La Vérité, les yeux grand ouverts
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il y a 7 ans 1 mois - il y a 7 ans 1 mois #21385
par Zarathoustra
La Vérité, les yeux grand ouverts a été créé par Zarathoustra
Voici un texte que je n'ai pas voulu intellectualiser comme j'ai parfois trop tendance à le faire, une sorte d'anti "Le Prisonnier". Il était au départ formé de trois petits texte d'une à deux pages qui avaient pour point communs une personnage féminin un peu fantasque, avec plein d'allusion plus ou moins cryptés à des chansons. Des textes que j'avais écrits il y a 3 ans et que j'avais mis de côté. Un écriture très différente à celle que je pratique d'habitude. J'avais mis ce qui me passait par la tête, en me laissant guider par mes associations d'idées. Et je ne faisais aucun tri dans mes idées.
La semaine dernière je suis retombé dessus et je me suis demandé si je ne pouvais pas en faire un seul texte, vu que l'ensemble avait une certaines unité. J'ai élagué dans les allusions musicales (le connaisseur pourra en deviner encore quelques unes au-dela du name dropping). Et surtout, j'ai évité de faire le tri dans les idées, j'ai juste cherché à ce qu'elle s'insère davantage dans un tout. D'ailleurs, sans doute ne s'inserera-t-il pas dans Mes Portraits des Jours Anciens...
Bref, contrairement au Prisonnier, le lecteur est totalement libre face au texte. C'est un peu ça la grande idée du texte: mettre en hors champ l'histoire et les explications. Si le texte fonctionne, le lecteur se construit son histoire à partir des éléments indices du texte. S'il échoue, il se demandera de quoi parle le texte (ce en quoi il ne pourrait avoir vraiment tort parce que le résultat est n peu en foutoir, je veux bien l'admettre).
Enfin, le style ressemble davantage à ce qui m'attire actuellement. Une veine un peu onirique qui manque justement dans la fin de mon Chant des Pierres...
Le résultat est là, et je ne sais pas quoi en penser.
Je suis sûre que cela vous est déjà arrivé. Vous savez, vous marchez dans la rue, puis vous entendez une voix et vous croyez qu’on vous appelle. Alors, vous vous retournez, et votre regard ne croise personne que vous connaissez. Mais cette fois, j’ai vraiment cru qu’on m’appelait dans la rue pour de vrai. Je me suis retournée et, bien entendu, je n’ai vu personne. Du moins, pas de ma connaissance. Pourtant… Ce nom soudain entendu a tout pour me faire peur car il y a longtemps qu’il n’appartient plus au présent.
Je préfère l’ignorer et continue comme si de rien n’était. Une boutique attire mon regard. Notamment ces escarpins gris foncés. Je suis sûre qu’ils lui plairaient avec ma nouvelle robe… Ah, les hommes avec leur manie de vouloir nous voir avec de belles silhouettes et prêtes à nous dandiner devant eux! Ah, les femmes avec nos manies à vouloir leur plaire, même si, comme moi, elles n’aiment pas spécialement porter des talons hauts! Sauf que, cette fois-ci, je m'arrête car je suis sûre qu’on m’a vraiment appelée.
« Marianne ! Marianne ! »
Pourtant, c’était un « Marianne » qui voulait dire « Jimmie »… Une voix qui me place définitivement face à mon passé. Une autre moi… Non, je ne veux pas me retourner, j’ai trop peur de revoir le sourire niais d’un homme qui croit me connaitre alors qu’il ignore tout de moi. Et je ne veux plus de mon passé. Je ne suis plus Jimmie (ou Jimmy quand c’était eux qui me le disaient). Je suis Christine… Et parfois, effectivement, je suis encore Marianne…
C’est étrange de ne pouvoir vous dire mon vrai prénom. J’en ai eu tellement dans ma vie. Une véritable girouette. Ce que je peux vous dire, c’est qu’à cette époque, je ne m’appelais pas Marianne. J'avais aussi la taille un peu plus fine, avec des yeux de biche à faire enflammés les barils d'essence. Oui, de vrais yeux revolver. Pas le revolver de l'autre ringard, non, celui de qui vous savez, celui qui n'était pas un mais quatre et fabuleux... Parce que « Revolver » en anglais, ça m’a toujours paru mieux qu’en français.
J’ignore si c’est pour ça que je n’ai pas peur. Or la vérité m’a toujours effrayée. C’est pourquoi j’aime mentir. J’ai menti toute ma vie. Seulement, je sais qu’un jour, je serai forcée de dire la vérité. Juste pour toi. Oui, où que tu sois, je la garde pour toi. J’ai même fait plus que ça. Rien que pour toi, j’ai mis mon cœur à l’intérieur d’une chanson. Parce que cette chanson porte mon vrai nom. Oui, j’ai mis mon cœur dans une chanson et quand un garçon me la fera écouter, je serais sa femme pour la vie entière, comme un pacte secret et silencieux signé dans le sang. Je sais que c’est bête, mais c’est une façon de me protéger de tous les autres.
« Marianne ! Marianne ! »
Décidément, il ne va pas me laisser finir mon histoire. J’accélère comme si je ne l’avais pas entendu. Et puis, je file sur la droite, là où il y a plus de monde, parce que je me dis qu’il finira bien par me perdre ou à se lasser ou se dire qu’il se trompe peut-être.
Même si j’aimerais bien tout vous raconter, l’autre problème, c’est qu’il m’est interdit de vous donner mon vrai prénom car, immédiatement et à jamais, je me transformerais en louve-garou. Or je veux garder le pouvoir de me changer à ma guise. Par contre, j’ai le droit de vous faire écouter cette chanson pour que, vous aussi, vous deveniez, un court instant, mes compagnons loup-garou. Mais honnêtement, en aurez-vous le cran? Oserez-vous le faire si vous deviez en payer le prix ? Oui, demandez-vous avant si vous auriez véritablement la force de vous laisser emporter par ce morceau jusqu’à sa dernière note. Parce que, en toute honnêté, n’avez-vous jamais ressenti la peur d’échouer quand l’ensemble de votre vie était sur le point de basculer ? Moi, je l’ai ressenti toute ma vie durant. Et je connaissais même précisément le prix dès le départ. Et je l’ai toujours su. Et je l’ai payé tout de suite sans aucun remord.
Honnêtement, un jour, j’aimerais bien vous laisser découvrir par vous-même ce morceau. Il serait là pour vous hypnotiser. Sauf que vous devriez plonger vos yeux et vos oreilles dans sa noirceur sans fond pour découvrir si, vous aussi, vous êtes prêts à votre tour à franchir, comme moi, l’épreuve qu’il contient. Affronter sa monotonie pour découvrir qu’il n’est pas qu’ennui, que plus il avance, et plus il tend autour de vous d’étranges bras, vous chuchote et distille son poison. Oui, le pire qui puisse vous arriver, c’est de ne voir que le Vide et l’Ennui dans ces notes qui rebondissent, s’éteignent et repartent comme un long serpent. ÇA, c’est la superficialité des choses. La peau qu’on caresse distraitement en pensant au repas. Il faut aller plus loin, découvrir que le noir et le blanc sont couleurs même quand tout est gris autour de nous.
Or c’est le prix à payer pour partager ma vie. Peu d’hommes ont réussi l’épreuve. Ils se sont distraits, ils ont détourné leur regard. Leurs oreilles ont entendu d’autres chants, d’autres stridences, parfois plus maléfiques encore. Le dernier qui est tombé dans mes bras ne sait pas encore qui je suis. Mais c’est une autre histoire. Et là, ce n’est pas lui qui a peur, c’est moi. Peur de le voir détourner son regard… Peur qu’il baisse le son et m’embrasse avant que ne retentisse la délivrance du charme de la dernière note.
Et cette peur, vous la connaissez certainement, non ? Dîtes-moi que vous la connaissez… Qu’elle n’est pas seulement dans ma tête… Forcément, si vous avez aimé passionnément, vous avez dû la sentir en vous, cachée quelque part dans ces deux yeux qui vous regardent.
Moi, j’adore être avec des garçons. J’adore qu’ils me serrent fort dans leurs bras. Et puis, j’adore plus que tout me blottir contre eux. Pourtant, les garçons grandissent, deviennent de vrais hommes et aucun n’a encore trouvé cette chanson. Et ce n’est pas faute de les regarder, de les désirer, de perdre la tête pour eux. C’est encore moins ma faute si j’adore ça. Et je sais m’y prendre pour les attirer à moi. C’est si facile avec mon sourire et mes yeux de biche.
Pourtant, il y a toujours un moment où je leur fais peur. Et ils ont raison d’avoir peur. Certains disent que je suis une chieuse… Je ne le crois pas... D'autres disent que je suis une louve garou... Je ne crois pas non plus... Je suis juste un peu des deux... Ce qui est sûr, c'est que j'ai de vraies dents pour mordre et que je suis spéciale. Vraiment spéciale... Et quand mon dernier amour est en face de moi et que déjà il ne sourit plus, j’ai soudain peur… Mais le premier ? Tu sais, le tout premier ? Dis, tu t’en rappelles ? Oui… Jamais je ne l’oublierai… Jamais…
La seule chose gênante dont je me rappelle, c'était qu'à l'époque, on m’appelait Jimmie (en tout cas, moi, dans ma tête je l'écrivais « Jimmie », mais dans la leur, je suis sûre que, eux, les salauds, ils l'écrivaient « Jimmy »). Oui, Jimmy comme Jimmy Jazz. Comme dans le morceau des Clash. Un nom de garçon parce qu’un jour, j’avais osé dire à un garçon que j’aimais les Clash et que je n’avais pas voulu sortir avec lui. Alors, à cause de lui, tout le monde avait fini par m’appeler Jimmy (ou Jimmie dans ma tête). Un prénom de garçon. Un prénom qui me faisait mal. Et parce qu’aussi, je ne sais pas pourquoi, je lui avais un jour avoué que je n’avais encore jamais embrassé de garçon.
Il faut dire qu’à l’époque, dès qu’un garçon écoutait un peu la même chose que moi, je le voyais différemment. J’avais envie de lui donner mon cœur. Depuis, j’ai appris comment me protéger, mais à l’époque, je le donnais facilement. Mais cette première fois… Le doux contact de ses lèvres… Comment pourrai-je l’oublier ?
Ce n'était d’ailleurs peut-être pas la toute première fois, non, il y en avait eu d’autres, ou peut-être les avais-je rêvées, mais ce qui est sûr, c'était la première fois que Jimmie le faisait. Et ce qui est sûr aussi, quand la nuit s’est déchirée et que la mélodie de Lonesome Town de Ricky Nelson a tremblé dans mes oreilles, ça ne pouvait pas être qu’un simple baiser comme les filles en donnent en veux-tu en voilà. Non, celui-là, je m’en rappelle, je l'ai fait les yeux grands ouverts pour mieux voir le monde tourné autour de moi et se transformer au gré des formes diaphanes et troubles de mes larmes, comme si j'étais vraiment toute seule au monde, et, peu à peu, la piste de danse a retrouvé son intime obscurité, Lonesome Town a disparu de mes oreilles et la vérité est apparue: je n'étais plus Jimmie, j'avais embrassé un garçon qui s'appelait Vincent et je n'avais pas dansé sur Lonesome Town, mais sur un morceau que je tiens secret, car, à chaque fois que je danse dessus avec un garçon et que je l'embrasse les yeux ouverts, je deviens une autre femme. Et c’est tout le problème…
Et alors, dans ces moment-là avec les garçons, parfois, la nuit se déchire. Je vous jure que ce fut le cas ce soir-là, mes yeux s'en souviennent parfaitement. Et une nuit qui se déchire, ça ne fait pas beaucoup de bruit, croyez-moi. Seulement, si vous écoutez bien, il y a certainement Lonesome Town qui résonne pas loin, peut-être même interprété par les Cramps. Oui, là, les premières notent m'ont remuée comme s'il n'y avait que moi au monde. Alors je me suis rapprochée de Vincent avec son sourire soudain un peu niais, j'ai passé mes bras autour de son cou (parce qu'à force de me sourire, il oubliait parfois de danser), et puis, tout… tout… tout doucement, je me suis approchée de ses lèvres et j'ai embrassé pour la première fois un garçon...
Et là, j’ai attendu que la nuit se déchire…. J’ai attendu le temps de ce baiser. Avec mes deux yeux gardés grand ouverts. Puis, j’ai laissé les notes de Lonesome Town s’écouler puis disparaître… Alors enfin, j’ai oublié. Oublié Vincent et son sourire niais… Oublié qu’on ait pu m’appeler Jimmie… Oublié que je ne voulais pas embrasser les garçons… Oublié que parfois je suis une louve-garou… Et le temps se suspend. Et je compte. Un, deux, trois, quatre… Et comme ça, jusqu’à dix-sept. Pourquoi dix-sept ? Ne me le demandez pas, c’est un autre secret, une mesure de vie magique. Et le temps peut s’écouler, s’enfuir ou se prendre les pieds dans le tapis, ça n’a plus d’importance. Nos langues, se touchent, s’enroulent… Ma tête tourne, même avec les yeux grands ouverts sur la nuit déchirée. Neuf… Dix… Onze…
Pourtant, ce jour-là, quand la lumière s'est éteinte, et que les dernières notes de Lonesome Town ont retenti, il n'y avait pas de doute, je dansais bien avec ce maudit Vincent, nos deux bouches jointes l’une à l’autre. Et je me rappelle très bien de son foutu sourire de nigaud quand nos lèvres se sont séparées. J'avais dansé avec lui parce que j'espérais bien perdre à cette occasion, non pas mon pucelage, mais ce maudit prénom de Jimmy... Car ce prénom ne pouvait pas coller à mon histoire.
Et, ce jour-là, Vincent, en face de moi, n’avait pas souri longtemps… Je ne vous dirais pas ce qui s’est ensuite passé avec lui parce que cela ne vous regarde pas. Il vaut peut-être mieux pour moi. Ou peut-être pour vous, qui sait ? Ce qui est sûr, c'est que j'ai de vraies dents pour mordre et que je suis spéciale. Très spéciale... Certainement bizarre même, diraient certains. Les deux, sans doute. Et puis, peut-être un peu folle… Je suis une femme qui ne s’appelle ni Jimmie, ni parfois Christine, mais Marianne. Simplement Marianne. Et j’aime me dire, quand retentira l’ultime note de ma chanson, que décidément, oui, il fera bon de s’appeler Marianne à nouveau.
La vie m’a joué bien des tours et je lui en ai joué plein aussi. On pourra même dire que nous sommes quittes. Et si aujourd’hui il y a nul garçon pour m’embrasser à côté de moi et pour m’apporter cette douce chaleur qui donne envie de sourire jusqu’aux étoiles, alors il me reste cette dernière chanson avec mon cœur dedans, ample et effrayante, et qui attend une seule voix, la mienne, la vôtre, la nôtre, un cri pour que la nuit redevienne nuit et que je ne me réveille plus petite fille, mais simplement femme. Quatorze… Quinze… Seize et dix-sept… Et voilà…
« Christine ! Christine ! »
Oui, en vrai, j’ai aussi été Christine. Pas la « Christine » prononcée en français, mais la « Christine » prononcée en Anglais. Comme pour « Revolver », ça sonne beaucoup mieux, vous ne trouvez pas ? Et Christine n'était pas très sage, je dois l'avouer... Je n'aime d’ailleurs pas trop me rappeler d'elle. A ce propos, je vous avais déjà raconté la fois où je me suis mariée 24 fois dans une même journée ? Non ? J’avais à peine le temps de changer de robe. Et je crois n’avoir jamais autant couru. Courir, courir, pour se marier, c’est délicieux ! Enivrant ! C’est comme être un papillon qui vole de fleur en fleur. Et voir tous ces hommes m’attendre patiemment sans qu’ils ne se doutent de rien. Et les voir ensuite me regarder partir en courant, et me courir après pour que je reste avec eux.
« Au suivant ! Au suivant ! », comme disait Brel.
Plus jamais depuis, un homme ne m’aura autant couru après. Et plus jamais depuis, je ne me suis mariée. A la place, j’ai eu deux enfants. Et, je le dis carrément entre les deux, il vaut mieux avoir des enfants que de se marier, même si cela n’avait été qu’une seule et unique fois.
Peut-être vous demandez-vous si Vincent a fait partie du lot des mariés ? Eh bien non, pas Vincent… Lui avait déjà eu mon premier baiser, c’est déjà pas mal, non ? Mais Marc, lui, en a fait partie. Oui, Marc ! A l’époque, on le surnommait encore Mac The Knife, parce qu’il avait toujours son couteau sur lui. Et lui, -je le sais- tout au fond de lui, il m’en veut toujours à mort. D’ailleurs, à lui, je lui avais avoué que je ne m’étais mariée que sept fois au cours de ce drôle de marathon, car, sous ces airs durs, il avait un joli cœur tout tendre. Un amour de cœur qu’il gardait lui aussi caché depuis très longtemps. C’est très bête mais je m’imaginais que cela aurait été plus simple pour lui à accepter… Quelle conne j'avais été sur ce coup-là! Alors, il m’a dévisagée et prononça d’affilé sept fois « Salope ! » d'une voix de plus en plus terrible. Si vous n'avez jamais vu Marc s'énerver, je peux vous dire qu’on n’en mène pas large, surtout une femme comme moi! Puis, il a commencé à me dire des horreurs et à sortir son couteau. Puis, il a menacé de me faire la peau. Alors, je lui ai à peine laissé le temps de déchirer un peu le tissu de la belle dentelle blanche que je portais et je me suis sauvée vite fait ! Avec toutes les cigarettes qu’il fumait (et fume toujours), il ne faisait pas le poids pour me courir après, même avec ma robe de mariée. Même avec ma longue traîne blanche. Même avec mes talons hauts… Non, il ne m’a jamais rattrapée…
« Christine (en anglais) ! Christine (en anglais) ! »
Non, ne pas se retourner ! Surtout ne pas me retourner. Lui, je suis sûre qu’il m’a reconnue, mais moi, j’ignore qui sait. Sans doute l’une de mes vingt-quatre victimes de ce fameux jour. Et je suis certaine que, même si je me retournais, je ne le reconnaîtrais pas. A dire vrai, j’ai presque oublié tous leurs visages. Pourtant, chacun d’eux est autant de fantômes qui hantent mes nuits. Je ne vois plus leurs visages, juste des bouches déformées prêtes à me dévorer… C’est pourquoi, parfois, j’ai besoin d’être une louve-garou. Pour les faire fuir… Oui, dans ces moments-là, j’aime avoir de vrais crocs. Pas seulement pour ces fantômes, d’ailleurs…
Le dernier de ces mariages en série, c’était avec un certain Jimmy. C’est rigolo, parce que, pour l’occasion, c’est lui qui m’avait demandé de m’appeler Christine pour éviter les confusions devant le curé. « Jimmy, voulez-vous prendre pour épouse Jimmie ? » Il avait trop peur que l’église se bidonne alors que ça aurait dû être le plus beau jour de sa vie. Pauvre Jimmy, j’espère ne lui pas avoir trop fait mal ce jour-là. Sauf que, vous l’aurez compris, j’ai pas toujours été très sage avec lui. Et si je ne lui avais fait que ça… Et franchement, ce n’était pas réglo de ma part. A cette époque, je l’avais même quitté en chantant: « Sometimes I Forget that we supposed to be in love. Sometimes I Forget my positions ». Un titre du groupe Magazine. Et vous savez quoi? Je crois qu’il m’avait immédiatement pardonnée parce que j’avais trouvé pile la chanson qu’il fallait pour l'occasion! Un vrai seigneur, ce Jimmy.
Mince, encore cette voix !
« Christine (toujours en anglais) ! Christine (en anglais mais avec un sale accent français cette-fois-ci) ! »
Oh je crois que j'ai reconnu cette voix... Bon, autant se l’avouer, comme jamais je n’aurai le temps nécessaire pour tout vous raconter, je dois aussi vous dire qu’il y a eu au moins une autre victime de cette journée que vous connaissez bien, mais j’ai promis de taire son nom. Ce serait à lui de le dévoiler s’il en a envie, pas à moi, car, s’il y a bien une chose que je sais faire, c’est garder un secret. Il se reconnaîtra. Oui, ce jour-là, pour lui, Christine est devenue Marianne... Et d’ailleurs, très cher, à toi aussi, je ne te demande pas de me pardonner, juste que tu acceptes que je puisse être aujourd'hui différente que ce jour-là. Mais ne crois pas pour autant que je me retournerai davantage pour toi!
De toute façon, vous, les mecs, vous êtes tous des machos. Dès qu’on vous tient tête, dès qu’on vous montre qu’on en autant de vous dans notre soutif que vous dans le pantalon, on devient des salopes. Mon problème, quand je deviens une louve-garrou, c’est que je deviens effectivement une vraie salope. Pire que celles qui ont fait pleurer tous les bluesmen de la terre. D’ailleurs, tout ça, c’est du toc. Ce qui intéresse Robert Johnson ou Hank Willams, franchement, vous croyez que c’était d’être authentiquement malheureux ? Non, ils se sont servis de nous pour écrire des chansons. Oui, vous les mecs, même quand on vous rend malheureux, vous nous exploitez ! Vous nous les chantez pour qu’on pleure sur votre sort et puis, d’un coup, vous nous prenez ce que vous avez toujours voulu. Même si on vous le donne souvent de bon cœur…
Mon problème à moi, c’est quand je redeviens encore une autre que Marianne… Je suis alors face à toutes mes chansons qui emplissent ma tête et je ne suis plus du tout cette Christine ou cette Jimmie. Cette autre femme est infiniment plus sage… Et puis, moi je ne veux pas qu’on se serve de moi pour écrire des chansons. Et puis, moi, des chansons, j’en ai déjà bien trop dans la tête. Marre qu’on nous idéalise ! Marre qu’on nous fasse encore payer le pêché d’Eve (une histoire qui, soit dit en passant, n’a pu être écrite que par un macho de mec !) ou qu’on nous transforme en femme fatale ou je ne sais quoi. Comme si un homme était blanc comme une colombe quand nous vient l’idée de le quitter. Comme si c’était plus grave que quand lui le fait sur notre dos en douce. Et surtout, des chansons, j’en ai tellement dans la tête, qu’elle en penche certains soirs.
Non, moi, je veux les vivre si intensément que jamais elles ne pourraient être chantées. Et puis, moi, comme je vous l’ai dit, je veux juste un homme qui saurait me prendre dans ses bras en me chuchotant les paroles de cette fameuse chanson pour lui dévoiler mon cœur que je garde précieusement loin des autres rien que pour lui.
Et le reste n’aura alors plus d’importance.
- Jimmie ! Jimmie !
Oui, vraiment aucune espèce d’importance. Faudra juste ne pas retourner et regarder droit devant, les yeux grand ouverts.
La semaine dernière je suis retombé dessus et je me suis demandé si je ne pouvais pas en faire un seul texte, vu que l'ensemble avait une certaines unité. J'ai élagué dans les allusions musicales (le connaisseur pourra en deviner encore quelques unes au-dela du name dropping). Et surtout, j'ai évité de faire le tri dans les idées, j'ai juste cherché à ce qu'elle s'insère davantage dans un tout. D'ailleurs, sans doute ne s'inserera-t-il pas dans Mes Portraits des Jours Anciens...
Bref, contrairement au Prisonnier, le lecteur est totalement libre face au texte. C'est un peu ça la grande idée du texte: mettre en hors champ l'histoire et les explications. Si le texte fonctionne, le lecteur se construit son histoire à partir des éléments indices du texte. S'il échoue, il se demandera de quoi parle le texte (ce en quoi il ne pourrait avoir vraiment tort parce que le résultat est n peu en foutoir, je veux bien l'admettre).
Enfin, le style ressemble davantage à ce qui m'attire actuellement. Une veine un peu onirique qui manque justement dans la fin de mon Chant des Pierres...
Le résultat est là, et je ne sais pas quoi en penser.
La Vérité, les yeux grand ouverts
Je suis sûre que cela vous est déjà arrivé. Vous savez, vous marchez dans la rue, puis vous entendez une voix et vous croyez qu’on vous appelle. Alors, vous vous retournez, et votre regard ne croise personne que vous connaissez. Mais cette fois, j’ai vraiment cru qu’on m’appelait dans la rue pour de vrai. Je me suis retournée et, bien entendu, je n’ai vu personne. Du moins, pas de ma connaissance. Pourtant… Ce nom soudain entendu a tout pour me faire peur car il y a longtemps qu’il n’appartient plus au présent.
Je préfère l’ignorer et continue comme si de rien n’était. Une boutique attire mon regard. Notamment ces escarpins gris foncés. Je suis sûre qu’ils lui plairaient avec ma nouvelle robe… Ah, les hommes avec leur manie de vouloir nous voir avec de belles silhouettes et prêtes à nous dandiner devant eux! Ah, les femmes avec nos manies à vouloir leur plaire, même si, comme moi, elles n’aiment pas spécialement porter des talons hauts! Sauf que, cette fois-ci, je m'arrête car je suis sûre qu’on m’a vraiment appelée.
« Marianne ! Marianne ! »
Pourtant, c’était un « Marianne » qui voulait dire « Jimmie »… Une voix qui me place définitivement face à mon passé. Une autre moi… Non, je ne veux pas me retourner, j’ai trop peur de revoir le sourire niais d’un homme qui croit me connaitre alors qu’il ignore tout de moi. Et je ne veux plus de mon passé. Je ne suis plus Jimmie (ou Jimmy quand c’était eux qui me le disaient). Je suis Christine… Et parfois, effectivement, je suis encore Marianne…
C’est étrange de ne pouvoir vous dire mon vrai prénom. J’en ai eu tellement dans ma vie. Une véritable girouette. Ce que je peux vous dire, c’est qu’à cette époque, je ne m’appelais pas Marianne. J'avais aussi la taille un peu plus fine, avec des yeux de biche à faire enflammés les barils d'essence. Oui, de vrais yeux revolver. Pas le revolver de l'autre ringard, non, celui de qui vous savez, celui qui n'était pas un mais quatre et fabuleux... Parce que « Revolver » en anglais, ça m’a toujours paru mieux qu’en français.
J’ignore si c’est pour ça que je n’ai pas peur. Or la vérité m’a toujours effrayée. C’est pourquoi j’aime mentir. J’ai menti toute ma vie. Seulement, je sais qu’un jour, je serai forcée de dire la vérité. Juste pour toi. Oui, où que tu sois, je la garde pour toi. J’ai même fait plus que ça. Rien que pour toi, j’ai mis mon cœur à l’intérieur d’une chanson. Parce que cette chanson porte mon vrai nom. Oui, j’ai mis mon cœur dans une chanson et quand un garçon me la fera écouter, je serais sa femme pour la vie entière, comme un pacte secret et silencieux signé dans le sang. Je sais que c’est bête, mais c’est une façon de me protéger de tous les autres.
« Marianne ! Marianne ! »
Décidément, il ne va pas me laisser finir mon histoire. J’accélère comme si je ne l’avais pas entendu. Et puis, je file sur la droite, là où il y a plus de monde, parce que je me dis qu’il finira bien par me perdre ou à se lasser ou se dire qu’il se trompe peut-être.
Même si j’aimerais bien tout vous raconter, l’autre problème, c’est qu’il m’est interdit de vous donner mon vrai prénom car, immédiatement et à jamais, je me transformerais en louve-garou. Or je veux garder le pouvoir de me changer à ma guise. Par contre, j’ai le droit de vous faire écouter cette chanson pour que, vous aussi, vous deveniez, un court instant, mes compagnons loup-garou. Mais honnêtement, en aurez-vous le cran? Oserez-vous le faire si vous deviez en payer le prix ? Oui, demandez-vous avant si vous auriez véritablement la force de vous laisser emporter par ce morceau jusqu’à sa dernière note. Parce que, en toute honnêté, n’avez-vous jamais ressenti la peur d’échouer quand l’ensemble de votre vie était sur le point de basculer ? Moi, je l’ai ressenti toute ma vie durant. Et je connaissais même précisément le prix dès le départ. Et je l’ai toujours su. Et je l’ai payé tout de suite sans aucun remord.
Honnêtement, un jour, j’aimerais bien vous laisser découvrir par vous-même ce morceau. Il serait là pour vous hypnotiser. Sauf que vous devriez plonger vos yeux et vos oreilles dans sa noirceur sans fond pour découvrir si, vous aussi, vous êtes prêts à votre tour à franchir, comme moi, l’épreuve qu’il contient. Affronter sa monotonie pour découvrir qu’il n’est pas qu’ennui, que plus il avance, et plus il tend autour de vous d’étranges bras, vous chuchote et distille son poison. Oui, le pire qui puisse vous arriver, c’est de ne voir que le Vide et l’Ennui dans ces notes qui rebondissent, s’éteignent et repartent comme un long serpent. ÇA, c’est la superficialité des choses. La peau qu’on caresse distraitement en pensant au repas. Il faut aller plus loin, découvrir que le noir et le blanc sont couleurs même quand tout est gris autour de nous.
Or c’est le prix à payer pour partager ma vie. Peu d’hommes ont réussi l’épreuve. Ils se sont distraits, ils ont détourné leur regard. Leurs oreilles ont entendu d’autres chants, d’autres stridences, parfois plus maléfiques encore. Le dernier qui est tombé dans mes bras ne sait pas encore qui je suis. Mais c’est une autre histoire. Et là, ce n’est pas lui qui a peur, c’est moi. Peur de le voir détourner son regard… Peur qu’il baisse le son et m’embrasse avant que ne retentisse la délivrance du charme de la dernière note.
Et cette peur, vous la connaissez certainement, non ? Dîtes-moi que vous la connaissez… Qu’elle n’est pas seulement dans ma tête… Forcément, si vous avez aimé passionnément, vous avez dû la sentir en vous, cachée quelque part dans ces deux yeux qui vous regardent.
Moi, j’adore être avec des garçons. J’adore qu’ils me serrent fort dans leurs bras. Et puis, j’adore plus que tout me blottir contre eux. Pourtant, les garçons grandissent, deviennent de vrais hommes et aucun n’a encore trouvé cette chanson. Et ce n’est pas faute de les regarder, de les désirer, de perdre la tête pour eux. C’est encore moins ma faute si j’adore ça. Et je sais m’y prendre pour les attirer à moi. C’est si facile avec mon sourire et mes yeux de biche.
Pourtant, il y a toujours un moment où je leur fais peur. Et ils ont raison d’avoir peur. Certains disent que je suis une chieuse… Je ne le crois pas... D'autres disent que je suis une louve garou... Je ne crois pas non plus... Je suis juste un peu des deux... Ce qui est sûr, c'est que j'ai de vraies dents pour mordre et que je suis spéciale. Vraiment spéciale... Et quand mon dernier amour est en face de moi et que déjà il ne sourit plus, j’ai soudain peur… Mais le premier ? Tu sais, le tout premier ? Dis, tu t’en rappelles ? Oui… Jamais je ne l’oublierai… Jamais…
La seule chose gênante dont je me rappelle, c'était qu'à l'époque, on m’appelait Jimmie (en tout cas, moi, dans ma tête je l'écrivais « Jimmie », mais dans la leur, je suis sûre que, eux, les salauds, ils l'écrivaient « Jimmy »). Oui, Jimmy comme Jimmy Jazz. Comme dans le morceau des Clash. Un nom de garçon parce qu’un jour, j’avais osé dire à un garçon que j’aimais les Clash et que je n’avais pas voulu sortir avec lui. Alors, à cause de lui, tout le monde avait fini par m’appeler Jimmy (ou Jimmie dans ma tête). Un prénom de garçon. Un prénom qui me faisait mal. Et parce qu’aussi, je ne sais pas pourquoi, je lui avais un jour avoué que je n’avais encore jamais embrassé de garçon.
Il faut dire qu’à l’époque, dès qu’un garçon écoutait un peu la même chose que moi, je le voyais différemment. J’avais envie de lui donner mon cœur. Depuis, j’ai appris comment me protéger, mais à l’époque, je le donnais facilement. Mais cette première fois… Le doux contact de ses lèvres… Comment pourrai-je l’oublier ?
Ce n'était d’ailleurs peut-être pas la toute première fois, non, il y en avait eu d’autres, ou peut-être les avais-je rêvées, mais ce qui est sûr, c'était la première fois que Jimmie le faisait. Et ce qui est sûr aussi, quand la nuit s’est déchirée et que la mélodie de Lonesome Town de Ricky Nelson a tremblé dans mes oreilles, ça ne pouvait pas être qu’un simple baiser comme les filles en donnent en veux-tu en voilà. Non, celui-là, je m’en rappelle, je l'ai fait les yeux grands ouverts pour mieux voir le monde tourné autour de moi et se transformer au gré des formes diaphanes et troubles de mes larmes, comme si j'étais vraiment toute seule au monde, et, peu à peu, la piste de danse a retrouvé son intime obscurité, Lonesome Town a disparu de mes oreilles et la vérité est apparue: je n'étais plus Jimmie, j'avais embrassé un garçon qui s'appelait Vincent et je n'avais pas dansé sur Lonesome Town, mais sur un morceau que je tiens secret, car, à chaque fois que je danse dessus avec un garçon et que je l'embrasse les yeux ouverts, je deviens une autre femme. Et c’est tout le problème…
Et alors, dans ces moment-là avec les garçons, parfois, la nuit se déchire. Je vous jure que ce fut le cas ce soir-là, mes yeux s'en souviennent parfaitement. Et une nuit qui se déchire, ça ne fait pas beaucoup de bruit, croyez-moi. Seulement, si vous écoutez bien, il y a certainement Lonesome Town qui résonne pas loin, peut-être même interprété par les Cramps. Oui, là, les premières notent m'ont remuée comme s'il n'y avait que moi au monde. Alors je me suis rapprochée de Vincent avec son sourire soudain un peu niais, j'ai passé mes bras autour de son cou (parce qu'à force de me sourire, il oubliait parfois de danser), et puis, tout… tout… tout doucement, je me suis approchée de ses lèvres et j'ai embrassé pour la première fois un garçon...
Et là, j’ai attendu que la nuit se déchire…. J’ai attendu le temps de ce baiser. Avec mes deux yeux gardés grand ouverts. Puis, j’ai laissé les notes de Lonesome Town s’écouler puis disparaître… Alors enfin, j’ai oublié. Oublié Vincent et son sourire niais… Oublié qu’on ait pu m’appeler Jimmie… Oublié que je ne voulais pas embrasser les garçons… Oublié que parfois je suis une louve-garou… Et le temps se suspend. Et je compte. Un, deux, trois, quatre… Et comme ça, jusqu’à dix-sept. Pourquoi dix-sept ? Ne me le demandez pas, c’est un autre secret, une mesure de vie magique. Et le temps peut s’écouler, s’enfuir ou se prendre les pieds dans le tapis, ça n’a plus d’importance. Nos langues, se touchent, s’enroulent… Ma tête tourne, même avec les yeux grands ouverts sur la nuit déchirée. Neuf… Dix… Onze…
Pourtant, ce jour-là, quand la lumière s'est éteinte, et que les dernières notes de Lonesome Town ont retenti, il n'y avait pas de doute, je dansais bien avec ce maudit Vincent, nos deux bouches jointes l’une à l’autre. Et je me rappelle très bien de son foutu sourire de nigaud quand nos lèvres se sont séparées. J'avais dansé avec lui parce que j'espérais bien perdre à cette occasion, non pas mon pucelage, mais ce maudit prénom de Jimmy... Car ce prénom ne pouvait pas coller à mon histoire.
Et, ce jour-là, Vincent, en face de moi, n’avait pas souri longtemps… Je ne vous dirais pas ce qui s’est ensuite passé avec lui parce que cela ne vous regarde pas. Il vaut peut-être mieux pour moi. Ou peut-être pour vous, qui sait ? Ce qui est sûr, c'est que j'ai de vraies dents pour mordre et que je suis spéciale. Très spéciale... Certainement bizarre même, diraient certains. Les deux, sans doute. Et puis, peut-être un peu folle… Je suis une femme qui ne s’appelle ni Jimmie, ni parfois Christine, mais Marianne. Simplement Marianne. Et j’aime me dire, quand retentira l’ultime note de ma chanson, que décidément, oui, il fera bon de s’appeler Marianne à nouveau.
La vie m’a joué bien des tours et je lui en ai joué plein aussi. On pourra même dire que nous sommes quittes. Et si aujourd’hui il y a nul garçon pour m’embrasser à côté de moi et pour m’apporter cette douce chaleur qui donne envie de sourire jusqu’aux étoiles, alors il me reste cette dernière chanson avec mon cœur dedans, ample et effrayante, et qui attend une seule voix, la mienne, la vôtre, la nôtre, un cri pour que la nuit redevienne nuit et que je ne me réveille plus petite fille, mais simplement femme. Quatorze… Quinze… Seize et dix-sept… Et voilà…
« Christine ! Christine ! »
Oui, en vrai, j’ai aussi été Christine. Pas la « Christine » prononcée en français, mais la « Christine » prononcée en Anglais. Comme pour « Revolver », ça sonne beaucoup mieux, vous ne trouvez pas ? Et Christine n'était pas très sage, je dois l'avouer... Je n'aime d’ailleurs pas trop me rappeler d'elle. A ce propos, je vous avais déjà raconté la fois où je me suis mariée 24 fois dans une même journée ? Non ? J’avais à peine le temps de changer de robe. Et je crois n’avoir jamais autant couru. Courir, courir, pour se marier, c’est délicieux ! Enivrant ! C’est comme être un papillon qui vole de fleur en fleur. Et voir tous ces hommes m’attendre patiemment sans qu’ils ne se doutent de rien. Et les voir ensuite me regarder partir en courant, et me courir après pour que je reste avec eux.
« Au suivant ! Au suivant ! », comme disait Brel.
Plus jamais depuis, un homme ne m’aura autant couru après. Et plus jamais depuis, je ne me suis mariée. A la place, j’ai eu deux enfants. Et, je le dis carrément entre les deux, il vaut mieux avoir des enfants que de se marier, même si cela n’avait été qu’une seule et unique fois.
Peut-être vous demandez-vous si Vincent a fait partie du lot des mariés ? Eh bien non, pas Vincent… Lui avait déjà eu mon premier baiser, c’est déjà pas mal, non ? Mais Marc, lui, en a fait partie. Oui, Marc ! A l’époque, on le surnommait encore Mac The Knife, parce qu’il avait toujours son couteau sur lui. Et lui, -je le sais- tout au fond de lui, il m’en veut toujours à mort. D’ailleurs, à lui, je lui avais avoué que je ne m’étais mariée que sept fois au cours de ce drôle de marathon, car, sous ces airs durs, il avait un joli cœur tout tendre. Un amour de cœur qu’il gardait lui aussi caché depuis très longtemps. C’est très bête mais je m’imaginais que cela aurait été plus simple pour lui à accepter… Quelle conne j'avais été sur ce coup-là! Alors, il m’a dévisagée et prononça d’affilé sept fois « Salope ! » d'une voix de plus en plus terrible. Si vous n'avez jamais vu Marc s'énerver, je peux vous dire qu’on n’en mène pas large, surtout une femme comme moi! Puis, il a commencé à me dire des horreurs et à sortir son couteau. Puis, il a menacé de me faire la peau. Alors, je lui ai à peine laissé le temps de déchirer un peu le tissu de la belle dentelle blanche que je portais et je me suis sauvée vite fait ! Avec toutes les cigarettes qu’il fumait (et fume toujours), il ne faisait pas le poids pour me courir après, même avec ma robe de mariée. Même avec ma longue traîne blanche. Même avec mes talons hauts… Non, il ne m’a jamais rattrapée…
« Christine (en anglais) ! Christine (en anglais) ! »
Non, ne pas se retourner ! Surtout ne pas me retourner. Lui, je suis sûre qu’il m’a reconnue, mais moi, j’ignore qui sait. Sans doute l’une de mes vingt-quatre victimes de ce fameux jour. Et je suis certaine que, même si je me retournais, je ne le reconnaîtrais pas. A dire vrai, j’ai presque oublié tous leurs visages. Pourtant, chacun d’eux est autant de fantômes qui hantent mes nuits. Je ne vois plus leurs visages, juste des bouches déformées prêtes à me dévorer… C’est pourquoi, parfois, j’ai besoin d’être une louve-garou. Pour les faire fuir… Oui, dans ces moments-là, j’aime avoir de vrais crocs. Pas seulement pour ces fantômes, d’ailleurs…
Le dernier de ces mariages en série, c’était avec un certain Jimmy. C’est rigolo, parce que, pour l’occasion, c’est lui qui m’avait demandé de m’appeler Christine pour éviter les confusions devant le curé. « Jimmy, voulez-vous prendre pour épouse Jimmie ? » Il avait trop peur que l’église se bidonne alors que ça aurait dû être le plus beau jour de sa vie. Pauvre Jimmy, j’espère ne lui pas avoir trop fait mal ce jour-là. Sauf que, vous l’aurez compris, j’ai pas toujours été très sage avec lui. Et si je ne lui avais fait que ça… Et franchement, ce n’était pas réglo de ma part. A cette époque, je l’avais même quitté en chantant: « Sometimes I Forget that we supposed to be in love. Sometimes I Forget my positions ». Un titre du groupe Magazine. Et vous savez quoi? Je crois qu’il m’avait immédiatement pardonnée parce que j’avais trouvé pile la chanson qu’il fallait pour l'occasion! Un vrai seigneur, ce Jimmy.
Mince, encore cette voix !
« Christine (toujours en anglais) ! Christine (en anglais mais avec un sale accent français cette-fois-ci) ! »
Oh je crois que j'ai reconnu cette voix... Bon, autant se l’avouer, comme jamais je n’aurai le temps nécessaire pour tout vous raconter, je dois aussi vous dire qu’il y a eu au moins une autre victime de cette journée que vous connaissez bien, mais j’ai promis de taire son nom. Ce serait à lui de le dévoiler s’il en a envie, pas à moi, car, s’il y a bien une chose que je sais faire, c’est garder un secret. Il se reconnaîtra. Oui, ce jour-là, pour lui, Christine est devenue Marianne... Et d’ailleurs, très cher, à toi aussi, je ne te demande pas de me pardonner, juste que tu acceptes que je puisse être aujourd'hui différente que ce jour-là. Mais ne crois pas pour autant que je me retournerai davantage pour toi!
De toute façon, vous, les mecs, vous êtes tous des machos. Dès qu’on vous tient tête, dès qu’on vous montre qu’on en autant de vous dans notre soutif que vous dans le pantalon, on devient des salopes. Mon problème, quand je deviens une louve-garrou, c’est que je deviens effectivement une vraie salope. Pire que celles qui ont fait pleurer tous les bluesmen de la terre. D’ailleurs, tout ça, c’est du toc. Ce qui intéresse Robert Johnson ou Hank Willams, franchement, vous croyez que c’était d’être authentiquement malheureux ? Non, ils se sont servis de nous pour écrire des chansons. Oui, vous les mecs, même quand on vous rend malheureux, vous nous exploitez ! Vous nous les chantez pour qu’on pleure sur votre sort et puis, d’un coup, vous nous prenez ce que vous avez toujours voulu. Même si on vous le donne souvent de bon cœur…
Mon problème à moi, c’est quand je redeviens encore une autre que Marianne… Je suis alors face à toutes mes chansons qui emplissent ma tête et je ne suis plus du tout cette Christine ou cette Jimmie. Cette autre femme est infiniment plus sage… Et puis, moi je ne veux pas qu’on se serve de moi pour écrire des chansons. Et puis, moi, des chansons, j’en ai déjà bien trop dans la tête. Marre qu’on nous idéalise ! Marre qu’on nous fasse encore payer le pêché d’Eve (une histoire qui, soit dit en passant, n’a pu être écrite que par un macho de mec !) ou qu’on nous transforme en femme fatale ou je ne sais quoi. Comme si un homme était blanc comme une colombe quand nous vient l’idée de le quitter. Comme si c’était plus grave que quand lui le fait sur notre dos en douce. Et surtout, des chansons, j’en ai tellement dans la tête, qu’elle en penche certains soirs.
Non, moi, je veux les vivre si intensément que jamais elles ne pourraient être chantées. Et puis, moi, comme je vous l’ai dit, je veux juste un homme qui saurait me prendre dans ses bras en me chuchotant les paroles de cette fameuse chanson pour lui dévoiler mon cœur que je garde précieusement loin des autres rien que pour lui.
Et le reste n’aura alors plus d’importance.
- Jimmie ! Jimmie !
Oui, vraiment aucune espèce d’importance. Faudra juste ne pas retourner et regarder droit devant, les yeux grand ouverts.
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- San
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- Messages : 1069
il y a 7 ans 1 semaine - il y a 7 ans 1 semaine #21415
par San
Réponse de San sur le sujet La Vérité, les yeux grand ouverts
On dirait les paroles d'une chanson, de bout en bout. Des paroles lancées dans l'air parce qu'elles sonnent bien ensemble.
Je suis pas mal passée à côté du texte je crois
Dans quelques détails...
« Je me suis retournée et, bien entendu, je n’ai vu personne. Du moins, pas de ma connaissance. »
Je connais le sentiment, mais ça ne m’arrive que quand il n’y a vraiment personne autour de moi, je crois.
« La seule chose gênante dont je me rappelle, c'était qu'à l'époque, on m’appelait Jimmie (en tout cas, moi, dans ma tête je l'écrivais « Jimmie », mais dans la leur, je suis sûre que, eux, les salauds, ils l'écrivaient « Jimmy ») »
Il me semble que ce n’est qu’une redite du début du texte - «Je ne suis plus Jimmie (ou Jimmy quand c’était eux qui me le disaient) » - qui ne rajoute pas grand-chose.
Je suis pas mal passée à côté du texte je crois
Dans quelques détails...
« Je me suis retournée et, bien entendu, je n’ai vu personne. Du moins, pas de ma connaissance. »
Je connais le sentiment, mais ça ne m’arrive que quand il n’y a vraiment personne autour de moi, je crois.
« La seule chose gênante dont je me rappelle, c'était qu'à l'époque, on m’appelait Jimmie (en tout cas, moi, dans ma tête je l'écrivais « Jimmie », mais dans la leur, je suis sûre que, eux, les salauds, ils l'écrivaient « Jimmy ») »
Il me semble que ce n’est qu’une redite du début du texte - «Je ne suis plus Jimmie (ou Jimmy quand c’était eux qui me le disaient) » - qui ne rajoute pas grand-chose.
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- Iggy Grunnson
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- Messages : 418
il y a 7 ans 1 semaine #21420
par Iggy Grunnson
Réponse de Iggy Grunnson sur le sujet La Vérité, les yeux grand ouverts
C'est un autre de ces textes que j'ai lus au moment de leur publication, et que je n'ai pas eu le temps malheureusement de commenter sur le moment...
Ce qui m'a frappé, c'est qu'après les anges et le prisonnier c'est le troisième texte d'affilée où Zarathoustra nous plonge dans l'esprit d'un personnage dont la santé mentale est douteuse, avec une narration soumise à la subjectivité du protagoniste. On voit que c'est vraiment ce qui t'inspire en ce moment.
Par contre, à la différence des deux autres textes, qui cultivaient une ambiance un peu pesante, voire franchement malsaine (Le Prisonnier), j'ai trouvé ce texte là beaucoup plus léger, plus agréable... Pour être honnête, je me suis laissé porter par le texte sans essayer d'en déchiffrer le sens, comme une chanson pop entraînante qu'on fredonnerait sans comprendre les paroles... Ce qui est plutôt a-propos quant on y réfléchit bien!
Iggy
Ce qui m'a frappé, c'est qu'après les anges et le prisonnier c'est le troisième texte d'affilée où Zarathoustra nous plonge dans l'esprit d'un personnage dont la santé mentale est douteuse, avec une narration soumise à la subjectivité du protagoniste. On voit que c'est vraiment ce qui t'inspire en ce moment.
Par contre, à la différence des deux autres textes, qui cultivaient une ambiance un peu pesante, voire franchement malsaine (Le Prisonnier), j'ai trouvé ce texte là beaucoup plus léger, plus agréable... Pour être honnête, je me suis laissé porter par le texte sans essayer d'en déchiffrer le sens, comme une chanson pop entraînante qu'on fredonnerait sans comprendre les paroles... Ce qui est plutôt a-propos quant on y réfléchit bien!
Iggy
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- Zarathoustra
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- Messages : 2081
il y a 7 ans 1 semaine #21421
par Zarathoustra
Réponse de Zarathoustra sur le sujet La Vérité, les yeux grand ouverts
Merci à vous deux.
Je dois avouer que je ne pense pas que ce texte soit très fameux. Il a un côté foutoir que je ne suis pas parvenu à gommer. En fait, pour moi, il y a deux parties. La première, qui n'est en soi pas forcément terrible, mais qui contient quelques phrases ou passages que j'aime bien. Et puis il y a la seconde qui commence avec l’histoire des mariages que je trouve plus réussie.
Et si je l'ai mis en scriptorium, c'est bien parce qu'en l'état, ça ne me satisfait pas et que je pense qu'il faudrait à la fois faire le tri et à la fois mieux développé certaines idées. Par exemple, l'idée de la louve-garrou. En l'état, c'est pas assez exploité et pourtant je pense que cela suggère quelque chose d'intéressant. Mon idée était de mettre cette histoire hors-champ pour que le lecteur se fasse sa propre histoire, si possible en la liant à l'histoire du coeur dans la chanson. La symbolique me paraissait suffisamment forte. Sauf que je ne pense que ça marche vraiment, justement aussi parce qu'il y a trop de choses.
Pour la petite histoire, il doit Rester quelques allusions aux Beatles (Revolver), à Siouxsie and the Banshees et House of Love (pour leur Chanson Christine), les Pretenders (Brass in my Pocket avec le passage "I'm so special"), The Cure avec 17 seconds etc.
Je dois avouer que je ne pense pas que ce texte soit très fameux. Il a un côté foutoir que je ne suis pas parvenu à gommer. En fait, pour moi, il y a deux parties. La première, qui n'est en soi pas forcément terrible, mais qui contient quelques phrases ou passages que j'aime bien. Et puis il y a la seconde qui commence avec l’histoire des mariages que je trouve plus réussie.
Et si je l'ai mis en scriptorium, c'est bien parce qu'en l'état, ça ne me satisfait pas et que je pense qu'il faudrait à la fois faire le tri et à la fois mieux développé certaines idées. Par exemple, l'idée de la louve-garrou. En l'état, c'est pas assez exploité et pourtant je pense que cela suggère quelque chose d'intéressant. Mon idée était de mettre cette histoire hors-champ pour que le lecteur se fasse sa propre histoire, si possible en la liant à l'histoire du coeur dans la chanson. La symbolique me paraissait suffisamment forte. Sauf que je ne pense que ça marche vraiment, justement aussi parce qu'il y a trop de choses.
Pour la petite histoire, il doit Rester quelques allusions aux Beatles (Revolver), à Siouxsie and the Banshees et House of Love (pour leur Chanson Christine), les Pretenders (Brass in my Pocket avec le passage "I'm so special"), The Cure avec 17 seconds etc.
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- San
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- Messages : 1069
il y a 7 ans 1 semaine #21426
par San
Réponse de San sur le sujet La Vérité, les yeux grand ouverts
Je n'ai pas fait la chasse aux références mais elles me semblent assez simples à trouver.
Le début de ton texte m'a davantage séduite que l'histoire des mariages je crois. On commence avec des histoires d'identité intéressantes, mais après je me suis un peu perdue je crois. Et la louve garou j'ai pas du tout compris
Le début de ton texte m'a davantage séduite que l'histoire des mariages je crois. On commence avec des histoires d'identité intéressantes, mais après je me suis un peu perdue je crois. Et la louve garou j'ai pas du tout compris
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Modérateurs: San, Kundïn, Zarathoustra