Monsieur Renier
- Vuld Edone
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J'ai depuis des mois l'histoire d'un renard dans un monde de lapins (en fait, elle est dans les Pitchs, en Taverne) et aujourd'hui, je me suis dit...
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Je me suis rendu compte que le seul texte que je pouvais écrire pour les Chroniques était une réaction à l'attente de "drama" du public. Je voulais écrire un accident de la route que le héros arriverait, et où il ferait exactement le contraire de tout ce qu'enseigne la sécurité routière, mais de façon dramatique, de sorte que le lecteur ne comprenne pas non plus pourquoi le policier, après coup, s'étrangle en apprenant la conduite du héros.
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Honnêtement, et quoique je continue de le travailler, les Anges appartient à la fanfic'. Et Fléau... est un projet repoussé sans fin. Le seul texte qui m'intéresse vraiment est une fanfic' qui n'a simplement pas sa place ici, parce que c'est une fanfiction et parce qu'elle est en anglais.
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C'est alors que je me suis rappelé ce pitch, et les premiers mots se sont imposés à moi : "Monsieur Renier se levait à quatre heures et demi..." Si j'ai les premiers mots, j'ai l'histoire.
J'ai donc commencé à l'écrire aujourd'hui, et arrivé à la septième page je me suis rendu compte que je pouvais continuer sans fin. J'ai alors décidé de m'arrêter là pour vous le soumettre.
Sans doute parce que je suis content, après tout ce temps, d'avoir enfin pu écrire un texte dont je suis un peu fier.
Monsieur Renier se levait à quatre heures et demi, avant l'aube, pour être fin prêt à sept heures tapantes. Sa lampe à huile s'allumait toute seule, petite merveille qui fascinait les habitants, et la flamme illuminait la chambre. Monsieur Renier bâillait alors, étirait les bras et jetait un regard à la fenêtre pour vérifier que les rideaux étaient bien tirés, puis à la porte pour s'assurer qu'elle était fermée, avec la clé de cuivre dans la serrure.
Le masque de monsieur Renier se trouvait sur la table de nuit, à côté de la lampe à huile. Le masque avait un manche fin et doré dont monsieur Renier, après une minute à paresser, se saisissait pour placer le masque à quelques centimètres de son museau. Il se levait alors, enfilait ses pantoufles puis sa robe de nuit qu'il attachait à deux noeuds et dont les manches lui couvraient les pattes. Ainsi habillé, la queue entre les pattes et le masque au visage, monsieur Renier allait déverrouiller la porte de sa chambre pour traverser l'appartement jusqu'à sa salle de bain.
Il verrouillait ensuite la porte de la salle de bain, s'assurait qu'elle était fermée avant de se tourner vers le lavabo et son petit miroir, ses brosses et ses savons. Dans le miroir le visage de monsieur Renier était caché par le masque de lapin souriant, tout blanc avec de longues oreilles, et seuls les yeux fauves et jaunes de son vrai visage étaient visibles. À côté du lavabo s'ouvrait la baignoire, avec ses rideaux, ses innombrables savons et parfums, sels et herbes aromatiques, et ses tuyaux de cuivre courant depuis les robinets le long des murs. Monsieur Renier ouvrait les robinets, laissait couler l'eau chaude puis posait le masque, prenait une brosse et se mettait à soigner son pelage.
Durant deux heures monsieur Renier restait dans la salle de bain, à se peigner, à se baigner, à se huiler et à se parfumer. On disait de lui qu'il était le lapin le plus propre et raffiné de la ville.
Une fois lavé, monsieur Renier remettait sa robe de chambre et reprenait son masque, déverrouillait la porte pour traverser le salon et revenir à sa chambre où il s'enfermait à nouveau. Il approchait alors de la grande et vieille armoire pour l'ouvrir et, après un oeil à la fenêtre, en tirait ses vêtements. Les chausses étaient blanches et la chemise également, ainsi que le jabot pompeux. Il mettait par-dessus un gilet noir, des bottes noires et un pantalon couleur de terre sombre. Il fallait que les bottes remontent haut et soient bien lacées d'un double noeud. Ensuite, il enfilait son manteau couleur de terre si commun et si chatoyant qui fascinait les habitants, à double boutons, ajoutait la pèlerine et enfilait enfin ses longs gants blancs aux boutons de cuivre brillants qu'il tirait bien sur les manches.
Puis il attachait avec une petite ceinture le bout de sa queue contre sa patte gauche, au pantalon, pour qu'elle ne remue pas ou ne pointe pas sous le manteau. Alors seulement, vêtu ainsi, une patte tenant le haut de forme et l'autre le masque, monsieur Renier allait à la fenêtre se montrer à la rue.
Il était alors proche de sept heures et les derniers travailleurs se pressaient, mais prenaient quand même le temps de lever la tête pour saluer monsieur Renier. Les marchands à leurs échoppes, balayant l'entrée, le saluaient également, et il les saluait en retour de son masque souriant avant de retourner à l'intérieur.
La concierge mademoiselle Pie, pauvre veuve, venait alors frapper à la porte avec un plateau de bois sur lequel elle mettait son déjeuner et le journal. Quand elle tardait, monsieur Renier se sentait nerveux, et les petits coups à la porte le rassuraient aussitôt.
« Bonjour monsieur, » disait la bonne lapine en souriant, « une belle journée ensoleillée ! »
« Samuel n'est pas encore arrivé ? » Demanda monsieur Renier.
Il tenait le masque bien droit devant son visage et souriait derrière à la bonne concierge, laquelle pouvait percevoir ce sourire mais ne fixait que le masque. Monsieur Renier, bien malgré lui, la dépassait presque d'une tête.
« Non monsieur, » dit-elle en retour, « le petit finira par vous mettre en retard ! »
Monsieur Renier sourit encore en prenant le plateau et en la remerciant, et mademoiselle Pie, comme intimidée, improvisa cette courbette qu'elle s'entêtait à faire à chaque fois, un petit hochement de tête avant de s'en aller.
Il restait alors une poignée de minutes à monsieur Renier pour poser le plateau à la table de la cuisine, s'asseoir et parcourir le journal. Il était avide de baies et de petits fruits, ainsi que de pain, mais ne prenait qu'un petit ballon blanc et frais qu'il ne pouvait ni croquer ni mâcher doucement. Monsieur Renier mangeait et lisait tout en tenant son masque, passant la fourchette derrière jusqu'à sa bouche et buvant de même, avec douceur, ce qui faisait dire de lui qu'il était maniéré. Il se forçait à finir la salade, goûtait la sauce du doigt et achevait son verre avant de se lever, le journal sous le bras, au bruit de la voiture s'arrêtant sous sa fenêtre.
Monsieur Renier se levait alors et vérifiait, une dernière fois, que gants et bottes étaient bien mis, que la ceinture serrait sa queue à la patte et que le jabot remontait bien haut et bouffant. Ensuite il sortait dans le couloir, refermait derrière lui la porte et mettait la clé dans la plus haute poche de son manteau, avant de fixer son haut de forme sur la tête. Il salua encore mademoiselle Pie qui nettoyait dans le couloir, descendit l'escalier et croisa Catherine, qui habitait à deux portes de la sienne, et qui rougit vivement en le voyant. Monsieur Renier, dans l'escalier de l'immeuble, avait fort belle allure, et elle osait à peine se présenter devant lui dans sa petite robe toute simple.
« Comment allez-vous madame Brême ? » La salua monsieur Renier de son sourire masqué qui la fit rougir encore plus.
Il aurait voulu lui dire quelques mots de plus, retirer son chapeau et lui parler mais c'aurait été indécent, et la pauvre était déjà bien assez gênée. Catherine répondit quelques mots gentils puis, comme rayonnante d'avoir pu parler à monsieur Renier, elle alla ouvrir sa porte à l'étage. Lui de son côté salua encore monsieur Palin avant de sortir et de trouver la grande rue où l'attendait Samuel.
Le petit lapin brun tacheté était ridicule avec sa casquette, à tenir les rennes du poney qui mâchait le mors, assis sur la banquette à l'avant de la voiture noire. Les petits du quartier l'appelaient encore Tactac et passaient vite lui causer avant l'arrivée de monsieur Renier qui, à sa seule apparition, les faisait s'égailler dans toutes les directions. Le petit Samuel tirait alors sa casquette et l'agitait pour son passager au manteau chatoyant.
« Monsieur Renier ! » Lançait-il fièrement. « Alors, c'est de quel côté qu'on va ? »
Et tout heureux le garçon faisait battre encore les rennes, et le poney piaffait et tapait du sabot. Monsieur Renier masquait son sourire, posait la botte sur le marchepied et grimpait s'asseoir dans le siège en cuir.
« Chez les de Sursis, » lui dit-il alors, « puis au tribunal. »
« C'est parti ! » Se réjouit Samuel, tout heureux de son rôle, avant de se tourner : « C'est où ça, chez les Sursis ? »
« Le manoir avec une tourelle » répondit-il sans s'émouvoir, « rappelle-toi. »
« Ah oui ! » Lança le petit avant de faire claquer les rennes.
La voiture s'ébranla et monsieur Renier se laissa tirer par les rues de la ville, comme plongé dans ses pensées, et les passants en le voyant venir semblaient se réjouir soudain, puis causaient entre eux, une fois la voiture disparue, pour dire comme il paraissait songeur et grave ce matin.
En vérité monsieur Renier était ennuyé à l'idée de retrouver les de Sursis, moins pour leur amitié débordante que pour leurs discussions. Il songeait que chaque lapin qui filait à son regard aurait été une présence plus agréable que le sévère monsieur de Sursis, et que sa femme à la frimousse aimante. Samuel, le torse bombé, menait sans mot dire et fouillait parmi les hautes maisons, leurs toits de tuiles et leurs gouttières de métal, pour voir s'il y avait une tourelle.
Ce n'était pas la faute de Samuel, qui était très intelligent, et qui voulait plaire à monsieur Renier. Mais il craignait de manquer le manoir et n'avait plus en tête qu'il y aurait aussi des jardins et un grillage. Sa mémoire n'avait retenu que l'idée d'une maison avec une tourelle, et tandis même qu'il dirigeait la voiture vers les quartiers chics, il désespérait de trouver une telle maison dans une si grande ville.
Les grands bourgeois de la ville s'étaient établis en hauteur, sur la butte, en deux longues avenues de grands manoirs qui rivalisaient de fontaines et de dorures et qui réclamaient qu'on pave les routes au lieu de la terre molle et boueuse après la pluie. Par compromis on avait pavé les bords longeant leurs grilles, et la butte avait ainsi les seuls trottoirs de toute la ville.
« On y est ! » Déclara le jeune lapin.
Il s'était tourné vers son passager, triomphant, pour lui pointer du doigt le manoir le plus proche flanqué d'une tour dont le toit de tuiles ocres fit soupirer monsieur Renier. C'était bien le manoir des de Sursis, et il hocha la tête sous son haut de forme, avant de détourner le regard. Les enfants jouaient dehors, sur les pavés ou dans les jardins, accompagnés de nourrices qui les menaient aussi au parc ou à leurs leçons, et qui saluaient Samuel avant de se faire gronder.
En voyant approcher la voiture, le jardinier des de Sursis sembla s'agiter. Il fit signer à la porte d'entrée d'où émergea un serviteur tout en livrée qui alla à grandes enjambées jusqu'au portail pour l'ouvrir et se poster devant au moment où le petit Samuel s'y arrêtait.
« Je vous reprends quand ? » Demanda encore Samuel, tandis que son passager descendait. « C'est que, on préfère ne pas me voir ici. »
« Quand la grande aiguille sera tout en bas » lui répondit monsieur Renier. « Là-bas, au clocher. »
Samuel tourna les yeux vers le clocher de l'hôtel de ville, à peine visible derrière le manoir, et qui émergeait de la grande place. Les coches et les aiguilles étaient dorées et resplendissaient au soleil matinal. Il pouvait voir la plus grande encore penchée et hocha la tête. Il fit battre les rennes avec un empressement qui agaça le serviteur, et la voiture repartit dans l'avenue tandis qu'on annonçait l'hôte des de Sursis.
Charles de Sursis avait déjà été averti que son invité arrivait, et était passé au grand salon l'annoncer à sa famille. Les petites s'étaient dressées et s'agitaient autour de leur père, toutes joyeuses à l'idée de cette visite, et le petit de la famille, un peu plus réservé, rayonnait aussi. Madame de Sursis, après un regard aux deux nourrices, reprit la lecture de son journal.
« Chérie, voyons ! » S'indigna le bon de Sursis. « C'est monsieur Renier ! Laisse ce journal. »
Elle eut un sourire fin et des yeux charmeurs pour son mari. « Vous ne connaissez pas les lapins, Charles. Il ne veut pas de cérémonie. Laissez-le nous surprendre dans notre routine, et vous le ravirez. »
« Et pourquoi pas le recevoir en chemise de nuit ! » Se fâcha le mari.
Mais à l'entrée le majordome prononça fort le nom de monsieur Renier, et monsieur de Sursis, entouré de ses enfants, choisit de passer derrière les sièges du salon pour aller regarder par la fenêtre. Sa femme eut encore un sourire fin et fit mine de lire les nouvelles, tandis que les nourrices renvoyaient les enfants à leurs jeux.
On entendit les pas secs du majordome, et ceux infiniment plus silencieux de l'invité qui apparut enfin, dans son grand manteau chatoyant, le haut de forme tenu sur le côté. Les filles le trouvèrent aventureux ; le mari le trouva solennel ; son fils le sentait terrible ; et Marie de Sursis, abaissant un peu le journal, posa sur lui ses petits yeux de lapine avant de délaisser le journal.
« Retirez votre manteau, voyons. » Lui dit-elle doucement.
Le mari faillit se fâcher encore, tant il trouvait la proposition indécente, et se conforta au refus de monsieur Renier qui, s'avançant, eut quelques mots gentils pour les filles. La voix de monsieur Renier n'était pareille à nulle autre, comme enchanteuse, en même temps douce et sauvage. Son regard embrasait l'imagination, et ses gestes savants étourdissaient les esprits des lapins en sa compagnie. La cadette avait oublié les histoires qu'il savait raconter et ne se pressait devant lui que pour voir ce grand lapin dont elle se croyait amoureuse.
« Charles » dit monsieur Renier en lui tendant sa patte gantée de blanc. « Quelle forme vous tenez ! On dit que vous abattez le travail. »
On ne disait rien, mais monsieur de Sursis, flatté et ravi qu'on s'intéresse à ses affaires, se mit à parler abondamment des trois derniers jours comptables, de la paperasse et des tracasseries que lui faisaient ses directeurs. Il trouvait malheureux que la fourrure coûte si cher, et se refusait à le comprendre. Il employait les mêmes mots qu'il avait employé voilà deux semaines, à la dernière visite de monsieur Renier, et qui pour Charles ne datait que de quatre jours au mieux.
Cependant monsieur Renier s'était tourné pour saluer madame de Sursis qui s'était levée et lui avait tendu sa main gracile, sur laquelle il pencha son masque pour la toucher. Elle sentit le contact froid du masque en plâtre et frissonna, puis remercia monsieur Renier d'un regard, pour cette attention.
« Avez-vous vu notre nouvelle allée ? » Demanda-t-elle, brisant le discours de son mari. « La jardinière veut y mêler trois espèces de roses. »
« Pimprenelle, cannelle et synstylae. » Dit au hasard monsieur Renier. « C'est un choix à la mode. »
« Comment avez-vous deviné ? » S'étonna Marie de Sursis.
Elle-même n'avait aucune idée qu'on pouvait donner des noms aux roses, autres que rose, et elle avait déjà oublié les noms qu'il avait donnés, sinon qu'ils étaient beau et instruits quand monsieur Renier les prononçait. La lapine se sentit rougir, comme percée à jour devant l'intelligence de cet invité dont le regard pouvait tout saisir.
« Qu'en dites-vous, Charles ? » Demanda monsieur Renier en revenant au mari. « Nous allons voir cette allée ? »
« Très peu pour moi, » s'excusa ce dernier, fâché de ne plus parler de ses entreprises. « La nature, c'est bon pour les renards. »
Monsieur Renier tiqua, ce qui ne se vit pas derrière son masque.
« On n'a pas bâti les maisons, cousu des habits et réglé l'heure pour retourner dans les terriers des champs ! » Continua Charles de Sursis. « Vous êtes d'accord, monsieur Renier ? De la brique et du métal, voilà l'environnement qui convient au lapin de notre temps ! »
Ses petites, gardées par les nourrices, tendirent l'oreille en entendant leur père élever la voix. Elles le virent fier et impétueux, présenter d'un grand geste le portrait qui trônait dans la pièce.
« Les de Sursis se sont battus pour que nous vivions proprement ! Ce sont des gens comme mon père, comme mon grand-père, qui ont abattu les renards et qui ont bâti ces maisons ! » Il était au moins aussi fier de parler de sa famille que de ses affaires. « Nous avons inventé la vapeur et le rouage, l'eau chaude et le gaz ! Et elle veut » dit-il, l'air complice, à monsieur Renier, « que je retourne vivre dans les bois ? »
Charles de Sursis, voilà deux semaines, avait été le premier à vouloir montrer un marronnier fraîchement planté dont il avait imaginé avec verve comment s'étendraient les branches. Il trouva dans le masque aimable de monsieur Renier un accord tacite qui le ravit tout à fait, et fit face à Marie qui ne cessait de sourire finement.
« Nous irons donc seuls » conclut-elle, et elle tourna les yeux sur monsieur Renier.
Ce dernier hocha la tête avec amabilité : « Un mot encore à votre mari, et je vous rejoins. »
Marie de Sursis, comme charmée, alla d'un pas presque pressé quitter la pièce et descendre à l'entrée. Les filles voulurent sortir aussi, mais il fallait attendre un professeur et leur père, gravement, intima qu'elles restent, avant de quitter le grand salon accompagné de son invité. Ils reparlaient d'affaires, de marchés et du coût des matières, et monsieur Renier par petites touches suggérait ici ou là quelques opérations dont le sévère de Sursis songeait aussitôt qu'il fallait les faire, et se réjouissait de l'idée avant de l'exposer à son tour, une minute après.
Puis il se coupa encore, tandis qu'ils traversaient le salon d'été où se trouvaient le piano et la harpe dont monsieur de Sursis voulait absolument que son fils sache jouer.
« Quelle reconnaissance avons-nous, monsieur Renier ? » Dit-il comme à un confident. « Ma femme peut-elle comprendre ce que c'est ? De la brique et du métal, voilà l'environnement qui convient au lapin de notre temps ! »
Et il reprit fièrement sa tirade en passant devant les armoiries de sa famille, le long des fenêtres du salon, sans un regard pour l'allée dehors où travaillait la jardinière. Monsieur Renier l'écoutait et le suivait calmement, sans mot dire, hochant doucement la tête quand Charles tournait son regard. Puis il s'arrêta soudain et, s'excusant :
« Les affaires m'appellent » dit durement monsieur Renier, « je vais devoir vous laisser. »
Monsieur de Sursis devint sérieux à son tour : « Certainement, certainement. »
Il sembla à ce mari qu'ils avaient parlé des heures, toute la matinée, et s'étonna presque de voir qu'il soit à peine la demi, mais y vit deux choses tout à fait différentes.
« Vous êtes un bon ami, monsieur Renier. » Lui dit encore Charles en lui serrant la patte gantée. « Si seulement tous les lapins pouvaient être comme vous ! »
« Et comme vous, Charles. » Répondit ce dernier d'un ton complaisant.
Ils se séparèrent, le majordome raccompagnant monsieur Renier à l'entrée où l'attendait patiemment madame de Sursis. Cette dernière, en le voyant paraître, se dressa et fit quelques pas vers lui, puis remercia le majordome d'un geste ennuyé. Elle le laissa alors la suivre dehors, sur l'allée centrale, et elle ne put s'empêcher de rire.
« Mon mari vous a bien retenu. »
« J'aurais voulu qu'il prononce votre nom plus souvent. »
Elle mit une patte devant son museau. « Monsieur Renier, cela ne se dit pas. »
Monsieur Renier avisa le portail derrière lequel manquait Samuel et sa voiture noire. Il craignit que, pour quelque raison, son cocher ait mal compris à quelle heure le reprendre, et qu'il se retrouve bloqué pour une demi-heure encore. Puis il sourit à madame de Sursis et s'apitoya un peu pour elle, lapine encore jeune, pleine de vie, enfermée derrière la grille et le titre de ce foyer, comme ces animaux que l'on piégeait en cage avec une simple friandise. L'idée d'aller dans cette allée le tentait, mais il craignait qu'elle aussi, sur une excuse, se mette à parler de renards. Ce sujet revenait sans cesse, comme une rage, au manoir des de Sursis.
La voiture, heureusement, arriva avant qu'ils ne s'y engagent, et Samuel se dressa un peu comme si le portail avait été un battant plein, pour voir par-dessus s'il pouvait repérer le manteau chatoyant et le haut de forme de monsieur Renier. Il le vit et agita sa casquette, et monsieur Renier se détacha de la charmante Marie de Sursis.
« J'aurais apprécié rester plus » susurra-t-il doucement, « mais le monde ne me lâche pas. »
« Vous êtes très demandé » dit-elle, dépitée.
Il sourit : « Mais vos allées sont les plus belles. »
Elle rougit à ces mots, comme embarrassée, le remercia et dans sa tête la lapine s'imagina qu'ils s'étaient promenés dans cette allée qu'elle-même avait à peine aperçu, qu'elle concevait en fleurs, et dont monsieur Renier connaissait si bien chaque bourgeon. Elle dirait plus tard à ses filles, dans le dos de son mari, comment monsieur Renier s'était montré charmant durant la promenade, puis songerait longuement en attendant sa carte.
Monsieur Renier s'assit, soupira, ce que Samuel prit pour tout autre chose, puis dit : « Au tribunal. »
Samuel fit battre les rennes et le poney se remit en train, tirant la voiture sur l'avenue de terre, le long de ces toits que monsieur Renier ne voulait pas voir.
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- Mr. Petch
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Une fois lavé, monsieur Renier remettait sa robe de chambre et reprenait son masque, déverrouillait la porte pour traverser le salon et revenir à sa chambre où il s'enfermait à nouveau. Il approchait alors de la grande et vieille armoire pour l'ouvrir et, après un oeil à la fenêtre, en tirait ses vêtements. Les chausses étaient blanches et la chemise également, ainsi que le jabot pompeux. Il mettait par-dessus un gilet noir, des bottes noires et un pantalon couleur de terre sombre. Il fallait que les bottes remontent haut et soient bien lacées d'un double noeud. Ensuite, il enfilait son manteau couleur de terre si commun et si chatoyant qui fascinait les habitants, à double boutons, ajoutait la pèlerine et enfilait enfin ses longs gants blancs aux boutons de cuivre brillants qu'il tirait bien sur les manches.
Paragraphe d'introduction assez classique, de description où chaque substantif à son épithète, mais avec suffisamment de modération pour ne pas paraître trop gonflé. J'apprécie les petits accidents comme le "jabot pompeux", parce qu'on ne sait pas si "pompeux" est simplement l'épithète de "jabot" ou s'il faut lire "le jabot était pompeux", ce qui ne veux pas dire sensiblement la même chose.
Les descriptions sont fluides mais je trouve que tu aurais pu travailler davantage le vocabulaire : on est clairement dans un texte qui veut paraître un peu désuet (dans les thèmes, dans l'univers qui me rappelle quelque chose comme Le vent dans les saules) et il n'aurait pas été inutile d'utiliser un vocabulaire un peu plus précieux, voire daté lui-même, qui aurait bien collé avec le reste. C'est une piste d'amélioration.
Ensuite il y a le côté badin des dialogues. Je dois dire que c'est ce qui me chiffonne le plus. Pourtant les apartés psychologiques fonctionnent plutôt bien, que ce soit ceux du jeune Samuel, la présomption ridicule et bourgeoise de M. de Sursis (quoiqu'un peu forcée, cette dernière), ou surtout, les rêveries bovaryennes de Mme de Sursis - à ce propos le passage que j'ai le plus apprécié est celui-ci :
Il sourit : « Mais vos allées sont les plus belles. »
Elle rougit à ces mots, comme embarrassée, le remercia et dans sa tête la lapine s'imagina qu'ils s'étaient promenés dans cette allée qu'elle-même avait à peine aperçu, qu'elle concevait en fleurs, et dont monsieur Renier connaissait si bien chaque bourgeon. Elle dirait plus tard à ses filles, dans le dos de son mari, comment monsieur Renier s'était montré charmant durant la promenade, puis songerait longuement en attendant sa carte.
Le sentiment que la seule phrase, suffisamment absurde pour être crédible, de Renier "Mais vos allées sont les plus belles." vaut pour une promenade entière dans l'imagination fertile de la lapine est bien rendue ; et on sait plus haut que Renier est connu pour les histoires qu'il raconte.
Pour revenir aux dialogues... Je ne sais pas, je les trouve faibles. Certes, ils vont avec le ton assez bourgeois de l'ensemble mais ils manquent de fausses notes, à l'exemple de "Vos allées sont les plus belles".
Et en fait ce dernier sentiment résume assez bien mon impression générale d'absence d'enjeu. Ce n'est pas forcément désagréable, et il y a un plaisir à sentir que quelque chose ne va pas (ce renard derrière un masque de lapin que personne ne semble démasquer vraiment) et d'attendre le moment où l'intrigue va bondir. Mais là, l'attente est longue, et le seul résultat, qui est un bon début mais insuffisant au regard de l'attente que tu as créé avec les premières lignes, et un marivaudage un peu pataud entre notables.
Tout le long de ma lecture j'ai attendu le décalage, même hors champ, en pensant que le ton archi-académique que tu employais était, comme le masque de Renier, un voile derrière autre chose... Et je suis un peu deçu, au final.
Peut-être manque-t-il simplement davantage de fausses notes comme celles pointées plus haut, davantage de décrochement de la banalité pour que le lecteur reste en haleine et se persuade que, oui, il va se passer quelque chose. Non qu'il faille absolument qu'il se passe quelque chose, mais il faut garder le lecteur en appétit, en attente.
Bien sûr, par rapport à beaucoup de tes autres textes, celui-ci est moins hermétique. Il se lit sans difficultés et presque sans question. Est-ce bien ? Je ne sais pas... J'apprécie l'hermétisme de tes autres textes, le côté ludique, symbolique. J'ai peur ici de le voir complètement disparaître, comme si tu forçais le trait dans l'autre sens. Et je me dis que c'est peut-être cela qui manque : l'étrangeté que, d'habitude, tu sais parfaitement dépeindre en étourdissant le lecteur d'allusions incompréhensibles.
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- Vuld Edone
- Auteur du sujet
- Hors Ligne
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C'est l'anti-Fléau.
Le projet d'origine était bien plus resserré et structuré - pas de Samuel, pas de de Sursis, Renier se rendait immédiatement au tribunal.
Mais tout le texte repose sur une chose. Les lapins sont stupides. Ils ont une très faible mémoire et peinent à raisonner. Le tribunal en sera la parfaite démonstration, et le lecteur les verra inévitablement comme tels.
Or Renier est "humaniste" : il veut justement croire le contraire, que les lapins sont ses égaux.
Renier est une réflexion sur le pari humaniste, ainsi que sur la thématique du "1%".
Et comme je suis plutôt du côté humaniste, je me suis rapidement désintéressé de l'intrigue pour ces "digressions" de vie courante et banale, sans but, à essayer de voir les lapins sous un meilleur jour.
Au fond l'intrigue elle-même n'est pas bien passionnante, plutôt classique, avec son drama et ses rebondissements théâtraux...
Les remarques sont bonnes, surtout pour le vocabulaire. Mais je crois que je trouve trop de plaisir à errer loin de l'histoire pour m'en priver.
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- Zarathoustra
- Hors Ligne
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Il y a d’abord la première partie, que j’appellerais le rituel de la préparation. Tu emploies l’imparfait, et effectivement, on a cette impression de quelque chose d’immuable, à tel point qu’il en devient étouffant.
Tout est méthodique. Tout est cloisonné. Derrière ce rituel, il y en a un second, celui du masque. On assiste ainsi à un grimage. Le renard se déguise en lapin. Et il le fait si méticuleusement, qu’il y a comme une souffrance à le voir nier qui il est (ou plutôt à vouloir apparaître comme le contraire). Donc ici, tout se joue dans l’apparence, sachant qu’on sait quelle est la réalité.
Donc ton style à la fois précis, neutre, méticuleux, est parfait. Il y a même une volonté à faire du non-style, et c’est ce qui d’ailleurs rend la lecture plaisante et presque angoisante.
Dans cette partie, j’ai noté la présence à trois reprise du cuivre, or je sais que chez toi, le cuivre fait partie de tes symboliques (dont je n’ai pas forcément percé le mystère). Il me semble que tu associes le cuivre (et le métal qui est cité plus loin) au monde des démons… J’ignore si c’est une coïncidence ou si c’est une piste , à toi de me dire. Et j’ai très envie que tu m’en dise plus pour une fois.
Ensuite, il y a tes personnages. Donc nous avons ce renard, qui est un fauve, au milieu de lapins. A ce stade, on ignore s’il est dans la ruse et donc une menace dans ce monde de lapins, ou s’il est sincère et s’il veut s’adapter. D’ailleurs, cela crée une vraie tension narrative. Or le paradoxe, plus on avance dans le récit, et plus on a le sentiment inverse : que le renard est une victime. Et j’ai resenti une vraie souffrance à partager l’aventure de ce renard dont on n’a au contraire terriblement envie de voir ôter son masque et libérer sa sauvagerie dans ce monde si étouffant.
Le fait de placer ton histire en employant des animaux est un vieux procédé (qui a surtout été exploité par le monde de la BD ces dernières décennies) mais qui lui donne un attrait immédiat. Du coup, le texte s'inscrit dans une sorte de tradition un peu familière et qui permet d'utiliser un unvivers personnel qui soit familier à tout le monde en même temps.
Les autres personnages sont d'ailleurs parfaitement croqués. Bien sûr, ce sont des archétypes mille fois vus, mais il n’empêche que tu les rends tout à fait crédiblse en quelques mots et tout concourt à rendre ce monde étouffant pour le renard. Seul exception : Samuel. Il est le seul à s’exprimer différemment, de manière très courante et non précieuse. Il est le seul à offrir un certain capital sympathie car on le sent sincère, vivant, et non dans l’artifice et l’engoncement.
Bien sûr, dans ces personnages, il y a surtout ce renard qui attire l’attention. Il apparait dans ce monde comme une créature dotée de pouvoir surnaturel. A sa seule vue, il sucite intérêt et fascination des autres, comme s’il était plus lapin que quiconque, ou tout du moins, tous les lapins avait envie d’être secrètement comme lui. L’autre pouvoir de ce renard est dans sa voix. Chaque mot qu’il prononce, même le plus anodin, trouve une étrange réisonnance dans ses interlocuteurs. C’est comme si tout ce qu’il disait avait plus de portée que les mots eux.mêmes.
La fameuse phrase des allées fonctionne d’ailleurs à plein. Dans sa bouche, « vos allées sont les plus belles » équivaut à un « je vous aime » ou « j’aime tes nichons », ou les deux à la fois. Il ya la fois quelque choses de banale, de cryptés et d’érotique. Et bien sûr, chaque interlocuteur comprend ce qu’il n’a pas dit. Donc la puissance des dialogues est justement de dire ce qu’ils ne disent pas.
Contrairement à M Petch, je trouve que ce sont les dialogues où tu brilles le plus. Leur banalité apparente contribue aussi à créer le malaise qu’on éprouve pour le renard et à mettre en valeur son pouvoir sur les autres. En ce sens, nous sommes bien face à un fauve qui attire à lui ses victimes. Mais on découvre qu’au final, que ce sont les lapins qui ont chassé le renard et que ce qu’on voyait comme un fauve est en fait une victime.
Et c’est bien là le côté très tragique du texte, presque cruel. Le renard est obligé de vivre et prendre les traits de ses bourreaux. Il cherche à se rapprocher d’eux sauf que plus il le fait, plus il souffre et plus cela lui coûte. Pour ma part, j’ai vraiment senti un malaise à lire ton texte, celui de ce renrd en l’occurrence.
Donc puisque je parlais du style, sa froideur, son côté quasi administrative rend au contraire l’émotion plus forte. Je voulais d’ailleurs lancer un sujet sur le style suite à une discussion sur France Culture qui critiquais justement le « beau style », et que le meilleur style est justement celui derrière lequel on sent le moins l’auteur. Ton texte en est l’illustration parfaite. On est pas dans le « beau style », on est dans un style au service de ton récit et de ce que tu veux exprimer.
Pour ce qui est du texte, spontanément, au départ, sans d’ailleurs savoir trop pourquoi, j’avais lu ta première partie comme une métaphore de l’écrivain que tu peux toi-même être en train de se grimer pour t’adresser à tes lecteurs. Et que pour être compris et apprécié, tu dois grimer ton écriture et ce que tu as envie de faire. Et je voyais tout ce récit comme tel. Là aussi, j’aimerais vraiment savoir si c’est moi qui affabule ou si ça t’a effleuré l’esprit…
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- Vuld Edone
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Allons plus loin : Renier est un "self-insert".
Pour la symbolique, il faut réfléchir en extrêmes : "blanc / noir", "bien / mal", "vrai / faux", "grand / petit", "chaud / froid", "tout / rien"... "chien / chat", "bois / diamant", "or / cuivre"...
Dans ma philosophie, deux extrêmes forment une opposition avec un juste milieu : "blanc / rouge / noir", "or / argent / cuivre"... Le but étant de toujours être au milieu. Ni trop gentil ni trop méchant, ni trop fort ni trop faible, etc...
Le cuivre appartient donc à une échelle de valeurs, des métaux précieux, et correspond au métal ayant le moins de valeur (j'avais douze ans). Le cuivre veut littéralement dire "tu ne vaux rien". Ca s'applique au faible, à la bête ou au démon.
À noter que le juste milieu est à son tour un extrême.
Par exemple pour "blanc / rouge / noir", si c'est rouge et pas gris, c'est parce que le juste milieu est un état impossible. Cela reviendrait d'une part à se figer, alors qu'on tend sans cesse d'un côté ou de l'autre (si possible à être gentil) ; et cela reviendrait à nier la morale.
De même, l'argent (attribué aux hommes) est utilisé pour l'armement des chevaliers parce que ce dernier varie selon son porteur : la même épée entre les mains de deux individus différents peut passer de la brindille de bois à l'espadon en diamant.
Que ce soit le cuivre ou les toits ocres, il ne s'agit que de souvenirs. Renier est dépourvu de symbolique.
C'est juste l'histoire d'un renard dans un monde de lapins. L'histoire du pari humaniste qui aurait tourné court.
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- Zarathoustra
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D'ailleurs, ces lapins me font fortement pensés à ceux de la série "Donjon" en BD.
Cela dit, ils finissent par être touchants mêmes dans leur bêtise car on dirait qu'ils ont conscience de leur limite, cela resort vraiment d'aileurs par l'impression que produit sur eux le renard, comme s'ils l'enviaient parce qu'ils savent qu'il est au-dessus d'eux.
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- Vuld Edone
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Tout autant que le traitement des gardes en fantasy -- avec le paroxysme du soldat qui se suicide de peur... Sauf que pour les gardes, ça ne choque personne (ou bien ?)
Tout autant que la vision du parti républicain aux USA et leur 1% -- en fait, ma vision est plus optimiste que la leur.
L'humanisme a traversé une révolution (française) et deux guerres (mondiales). Dire qu'il "ne se porte pas très bien" est un euphémisme.
Écoute quelqu'un te parler des fonctionnaires (ou des politiciens... ou des étrangers) et demande-toi si c'est vraiment éloigné de mes lapins.
Je pars, avec mon monde de lapins, à l'opposé du pari humaniste. C'est là pour moi la véritable tension du texte, et l'intrigue n'est là que pour pousser Renier dans ses derniers retranchements.
Et comme je n'aime pas les extrêmes, autant si Renier abandonne son pari humaniste ça va finir dans le bain de sang, autant s'il s'accroche trop à ce pari il va se faire tuer.
Renier va bientôt arriver au tribunal, et tu auras l'impression d'assister à une scène particulièrement absurde, destinée à exemplifier la "bêtise" des lapins. Et pour être honnête au départ c'était juste ça. Mais j'ai lu un article du NYT (et écouté une conférence de presse) où la population faisait preuve d'une confiance aveugle en leurs représentants -- et se déchargeaient, en fait, de toute responsabilité, se considérant incapables de juger eux-mêmes. Sur ce point la réalité dépasse de loin la fiction.
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- Mr. Petch
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Donc nous avons ce renard, qui est un fauve, au milieu de lapins. A ce stade, on ignore s’il est dans la ruse et donc une menace dans ce monde de lapins, ou s’il est sincère et s’il veut s’adapter. D’ailleurs, cela crée une vraie tension narrative. Or le paradoxe, plus on avance dans le récit, et plus on a le sentiment inverse : que le renard est une victime. Et j’ai resenti une vraie souffrance à partager l’aventure de ce renard dont on n’a au contraire terriblement envie de voir ôter son masque et libérer sa sauvagerie dans ce monde si étouffant.
J'ai ressenti également la "souffrance", peut-être pas en ce terme, mais disons un malaise très fort. Tu parviens à gérer le point de vue complexe du renard parmi les lapins, même si je n'avais pas saisi d'emblée la notion de pari humaniste. Mais à la relecture, et en l'ayant en tête, c'est en effet une clef de lecture. Je ne pense pas que ce soit la seule.
Car... je ne suis pas allé vers le ressenti du renard en "victime", comme Zara. Jusqu'au bout son comportement reste ambigu pour moi et je ne trouverais pas invraisemblable qu'à la scène suivante il en égorge un ou deux. Et j'en reviens à ce qui manquait, pour moi, dans le texte : l'action, le drame.
Réfléchir à une façon d'insérer, de souligner, le pari humaniste par le drame ; faire basculer le personnage d'un côté ou de l'autre de la barrière par un acte symbolique... Non que l'indécision du caractère de Renier soit déplaisante. Mais j'ai le sentiment que pour toi, le sens est clair : Renier est un humanisme et du coup l'indécision n'a pas de raison de durer.
D'ailleurs, ces lapins me font fortement pensés à ceux de la série "Donjon" en BD.
Cela dit, ils finissent par être touchants mêmes dans leur bêtise car on dirait qu'ils ont conscience de leur limite, cela resort vraiment d'aileurs par l'impression que produit sur eux le renard, comme s'ils l'enviaient parce qu'ils savent qu'il est au-dessus d'eux.
Là aussi ma lecture diffère un peu de celle de Zara ; un peu seulement. J'ai lu les lapins comme des "singes" ; i.e. comme des créatures qui essayent de "singer" les humains là où Renier, lui, y est arrivé (justement pas sa duplicité). J'ai ce sentiment justement à cause du côté théâtral exagéré des lapins : on a le sentiment qu'ils jouent volontairement un vaudeville du XIXe. Mais je surinterprète peut-être à ce stade...
Mr Petch
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- Vuld Edone
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Forcément que dans ces conditions, Renier soit le meilleur acteur. Renier cherche à imiter les lapins qui cherchent à imiter les renards.
Le problème c'est qu'une fois l'intrigue lancée, si Renier va sans cesse être tenté de "basculer", tout ce malaise, en s'explicitant, va disparaître.
Je ne suis pas pressé d'en arriver là.
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- Mr. Petch
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Je ne suis pas pressé d'en arriver là.
Certes... Et je me disais que ce "freinage" de ta part, on le ressent vraiment. Je ne dis pas que ce soit bien ou mal, cela dépend surement des lectures. Personnellement, l'évitement continuel du basculement m'a dérangé, ou du moins le fait qu'il y ait peu de signes avants-coureurs, ou que je ne les ai pas vu.
Quelque part ce que dit j'ai-oublié-son-nom sur le couplet de la brique et de la vapeur est sans doute un endoctrinement de sa famille par les renards, un mantra appris aveuglément.
Cette interprétation (et c'est là que je me dis que le ton des dialogues est peut-être plus juste que je ne l'avais jugé au départ) m'est venue du texte lui-même, du style des dialogues lui-même.
J'ai lu peu d'ouvrages de Jules Renard (un seul, en ralité, Poil de Carotte), mais je sais ton attachement à cet auteur et j'ai l'impression de retrouver dans les dialogues des lapins quelque chose de la simplicité et de la théâtralité des dialogues de Poil de Carotte, avec cette ironie douce et jamais méchante en arrière-plan.
Est-ce que je me trompe ?
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- Vuld Edone
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Bref, je suis allé chercher dans tous mes clichés. Les de Sursis ont été inventés en quelque chose comme vingt minutes, le temps littéralement du trajet en carrosse.
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