Harnais, chapitre 4
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il y a 9 ans 3 mois #20252
par Vuld Edone
Harnais, chapitre 4 a été créé par Vuld Edone
Hi'.
Zara' avait demandé comment moi je continuerais ce texte. Puisque je retournais de toute façon en Valais cette fin de semaine... j'en ai profité.
----
L’image était toujours là.
Je l’avais retrouvée sur mon vieux bureau, enterrée au dernier rang d’une pile de papier à jeter. Mais elle était toujours là. Je la redécouvrais en même temps que tout ce que j’y avais ajouté, et après tout ce qui y avait ajouté elle était vide.
Tenue à trois doigts sur le bord noirci, elle offrait encore quelques reflets à la lumière, à mesure qu’on la penchait, mais c’était à peu près tout.
C’était, avant tout, une image de publicité, découpée de son support d’origine non pas au ciseau mais à la main, par pliage semblait-il, et avec soin. L’image même était bucolique : au milieu d’une nature verdoyante, un carrosse traversait un pont. L’image était comique : on avait remplacé le cheval par un renard, et l’équipée par deux oies. L’image aurait aussi bien pu être blanchie par le temps, réduite à ces mystères, à ces reliques d’un univers passé et mythique qu’on s’entête à redorer.
Tout avait débuté sur une blague, après tout.
Le renard portait un harnais.
Après avoir reposé l’image à l’angle du bureau, de travers, les bords au-dessus du vide, et après l’avoir observée pendant plus de dix minutes, je songeais enfin que, peut-être, elle était effectivement cruelle. Non pas parce qu’il s’y trouverait de la cruauté, de l’esclavage ou quelque vélléité de mort. Non. Parce que, dans son humour, l’image en appelait au contraire à une vision dépourvue de bien et de mal. C’était une revanche sur le renard : on se sent bien. Le renard nous aurait mangé : on se sent justifié. Le temps de cette farce, on n’avait jamais été plus humain qu’en perdant toute humanité.
L’oie à l’avant du carrosse tenait un fouet. Qu’on supprime ce fouet, tout changeait. Le renard aurait toujours le harnais. Sans doute, on en conclurait qu’il est toujours prisonnier. Sans doute, cela ne paraîtrait rien. Mais sans fouet, plus de vengeance. Il n’y aurait plus que le cours des choses.
Voici donc le même carrosse qui s’avance. Il arrivait par le chemin, en direction du pont. On pouvait en entendre les roues sur la terre battue de la forêt. Le renard surgit des arbres le premier, dans son harnais, tirant par la force de l’habitude le carrosse noir grand ouvert où deux oies se laissaient emporter. L’une lisait ; l’autre somnolait sur le siège avant. On pourrait croire qu’elles ne savaient même pas qu’un renard les tirait.
Le renard s’arrêta au milieu du pont. Tout l’attelage se retrouva immobile. Les oies surprises se regardaient puis regardaient autour d’elles. Celle à l’avant se tourna vers le renard. « Pourquoi s’arrête-t-on ? » Mais le renard, mors aux dents, ne répondait rien.
Faute de fouet, il n’y avait plus moyen de le faire avancer. Voilà les oies soumises aux caprices d’une bête sans cœur.
« Allons. » Reprit l’oie. « Sois raisonnable. » Puis : « Nous allons être en retard. »
Le renard, à contrecoeur, reprit la route.
Que s’était-il passé ? Le lecteur s’y était trompé. Un mot venait de remplacer le coup de fouet, un mot redoutable. « Raisonnable. » Quel mot effrayant. Une menace à peine voilée, qui en appelait moins à la logique du renard qu’à son imagination.
Si le renard ne continuait pas, il n’aurait rien à manger. On ne dressait pas différemment les chiens. Et le renard, tout harnaché qu’il était, était toujours un carnivore. Ces oies lui donnaient de la viande. La viande ne pouvait être qu’animale. À moins que, par quelque expédient, les bêtes lui donnent des légumes qui y équivalent ? Alors c’était mettre à bat le second de nos deux arguments : le renard n’avait plus de raison de nous manger, sinon le plaisir de la chair, un besoin de luxe par-dessus celui de l’instinct.
Il y avait donc soit nécessité qu’il nous mange, et ces oies lui donnaient d’autres qu’elles à manger, soit il n’y avait plus de nécessité.
Dans les deux cas il était forcé de continuer. S’il ne le faisait pas, la prochaine fois il y aurait un fouet.
L’image avait un fouet. Quoi que fasse mon imagination, j’avais cette contrainte de la réalité. Je ne pouvais pas simplement souhaiter de le faire disparaître. Mais même avec ce fouet, il y aurait toujours eu moyen de le rendre moins cruel.
C’était quelque chose que, si l’on n’avait pas l’image sous les yeux, on ne pouvait pas deviner. C’était à quel point le renard était soumis. Regard en avant, pas morne, pareil aux bêtes de trait. Il n’y avait, chez cet animal, plus la moindre vélléité de nuire. Ni plus la moindre volonté. Peut-être, pour preuve supplémentaire, j’aurais pu avancer qu’on ne lui avait même pas mis d’œillères.
Le renard était soumis. Qu’on le rende rebelle. Qu’il montre les crocs ? Il ne le pouvait pas. Qu’il fronce les yeux, qu’il tourne la tête, qu’il plaque les oreilles. Quelque chose. N’importe quoi ! Qui puisse trahir ses mauvais soins. Quelque chose qui justifie qu’on fasse jouer le fouet dans son dos.
Mais cela, non plus, n’était pas possible.
Ce n’était pas possible parce qu’au cœur de la blague, les oies étaient devenues des renardes et le renard une oie. Les premières, rusées, capables de soumettre l’autre et de le dominer. Le second, bête, soumis et passif. Au cœur de la blague, il y avait la revanche. Prendre la place de l’autre. Et si le renard, un seul instant, s’était montré renard encore, ce plaisir aurait été brisé.
Comment ?! Le renard, arrêté en plein milieu du pont, défiait mon fouet ! Défiait mes ordres ! Je pourrais le battre jusqu’au sang, il chercherait plutôt à mordre cette pointe qui le lacère ! Pas moyen de dompter ces vermines, seule la mort les calmerait ! La rage les emporte !
Si le renard s’était montré renard, carnivore, agressif, les oies auraient montré une facette plus furieuse encore. L’image n’aurait plus été bucolique.
On aurait vu voler le sang jusqu’à tacher les bords du pont. On aurait vu la bave aux becs, jusqu’à la peur noyée de haine dans les yeux des volatiles. On aurait vu le renard à moitié cabré, le dos ouvert, le visage lacéré, continuer de montrer les crocs sous les coups. On aurait eu la liberté de prendre parti pour l’une ou l’autre de ces deux sauvageries.
Voilà pourquoi le renard se devait d’être comme une oie.
Et maltraiter une oie, n’était-ce pas perpétuer ce dont on se vengeait ?
Mais on se sent bien. Et justifié. Le renard est méchant parce que c’est un renard. L’oie est gentille parce que c’est une oie. Du reste l’oie est sur le carrosse, tu vois ? À la place des hommes, tandis que le renard était réduit en cheval. Chacun avait sa place. Tu ne vois pas ? Non bien sûr. Tu te sens bien. Tu as dompté le renard. Tu es si fier.
Oh non, mais soit. Soit.
Admettons que « ce n’est pas pareil ». Admettons que je te piège, que je te mente, pour quelque raison que j’aurais. Faisons valoir que quand ce sont les oies qui oppressent, cela est bien. Non, par prudence, disons plutôt : cela est mieux.
Les oies étaient par nature civilisées. Herbivores quand cela nous arrangeait, elles préféraient la paix et la bonne société. Parfois, même, le confort. Ma foi, si on laissait les renards diriger, qu’avaient-ils comme valeurs ? Ces carnivores, ces destructeurs, fouineurs, menteurs, que pouvaient-ils bien défendre ?
L’intelligence, pour commencer.
Le savoir, la connaissance, le raisonnement. L’esprit critique. L’esprit de la ruse se jouait de l’ignorance, l’animal des moines et des écoliers. Vraiment, quelle société un tel animal aurait-il jamais pu bâtir ? Sans doute pas des ponts géométriques, sans doute pas les mécaniques du harnais, sans doute n’aurait-il jamais inventé la roue. Quelle place aurait-il réservé aux oies ? Non vraiment, face à cette inconnue, sa place ne pouvait être qu’à tirer des chariots.
Je retrouvais enfin l’image telle que je l’avais laissée. Je retrouvais ma sympathie pour ce renard brisé, réduit dans sa nature même à tirer un carrosse d’absurdité, et qui n’avait plus la force de lutter. Je ne le prenais pas en pitié parce qu’il était esclave. Je comprenais la blague. Je le prenais en pitié pour tout ce qu’en silence il tirait.
Tout le non-dit de cette logique dont on se riait.
Si je devais continuer cette histoire, je tenterais de libérer le renard. Mais ensuite ce renard voudrait se venger, et sans doute se montrerait-il plus cruel encore. Il était bien où il était. Si je devais continuer cette histoire, je tenterais de rendre les oies plus humaines. Mais ce sont des oies. Ce serait désespéré. Je n’ai pas le cœur à la continuer.
Si je devais continuer cette histoire, j’en ferais une blague. Je révélerais comment tous étaient complices de cette mise en scène, et à quel point leur monde était véritablement bucolique. J’en enlèverais jusqu’à la dernière once de cruauté.
Oh, j’en laisserais des indices. Mais toujours déçus.
Le chariot arriverait au milieu du pont. Le renard s’arrêterait. Voilà l’oie qui faisait claquer son fouet. « Avance ! Avance ! » Criait-il. Mais le renard ne voulait rien écouter. Les claquements se faisaient à vide.
Alors l’oie, piteuse : « Allez, s’il te plaît. » Le renard grommela, mors en bouche, dodelina la tête l’air ennuyé, mais se laissa convaincre. L’attelage repartait. L’oie sur son banc, toute excitée à nouveau, pareille à une enfant, se remettait à fouetter à vide. « Allez ! Allez ! » Et derrière elle, assise à l’arrière, la seconde oie levait le bec de son journal pour esquisser un petit sourire.
L’oie voulait toujours se sentir bien. Et justifiée. Mais au travers d’un jeu seulement auquel le renard se prêtait. L’image elle-même n’était-elle pas un jeu ? Pendant un instant, en la regardant, jouer à l’oie cruelle qui prend sa revanche, à l’oie ludique qui joue à être cruelle, à l’oie ignorante, à l’oie peureuse ou apeurée. L’écriture elle-même n’était-elle pas un jeu ? Le temps de la lecture, se sentir créer un monde, croiser ces personnages, vivre leur vie ou parmi eux et se poser toutes ces questions qu’on oubliera l’instant d’après. Entrer dans ce monde de tous les possibles où rien n’est nécessaire.
Et pendant ce temps, le renard est oublié.
Encore un texte que je n’écrirai pas.
Zara' avait demandé comment moi je continuerais ce texte. Puisque je retournais de toute façon en Valais cette fin de semaine... j'en ai profité.
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L’image était toujours là.
Je l’avais retrouvée sur mon vieux bureau, enterrée au dernier rang d’une pile de papier à jeter. Mais elle était toujours là. Je la redécouvrais en même temps que tout ce que j’y avais ajouté, et après tout ce qui y avait ajouté elle était vide.
Tenue à trois doigts sur le bord noirci, elle offrait encore quelques reflets à la lumière, à mesure qu’on la penchait, mais c’était à peu près tout.
C’était, avant tout, une image de publicité, découpée de son support d’origine non pas au ciseau mais à la main, par pliage semblait-il, et avec soin. L’image même était bucolique : au milieu d’une nature verdoyante, un carrosse traversait un pont. L’image était comique : on avait remplacé le cheval par un renard, et l’équipée par deux oies. L’image aurait aussi bien pu être blanchie par le temps, réduite à ces mystères, à ces reliques d’un univers passé et mythique qu’on s’entête à redorer.
Tout avait débuté sur une blague, après tout.
Le renard portait un harnais.
Après avoir reposé l’image à l’angle du bureau, de travers, les bords au-dessus du vide, et après l’avoir observée pendant plus de dix minutes, je songeais enfin que, peut-être, elle était effectivement cruelle. Non pas parce qu’il s’y trouverait de la cruauté, de l’esclavage ou quelque vélléité de mort. Non. Parce que, dans son humour, l’image en appelait au contraire à une vision dépourvue de bien et de mal. C’était une revanche sur le renard : on se sent bien. Le renard nous aurait mangé : on se sent justifié. Le temps de cette farce, on n’avait jamais été plus humain qu’en perdant toute humanité.
L’oie à l’avant du carrosse tenait un fouet. Qu’on supprime ce fouet, tout changeait. Le renard aurait toujours le harnais. Sans doute, on en conclurait qu’il est toujours prisonnier. Sans doute, cela ne paraîtrait rien. Mais sans fouet, plus de vengeance. Il n’y aurait plus que le cours des choses.
Voici donc le même carrosse qui s’avance. Il arrivait par le chemin, en direction du pont. On pouvait en entendre les roues sur la terre battue de la forêt. Le renard surgit des arbres le premier, dans son harnais, tirant par la force de l’habitude le carrosse noir grand ouvert où deux oies se laissaient emporter. L’une lisait ; l’autre somnolait sur le siège avant. On pourrait croire qu’elles ne savaient même pas qu’un renard les tirait.
Le renard s’arrêta au milieu du pont. Tout l’attelage se retrouva immobile. Les oies surprises se regardaient puis regardaient autour d’elles. Celle à l’avant se tourna vers le renard. « Pourquoi s’arrête-t-on ? » Mais le renard, mors aux dents, ne répondait rien.
Faute de fouet, il n’y avait plus moyen de le faire avancer. Voilà les oies soumises aux caprices d’une bête sans cœur.
« Allons. » Reprit l’oie. « Sois raisonnable. » Puis : « Nous allons être en retard. »
Le renard, à contrecoeur, reprit la route.
Que s’était-il passé ? Le lecteur s’y était trompé. Un mot venait de remplacer le coup de fouet, un mot redoutable. « Raisonnable. » Quel mot effrayant. Une menace à peine voilée, qui en appelait moins à la logique du renard qu’à son imagination.
Si le renard ne continuait pas, il n’aurait rien à manger. On ne dressait pas différemment les chiens. Et le renard, tout harnaché qu’il était, était toujours un carnivore. Ces oies lui donnaient de la viande. La viande ne pouvait être qu’animale. À moins que, par quelque expédient, les bêtes lui donnent des légumes qui y équivalent ? Alors c’était mettre à bat le second de nos deux arguments : le renard n’avait plus de raison de nous manger, sinon le plaisir de la chair, un besoin de luxe par-dessus celui de l’instinct.
Il y avait donc soit nécessité qu’il nous mange, et ces oies lui donnaient d’autres qu’elles à manger, soit il n’y avait plus de nécessité.
Dans les deux cas il était forcé de continuer. S’il ne le faisait pas, la prochaine fois il y aurait un fouet.
L’image avait un fouet. Quoi que fasse mon imagination, j’avais cette contrainte de la réalité. Je ne pouvais pas simplement souhaiter de le faire disparaître. Mais même avec ce fouet, il y aurait toujours eu moyen de le rendre moins cruel.
C’était quelque chose que, si l’on n’avait pas l’image sous les yeux, on ne pouvait pas deviner. C’était à quel point le renard était soumis. Regard en avant, pas morne, pareil aux bêtes de trait. Il n’y avait, chez cet animal, plus la moindre vélléité de nuire. Ni plus la moindre volonté. Peut-être, pour preuve supplémentaire, j’aurais pu avancer qu’on ne lui avait même pas mis d’œillères.
Le renard était soumis. Qu’on le rende rebelle. Qu’il montre les crocs ? Il ne le pouvait pas. Qu’il fronce les yeux, qu’il tourne la tête, qu’il plaque les oreilles. Quelque chose. N’importe quoi ! Qui puisse trahir ses mauvais soins. Quelque chose qui justifie qu’on fasse jouer le fouet dans son dos.
Mais cela, non plus, n’était pas possible.
Ce n’était pas possible parce qu’au cœur de la blague, les oies étaient devenues des renardes et le renard une oie. Les premières, rusées, capables de soumettre l’autre et de le dominer. Le second, bête, soumis et passif. Au cœur de la blague, il y avait la revanche. Prendre la place de l’autre. Et si le renard, un seul instant, s’était montré renard encore, ce plaisir aurait été brisé.
Comment ?! Le renard, arrêté en plein milieu du pont, défiait mon fouet ! Défiait mes ordres ! Je pourrais le battre jusqu’au sang, il chercherait plutôt à mordre cette pointe qui le lacère ! Pas moyen de dompter ces vermines, seule la mort les calmerait ! La rage les emporte !
Si le renard s’était montré renard, carnivore, agressif, les oies auraient montré une facette plus furieuse encore. L’image n’aurait plus été bucolique.
On aurait vu voler le sang jusqu’à tacher les bords du pont. On aurait vu la bave aux becs, jusqu’à la peur noyée de haine dans les yeux des volatiles. On aurait vu le renard à moitié cabré, le dos ouvert, le visage lacéré, continuer de montrer les crocs sous les coups. On aurait eu la liberté de prendre parti pour l’une ou l’autre de ces deux sauvageries.
Voilà pourquoi le renard se devait d’être comme une oie.
Et maltraiter une oie, n’était-ce pas perpétuer ce dont on se vengeait ?
Mais on se sent bien. Et justifié. Le renard est méchant parce que c’est un renard. L’oie est gentille parce que c’est une oie. Du reste l’oie est sur le carrosse, tu vois ? À la place des hommes, tandis que le renard était réduit en cheval. Chacun avait sa place. Tu ne vois pas ? Non bien sûr. Tu te sens bien. Tu as dompté le renard. Tu es si fier.
Oh non, mais soit. Soit.
Admettons que « ce n’est pas pareil ». Admettons que je te piège, que je te mente, pour quelque raison que j’aurais. Faisons valoir que quand ce sont les oies qui oppressent, cela est bien. Non, par prudence, disons plutôt : cela est mieux.
Les oies étaient par nature civilisées. Herbivores quand cela nous arrangeait, elles préféraient la paix et la bonne société. Parfois, même, le confort. Ma foi, si on laissait les renards diriger, qu’avaient-ils comme valeurs ? Ces carnivores, ces destructeurs, fouineurs, menteurs, que pouvaient-ils bien défendre ?
L’intelligence, pour commencer.
Le savoir, la connaissance, le raisonnement. L’esprit critique. L’esprit de la ruse se jouait de l’ignorance, l’animal des moines et des écoliers. Vraiment, quelle société un tel animal aurait-il jamais pu bâtir ? Sans doute pas des ponts géométriques, sans doute pas les mécaniques du harnais, sans doute n’aurait-il jamais inventé la roue. Quelle place aurait-il réservé aux oies ? Non vraiment, face à cette inconnue, sa place ne pouvait être qu’à tirer des chariots.
Je retrouvais enfin l’image telle que je l’avais laissée. Je retrouvais ma sympathie pour ce renard brisé, réduit dans sa nature même à tirer un carrosse d’absurdité, et qui n’avait plus la force de lutter. Je ne le prenais pas en pitié parce qu’il était esclave. Je comprenais la blague. Je le prenais en pitié pour tout ce qu’en silence il tirait.
Tout le non-dit de cette logique dont on se riait.
Si je devais continuer cette histoire, je tenterais de libérer le renard. Mais ensuite ce renard voudrait se venger, et sans doute se montrerait-il plus cruel encore. Il était bien où il était. Si je devais continuer cette histoire, je tenterais de rendre les oies plus humaines. Mais ce sont des oies. Ce serait désespéré. Je n’ai pas le cœur à la continuer.
Si je devais continuer cette histoire, j’en ferais une blague. Je révélerais comment tous étaient complices de cette mise en scène, et à quel point leur monde était véritablement bucolique. J’en enlèverais jusqu’à la dernière once de cruauté.
Oh, j’en laisserais des indices. Mais toujours déçus.
Le chariot arriverait au milieu du pont. Le renard s’arrêterait. Voilà l’oie qui faisait claquer son fouet. « Avance ! Avance ! » Criait-il. Mais le renard ne voulait rien écouter. Les claquements se faisaient à vide.
Alors l’oie, piteuse : « Allez, s’il te plaît. » Le renard grommela, mors en bouche, dodelina la tête l’air ennuyé, mais se laissa convaincre. L’attelage repartait. L’oie sur son banc, toute excitée à nouveau, pareille à une enfant, se remettait à fouetter à vide. « Allez ! Allez ! » Et derrière elle, assise à l’arrière, la seconde oie levait le bec de son journal pour esquisser un petit sourire.
L’oie voulait toujours se sentir bien. Et justifiée. Mais au travers d’un jeu seulement auquel le renard se prêtait. L’image elle-même n’était-elle pas un jeu ? Pendant un instant, en la regardant, jouer à l’oie cruelle qui prend sa revanche, à l’oie ludique qui joue à être cruelle, à l’oie ignorante, à l’oie peureuse ou apeurée. L’écriture elle-même n’était-elle pas un jeu ? Le temps de la lecture, se sentir créer un monde, croiser ces personnages, vivre leur vie ou parmi eux et se poser toutes ces questions qu’on oubliera l’instant d’après. Entrer dans ce monde de tous les possibles où rien n’est nécessaire.
Et pendant ce temps, le renard est oublié.
Encore un texte que je n’écrirai pas.
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- San
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il y a 8 ans 9 mois #20443
par San
Réponse de San sur le sujet Harnais, chapitre 4
Intéressant.
Je ne sais plus si j'ai lu du renard au harnais, autre chose que le titre, jusque là. Ca me rend curieuse, tiens. peut-être que j'irai voir.
Avec le gros plan sur le renard et sur les oies, les expressions du renard surtout, et la petite scène bucolique, j'étais en plein dans le bois de quat'sous (je ne sais pas si ça passait, dans ton pays?) et Sylvain et Sylvette .
La fin du texte qui entame juste la réflexion sur cette image, sans aller jusqu'au bout, ressemble à une caresse. C'est agréable.
Je ne sais plus si j'ai lu du renard au harnais, autre chose que le titre, jusque là. Ca me rend curieuse, tiens. peut-être que j'irai voir.
Avec le gros plan sur le renard et sur les oies, les expressions du renard surtout, et la petite scène bucolique, j'étais en plein dans le bois de quat'sous (je ne sais pas si ça passait, dans ton pays?) et Sylvain et Sylvette .
La fin du texte qui entame juste la réflexion sur cette image, sans aller jusqu'au bout, ressemble à une caresse. C'est agréable.
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- Zarathoustra
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- Messages : 2081
il y a 8 ans 1 mois #20668
par Zarathoustra
Réponse de Zarathoustra sur le sujet Harnais, chapitre 4
J'ai déjà lu plusieurs fois le texte, mais je n'arrive vraiment pas à adhérer à ce chapitre 4.
.
Au départ, tu prends le parti de remettre la réalité en jeu. Donc nous sommes avant tout devant une image. Pas n’importe laquelle, et tu lui donne son environnement. C'est une idée intéressante, mais je ne vois pas à quoi elle sert par la suite dans le texte.
Je trouve aussi que tu associes le lecteur de manière plus brutale avec l’intrusion du « nous ». Et qui plus est, tu es très littéral. « nous » c’est donc toi, le narrateur, et nous, les lecteurs. Et d’office, tu places le nous du côté des oies, sauf qu’on n’a pas vraiment été invité à le faire. Tu parles avant du renard, mais à aucun je ne me sens proche d’un animal ou de l’autre. Donc je me sens violenté. D’autant plus que je n’ai fondamentalement pas envie d’être une oie. Sauf éventuellement en considérant acquis le chapitre 3.
Bref, j’ai beau l’avoir lu plusieurs fois, je n’arrive pas à m’intéresser. Là où tu avais su m’associer en tant que lecteur actif, ici, je n’ai pas envie d’aller très loin. Si ton intention est de transformer le lecteur en renard passif devenu « oie » et de transformer ton oie active en renard, on pourra dire que tu as réussi parce que je n’ai pas envie d’aller très loin dans le texte, je m’arrête très vite sur le pont… Et j’aurai besoin effectivement de coup de fouet pour avancer.
Je sais que l’exercice est difficile pour m’y être confronté deux fois. Et je comptais voir comment tu t’y serais pris pour apprendre, mais j’ai plus l’impression de lire ce qu’aurait pu être mes tout premiers jets, avec des formulations ternes et loin de la subtilité de ton premier Renard au harnais, ce qui fait qu’en l’état, à chaque fois, j’ai plus envie de corriger ton texte que de le lire…
.
Au départ, tu prends le parti de remettre la réalité en jeu. Donc nous sommes avant tout devant une image. Pas n’importe laquelle, et tu lui donne son environnement. C'est une idée intéressante, mais je ne vois pas à quoi elle sert par la suite dans le texte.
Je trouve aussi que tu associes le lecteur de manière plus brutale avec l’intrusion du « nous ». Et qui plus est, tu es très littéral. « nous » c’est donc toi, le narrateur, et nous, les lecteurs. Et d’office, tu places le nous du côté des oies, sauf qu’on n’a pas vraiment été invité à le faire. Tu parles avant du renard, mais à aucun je ne me sens proche d’un animal ou de l’autre. Donc je me sens violenté. D’autant plus que je n’ai fondamentalement pas envie d’être une oie. Sauf éventuellement en considérant acquis le chapitre 3.
Là aussi, je trouve ça un peu laborieux tant au niveau style, formulation que principe démonstratif. Cela ne donne pas vraiment envie de se projeter dans le texte. Si on supprime l’insertion « et ces oies lui etc. », la phrase est en fait « Il y avait donc soit nécessité, soit il n’y avait plus nécessité », tu avoueras que ce n’est pas très heureux.Il y avait donc soit nécessité qu’il nous mange, et ces oies lui donnaient d’autres qu’elles à manger, soit il n’y avait plus de nécessité.
Bon, il manque un peu de ponctuation, mais là aussi, tu amènes l’idée au forceps.Dans les deux cas il était forcé de continuer. S’il ne le faisait pas, la prochaine fois il y aurait un fouet.
Bref, j’ai beau l’avoir lu plusieurs fois, je n’arrive pas à m’intéresser. Là où tu avais su m’associer en tant que lecteur actif, ici, je n’ai pas envie d’aller très loin. Si ton intention est de transformer le lecteur en renard passif devenu « oie » et de transformer ton oie active en renard, on pourra dire que tu as réussi parce que je n’ai pas envie d’aller très loin dans le texte, je m’arrête très vite sur le pont… Et j’aurai besoin effectivement de coup de fouet pour avancer.
Je sais que l’exercice est difficile pour m’y être confronté deux fois. Et je comptais voir comment tu t’y serais pris pour apprendre, mais j’ai plus l’impression de lire ce qu’aurait pu être mes tout premiers jets, avec des formulations ternes et loin de la subtilité de ton premier Renard au harnais, ce qui fait qu’en l’état, à chaque fois, j’ai plus envie de corriger ton texte que de le lire…
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