file Journal d'un Vrai Mystique

Plus d'informations
il y a 12 ans 7 mois - il y a 12 ans 7 mois #17524 par Monthy3
Journal d'un Vrai Mystique a été créé par Monthy3
Bonjour, les gens,

Je vous propose ici un chapitre ma foi assez long (10 pages, mais je l'ai débité à deux reprises), que vous n'avez même pas besoin de lire en entier pour pouvoir répondre aux quelques questions que voici :
- trouvez-vous un ton particulier au narrateur ?
- que retirez-vous de la personnalité de ce personnage ?
- vous êtes-vous ennuyés (mais bon, avec les trous, c'est d'autant plus probable...) ?
- quid de la parabole dite de la "Récompense du Remords Actif" ?

Bon, je vous donne aussi quelques clefs de lecture :
- les faucheurs sont le peuple de la ville nommée "La Faux" ;
- les masqués sont le peuple de la ville nommée "Les Masques" (quelle originalité, décidément), et sont tous dotés en permanence... d'un masque ;
- les écumeurs sont le peuple de l'"Ile-Ecume", qui assiège et conquiert peu à peu la Faux ;
- les sulfiriens sont le peuple de la ville nommée "la Soufrière", d'où est originaire un personnage surnommé "la Balle".
Je pense que le reste est compréhensible.

Merci d'avance aux courageux qui en liront quelques lignes et me donneront leur avis ! :side:



Chapitre 2 : Journal d’un vrai mystique, Il est un spectacle…


Il est un spectacle que je n’oublierai jamais, une représentation à nulle autre pareille et qui eut pour conséquence de me permettre, grâce à une rencontre plus ou moins fortuite, de mener à bien la quête que je m’étais fixée, ou plutôt que mon remords avait fixée pour moi.
Voilà pour l’introduction. Les Uniques m’ont toujours recommandé (avec insistance) de coucher par écrit les événements majeurs de mon existence, du moins ceux que je considère comme tels, afin qu’ils puissent ensuite les interpréter à leur propre lumière. Or ce spectacle constitue, selon moi, l’un de ces événements. Par où commencer ?
Je rencontrai, dans une auberge isolée au milieu de collines grises, par une nuit de déluge, un couple d’aventuriers détonnant. Il y avait là une masquée haut gradée, comme je l’ai découvert par la suite, et son antagoniste, un sulfirien auréolé de sa légende : la fameuse Balle. Les circonstances furent particulières et me semblent déterminantes de la suite de nos relations – car aujourd’hui, nous chevauchons ensemble en dépit de nos différends, c’est pourquoi je me dois de les relater. J’ouillai dans le lit de ma chambre, à travers sa mince cloison, des préparatifs d’assassinat dans la bouche d’écumeurs visant explicitement la Balle. Porté par les préceptes charitables des Uniques, je me levai et me faufilai en catimini dans la chambre du singulier duo. Je me précipitai trop et fus repéré par la masquée mais, après un échange furtif, les deux voyageurs m’accordèrent suffisamment de crédit pour fuir par la fenêtre sous une pluie battante. Je les suivis, conscient que ma vie était dorénavant autant en jeu que la leur, sans le regretter : deux vies étrangères valent mieux que la seule mienne.
Cette évasion se serait déroulée sans encombre si n’était arrivée pendant la nuit une bande de faucheurs dont l’un d’entre eux veillait non loin de l’écurie. Cette bande était apparemment venue ici dans le seul but d’éradiquer les écumeurs car, bientôt, un furieux combat s’engagea dans les murs de l’auberge. Je dois ajouter que la Balle crut d’abord que je les avais trahis en les menant dans un guet-apens, mais sa compagne le détrompa rapidement et je lui en fus gré : j’avais lu le danger de mort dans les yeux du sulfirien. Les Uniques devaient nous sourire cette nuit-là car, hélé par l’un de ses camarades, le dernier obstacle s’estompa à l’intérieur de l’auberge. Nous nous élançâmes vers les chevaux noirs, nous juchâmes sur leur selle et partîmes à bride abattue. Las, nous constatâmes bien vite et pourtant bien trop tard que la Balle ne nous avait pas suivis, la masquée et ma personne.

[...]

Nous dormîmes jusqu’à l’aube. Nous nous ressourçâmes chichement dans le ruisseau brunâtre et repartîmes avec un entrain relativement forcé, du moins de mon côté. Rien ne semblait atteindre la Dame : ni la boue, ni la chaleur, ni la fatigue, ni l’abattement. Je crois que son enthousiasme inébranlable fortifia ma propre volonté et je me morigénai de ma prime faiblesse. Les Uniques ne nous ont pas donné de corps et d’âme pour que nous les laissions au repos. Nous arpentâmes opiniâtrement un long chemin qui muait en une pente bourbeuse, tandis que la falaise que nous longions depuis le départ s’adoucissait. Nous progressions lentement, en partie par ma pesanteur de mortel, en partie par prudence. Les patrouilles de faucheurs se multipliaient et je bénis le temps couvert qui m’empêcha de commettre une nouvelle erreur. La disparition tragique de nos montures servit notre discrétion.
Celle-ci ne s’avéra cependant pas éternelle et succomba à la mi-journée. Alors que nous gravissions péniblement l’ultime obstacle de boue et que nous commencions à apercevoir les premières lueurs du champ d’orties dorées, un quatuor de faux surgit sous nos yeux. D’un ordre, l’un de leurs manieurs nous enjoignit d’achever notre ascension et de demeurer immobiles. Il nous dévisagea de l’air méprisant de l’athée : nous ne devions pas exister – nous n’en étions pas dignes. Il nous somma de justifier notre présence. Je me trouvai fort marri de n’avoir aucune coquecigrue à lui suggérer, aussi fus-je soulagé d’entendre ma compagne de voyage prendre les devants. De la voix chantante propre à ses semblables, elle narra une fable de son cru. Selon sa version, nous étions des artistes itinérants venus du nord en vue d’apporter un peu de joie aux combattants las de Chergausse des Orties d’or. Le faucheur manifesta un scepticisme évident, pour une raison qu’il m’était aisé de deviner : pour ce peuple, la guerre constitue l’aboutissement de toute une philosophie de vie. La lassitude n’a pas lieu d’être. Ces boniments auraient trouvé plus volontiers leur cible dans le cœur des chergaussiens ou des Ludistes d’Horizon. La Dame le comprit à son tour et elle joua sur une autre corde : elle déclama un poème épique à la gloire de la lutte, où se trouvaient loués hauts faits et sacrifices, résistances héroïques devant d’infinis oppresseurs. Elle y mit une telle inspiration, une telle conviction, des intonations d’une telle férocité que les faucheurs finirent par baisser leurs armes, subjugués. Force m’est d’avouer que moi-même, je me sentais prêt à dégainer ma lame pour aller fendre sur-le-champ l’Ile-Ecume même.
Les quatre faucheurs nous escortèrent à travers la végétation rutilante jusqu’à l’entrée de la ville, où nous dûmes leur promettre de donner une représentation avant cinq jours ! Je remarquai rapidement que la plupart des groupes de guerriers que nous croisâmes sur notre chemin étaient constitués de faucheurs plutôt que de chergaussiens, ce qui en disait long sur l’emprise de la Faux. Toutefois, ce conflit ne me regardait pas et je n’avais pour ma part qu’un objectif à réaliser, tout à fait accessoire aux événements locaux. Nous nous retrouvâmes donc livrés à nous-mêmes ou presque, puisque les faucheurs avaient détaché l’un des leurs, du nom de Nérophain, pour nous garder à l’œil. Si la Dame les avait touchés, elle n’avait pas pu les persuader d’emblée que nous n’étions pas des espions au service de l’Ile-Ecume.
Alors que nous étions plongés dans la contemplation de l’effervescence ambiante, nous fûmes rudement repoussés par plusieurs soldats pour laisser place à une troupe de cavaliers, tant faucheurs que chergaussiens. L’un d’entre eux laissait pendre sa lance, au bout de laquelle avait été accroché un grand chiffon blanc. Reddition ou simples pourparlers ? Je l’ignorais, mais je sus au moins une chose : il fallait que j’agisse vite, avant que l’ordre établi dans cette ville ne s’effrite et s’effondre comme la foi d’un Négatif. La Dame n’émergea de sa rêverie que pour acquiescer vigoureusement. Encore nous fallait-il des renseignements.
D’un commun accord, nous nous engouffrâmes dans la première étroite ruelle qui s’offrit à nous, enjambant les mendiants avachis contre ses murs. De tous temps, les résidents des bas-quartiers se sont montrés loquaces pourvu que l’on leur fasse miroiter or et joyaux. Hélas, les Uniques ne nous avaient pas fait ce don, à l’exception du mince anneau qui cercle mon doigt. Cela ne nous empêcha pas de nous faufiler parmi les bruissements des indigents. A plusieurs reprises, je dus m’arrêter, le cœur serré, à la vue de certains misérables handicapés, amputés d’une jambe ou d’un bras, parfois énucléés. Victimes de la guerre, victime de la folie ordinaire des petites gens, victimes de l’espèce humaine ayant renoncé à accéder au divin. Je priais pour le salut de leur âme, puis je repartais derrière la silhouette agile de la Dame.
Il régnait à Chergausse une atmosphère très différente de celle d’Horizon, aux forts relents de résignation. Je suis heureux d’avoir eu à mes côtés cette femme prolixe, en dépit du caractère troublant de son masque. Sous prétexte de chercher à recruter une troupe, elle esquissait une sorte de danse entre les passants, allant de l’un à l’autre pour lui susurrer une question à l’oreille, insinuant l’espoir et simulant l’intérêt – une simulation bien cynique, je le crains – pour leur situation, laissant derrière elle un éclat de rire ou une moue rêveuse. Elle détonnait dans cette ambiance rébarbative et, au fur et à mesure de notre errance dans le labyrinthe de venelles, les lèvres se décousaient et livraient qui leur amertume, qui leur désespoir, qui leur secret. Nous apprîmes que les faucheurs avaient amené la Balle un jour plus tôt, au soir tombant, ce qui avait entraîné force rumeurs quant à l’implication future dans cette légende dans la guerre actuelle. Nous perçûmes aussi la désorientation des chergaussiens quant au véritable dirigeant de leur ville. S’il ne faisait pas de doute qu’un dénommé Vladimir en était le Maire, d’aucuns doutaient de ses véritables pouvoirs et estimaient qu’il se trouvait en réalité sous la coupe des clans de faucheurs. Un terreau tout à fait exploitable, pourvu que nous parvînmes à semer l’ange gardien Nérophain.
Néanmoins, nous tirâmes nos principales informations d’un petit bonhomme rachitique qui nous héla au moment où nous passâmes devant lui sans le voir. La Dame ne sembla pas l’entendre, déjà en train d’interroger un nouveau citadin sous l’œil attentif de Nérophain, et je me dirigeai seul vers lui. Il se tenait sous un porche fissuré, en plein centre d’une zone d’ombre. Il désirait de toute évidence conserver son anonymat car, en sus de cette position, il s’emmitouflait dans un manteau trop grand pour lui dont le capuchon retombait jusque sur son torse. Sur un ton étonnamment neutre (je m’attendais à ce qu’il soit plus nerveux), il me révéla que la Balle avait été emprisonnée la veille en compagnie d’un autre captif. Mon cœur fit un bond dans ma poitrine, pour la raison dont vous vous doutez bien ! Ce ne fut pas tout : il me suggéra d’aller proposer à Vladimir un spectacle à la gloire de l’alliance entre Chergausse et la Faux, et s’apprêtait à développer plus avant son idée lorsqu'une ombre se dressa dans mon dos. Je fis volte-face et tombai sur le visage austère de Nérophain, parfaitement explicite : la Dame et moi ne devions pas, jamais, nous séparer. J’obtempérai, mais ne pus m’empêcher de jeter un dernier coup d’œil sur mon interlocuteur mystérieux. Il avait disparu. Un reflet attira toutefois mon attention : là où il s’était tenu sommeillait à présent une petite flaque d’eau. Je ne sus qu’en déduire sur le moment.
Je profitai d’un bref instant d’inattention de Nérophain pour raconter la scène à la Dame, qui me regarda longuement sans que je pusse évidemment percer la carapace de son masque. De toute évidence, elle réfléchissait. Finalement, elle se tourna vers le faucheur et lui demanda s’il connaissait un endroit de la ville où rôdaient des masqués, étant entendu, selon elle, qu’ils étaient les meilleurs comédiens et ne nécessiteraient pas de formation particulière. Nérophain maugréa une réponse et poussa même la bonne volonté jusqu’à nous y mener. Les faucheurs ne sont pas de si mauvais bougres, après tout ; ils se trompent seulement quant à l’objet de leur vénération – le combat.
Il ne prit pas la peine d’éviter les grands axes où pullulaient les soldats et je craignis d’abord que notre singulier trio attirât une attention indésirable. Il n’en fut rien, probablement en raison de la présence du massif faucheur. Nous eûmes la chance d’apercevoir au bout d’une artère les murs blancs de la Maison Communale, puis pénétrâmes dans une rue bondée de charrettes et sourde de jurons. La plupart s’adressaient d’ailleurs à une bande de masqués qui avaient eu la malheureuse initiative de déployer un semblant de scène qui ralentissait la circulation des hommes et des marchandises. Leurs efforts étaient récompensés par plus de denrées invendables que de petite monnaie. Cependant, un maigre public de chergaussiens appréciait la prestation et encourageait les acteurs à surmonter l’impatience des conducteurs et des passants. Aucun faucheur ne traînait ici. Je décelai d’ailleurs sur le visage de Nérophain un réel dédain pour ces divertissements. Il nous suivit malgré tout lorsque nous nous fondîmes dans le public pour assister à la prestation. Elle ne me plut pas. Il s’agissait en fait d’une farce païenne où la Comédie et la Tragédie, ces deux fallacieuses divinités des Masques, s’affrontaient par des tours joués au détriment d’êtres humains et finissaient, comble du mauvais goût, par s’épouser. Je vous laisse imaginer mon dégoût lors du final, qui reçut d’ailleurs un accueil mitigé. Force me fut néanmoins d’admettre avec la Dame qu’en dépit du fond détestable de cette pièce, le talent d’acteur de ses protagonistes était réel.
Aussi lui emboîtai-je le pas quand elle se porta à leurs devants, tandis que les spectateurs s’essaimaient. Les masquées étaient au nombre de cinq, plus troublantes les unes que les autres –il n’y avait là en effet que des femmes. Leurs masques n’avaient rien de l’ambiguïté paniquée de celui de la Dame et avaient souffert du temps et des éléments. J’y vis pour ma part la candeur, la pudibonderie, la sournoiserie, la colère et l’orgueil, cette dernière se présentant comme la meneuse de la troupe. Elles écoutèrent toutes les cinq attentivement la proposition de la Dame et entamèrent un conciliabule animé. Par les Uniques, comme si une telle offre, celle de potentiellement jouer devant le Maire de Chergausse et de se faire ainsi un nom en ce coin de la Fédération, pouvait se refuser ! Elles acceptèrent évidemment – mais pas pour la raison que je viens d’énoncer.
Parvenu à ce niveau-là de mon récit, je dois vous faire une confession. Les lignes de ce journal sont parsemées d’inexactitudes dues à ma méconnaissance du peuple des masqués. Ils ne raisonnent pas de la même façon que les Uniques et je vous prierais, maîtres, de prendre en compte ce paramètre dans votre interprétation. Maintenant que j’en suis venu à connaître la Dame, à l’aimer et à la haïr tout à la fois, je me rends compte que ma perception des événements d’alors était erronée. Ne prenez donc pas toutes mes affirmations et mes observations pour des vérités et acceptez ma défaillance hélas encore trop humaine.

[...]

et nous pûmes sans souci nous faufiler dans les rues anormalement calmes jusqu’à la sortie de la ville. Les rares quidams que nous croisâmes étaient trop perdus pour le monde et plongés dans leurs propres et louches affaires pour s’intéresser à nous. Je remercie les Uniques de m’avoir prodigué une telle escorte – trois austères faucheurs – car, sans eux, j’aurais perdu beaucoup de temps dans le dédale tant Chergausse paraissait receler d’impasses, véritables ou non. Et quand enfin je retrouvai la Dame, mon cœur soupira de soulagement à la vue de son compagnon.
Vous me pardonnerez de délayer ainsi, maîtres, mais à cet instant, je n’ai pu m’empêcher de me rappeler cette parabole enseignée à tout apprenti Unique, que l’on désigne sous l’expression La Récompense du Remords Actif. Trois frères naissent et grandissent dans une ville. L’un d’eux, plus brillant ou plus chanceux que les autres, gravit les échelons sociaux rapidement et se retrouve à la tête d’une immense fortune. Jaloux, l’aîné et le cadet fomentent une manigance : ils persuadent leur frère de partir guerroyer très loin de la ville pour la gloire de la famille. Inconscient de leurs mauvaises intentions, le frère accepte avec enthousiasme, s’en va et abandonne ses biens à la gestion de l’aîné et du cadet. Ceux-ci se réjouissent d’abord de son départ et de leur nouveau train de vie. Puis, le temps passant, ils éprouvent un sentiment qui les tiraille atrocement et comprennent, lorsqu’ils apprennent la capture de leur frère, qu’il s’agit en réalité de remords. Conscient d’avoir péché, chacun adopte une attitude différente. L’aîné tente d’oublier son acte en se livrant à la luxure. Le cadet, quant à lui, se livre corps et âme au remords et décide d’aller libérer son frère. Il va de ville en ville, cherche des signes, interroge les habitants. De mois en mois, il poursuit sa route inlassablement. A force de persévérance, il retrouve la trace de son frère et paie sa rançon avec la totalité de la part prélevée sur sa fortune. Celui-ci est maigre, affamé, assoiffé et exténué ; mais à la vue de son cadet tout aussi maigre, affamé, assoiffé et exténué, il ouvre grand les bras et déclare : « pendant les mois de ma captivité, j’ai réfléchi à ce qu’il s’était passé et compris la réalité de vos intentions. Je me suis promis de vous tourner le dos à jamais. Mais voilà que mon cadet a combattu son remords pour venir me sauver. Qu’il soit toujours le bienvenu dans ma maison ! » Le frère et le cadet rentrent donc ensemble et trouvent l’aîné en proie au stupre, plus misérable encore que le dernier des misérables. A leur vue, l’aîné maigre, affamé, assoiffé et exténué crie d’étonnement, de joie et de soulagement. Mais le frère maigre, affamé, assoiffé, exténué croise les bras et déclare : « et voilà que mon aîné a cédé au remords sans daigner me sauver. Sa tristesse est réelle, mais sa passivité coupable et sa lâcheté impardonnable. Que ma maison lui soit à jamais fermée ! »
J’aurais pu demeurer à Horizon et oublier mon frère dans l’adoration des Uniques. Quand bien même vous ne me l’auriez pas reproché, je me serais alors comporté comme l’aîné de la parabole, coupable et impardonnable d’avoir missionné mon frère loin de mes yeux envieux. Je ne l’ai pas fait et, à la vue du visage illuminé de mon frère émacié, à l’entente du « Athanase ! » jovial qu’il m’adressa alors, je me jetai dans ses bras tel le cadet de la parabole et nos larmes coulèrent à flot. Nous étions enfin réunis et, mon interminable quête enfin achevée, je crus que nous allions pouvoir rentrer chez nous.
Alors seulement je me rappelai que nous n’étions pas seuls. Une bande de chevaux ignorait pudiquement ces effusions. Les cinq faucheurs alentour nous dévisageaient avec un écœurement flagrant. Surtout, la Dame paraissait dévastée. Bien sûr, je ne pouvais le lire sur son visage. Cependant, sa posture le révélait avec clarté. Elle était assise par terre, les genoux ramenés vers elle, la tête dissimulée entre eux. Elle hoquetait silencieusement, émue par nos larmes fraternelles qui lui rappelaient l’assourdissante absence – et l’échec de sa propre quête. Il n’y avait nulle trace de la Balle dans notre groupe de comploteurs. Je quittai les bras de Foulque, allai m’accroupir auprès de la Dame et tentai de la consoler. Mon cœur se serra à la vue de son chagrin, aussi lourd et profond qu’une nuit d’orage. Mon sang d’Unique ne fit qu’un tour.
Je me relevai et lus dans les yeux de Foulque un pétillement prometteur. Je me tournai vers les faucheurs et y trouvai une détermination implacable. Ma, oui, ma décision fut confortée. Sachez-le, maîtres, et notez-le bien : je fus à l’origine de ce qui s’ensuivit. Je fus à l’origine de cette improbable collaboration entre faucheurs, radiant et Unique qui se lancèrent à la poursuite de la Balle, chacun pour une raison tout à fait différente.

Connexion ou Créer un compte pour participer à la conversation.

Plus d'informations
il y a 12 ans 7 mois #17526 par Mr. Petch
Réponse de Mr. Petch sur le sujet Re:Journal d'un Vrai Mystique
C'est marrant ces questions, ça me rappelle les commentaires de texte du lycée :P

D'abord, j'aurais, moi, une question : est-ce que le narrateur est introduit avant (je veux dire : son nom, son statut, son identité, etc.) ou est-ce la première fois qu'on le croise ? J'ai été un peu perturbé, au début, de ne pas savoir "qui" parlait alors même qu'on a pas affaire à un narrateur passif, au contraire.

**

- trouvez-vous un ton particulier au narrateur ?

*

Un ton particulier, oui. Après, il y a la question de l'équilibre : ne pas forcer le trait. Même si le narrateur est un personnage érudit et ampoulé, certains mots m'ont quand même heurté à la lecture, comme "ouillé" (ouïr, j'imagine) ou "coquecigrue". Ici, par exemple, le mot m'a empêché de véritablement comprendre le narrateur, et m'a coupé dans la lecture, alors que pour l'instant j'aimais bien ce personnage. Il y a un équilibre à trouver : est-il pédant ou savant ?

- que retirez-vous de la personnalité de ce personnage ?


Pour moi, c'est un personnage discret et peu sûr de lui, également très savant. On sent aussi un côté religieux, mais moins fanatique que fervent (quoique la scène de la représentation est assez bien vue pour ça). Il y a un de ces traits que tu as peut-être voulu introduire qui me semble un peu artificiel : la compassion, qui semble être une caractéristique des "Uniques". Je trouve qu'il est assez mal exploité dans le texte au sens où le narrateur a encore quelques restes d'opportunisme. La scène du parcours dans les ruelles paraît un peu artificiel, par exemple. Après, je peux me tromper sur ce dernier trait de caractère.

- vous êtes-vous ennuyés (mais bon, avec les trous, c'est d'autant plus probable...) ?


Oh, non.

- quid de la parabole dite de la "Récompense du Remords Actif" ?


Alors... J'ai apprécié l'idée de l'introduire, j'imagine pour développer la personnalité du narrateur. Mais elle m'a posé un problème à cause de son emplacement dans le texte. Quand elle arrive, j'ai cru qu'elle allait revenir sur le reste du texte, d'où une incompréhension au début. Puis intervient le frère du narrateur, de façon un peu impromptu. Le problème est qu'elle ne vaut que pour ce paragraphe et ne fait écho à rien d'autre dans le texte, si ce n'est au caractère du narrateur.

Mr Petch

Connexion ou Créer un compte pour participer à la conversation.

Plus d'informations
il y a 12 ans 7 mois #17529 par Monthy3
Réponse de Monthy3 sur le sujet Re:Journal d'un Vrai Mystique
Merci à toi pour ta lecture (et ton courage) !

En fait, la scène par laquelle il commence son journal (rencontre à l'auberge et fuite) a effectivement déjà été décrite à la troisième personne, par le point de vue de Balthazar (la Balle). Du coup, on connaît le personnage, sans toutefois connaître son nom. On sait qu'il vient d'Horizon, en revanche on ignore son lien avec Foulque.
Foulque lui-même a déjà été rencontré par Balthazar au cours du récit et, notamment, le tome 1 s'achève sur eux deux en prison ensemble à Chergausse.
On a donc normalement déjà quelques éléments pour comprendre les allusions !

près, il y a la question de l'équilibre : ne pas forcer le trait.

C'est un peu le problème que je soulevais dans l'autre sujet : les grosses ficelles pour "caractériser" le personnage. Je manque pour le moment de finesse. Du coup, je suis revenu un peu dessus et ai remplacé les mots/expressions que tu as soulevés, avant de passer au crible le reste.
Plus savant que pédant, donc, mais une science très partielle/partiale - car orientée par sa formation religieuse.

Alors... J'ai apprécié l'idée de l'introduire, j'imagine pour développer la personnalité du narrateur. Mais elle m'a posé un problème à cause de son emplacement dans le texte. Quand elle arrive, j'ai cru qu'elle allait revenir sur le reste du texte, d'où une incompréhension au début. Puis intervient le frère du narrateur, de façon un peu impromptu. Le problème est qu'elle ne vaut que pour ce paragraphe et ne fait écho à rien d'autre dans le texte, si ce n'est au caractère du narrateur.

L'idée était en fait de faire mariner le lecteur, juste avant de découvrir la fin du chapitre et la révélation "fraternelle". Un artifice, un jeu, en somme ! C'est vrai qu'elle ne fait guère écho au reste du texte parce que je ne l'ai pas suffisamment préparée. Il y a matière à anticiper plus que je ne l'ai fait.


Merci encore (j'ai eu les réponses à mes questions) pour ce précieux commentaire ! :cheer:

Connexion ou Créer un compte pour participer à la conversation.

Plus d'informations
il y a 12 ans 7 mois - il y a 12 ans 7 mois #17539 par Krycek
Réponse de Krycek sur le sujet Re:Journal d'un Vrai Mystique

Je rencontrai, dans une auberge isolée au milieu de collines grises, par une nuit de déluge, un couple d’aventuriers détonnant. Il y avait là une masquée haut gradée, comme je l’ai découvert par la suite, et son antagoniste, un sulfirien auréolé de sa légende : la fameuse Balle. Les circonstances furent particulières et me semblent déterminantes de la suite de nos relations – car aujourd’hui, nous chevauchons ensemble en dépit de nos différends, c’est pourquoi je me dois de les relater. J’ouillai dans le lit de ma chambre, à travers sa mince cloison, des préparatifs d’assassinat dans la bouche d’écumeurs visant explicitement la Balle. Porté par les préceptes charitables des Uniques, je me levai et me faufilai en catimini dans la chambre du singulier duo. Je me précipitai trop et fus repéré par la masquée mais, après un échange furtif, les deux voyageurs m’accordèrent suffisamment de crédit pour fuir par la fenêtre sous une pluie battante. Je les suivis, conscient que ma vie était dorénavant autant en jeu que la leur, sans le regretter : deux vies étrangères valent mieux que la seule mienne.

Ici je dirai que tu as usé et abusé des boutons du magnétoscope ! Explication :
On est dans le passé, mode rapide : "je recontrai";
Arrêt sur image : "Il y avait";
Avance rapide : "dans le futur on est amis";
Flashback : "dans ma chambre" mais quand ?;
Avance lente : "me levai et me faufilai";
Avance rapide : "précipitai trop", "par la fenêtre"; (Je passe sur le côté assez mielleux de "l'échange furtif" qui mène à une confiance sans faille dès le premier regard...)
Arrêt sur image : apparemment dès à présent sa vie est en danger...

C'est assez semblable pour la suite avec l'enchevêtrement de certains paragraphes, certaines idées mélangées, etc. En lisant j'ai eu l'impression d'attendre quelque chose. Comme si la narration très rapide (vraiment très rapide) me menait à penser que tu cherchais à atteindre un objectif, une chute, une morale ou terminer une explication au coin du feu entre deux personnes qui se racontent leur histoire. Pourtant il est long ce résumé, très (trop) long pour un résumé.
Et effectivement, à la fin on comprend qu'il écrit une lettre ou résume son histoire à ses maîtres. Ce qui me semble vraiment dommage c'est que cette histoire racontée en accéléré (et du coup, à force de clichés, de raccourcis et de Deus Ex Machina) mériterait d'être racontée entièrement et posément.

Du coup je ne pense rien du narrateur, il ne dit pas de quel côté penche sa morale, de quel côté bat son coeur, ce qui le mène et le pousse à agir comme tel (non, dire que l'enseignement des Uniques le pousse n'est pas suffisant). C'est un journal (log) que l'on lit et encore, dépouillé des sentiments du narrateur.

Au final, il me semble que tu as voulu trop en dire sur un confetti. J'imagine que tu dois avoir envie d'en écrire dix fois plus sur la suite... Soit tu écris en détail toute cette histoire là, postée sur le forum, quite à faire un montage rapide avec des coupures menant droit au but, soit tu ellipses le tout par un "c'est une longue histoire et je n'ai pas le temps, etc...".

Bien sûr la première suggestion est AMHA la meilleure pour le lecteur. ;)

Connexion ou Créer un compte pour participer à la conversation.

Plus d'informations
il y a 12 ans 7 mois - il y a 12 ans 7 mois #17542 par Monthy3
Réponse de Monthy3 sur le sujet Re:Journal d'un Vrai Mystique
Merci pour le commentaire, Kry' !

Et effectivement, à la fin on comprend qu'il écrit une lettre ou résume son histoire à ses maîtres.

C'est dit dès les premières lignes, ça ;)

S'agissant du début, du récit de l'attaque de l'auberge, je passe "en accéléré" parce que le lecteur y a déjà assisté, et même en direct ! Ce, à travers le point de vue de Balthazar (ie la Balle), et à la fin du 1er tome du cycle. Du coup, je me sers de ce chapitre pour remémorer au lecteur cet événement, et d'un autre côté le chapitre du tome précédent me sert à situer le personnage qui désormais écrit à la première personne. Bon, dit comme cela, c'est tordu :P

Je pense que le reste du chapitre fait moins "avance rapide", non ? :? En tout cas, c'était mon intention...

ce qui le mène et le pousse à agir comme tel (non, dire que l'enseignement des Uniques le pousse n'est pas suffisant)

Théoriquement, tu sais qu'il poursuit une "quête", ce qui est dit dès le début, et l'on comprend au fur et à mesure qu'il cherche "quelqu'un". En théorie, du moins. L'enseignement des Uniques, lui, ne justifie pour l'instant que certains de ses actes et ses convictions (aider les gens en difficulté notamment), pas la totalité de ce qu'il fait et, en ce sens, tu as raison, ce ne serait pas suffisant.

C'est un journal (log) que l'on lit et encore, dépouillé des sentiments du narrateur

Mince, je voulais au contraire qu'ils affleurent. :dry: Bon, j'ai coupé certains passages, mais l'on peut notamment lire ici son dégoût pour ce qui est incomaptible avec sa foi (multiplicité de dieux, homosexualité (discret, ça)), admiration pour la Dame (et même un peu plus...), découragement, soulagement, détermination... En tout cas, j'ai essayé de le mettre :?

En fait, il y a aussi quelque chose qui ne peut que décevoir ici : j'ai coupé le passage-clef de ce chapitre, à savoir ce que justifie le "il est un spectacle", soit le titre même du chapitre... pas forcément compréhensible pour qui ne connaît pas le contexte. Cela peut expliquer (au moins en partie) ta frustration. Je croise les doigts ! :P Il manque là bien la moitié du chapitre, après tout.

Je le mettrais bien là, mais je pense que ce serait relativement indigeste :dry: Non ?

Connexion ou Créer un compte pour participer à la conversation.

Plus d'informations
il y a 12 ans 7 mois #17543 par Krycek
Réponse de Krycek sur le sujet Re:Journal d'un Vrai Mystique

C'est dit dès les premières lignes, ça.

Oui, oui. Et pourtant il arrive un moment où c'est tellement long qu'on se demande quand on a raté la fin du flashback...

Mais comme tu le dis, ne pas avoir l'ensemble n'aide du coup pas à la critique. :s

Connexion ou Créer un compte pour participer à la conversation.

Modérateurs: SanKundïnZarathoustra
Propulsé par Kunena