mauvais résultat. Elle allait de la salle de conférence aux sous-sols, des sous-sols aux serveurs, des serveurs aux antennes puis à nouveau aux sous-sols et n’en ressortait que rappelée par l’organisation de la conférence. Son échec, triple, lui laissait un goût amer.
Cet échec n’atténuait en rien à Tiersule son importance. Les professeurs Leberon et Nit, ses seuls collègues à jouir d’une égale réputation, lui montraient autant de respect que de crainte dans l’ombrage qu’elle leur faisait. Nit, surtout, était envieuse : elle espérait lors de la conférence briller enfin. « Que vont devenir les installations ? » lui demandait Leberon, éternel inquiet. Ils en avaient tous une assez bonne idée.
Des trois îles, Yves Leberon était la seule personne à douter encore que les communications se rétablissent. Contre toutes les expertises et contre tous les calculs, qu’il approuvait du reste entièrement, parce qu’il trouvait plus que tout autre la nature humaine ridiculement nuisible, Leberon estimait que rien de bon ne pouvait durer. Ainsi, tout en se préparant au meilleur, s’attendait-il au pire. Il ne devait qu’assister à la conférence.
« Où est Taquenard ? » demanda-t-il encore, sourcils froncés de mauvaise humeur. Ils étaient, lui et Nit, près de la salle de conférence, où les bras mécaniques terminaient d’installer verres et bouteilles sur les bancs. Presque tout le personnel, une vingtaine de personnes au total, se concentrait près de ce seul espace. Ils travaillaient toujours, et discutaient ensemble. Les réseaux se rétablissaient. « Où est Taquenard ? » demanda Leberon aux autres professeurs, qui gênés en sa présence, désignèrent les sous-sols.
À la forte humidité de ciment frais s’ajoutait le courant des ventilateurs. Les câbles pendaient au plafond, encombraient le sol, couraient d’une pièce à l’autre. Deux employées, l’une en électronique, l’autre en informatique, passaient en revue les différents blocs du système, avec la routine du geste. Taquenard, ses cheveux roulés sous filet, revêtue de sa chemise blanche, laissait défiler devant elle des suites interminables d’équations ; la responsable des installations sombrait dans une demi-veille.
Elle articula d’une voix pâteuse : « Théodor ? » Le programme lui répondit. Il s’inquiétait pour sa santé. Il lui demandait si les équations étaient lisibles. Elles ne l’étaient pas pour Taquenard mais parce que ces nombres lui étaient familiers, parce qu’elle les avait supervisés, Mélanie répondit positivement. Théodor lui donna la situation en direct des réseaux. Après quoi la responsable ne demandant plus rien, la machine se tut.
« Qu’est-ce que le croiseur du quai un Pontier ? » demanda Théodor, alors qu’elle s’était presque endormie. Elle le corrigea sur le mot et comme si cela suffisait, retomba dans sa somnolence. Mais le programme : « Cela ne me dit pas ce qu’est le cuirassé du quai un Pontier. » Il demanda son nom, son apparence, il allait demander encore qui avait réagi à cette nouvelle quand Mélanie lui demanda de la musique. Elle mit ses écouteurs, puis se laissa aller en arrière sur son siège. Les deux employées, qui venaient dans sa direction, la voyant absorbée par son travail, se détournèrent.
Le programme Théodor demanda encore vainement différentes entrées concernant le cuirassé des chantiers Pontier. Il annonça à la responsable qu’elle devait accueillir les conférenciers et elle, sans même y songer, le visage tendu de plaisir, alla à leur rencontre. Dans les sous-sols le programme retourna à ses calculs.
À l’île sud, la piste avait été rallongée de quatre cents mètres. Deux gros porteurs y avaient déposé conférenciers, presse et public qui dans un premier temps avaient déjeuné à l’aéroport. Puis ils avaient traversé l’île en car et arrivés sur la plage interne, avaient attendu quelques minutes le navire qui devait les transporter sur l’île nord. Les installations avaient été construites à l’emplacement de l’ancien temple.
Ils en débarquaient à quelques minutes de marche, prenaient un nouveau car et arrivaient bien disposés à l’entrée. Plusieurs docteurs, de grands spécialistes, n’avaient pas attendu l’ouverture pour échanger leurs vues, sans parvenir à une réelle polémique car leurs études coïncidaient et qu’ils ne pouvaient pas discuter les nombres. Les suivaient nombre d’étudiants, de petits chercheurs, des professionnels de branches proches, dont les télécommunications, quelques représentants, enfin des journalistes et quelques rares curieux. L’un des journalistes ne portait que du noir.
« Vous ! » lança courroucée Taquenard en voyant venir Rhages. Ce dernier l’évita prudemment, profitant que les chercheurs l’abordaient pour aller s’installer dans la salle de conférence. Ils étaient alors un peu plus d’une centaine. Les machines installaient dans une autre pièce le buffet ; le personnel y avait déjà goûté. Certains profitaient du temps qu’il restait avant que débutent les conférences pour visiter les installations.
Il y eut ensuite un flottement, quand la nouvelle se répandit que le début serait retardé. Après quoi le bruit courut que le président allait être présent. Taquenard réagit si vivement que malgré la surprise générale, elle se fit remarquer. Elle changea de couleur et ne pensant plus à rien, alla s’enfermer seule aux sous-sols – elle demanda à Théodor d’en chasser les personnes présentes. La rumeur se confirma : le président de l’Atasse venait d’atterrir à son tour et se dirigeait vers l’île nord.
Une demi-heure d’animation surprise et exaltée suivit durant laquelle les journalistes se battirent pour le premier rang. À défaut de la responsable, Nit et Leberon répondaient aux remarques ainsi qu’aux questions. Nit montrait autant d’anxiété que de triomphe. Enfin les forces de sécurité arrivaient : le personnel vit deux hélicoptères se poser aux deux côtés des installations, les unités se déployer jusqu’à l’intérieur. Le bateau accostait. Il fallut attendre encore car le président avait renvoyé le car.
Joseph Stine entra dans la salle de conférence. Dès qu’il y mit le pied, tout le monde s’écarta comme prit de frayeur. Le garde alla s’installer sous la tribune, face aux bancs. Beaucoup pour la première fois découvraient l’aspect d’une arme. Il tenait le fusil à la poitrine, la crosse au clair, canon vers le bas. Le casque lui enlevait tout aspect humain. Deux minutes après, le président suivait, plus pâle que jamais, le regard à ses chaussures, sans la moindre attention pour l’auditoire. Taquenard lui enchaînait le pas.
Le président ouvrit la séance. Il déplia une seule page de discours écrite par un autre, commença à la seconde phrase, sur un ton monotone, sauta des passages entiers, s’arrêta en milieu de mot et sans avoir jamais relevé le regard, conclut dans les applaudissements.
Il alla s’installer, aussitôt suivi par son garde du corps, le plus en retrait dans un coin de la salle, derrière tout le monde, et se désintéressa tout à fait de ce qui pouvait se passer. Cependant la responsable présentait les intervenants, parmi lesquels devait paraître le professeur Jean Frédéric – elle dit Frédéric Jean – qui ne se trouvait pas encore parmi eux. Son discours avait été déplacé dans l’après-midi.
Le professeur ne s’était plus exprimé publiquement depuis six mois. Ce nouveau retard provoqua un mécontentement et cette logique : « Bah ! » Et de demander ce que chimie et mécanique pouvaient apporter à la communication. Cependant les conférences débutaient, avec un économiste, puis deux philosophes, derrière lesquels défilaient sur un écran mural d’interminables séries de chiffres. Ils parlaient distinctement. Vers l’heure de midi, chacun se laissa emporter jusqu’au buffet, pour se restaurer.
Resté seul dans la salle de conférence, le président souleva sans un regard la tasse tendue, puis la reposa et malgré ses lèvres sèches, il pressa dessus le mouchoir.
Mélanie Taquenard était rappelée aux sous-sols. Elle n’avait attendu que ce moment-là. En bas la fraîcheur en devenait agressante. Les gigantesques processeurs tournaient au ralenti. L’électronicienne, redescendue aussi, travaillait sur le corps dix. Ses deux mains serraient le feuillet de tâches et les listes. Elle regardait les étincelles avec une forme de fascination enfantine. « C’est nécessaire ? » – « Théodor vous attend » répondit-elle sans détourner le regard.
Son siège avait roulé loin de l’interface. Elle s’y assit, puis de nouveau face à ses tâches, demanda ce qui se passait. Mais Théodor gardait le silence. Les équations défilaient toujours, au ralenti, pour tout visage. Un demi-siècle d’âge. « Théodor ? » Enfin l’électronicienne referma le corps dix et satisfaite d’avoir tant travaillé, suant pour la peine, elle se retirait avec ses outils. « Je suis là, Mélanie, » lui répondit la machine.
« Il y a quatre chances sur cinq que le Liscord nous ait déclaré la guerre. Pour, trois objets. Le code est militaire, réplique Énigma. Madame la responsable, ne faites rien encore. » Elle resta foudroyée sur son siège. « Supprimer les transmissions est une procédure précédant l’état de guerre totale. Doivent être éliminés en priorité tous les canaux militaires. Contre, deux objets. Le message est un ultimatum programmé et envoyé automatiquement. Ce message contient une erreur. À nonante-huit pour cent une intervention humaine. La mission des installations Tiersule est le rétablissement des transmissions. Huit cent seize autres entrées de une à trois chances sur cinq pour la situation. »
Profondément dans son esprit, la responsable des installations d’estimation à la frontière se rappela avoir rencontré le président, voilà une semaine, et avoir annoncé une crise, sans savoir encore quel mot cette crise camouflait. À cette même rencontre lui revinrent les paroles du général des armées, Edmond Larsens : « Sur le temps qu’il vous reste pour quitter Tiersule. » Elle ne se rappelait plus du reste.
Le ronronnement des ventilateurs la rassurait. « Que dois-je faire ? » Théodor lui répondit, point par point, méthodiquement. À chaque affirmation elle se raffermissait, souriait avec l’assurance que tout irait bien. Une fois toutes les consignes retenues, la dernière lui demanda de retourner assister aux conférences, qui allaient reprendre. Mais alors qu’elle se levait : « Il ne vous voit pas, Mélanie. » Puis Théodor retourna à ses calculs.
Elle arriva juste à temps pour entendre Nit intervenir dans les premières secondes, et annoncer un changement dans son objet. Elle exprimait clairement, dans un courage presque provocateur, un fait que tous les exposés précédents, et toutes les interventions à venir, laissaient entendre et qui composait toute l’économie de la rencontre. Après étude, elle avait découvert que la question la plus importante concernant la frontière était les chances d’un nouvel effondrement. Elle avait énoncé un nombre, que tous les autres calculs présentés confirmaient, supérieur à la moitié : le public réagissait en demandant le bien-fondé de cette question, et toute son intervention tenait à la justifier.
Clairement programmées, les conférences n’autorisaient à ces réactions de s’exprimer qu’une fois l’exposé fini. Or une fois l’exposé fini, les nombres auraient fait taire toute opposition. Nit triomphait donc, et cherchait à capter l’attention du président, qui regardait sa montre. Elle avait vu entrer Taquenard, elle l’avait suivi du regard jusqu’à la voir assise, puis avait repris son cours. Il lui avait fallu passer d’une feuille imprimée à l’autre. « La troisième simulation… » et elle montrait le vaste mur et ses chiffres défilants.
« Nous ne ferions qu’aggraver ces nombres en réagissant ! » Elle insistait nettement sur la fierté de ce résultat. « En conclusion de quoi, la nouvelle mission des installations de Tiersule doit être le rétablissement des transmissions. » Elle se tut et Mélanie, qui avait attendu ce moment, se leva pour applaudir, suivie par tout le public, journalistes en exceptions. Nit triomphait. Elle avait cinquante-six point cent trente-quatre pour cent de chances de devenir la nouvelle responsable. Et elle avait parlé à Gilles.
Une petite lumière clignota sur le côté de l’appareil. Rhages aussitôt leva la main et la conférencière l’ayant aperçu lui donna la parole. « Simon Rhages, pour LeCourant : ne devrait-on pas encore plus automatiser les transmissions ? » Un murmure d’approbation passa dans la foule. Quelqu’un griffonnait sur du papier. Le président ne quittait pas des yeux sa montre. « Je ne peux pas vous répondre, » répondit Nit, « il faut demander cela à la responsable. » La responsable déclara que d’anciennes études existaient, qu’elle n’avait plus les chiffres en tête, qu’elle ferait une simulation et donnerait son résultat au journal quand elle aurait la réponse.
Mais une personne dans la foule se permit de prendre la parole, d’une voix légèrement plus forte pour ne pas se faire interrompre. Il s’agissait d’Yves Leberon : « Que croyez-vous, monsieur Rhages, que vous êtes en train de faire, sinon transmettre ? Votre question, des milliers de centres y répondent chaque minute et plus exactement qu’aucun de nous ne le pourrait. Le rendement maximal est notre rendement actuel. Il n’est pas exempt d’erreur. C’est un risque, » il appuya démesurément sur ce mot, « un risque calculé. »
Il allait continuer quand le temps passa à la préparation de la présentation de clôture, laquelle était précédée de dix minutes de pause. Les machines entraient changer les verres. Le public se laissa une fois encore transporter hors de la salle. Il resta cette fois quelques groupes, qui discutaient encore, de la pêche principalement. Taquenard, allée jusqu’à la tribune, s’était ensuite écartée d’un groupe pour se placer contre le mur, près de la porte, et regarder au fond, en demi-coin.
« Où est le professeur Jean. » lui demanda Rhages. Elle eut un sursaut de surprise, puis se reprenant, déclara qu’il serait probablement annulé. Mais déjà les gens revenaient, la salle s’emplissait et elle, n’ayant rien à annoncer, resta à attendre comme les autres que quelqu’un se présente face à eux, à la place vite du conférencier.
Le président alors quitta son siège. Stine alla en quelques pas se placer sous la tribune. Le claquement de ses bottes fit taire les dernières personnes. Le président prit place, devant tous, sans dire un mot. Il restait alors une poignée de secondes. Chacun attendit en silence. Puis la minute achevée : « Le professeur Jean Frédéric est mort. »
Le lendemain, Tiersule passait sous juridiction militaire.

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il y a 15 ans 4 mois #15739 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet Re: [Chimiomécanique] Nouveau(x) chapitre(s)
Le chapitre 8 n'a pas été exactement ce que j'espérais. Néanmoins puisqu'il est écrit j'essaierai d'avoir les sept précédents ici pour consultation, d'ici à la prochaine MàJ.
Ma plus grande motivation pour ce récit est de faire tirer les canons de cinq cents. Aussi les dérapages qui ne cessent de se produire ne me dérangent pas tant.

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Chimiomécanique

Chapitre 1 : …. Ainsi, ils viennent ! …….

Un épais brouillard couvrait Pontier. Un cargo ayant quitté son bassin prenait la mer : ses lumières rouges se ravivèrent à l’éclat du phare, après quoi plus rien ne restait, mais un barrage sur tout le ciel et les flots solitaires aux pieds des docks. Larsens avait rejoint Arnevin. « Votre bâtiment est-il prêt ? » Les deux hommes ne se parlaient pas encore. Ils regardaient la brume et tous deux songeaient au bord du monde.
Depuis hier, le croiseur lance-missiles lourd du quai un Pontier avait un nom, et une mission. Ce devait être un soulagement pour le capitaine Arnevin, qui ne quittait plus le quai où baignait ce bâtiment. Il en avait espéré le commandement et naturellement, le commandement revint au colonel commandant de croiseur Saures. Le général des armées Edmond Larsens avait transmis ces ordres. Saures visitait en ce moment même, avant le rendez-vous fixé pour prendre connaissance de l’équipage. En l’attendant, les deux hommes s’étaient avancés au-devant du quai, près de la jetée, sans penser y trouver l’autre.
« Qu’en pensez-vous, capitaine ? »
« Moi, général ? » Il interrogea aussitôt sa montre, de longues secondes, sans dire un mot. Chacun dans la distance tenait son grade. Ils ne se parlaient pas encore. Un bruit sec, comme une branche qui casse, surprit le subordonné. Son supérieur laissa tomber les deux morceaux dans l’eau, en deux séries de vaguelettes d’un instant. Une sirène perça le silence, du paquebot au lointain. Tous deux de leur côté restèrent à écouter les vagues.
Ils trouvèrent à leur retour le quai à nouveau en activité. Les machines bourdonnaient aux écoutilles. Là, le cuirassé ses tourelles toujours absentes, manquant la moitié de ses systèmes, laissait sur lui clapoter la houle. Un flanc de la citadelle crépitait. Les chefs mécaniciens passaient sur le pont, leurs rapports en main, et méthodiquement notaient la lenteur des travaux. Une grue activée fit passer au-dessus d’eux des masses de matériel, qui s’enfoncèrent dans l’armature pour y disparaître entièrement.
Arnevin devait réunir les officiers d’équipage. Le général des armées laissa cet homme parmi des milliers disparaître derrière les empilements de caisses. Il se fit conduire ensuite, par l’ascenseur, au quatrième étage dans les bureaux de direction d’où le maître de chantier, par ses fenêtres, pouvait voir la passerelle du cuirassé. Le maître de chantier manquait à cette rencontre où le colonel Saures allait recevoir ses fonctions.
Le colonel oublia de saluer son supérieur. Rasé de près, le crâne plaqué, il portait des rides précoces dues à ses coups de colère ; les rides se durcissaient. Quand il parlait, ses dents dépassaient de sous les lèvres et claquaient au moindre coup de sang. Il n’aurait pas fallu alors que la langue dépasse.
« Colonel… » Trois hommes à part eux occupaient encore la pièce. L’un était l’amiral de la première flotte, aussi le plus haut gradé de la marine, qui ne répondait qu’à Larsens. L’autre s’appelait Prévert, amiral pour la quatrième flotte à laquelle était destiné le porte-avions numéro quatre. Sans porte-avions numéro quatre, l’amiral n’avait plus pour vaisseau amiral que ce cuirassé. À part quoi il comptait deux escadres chacune d’un croiseur et de trois destroyers, d’une division de quatre destroyers et d’une division de sous-marins d’attaque. La troisième personne présente était le général de corps Edone.
Ils avaient fumé, l’air empestait de leur tabac. Le colonel Saures avait fumé avec eux, à la pipe par tradition : ils avaient parlé les quelques minutes après la visite. « Colonel… » répéta Larsens, qui se reprenant, devant le silence de son supérieur, ne sut pas quoi répondre. L’amiral alla chercher les lettres, les remit à Larsens qui les tendit à son tour à Saures. Ce dernier montra de l’émotion en les prenant.
« Vous voilà commandant du BF-1 Dominant. Félicitations. » Sans laisser le temps de répondre : « Vous en répondrez à l’amiral Prévert, préparez votre équipage pour les manœuvres d’août. Il est- » combien de temps appuya-t-il sur ce mot, « -probable que vous ne reviendrez pas. »
L’amiral avait écouté surpris et son attention s’était portée sur les écrans muraux, où s’affichaient organigrammes et ordres planifiés. Quand Saures se présenta à lui avec sa nouvelle fonction, ils reprirent leur discussion, qui était son ancien bâtiment, et ce que ressentait le commandant d’un navire inachevé. Personne ici, ni avant la visite ni après, n’avait dit un mot sur les tourelles.
Le général des armées demanda encore où était l’état-major, puis alla à Edone. Il demanda sans autres : « Et vous ? » et n’ajouta pas un mot. Mais le fin sourire d’Edone, moqueur et distant, en dit plus que bien des paroles. Il prit son temps pour regarder le cuirassé, la passerelle toute proche, et répondit : « Ce bâtiment va droit au naufrage. » Il le disait et son sourire prenait des contours méchants.
Trois convois séparés avaient profité du brouillard pour converger sur le port. De lourds camions blindés, en partie chenillés, roulaient à dix mètres les uns des autres, à l’allure du pas, sur la route du chantier. Leurs phares déchiraient devant eux un passage net, qui noircissait les murs jusqu’à les rendre aveugles et ne laissait des objets que leurs silhouettes. À présent les convois s’étaient rejoints et sur la route de Pontier, vide de circulation, ils arrivaient en vue du chantier militaire.
Les portes s’ouvrirent automatiquement. Ils entrèrent. Ils s’alignèrent dans le parc et les machines débarquèrent de leurs bennes le matériel : cellules, lanceurs, système de guidage, pour le système fournaise. Dans le silence le plus complet, le matériel fut entreposé attenant aux tourelles, au bout du chantier. Après quoi, les cellules remontées et pressurisées pour l’entrepôt, la pièce se remplit de béton.
Arnevin avait vu passer ces machines comme il observait constamment l’activité du chantier. Il se trouvait près de la tourelle deux, qui versée plus que les autres présentait ses canons presque contre la passerelle. De lourdes chaînes pendaient autour. Avec le capitaine se trouvaient les capitaines Radens et Hersant, ainsi que le lieutenant Colin dont le groupe dirigeait cette tourelle. Ils étaient avec l’officier Quirinal venus découvrir son futur poste de combat. Mais de tous, seul Arnevin s’était intéressé au passage des machines.
À l’heure dite, ils rejoignaient les officiers et sous-officiers d’équipage pour leur première rencontre avec le colonel Saures. La rencontre devait se faire à hauteur de la seconde tour, à bord de quai, dans une partie dégagée de son matériel pour l’occasion. Quirinal les attendait. De toutes les personnes présentes il devait être le plus âgé. Quirinal agissait avec les officiers comme avec des enfants qu’il aurait à sa garde. Son visage marqué se tachetait le long de la mâchoire et son nez énorme, tombant, le rendait laid. L’âge ne faisait rien à l’affaire : il refusait tout traitement.
« Saures » présenta l’amiral, « voici le capitaine Quirinal, votre médecin de bord. »
« Médecin. Ca sert à quoi. »
« Parce que vous servez à quelque chose, peut-être ?! »
Devant le regard courroucé des hauts officiers, le capitaine Arnevin se pressa de s’interposer. Mais Edone, le sourire caché derrière deux doigts, laissa entendre qu’il n’y aurait pas de sanction et les présentations se succédèrent. Étaient présents : l’officier de pont, l’officier transmissions Londant – qui dépassait de deux têtes les personnes présentes – le commandant de tir et les quatre lieutenants de tourelle, plus l’officier de guidage, puis le capitaine de logistique Bramelin et son lieutenant de magasin, à qui s’ajoutaient Quirinal et Arnevin.
« Le capitaine Arnevin sera votre commandant en second. » Ce dernier se composa l’attitude la plus formelle en saluant son commandant. Il ne pouvait pas cacher néanmoins une forme de joie que la présence du cuirassé seule expliquait. « J’ai hâte de vous connaître » dit simplement Saures, avant de se détourner. De son seul œil ouvert, Arnevin avait clairement décelé une hostilité qu’il ne s’expliquait pas. Alignés face au groupe des officiers, les deux amiraux, le général de corps et le général des armées regardaient le commandant faire. Ils ne réagissaient à rien de ce qu’il faisait.
Saures avait servi durant la seule époque de l’humanité qui ne connut aucune guerre. Toute son expérience venait des simulations ; il avait commandé douze ans de sa vie un croiseur dans la troisième flotte, avant d’être sélectionné pour le commandement du cuirassé. Aucun des hauts officiers présents n’en déduisait la raison. Le colonel montrait une obéissance et une docilité rarement égalées, exprimées toutes entières dans sa rage de combattre. Il ressemblait aux fauves qui n’attendaient que de charger dans l’arène.
« Repos, » ordonna-t-il après le salut. « Je ne demande qu’une chose à mes hommes et ce sont des tripes. Notre mission, la destruction des première et seconde flottes de surface. Notre secteur d’opération, entre Beletarsule et Minsule. Le quatre nous serons à Lable, le six à Tiersule pour ravitaillement. La quatrième flotte reste là-bas. Vous suivrez les simulations pour les quatre modes de combat. Information classifiée quant aux règles d’engagement : tout navire militaire à moins de cinquante kilomètres ; tout navire civil à moins de sept kilomètres ; tout porte-avion dans le bras de mer. Les ordres seront mis à jour le trois au soir. Rompez. »
Les officiers reçurent ensuite les enveloppes militaires, qui contenaient seulement l’ordre. Ils le mirent tous à bras, sauf Quirinal mais Quirinal ne comptait pas.
Aucun d’entre eux ne connaissait vraiment les autres. Arnevin seul était familier du Dominant. Aussi passait-il de l’un à l’autre pour donner quelques détails, à quoi l’autre acquiesçait puis se reportait aux tableaux. Plusieurs avaient ouvert l’enveloppe. La masse des informations les distrayait. Ils ne se rendirent pas compte du départ des hauts officiers. Seul le commandant restait, de son côté, les poings dans les coudes. Indistinctement, ses dents se serraient.
Lui avait, en plus de l’enveloppe, une seconde d’un jaune maladif et une autre, plus petite, plate et solide, rouge. Celle-là seule portait un sceau. Ce poids au bras, le commandant ne le sentait pas. Il attendait parce qu’on lui avait ordonné d’attendre, de la seule manière dont il savait attendre, jusqu’à ce que son nouveau second, ayant fait le tour des officiers, vienne à lui.
En quelques mots, Saures expédia le sort du cuirassé. Il cita mot pour mot ceux d’Edone, du même ton, avec la même nuance, incapable seulement de reproduire le visage. Le second, pour qui ce bâtiment ne cessait plus de prendre en importance, approuva immédiatement. Avec son œil fermé, il déplaisait à Saures. Celui-ci n’avait pas à aborder leurs futurs rapports, celui-là n’osait rien en faire. Ils s’échangèrent un temps des banalités.
Leurs deux montres sonnèrent en même temps. Ils se détournèrent l’un de l’autre non sans brasser quelque vague fond d’idée, puis chacun de son côté se trouva occupé par d’autres questions. Une fois hors de vue, dans les couloirs de béton, quand il fut tout à fait sûr d’être tranquille, le commandant s’effaça. Il découvrit son bras et pressa méthodiquement du pouce sur le nerf, doucement d’abord, très vite avec une force telle que les veines ressortirent. Le bras se violaça. Il serrait les dents à se les briser.
Son pouce tremblant lâcha soudain et le bras retomba pendant. Le reste du corps s’était soudain pétrifié. La respiration coupée, il attendait que l’effet passe. Saures alla jusqu’au premier terminal, qui aussitôt allumé lui demanda s’il avait eu une crise, avant de lui donner de nouvelles consignes. Certains membres s’étaient remis à trembler, mais faiblement. À part le souffle, il reprenait sa constance. Seul son bras restait amorphe, comme broyé. Le terminal concluait avec lui quand le terminal se tut. Ce silence surprit Saures. Il demanda ce qui se passait. Quelqu’un marchait derrière lui.
Le soldat n’appartenait pas au chantier. Il s’était arrêté à trois pas du commandant, qui croisant son visage, y trouva le visage d’une arme. Aussitôt Saures se sentit pris d’une nouvelle crise, que les calmants retinrent de se déclencher. Le soldat le salua, il rendit et demanda son unité. Après quoi le soldat annonça que le général Edone devait s’entretenir avec lui en particulier. Ces mots échangés, le soldat repartit dans une direction opposée.
Le commandant Saures en resta un temps inerte. Il recomposait toujours ce visage qui pour être humain n’avait que cela. Mais le terminal l’invita à procéder auprès du général Edone et lui aussitôt, s’exécutant, prit le pas pour le second étage.
« L’enveloppe jaune, » lui demanda Edone en tendant la main. Seul le général était resté après la rencontre, suite à un changement de programme. Son sourire, dans la solitude, en devenait menaçant. La porte s’ouvrit une seconde fois, dans le bureau du maître de chantier. La fumée stagnait encore. Le second Arnevin vit son commandant ; il fut près de se retirer ; Edone confirma sa présence.
Deux secondes durant, la lumière du chantier disparut des fenêtres, comme passait le matériel de grue. Dans le léger ombrage, les trois hommes s’échangèrent des avis sur l’équipage. L’enveloppe jaune contenait les ordres des forces spéciales, chargées d’opérations d’infiltration, reconnaissance et sabotage, à qui le cuirassé servirait de base. Pour permettre ces missions, le Dominant devrait dépasser Minsule et s’approcher du Liscord, au-delà des eaux, sous toutes les armes.
Cela, Saures le savait, tout le haut commandement le savait, ainsi que le Liscord.
De l’équipage, la discussion passa au navire, sous l’influence du capitaine. Du navire, ils parlèrent des prochaines productions militaires, des nouveaux porte-avions et de là, ils passèrent à leur mission. Le capitaine se sentit soudain, et plus vivement encore, de trop dans cette pièce. Il parla moins. Il recula involontairement. « Vous n’avez qu’une seule chose à faire, » disait Edone, « tirez le second. » Le commandant demanda quand arriverait l’électronique de bord, et si le maître de chantier pouvait achever plus vite. Son propos enfin était tout le contraire d’Edone.
À l’extérieur le brouillard ne tombait pas. Les camions avaient fini de décharger ; ils avaient attendu alignés que la pièce soit entièrement bétonnée, pour reprendre la route. Un à un les véhicules blindés quittèrent le chantier militaire, puis s’égaillèrent à la sortie de la ville, en trois convois, pour les entrepôts.
Le lendemain un croiseur de la quatrième flotte mouillait à l’entrée du port. La garde avait été renforcée. Arnevin suivit les nouveaux ordres et pour la première fois depuis des mois, alla prendre une chambre en ville. À son retour, il vit toutes les grues en activité. Alors n’y songeant plus, il passa le poste et jusqu’au cuirassé, pour regarder pendues aux chaînes une des tourelles de titan passer au côté de la citadelle. Les chaînes produisaient un effroyable frottement. Il fallut que le capitaine demande ce qui se passait.
Sans une électronique prête, leurs monte-charges encore déréglés, toutes les tourelles devaient être montées sur le bâtiment dans les vingt-quatre heures, et la pièce qu’elles occupaient, ses passerelles, la surface de sable, tout devait être bétonné. Un long grincement de tonnerre lui saisit le cœur. La tourelle deux coulissait dans son puits, sur cinq étages, avant de toucher le fond. Toutes les chaînes s’élancèrent comme après le plus grand effort ; elles lâchèrent toutes en même temps.
Alors les moteurs s’activèrent et les canons de la tourelle s’élevèrent, s’abaissèrent successivement puis passèrent du centre au bord gauche, puis du bord gauche au bord droit, et se redressèrent presque à la verticale, en salut, face à Arnevin.

Chimiomécanique

Chapitre 1 : ….. Oui ……

À deux mois de la guerre Décennique, la plus puissante arme connue était magnétique. Ce fait divers courut tout au long de juillet, lorsque le Liscord appliqua son annonce faite fin juin d’en déployer seize dans les îles, sur ce qui ne s’appelait pas encore le front océanique. Les trois premières fusées furent entreposées à Minsule, pour y être oubliées. L’attention générale se portait alors loin au sud, presque dans l’arc polaire, où un brise-glace avait disparu corps et biens, suite à une tempête.
Deux moitiés du monde se mobilisèrent pour retrouver le navire et ses cent treize hommes d’équipage. Trois flottes mêlées de bâtiments civils et militaires, mouchetées d’aéronefs, couvrirent l’océan pendant trois jours, avant de repérer l’épave, après quoi plus d’une semaine passa à la remonter. Durant tout ce temps, les discussions se focalisèrent à calculer la cause de ce naufrage. Avant même de retrouver le navire, la réponse avait déjà été donnée, et n’attendait que confirmation.
Trois critères expliquaient le drame : un, le navire ne répondait pas aux normes. Il appartenait à l’ancienne flotte marchande, obsolète mais qui attendait toujours d’être remplacée. Deux, il y avait eu erreur humaine. Face à la tempête, le commandant avait paniqué. Trois, était le nombre d’icebergs à la dérive qui saturaient le passage du brise-glace aveugle. La moitié de sa coque ouverte, tous ses systèmes à l’agonie, il avait dérivé encore une heure et tenu quelques minutes de plus grâce aux glaces, avant que les cent treize hommes impuissants ne soient emportés par la masse.
Pendant près d’une semaine encore, les drapeaux firent remorquer le navire jusqu’à son port, où il devait être démonté et analysé pièce par pièce. Une photographie prise de sa proue fit le tour des médias, qui montrait la gigantesque voie d’eau bouchée par les coussins d’air, sous l’alignement des canots. Le président, Alain Rougevin, devait donner une dernière allocution qui clôturait le drame : elle dura deux secondes.
Un peu plus de cent personnes assistèrent à l’enterrement du professeur Jean Frédéric.
Ertanger pleurait rarement. Il faisait partie de ces gens au visage sec, ridé avant l’âge. Ertanger avait la peau pâle, le front dégarni, de l’agacement plein les manches. À l’enterrement, habillé de noir comme les autres, il se confondait aux autres, quoique plus petit et voûté. Il avait vu le cercueil descendre, il avait jeté sa fleur comme le voulait la procédure, puis s’était retiré du côté du buffet. Le sucre-crème lui avait donné envie. Il en avait mangé un. Et soudain les larmes avaient éclaté.
« Vous pleurez ? » se surprit à lui demander son voisin.
L’assistance se retirait. Ils n’étaient plus qu’une dizaine dans ce coin de cimetière, parmi toutes les croix noires. Un nom le fit sursauter : c’était le sien. Ertanger se retourna un ricanement au visage. Il ricanait de ses yeux rouges, toujours. Celui qui lui tendait la main s’appelait Edone, Vuld, général de corps en Armont. Il était venu sur le conseil de ses experts, remettre une enveloppe jaune à cet homme. Dans ses habits noirs, le général ressemblait aux adolescents qui se donnaient des airs.
Chacun parla à l’autre du brise-glace, rapidement, ensuite seulement des condoléances au défunt. Ertanger passa son doigt sans le vouloir près du nez, sous l’arcade. Il avait le mauvais souvenir du sel. Mais Edone l’entretenait déjà de Tristan. « Tristan ? » Il s’agissait du second ordinateur de bord du cuirassé, chargé presque uniquement du mât radars. L’ordinateur avait été activé ce jour même, et requérait déjà la présence de trois officiers, dont celui de ravitaillement. Le général sourit à ce dernier, de ce sourire moqueur et distant. Il se permit, entre deux propos, d’avaler un sucre-crème.
Presque tout le monde alors s’était retiré. Ils se retrouvaient à deux dans le cimetière, devant la table du buffet et la tombe ouverte, et le silence du fer. Edone réclama le brouillon de discours écrit pour la conférence de Tiersule, par le professeur Jean Frédéric. Ce brouillon comme tous ses documents étaient passés selon sa volonté à ses élèves. Or les élèves rendaient lesdits documents à la présidence. Ertanger avait fait de même. Il avait gardé, par inadvertance, le brouillon dans sa poche gauche.
Passé de main en main, ce brouillon finit sous la flamme du briquet. Les deux hommes regardèrent le papier brûler. Ils avaient le même air d’attente, devant la cendre. Trois pages, au total, se consumèrent. Le général passa sa chaussure sur leurs restes. Ertanger, pris d’un automatisme grotesque, fit de même.
Sans Frédéric l’Atasse perdait son seul expert en chimiomécanique. Les ordinateurs y suppléaient désormais. La science qui n’avait jamais pu naître, dont les problèmes dataient d’un demi-siècle, mourait avec lui. Frédéric avait estimé meilleur d’abandonner cette chimère. C’était avant la mort de son professeur. Le général avait été envoyé lui demander, encore une fois de choisir : soit continuer, pour la présidence, les travaux de chimiomécanique, soit servir, avec Tristan, sur le BF-1 Dominant. Les pieds dans les cendres, en ce lieu, en cet instant, il sembla hésiter. Mais se reprenant, Ertanger avec aplomb, et près de ricaner, demanda quelles étaient les probabilités.
Il se félicitait encore de son choix dans l’avion qui le portait à Tiersule militarisée. Lui et les autres passagers virent par les baies vitrées défiler les plages couvertes d’embarcations de pêche, puis la forêt, puis la ville vivante et au bout de la première île, un seul croiseur isolé, ancré à l’écart. Ensuite l’appareil revint sur l’aéroport, pour s’y poser. Une foule de touristes se promenait librement à l’écart de la piste. Près du car attendait, en uniforme, l’officier Jeanne Bramelin, la supérieure d’Ertanger.
Elle était bien plus jeune et pourtant très sûre d’elle. Le visage soigné, fin, s’ouvrait sur une chevelure coupée court qui en évoquait le passé. À la rencontre au quai Pontier, elle et Ertanger n’avaient pas échangé trois mots. Elle avait passé son temps à admirer le mât. Il était resté en compagnie du docteur. Voilà pourquoi elle était venue l’accueillir à l’aéroport.
On leur apprit que le capitaine Londant, le troisième officier appelé par Tristan, était déjà passé dans la matinée. Bramelin poussa un soupir résigné. Le car puis le bateau les menèrent sur l’île du temple, aux installations d’estimation à la frontière où était entreposé l’ordinateur. Le professeur Leberon leur déclara la bienvenue, avant de les abandonner à leur guide. Le professeur se permit cependant une remarque, avant de les quitter. « Il n’est pas militaire. » Après quoi ils suivirent les escaliers, jusqu’à une salle fraîche aux murs crêpés, où se trouvait une tour noire de la taille d’un homme.
La tour était éteinte.
Les deux officiers se regardèrent sans mot dire. Ils ne surent pas quoi faire, devant l’ordinateur silencieux. La pièce ne contenait aucune chaise, ni aucun mobilier, pas de fenêtre, une seule porte blindée restée ouverte derrière eux. Ils restèrent debout, à s’ennuyer, bras croisés les yeux voletant de tous les côtés, dans des soupirs. Après près d’une minute, tous deux s’étaient appuyés au mur. Il ne tenait pas en place et se promenait sur ses propres pas dans la pièce.
« L’incident zéro ! » lança Ertanger avec un cri de victoire, à la surprise de sa supérieure. Elle lui dit de se taire et le laissa continuer à marmonner. La présence du lieutenant la dérangeait de plus en plus. Elle tourna la tête, soupira, rien de plus.
Cela dura plus d’une demi-heure, durant laquelle aucun des deux ne quitta la pièce. De l’autre côté de la porte, l’activité des installations se perpétuait, bruits de câbles et pas de l’électronicienne, voix de l’ordinateur Théodor. Ils regardaient leurs montres constamment, puis reprenaient l’attente, tous deux fatigués de plus en plus. Au fur et à mesure ils réduisaient leurs gestes, jusqu’à imiter l’immobilisme de la tour.
La pièce avait fini par assécher leur gorge. Il sentit naître dans son dos un rhumatisme. Cela le fit grimacer. L’électronicienne passa devant eux sans mot dire, derrière la tour, pour y rebrancher quelques sections, après quoi la surface de la tour s’éclaira de petites lampes, dans la lumière crue de la pièce.
« Bonjour. Je suis Tristan. »
Les deux officiers saluèrent l’ordinateur. Ce dernier leur demanda à tous deux qui ils étaient, ce qu’ils faisaient, ce qu’ils aimaient, leur histoire, leur vie, et enchaînait sur leurs réponses en s’intéressant toujours plus aux détails les plus négligeables. Il émettait de temps en temps un jugement pour les encourager à continuer. Bramelin lui raconta son enfance dans les jungles du sud, lui parla de Gilles et de ses convictions. Mais Tristan n’arracha rien du subordonné, qui ne rendait que des allusions entre deux ricanements.
Après ces échanges, l’ordinateur leur demanda de lui lire le contenu de leurs enveloppes. Bramelin en avait une de couleur militaire. Elle contenait l’ordre de marche pour août, ainsi que les procédures de la logistique. Ertanger ouvrit la sienne, militaire, son propre ordre de marche et les procédures de ravitaillement. Un annexe parlait de l’escale à Tiersule spécialement. Puis il ouvrit l’enveloppe jaune, remise hier, et la lut à haute voix. Il devait, si nécessaire, détruire les ordinateurs de bord.
Suivaient les codes de destruction, adressés à Tristan. Ils devaient être activés dans deux cas : sur ordre du commandant ou sur intuition personnelle. Enfin, il lut la procédure à suivre après la destruction, selon la composition de l’équipage et l’état du bâtiment. L’officier remit ses ordres dans l’enveloppe, la referma sans autre réaction. Il n’avait pas vu une dernière lettre, imprimée, qui portait la signature du général Edone. Cette lettre ne contenait qu’un mot et un point d’interrogation.
La voix de Tristan était étrangement juvénile. « J’ai parlé avec le capitaine Londant. » Le capitaine était marié. Il avait des enfants. « C’est lui que je servirai, mais c’est de vous dont je dépendrai. » Il leur parla de sa maintenance, des systèmes qui s’ajouteraient à son noyau, aussi de ses fonctions. Tous deux l’écoutaient patiemment.
« Le Liscord prévoit un sabotage du Dominant à mi-course de Lable à Tiersule. À quatre chances sur cinq la tourelle deux. La charge pourrait suffire à ouvrir en deux le cuirassé. Nous avons calculé que le sabotage était inévitable. Il sera donc réparé et réarmé à Tiersule. Capitaine Bramelin, vous aurez quarante-huit heures pour remplacer la totalité du blindage, les ceintures internes, la tourelle deux et les défenses rapprochées. Lieutenant Ertanger, il faudra réarmer un magasin de mille munitions. »
Chacun avait tour à tour réglé sa montre pour enregistrer ces consignes. Ertanger marmonna que le responsable de la seconde tourelle, Colin, n’allait pas aimer ça. « Frédéric, » demanda Tristan, « pourquoi ne voulez-vous plus étudier la chimiomécanique ? » À cette question il releva la tête et, comme s’il retrouvait le sourire railleur d’Edone, il se renfrogna. Sa réponse à tout était une profonde irritation. Tristan insista, et demanda ce qu’il pensait de l’incident zéro. Il n’obtint que plus d’agacement.
En un demi-siècle, alors que le programme Gilles se développait encore, sur les milliards de programmes qui alignaient des milliards de milliards de lignes de codes, un seul symbole d’une seule ligne s’était tronqué, un zéro à la place d’un un, que le programme avait aussitôt corrigé. Frédéric Ertanger ne pensait rien de l’incident zéro. Il le connaissait comme une anecdote, il savait que cet incident justifiait la chimiomécanique mais rien de plus.
Les seuls qui avaient écouté le professeur Frédéric, à l’époque, avaient été les ordinateurs.
Quand ils ressortirent de la pièce et des sous-sols, sans jeter un regard à l’électronicienne, les deux officiers tombèrent sur Leberon, qui feuilletait un rapport supplémentaire sur la situation à la frontière. Les nouvelles étaient excellentes. Les communications nouvellement rétablies s’étaient renforcées et doublées d’un rapprochement des deux États. Il semblait que la frontière qui avait existé entre eux perdait sa raison d’être. À part une très probable erreur humaine, la paix était plus assurée que jamais.
Aussitôt après, ils discutèrent du commandant Saures, qui ne désirait rien de plus qu’utiliser ses canons, et de sa mission entre Beletarsule et Minsule. Ils parlèrent du climat de ces îles, encore plus froides, et de la flotte que le Liscord devait y déployer. Leberon ne comprenait toujours pas – Londant lui avait donné la table des priorités – pourquoi le sous-marin devait être détruit avant le porte-avions. Ils se répétèrent entre eux l’interdiction absolue de tirer sur un objectif terrestre.
La responsable des installations arriva devant eux l’air particulièrement tendue, le pas vif, claquant sur le sol. Elle mordillait ses lèvres. Nit passait d’une pièce à l’autre et trouvait partout le même désordre dont elle se désolait, qui constituait son plus grand sujet de discussion. Elle demanda à Leberon le statut des antennes. Bramelin soupira, ce qui énerva au plus haut point la responsable.
« Encore des militaires ! » Elle retourna arpenter les couloirs, chargée de ses occupations. Après son départ, Leberon fit un geste d’ennui morne. Il s’excusa car il lui fallait encore détruire des documents à l’étage, sur les relevés du mois passé. Les jours de juillet étaient les plus chauds. Dehors plus bas dans l’île, à l’est des jetées de bois, s’ouvrait un vaste bassin circulaire, si net qu’il en paraissait artificiel, au bas fond de sable. Les deux officiers, sur le conseil de Tristan, se rendirent là-bas, où les machines bâtissaient les installations logistiques et les magasins de munitions pour l’arrivée future du Dominant.
Le fourmillement des villes n’avait rien de comparable au fourmillement de ces constructions. Les murs qui s’élevaient lentement, centimètre par centimètre sous les arbres, se couvraient de machines comme un nid d’abeilles. Ce n’étaient encore que les fondations. Le matériel avait été dispersé en profondeur dans la jungle. Dans les derniers jours seulement, toute l’installation naîtrait sur le bassin. Un patrouilleur au milieu du bassin y plongeait, profondément dans le sable, une nouvelle charge.
Jeanne Bramelin avait passé son enfance dans une famille aisée des quartiers aisés au sud du Beaumont. Les gens la disaient sauvage. Elle avait l’air réfléchie. À huit ans, elle avait été destinée aux écoles d’ingénierie. Elle croyait connaître, mieux que personne, le Dominant.
« Ce bâtiment est à moi. »
Elle le répéta, l’air conquérante. Chaque pont, chaque vanne, chaque circuit devait lui appartenir. À la tête de la logistique, elle était aussi responsable de la maintenance. Tout le bâtiment dépendait d’elle. Tristan le lui avait dit. Aussi considérait-elle le bâtiment comme sa possession. Elle regardait le bassin vide, avec ce seul patrouilleur minuscule. Elle y voyait déjà le Dominant mouiller, et la tourelle deux en flammes, ce qu’elle ne pouvait pas supporter. Cette pensée attisait sa colère.
« Je ne laisserai personne y toucher. »

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il y a 15 ans 3 mois #15757 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet Re: [Chimiomécanique] Nouveau(x) chapitre(s)
Alors voilà, j'ai malencontreusement achevé la première partie de chimio' avant l'heure.
Privé d'internet cette semaine, au lieu de travailler comme j'aurais dû le faire - mais reconnaissons-le, je n'y arrive vraiment pas - j'ai passé mon temps à écrire. Ce qui fait que bien malgré moi la première partie est achevée.
Tous les chapitres sont en ligne.

Du coup, j'avais projeté de vous livrer un acte de théâtre, écrit cette semaine aussi, mais en le relisant je n'ai pas pu dépasser la seconde réplique. Abandonné.
J'avais aussi prévu d'écrire un "à propos" de chimio' qui ne menait à rien. Mais ne doutez pas que je suis très satisfait de mon texte.

Je ne sais donc pas vraiment encore quoi vous soumettre pour la MàJ.

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il y a 15 ans 3 mois #15761 par Krycek
Réponse de Krycek sur le sujet Re: [Chimiomécanique] Nouveau(x) chapitre(s)
Bon c'est bien parce que c'est toi hein... j'ai entamé le premier tome du cycle d'Ender (Orson Scott Card) mais vais prendre le temps, dès que fini, de lire complètement et critiquer chimio.

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il y a 15 ans 3 mois #15764 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet Re: [Chimiomécanique] Nouveau(x) chapitre(s)
T-t-t-t, j'ai écrit Chimio' pour qu'il soit lu, pas pour qu'il s'ajoute à la liste des tâches des Chroniques. Tu auras l'occasion de me critiquer à la prochaine MàJ.
Et puis il reste vingt-quatre chapitres à écrire.

Mais surtout, surtout, jamais parce que c'est moi !

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