file [Journal] Errance

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il y a 7 ans 3 mois - il y a 7 ans 3 mois #21344 par Vuld Edone
[Journal] Errance a été créé par Vuld Edone
Hi'.

J'ai discuté avec Zara' sur Discord, et évoqué l'envie que j'avais de retenter l'expérience du Libra. Je parle du premier Libra, qui devait être publié à raison d'une page par jour. Rythme soutenu et assez sympathique. Ce qui suit reprend ce principe.

Ce que j'appelle ici un "journal" est donc un texte dont les règles sont :
- Minimum une demi-page, maximum une page par jour.
- Les jours non-publiés se cumulent.
Autrement dit, si je ne publie pas pendant trois jours, le quatrième jour j'aurais quatre pages à écrire au lieu d'une.
J'ajoute deux autres règles personnelles :
- Pas de plan, improviser.
- Éviter le "métadiscours".
Le but est que l'histoire me demande le minimum d'efforts (d'où aussi le choix d'un format assez comique) pour que je puisse écrire une page le soir sans crainte de "sécher". D'où aussi l'envie d'éviter de jouer avec le format, typique avec le Libra : ici j'ai choisi le style épistolaire, et le narrateur peut évoquer mes retards, mais essentiellement le texte et le lecteur n'ont aucune conséquence sur l'histoire elle-même.

L'histoire elle-même, "Errance", est une forme de Don Quichotte au Liscord, l'histoire d'une jeune bourgeoise voulant devenir chevalière :
- Voici à quoi se résume ma préparation .
- Et voilà le texte .
Un GoogleDoc est plus agréable à lire qu'un texte sur forum. Mais, selon le principe du texte, je publierai à la suite chaque nouvelle "page" dans un message à part ci-dessous.

Là-dessus, chroniqueurs,
à vos plumes !

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il y a 7 ans 3 mois - il y a 7 ans 3 mois #21345 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet [Journal] Errance
Premier jour

Je suis fier de vous annoncer que votre fille a vaillamment parcouru treize kilomètres depuis son départ, et campe désormais dans un bosquet à l'abri du vent, après s'être amusée à faire du feu. Depuis le village nous avons remonté la route vers Beauclair, puis Karine frustrée de voir les charrettes nous dépasser a pris un sentier de plaine qui va nous faire traverser les grandes plantations. En somme, et pour le moment, nous nous promenons dans les environs, et nous pourrions être de retour avant demain midi.

Il me faut souligner que, même si elle est entêtée, votre fille se débrouille bien. Elle parle de chasser sa propre nourriture, d'attraper les truites à mains nues dans la rivière et nous avons discuté de la propreté des vêtements et de la chaleur qui pourrait revenir. Sans doute, si nous l'avions faite se promener un peu plus à cheval dans ces paysages familiers, elle serait restée sauvageonne, mais se serait plutôt vouée à la charpenterie qu'à la guerre.

Elle n'a, en particulier, à aucun moment voulu piquer un galop, arguant qu'elle ne voulait pas fatiguer sa monture et si l'intention est naïve, elle est néanmoins touchante autant que responsable. D'autres se seraient laissés aller à la griserie.

Moi, par exemple, à son âge.

Cela ne l'empêche pas de prendre sa vocation au sérieux, et pendant que je m'occupais de ramasser du petit bois je l'ai vue répéter son escrime. Ses gestes sont précis et savants, nullement emportés. On dirait la même science avec laquelle on bat le fer ou le beurre, ou on compte les pièces, le même soin réfléchi et calculé.

Quand je lui ai proposé de lui servir de cible, elle a trouvé quelque excuse pour refuser, et je suis sûr que ce n'est pas lié aux souvenirs de nos vieux entraînements, où elle était plus souvent proche du sol que de moi, et je le regrette.

Sans doute que vous m'en voudrez de cet aveu, mais j'apprécie de pouvoir passer du temps avec Karine. Ces circonstances vous déplaisent, je le sais bien, mais elle s'amuse et moi-même quand elle me regarde je ne me sens plus tel un vieux meuble encombrant. Si j'avais su que pour pouvoir converser autant il me suffisait d'être en selle plutôt qu'au salon, je lui aurais acheté toute une écurie depuis longtemps. Les enfants, voyez-vous, sont ces mystérieux animaux que nous n'avons jamais cessé d'être et qui nous échapperont éternellement.

Si nous atteignons Beauclair, si elle consent à y passer, il serait peut-être de bon ton d'y envoyer à l'avance quelques vêtements. Je sais que nous campons à la belle étoile, mais il ne sied pas à votre fille de dormir si légèrement. Sans doute l'automne, les premières pluies et la raison l'amèneront à céder à cette autre tracasserie.

Je ne sais s'il sera possible de vous tenir au courant avec la constance que vous m'avez demandée, sachant que je n'ai à ma disposition qu'un seul pigeon. Je ferai au mieux et pour cette nuit si vous n'êtes pas encore endormi, retournez vous coucher sans le moindre souci. Et par pitié, abandonnez ce chapeau, feu votre père aurait honte pour vous.

Votre dévoué.

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il y a 7 ans 3 mois #21346 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet [Journal] Errance
Deuxième jour

Nous nous sommes levés à la première heure, et si vous vous rappelez bien, cela signifie bien avant que le le soleil n'ait une chance de se lever. J'ai d'abord cru que Karine craignait une menace, mais apparemment elle voulait juste repartir dès que possible. Le résultat est que, passé la moitié de la matinée, je n'ai plus eu pour compagne de route qu'une fille somnolente sous sa mailles.

Notre première halte s'est faite près de la rivière, en aval du pont menant à Beauclair. J'ai laissé boire les chevaux et suggéré à votre fille de se tenter à la pêche. Elle n'avait, hélas, pas la patience pour tenir une ligne, et à la place est allée s'asseoir contre un arbre pour se reposer. Je ne l'ai pas réveillée avant midi passé.

Je crois qu'elle m'en veut d'avoir cuisiné, mais au moins elle a semblé suffisamment en forme pour reprendre le voyage.

Nous restons toujours à l'écart de la route, et je crois qu'à présent votre fille s'entête à prendre les chemins les plus improbables pour se perdre dans la nature. J'ai eu beau lui rappeler que cela allait nous retarder, elle s'entête et moi je me débats avec les branches d'arbre. Cela m'a donné l'occasion de visiter des recoins de la région que je n'aurais jamais pensé voir, et il faut admettre que ces petits bois ont un certain charme, mais c'est tristesse que de voir les animaux fuir à l'approche de notre vacarme.

Il y a, à l'écart de Beauclair, une formation rocheuse qui semble comme effondrée de la motte de terre que je me refuse à appeler colline, et qui a pris l'habitude de se couvrir de mousse au printemps pour la perdre en automne. On ne m'en avait jamais parlé, mais votre fille m'assure qu'il y est attaché une légende, et cela me déplait. Mais enfin, puisqu'elle a voulu s'arrêter là pour le soir, je ne me suis pas plaint, et sur la première excuse j'ai galopé jusqu'à Beauclair pour nous acheter des légumes, un peu de pain et deux fioles de vin. Je les garde pour quand elle voudra bien admettre que ce luxe lui manque.

À mon retour, elle était encore à s'entraîner. Je dois l'admettre, elle s'acharne. Vous pensiez qu'elle se lasserait vite, mais je peux voir qu'elle n'a aucune intention de reculer, et peut-être ne fuira-t-elle pas une fois les premières difficultés venues.

Je ne parle pas de grandes difficultés, seulement des désagréments du voyage, rassurez-vous donc.

Avant d'éteindre le feu, Karine m'a demandé de lui raconter d'autres histoires sur les chevaliers. J'ai refusé, mais je lui ai raconté quelques fables et elle s'est endormie sur mon bras. Cela m'a fait hésiter, car je pense l'emmener contre son gré près d'une ferme où vit Pascal Drevant, un ami d'un ami chez qui elle pourrait dormir plus confortablement. Elle risque de m'en vouloir, mais enfin je devrais pouvoir lui faire entendre raison.

Et savez-vous, j'y pense en l'écrivant, avec votre permission et si elle accepte mon caprice je l'emmènerai peut-être dormir dans un vrai château. Il doit en rester encore où je ne serai pas jeté dans un donjon, et qui feront le bonheur de votre fille à défaut, je le sais d'avance, d'étancher ses rêves.

Votre dévoué.

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il y a 7 ans 3 mois - il y a 7 ans 3 mois #21347 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet [Journal] Errance
Troisième jour.

Je me suis encore rendu à Beauclair ce matin, et j'ai été surpris de n'y avoir aucun message de votre part. Ma foi, ce n'est pas plus mal, et cela prouve que vous avez le sang froid. Gardez seulement en tête que votre fille ne restera pas éternellement dans la région, et qu'il sera de plus en plus difficile, la distance n'aidant pas, à rester en contact.

Nous nous sommes, une fois encore, levés à une heure innommable, et sur excuse d'aller éclairer la route je suis passé au village notamment pour prendre des nouvelles, et pour voir si je pourrais convaincre Pascal Drevant de mon plan. Hélas, les bonnes dispositions d'hier n'ont pas duré, la faute à la maladie. Cela vous semblera soudain, mais dans les villages la maladie est une voisine qui aime visiter, et elle va et vient aussi aisément que cela, presque aussi régulièrement qu'on ne se rend au marché. Je suis donc reparti quelque peu déçu mais non sans une foule de précieuses informations.

Ainsi, je sais par exemple que plus au nord-ouest, à vingt-cinq ou trente kilomètres de Beauclair, les bois de Blemont ont reculé, sous les haches mais surtout sous les coups d'une nature ingrate. Le comte de Marens y a chevauché avec ses hommes et il n'y a donc pas de lieu plus sûr dans tous le Cairle.

Je me suis permis d'emmener votre fille là-bas.

Malheureusement, nous n'y sommes jamais arrivés. Je crois que les chevaux sont fatigués de chevaucher si peu et si lentement, et je devrai peut-être commencer à gronder votre fille de les ménager autant. Je crois cependant que ce sont surtout nos longues discussions sur le trajet qui pèsent si lourd sur notre rythme. Cela et notre quête de fruits et de faune.

Je ne mentirai pas, ces petites chasses m'amusent, et l'excitation de votre fille me rappelle ma propre jeunesse. J'aurais cru devoir lui apprendre bien des choses encore, mais elle sait manier le couteau aussi bien que l'épée, et semble ici plus dans son élément qu'à tourner les pages d'un livre ou à manier la balance. Je m'occupe, avant de m'endormir, à tanner les peaux de lapin qu'elle pourra arborer sur le côté de sa selle, à défaut d'un trophée plus grand.

Nous sommes dans ces collines, au-delà de Beauclair, celles qui coupent le soleil juste au-dessus des toits et qui donnent plus de couleur au village depuis la place. Elles s'avèrent aussi vieilles et ridées que je l'avais cru, et la rivière y fusionne après avoir été deux flots concurrents entre leurs hauteurs. La rocaille ne manque pas, et pendant que Karine s'entraînait je me suis amusé à en suivre la trace. On me dit que la pierre sort de terre où elle a été formée, et que c'est comme ça que naissent les montagnes. On me dit que la pierre est semée par les démons pour des raisons qui ne deviendront évidente que bien après notre mort. J'aurais plutôt l'impression, pour ma part, qu'il devait y avoir des statues au sommet des collines qui ont comme éclaté, et qu'on en voit là les monceaux.

Je ne vous fatiguerai pas avec force détails, et je vous dirai simplement que votre fille dort confortablement sous la candeur lunaire, protégée par deux chevaux et votre vieux compagnon. Demain elle pourra connaître les joies d'une vraie forêt.

Votre dévoué.

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il y a 7 ans 3 mois #21348 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet [Journal] Errance
Quatrième jour.

Me croirez-vous si je vous dis que nous n'avons pas encore mis le pied dans la forêt de Blemont ? Par quelque succès de ma part, nous en sommes arrivés à l'orée avant même le midi, mais il s'y trouvait quelque grande exploitation de bois et après avoir discuté avec les bûcherons, votre fille s'est mise en tête de faire leur connaissance.

Je crois que pour elle ces clôtures en bois, ces hauts toits secs et ces peaux aux fenêtres constituent comme un manoir rustique qui lui rappelle le vôtre, avec moins de pierre et de richesses, et elle n'y a pas résisté. En tout cas elle a été et reste encore une attraction foraine pour les travailleurs éberlués qui l'ont d'abord prise pour quelque aventurière ou mercenaire, et qui ne comprennent rien à ses histoires de chevalier. Il a suffi, cependant, de citer le nom de la famille Prunières pour dissiper tout malentendu, et les propriétaires se sont faits fort de l'accueillir sans se priver d'efforts.

Voilà donc à quoi nous avons passé la journée : à visiter des cours terreuses, des entrepôts de troncs d'arbre sciés, des ateliers et des remises et un enclos pour les boeufs. Les propriétaires ayant fils et filles se sont réjouis qu'ils fassent connaissance avec la vôtre et elle-même a été tellement plus enthousiaste que quand elle a dû les voir, plus jeune, dans des vêtements plus riches et donc moins attrayants.

J'en ai profité pour demander à Lerinquois, le mari de l'exploitation, s'il se souvenait du comte de Marens ou s'il savait quelque légende sur cette grande pierre près de Beauclair.

Bien sûr, quand a approché le soir votre fille ne voulait plus que repartir, comme si l'idée d'un lit ou pire, d'un bon repas autour d'une table étaient quelque crime auquel elle ne voulait pas prendre part. Je me suis permis de me fâcher, et de lui faire la leçon, car même un chevalier ne se permettrait pas de négliger ainsi l'accueil qu'on lui fait, et de délaisser ses hôtes. Elle a donc, de mauvais coeur, pris place autour de la table familiale et a passé tout le repas à s'ingénier pour ne pas être contente. En guise de réparation, Clémentine, la femme de l'exploitation, lui a raconté les hauts-faits des bûcherons, à une époque qui n'a sans doute jamais existé, mais que je n'excluerais pas non plus.

Enfin, et pour la nuit, nous avons convaincu votre fille de changer encore d'habits et d'aller se reposer dans un lit, avec la promesse absolue de la réveiller à la première heure, promesse que nous n'avons nullement l'intention de tenir, et que nous briserons sur excuse qu'elle est à l'heure des bûcherons. Je suppose qu'ensuite vous ne vous intéresserez pas au reste de ma soirée aux côtés des propriétaires, à discuter de Blémont et du Cairle.

Votre fille n'a pas eu l'occasion de s'entraîner aujourd'hui, et c'est malheureux, car les enfants étaient enthousiastes à l'idée de jouer avec elle.

D'après Clémentine, l'air sera froid et brumeux demain, au moins durant la matinée, et il serait plus avisé de partir assez tard, surtout si Karine venait à s'entêter et à esquiver la route qui traverse Blémont. On m'a proposé un guide, mais ma vieille fierté et le souci de ne pas déranger m'ont fait décliner l'offre. J'avoue ressentir quelque frisson, quand bien même il ne se passera rien, à l'idée de retrouver une forêt brumeuse au moins une fois dans ma vie, et de vaquer à mes souvenirs.

Votre dévoué.

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il y a 7 ans 3 mois #21349 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet [Journal] Errance
Cinquième jour.

Vous pouvez dormir tranquille, en sachant que votre fille va bien. La forêt de Blémont n'a jusqu'à présent présenté absolument aucun risque. En fait, nous ne sommes toujours pas entré dans cette forêt. Nous avons passé toute la journée à la scierie de Lerinquois et Clémentine Palafrins, à jouer avec les enfants et à apprendre à manier la hache. Votre fille est maintenant fascinée par toutes les sortes d'arbres et les subtilités pour les abattre, pour en reconnaître l'âge ou les maladies, et les secrets du séchage ou de la coupe. Il est presque dommage qu'elle ramène tout à l'épaisseur d'une lame.

Je pense sincèrement que ce n'est que la brume qui l'ennuie et l'humidité qui joue sur son caractère, sans quoi, juré, elle se reconvertirait à la charpenterie, et vous la verriez revenir bâtisseuse et triomphante, dans des atours autrement plus légers.

Enfin, pour le moment si nous devions revenir, cela risquerait de prendre quelque temps.

Ne m'en veuillez pas si, avec mon expérience, je me permets de me montrer prudent, mais cette brume qui entoure l'exploitation fait que nous sommes toujours le matin, que nous n'avons pas pu voir le soleil passer et qu'il nous faut jauger l'heure à l'aide de sabliers. Votre fille ne semble pas encore saisir l'aspect particulier de ce mauvais temps et le prend comme une mauvaise pluie qui rendrait les routes boueuses et impraticables. Je me fais fort de lui cacher mon opinion véritable, de peur qu'elle ne se réjouisse d'un phénomène quelque peu de mauvaise augure.

Quoi qu'il en soit, votre fille s'amuse et c'est le plus important. Avec nos deux chevaux nous avons fait promener les enfants dans leur cour devant les travailleurs qui les ont applaudi, et je me suis retrouvé à raconter quelques histoires pour amuser l'assemblée. Votre fille m'a demandé, l'ennui aidant, à l'entraîner encore à l'écart et j'ai poliment refusé, je crois, en arguant que le temps nuirait à la maille. Je préfèrerais si, le temps que pèse cette brume, elle faisait oublier quelque peu ses traits de guerrière.

Mais inutile de vous troubler avec ces petites histoires d'aventuriers. Votre fille se languit dans sa chambre personnelle, sous bonne garde et moi-même je me repose à la cuisine, près d'une série de saucissons auquels j'espère goûter demain.

Je suppose que, puisque nous ne sommes pas bien loin, vous aussi vous devez pouvoir admirer cette brume étrange qui tapit le sol et laisse un ciel de grisaille. Si ce pigeon vous arrive, j'aimerais réellement que vous me disiez si vous-même votre humeur en est affectée, s'il vous semble que le monde s'est rétréci et si une part de vous n'a pas l'impression qu'on vous ronge en même temps qu'on vous observe, et que vos nerfs se tendent sans raison, comme les vieillards le ressentent avant une tempête. S'il ne vous semble pas que le bois aux fenêtres se met à suer et que, derrière la peau pour moi, derrière les volets pour vous, il se trouve en même temps plus et moins que le paysage de votre belle région.

Si c'est le cas, je vous le répète, cessez de vous en faire : vous vous tourmentez pour rien, inquiet pour votre fille qui ne pourrait pas aller mieux et qui pourrait bien passer encore quelques jours ici, en sécurité et à faire toute autre chose que de la chevalerie quelques temps.

Votre dévoué.

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il y a 7 ans 3 mois - il y a 7 ans 3 mois #21350 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet [Journal] Errance
Sixième jour.

Je n'ai jusqu'à présent pas eu de réponse de votre part, et pourtant mon pigeon me revient fidèlement. Mais plus inquiétant que votre silence, je remarque que votre fille n'a demandé aucune nouvelle, et je commence à croire que vous et elle êtes en froid.

C'est pourquoi je me suis permis de lui adoucir la réalité, ou ce que l'on appelle un mensonge, en lui affirmant qu'un marchand de passage m'avait dit quelques mots à votre sujet, et notamment combien vous étiez confiant et satisfait de la décision de Karine. Il est possible qu'elle ait encore quelques doutes, mais je suis sûr qu'ainsi votre fille sera moins soucieuse dans les jours qui viendront, si du moins les jours passent encore, ce qui avec cette brume n'est pas tout à fait certain.

De fait, ma légère invention risque d'être éventée s'il se trouvait que j'avais raison et que ce temps étrange n'était pas juste quelque frivolité de la nature mais bien surnaturelle et l'oeuvre de démons. Je serai alors bien embêté de m'expliquer auprès de votre fille qui, pour sa part, s'amuse beaucoup trop avec les enfants et parle avec eux d'aventures et de princes charmants à sauver. Les fils jouent les princes ou les pages, et les filles une troupe de chevalières et j'ai dû convaincre Lerinquois de laisser faire, et ses employés de ne jouer ni ogre ni autre monstre.

Les propriétaires sont formels, eux qui ne se souviennent pas avoir jamais vu un tel temps. Cela ne gêne pas le travail, cependant, et le bois n'en est pas affecté, aussi la seule inquiétude est-elle de savoir s'ils pourront aller au marché le moment venu, et j'ai proposé au besoin de faire sonner une cloche pour voir si on nous répondrait.

Seuls à souffrir de cette attente, nos chevaux piaffent et piétinent et rongent leurs cordes. Mais j'attribue plus cela à leur nourriture qu'au temps.

À présent que nous sommes devenus l'attraction principale et la source de joie de l'exploitation, tout le monde appelle votre fille madame de Prunières, ou Karine de Prunières, et on ne me laisse pas en reste, quand bien même j'ai droit à plus de familiarités. J'ai même jonglé ce soir pendant le repas, puis quelqu'un a proposé d'aller au marché acheter un instrument. « Inutile, » a noté votre fille, « nous serons partis avant. » Cela a été accueilli par bien assez de déception pour vous faire savoir combien elle est appréciée de ces gens.

Enfin je vous écris adossé au piquet des chevaux, pour leur tenir compagnie et m'assurer qu'il restent calmes, et j'ai promis bien entendu d'aller réveiller votre fille dès la première heure ou dès que la brume serait tombée. Ce qui, probablement, m'exempt de la réveiller du tout, et c'est tant mieux, car cette petite cour est quand même grande, et je suis bien là, à observer ces alentours tranquilles et légers, vidés par la grisaille.

À tout hasard cependant, si vous recevez cette lettre et qu'il n'est pas trop tard, essayez de ne pas sortir. Le sol est glissant, et cet air n'est pas très bon pour la santé. En fait, fermez la porte et les fenêtres, et attendez tranquillement dans un bon fauteuil, avec une bonne pipe, sans vous en faire pour rien.

Votre fille ne pourrait pas aller mieux et ne risque absolument rien.

Votre dévoué.

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il y a 7 ans 3 mois #21352 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet [Journal] Errance
Septième jour.

Savez-vous, je me suis habitué au petit carillon du réveil, à la voix de dame Clémentine venant me tirer de mon sommeil et au bain froid forcé pour être présentable et d'humeur matinale. Je me suis habitué à ne pas réveiller votre fille, à jouer aux dés avec les bûcherons et à parler légendes et autres menues connaissances de la région que je n'ai pas eu l'occasion de revoir récemment.

J'ai bien observé que votre fille se désintéressait ostensiblement des jeux d'enfants, peut-être pour quelque brouille ou peut-être parce que, la plus âgée, elle s'était sentie le besoin de jouer les braves solitaires. Je l'ai vue s'entraîner à nouveau à l'écart, et je ne sais si elle a noté que j'ai pris soin de son équipement, mais enfin je me doute que pour une personne de son tempérament, à la période de sa vie où l'on veut découvrir le monde, cet arrêt inopiné à l'exploitation forestière a dû lui peser.

Vous trouverez donc des raisons de vous réjouir en sachant que nous sommes repartis, bien que la brume ne soit pas tombée, et il n'y a aucun mal à cela. Nous sommes à présent dans la forêt de Blémont, qui ne pourrait pas être plus tranquille et accueillante, et je dirai même que la brume lui offre plus de charme et de paix encore que s'il faisait grand soleil. On jurerait la paix sur terre proclamée sur tous les troncs.

Il se peut que votre fille ait pris un peu d'avance sur moi, et qu'il me soit difficile de suivre ses traces, d'autant plus que comme attendu elle s'entête à ne pas suivre les routes.

Mais enfin nous sommes repartis vers le nord, ou tout du moins je dois le supposer à la végétation, et nous sommes désormais bien enfoncés dans la forêt, à seulement quelques kilomètres de distance l'un de l'autre. Je suis intrigué de voir qu'elle n'a pas fait de pause, moi qui m'attendait à la rejoindre au premier feu de camp, et de fait elle a parcouru bien plus de distance en cette seule journée, s'il s'agit bien d'une journée, que depuis notre départ du manoir. Je dirais que, si nous n'avons pas tourné en rond, nous avons parcouru bien plus de trente kilomètres, et je n'ai arrêté ma monture qu'à l'occasion d'une petite mare où votre fille a sans doute fait boire son destrier. Je gagne sur elle, et je pense qu'elle-même doit être surprise que je ne l'aie pas encore rejointe. Elle finira par croire que je ne suis pas parti après elle, une pensée qui me blesserait profondément.

Une fois encore, je ne vous dérangerai pas avec les quelques menus détails de la journée, mais je tiens aussi à souligner, pour ma défense, que si je suis aussi lent dans mon avance, c'est que je porte les provisions, la majorité des affaires et une partie de son armement. Je n'ai pas le loisir, comme elle se le permet sans doute, de lancer mon cheval au galop.

J'ai quelques remords à envoyer ce pigeon, et j'apprécierais que vous lui repayez ses efforts en me laissant quelque réponse. Pour être honnête et depuis mon départ je n'arrive plus qu'à penser à votre accoutrement, et à la manière de rendre plus honorable. Vous et moi devrons discuter une fois que votre fille aura terminé son escapade.

À tout hasard, si votre fille revenait sans moi, ou que mes messages changeaient de ton, le plus calmement du monde, je vous inviterai à faire preuve de sagesse.

Votre dévoué.

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il y a 7 ans 3 mois #21353 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet [Journal] Errance
Huitième jour.

Comme vous avez sans doute pu le deviner, j'ai rattrapé sans peine votre fille, non sans avoir dû d'abord me débarrasser d'un sosie, petite mésaventure de quelques minutes sans la moindre importance mais qui m'avait quelque peu inquiété quant à la capacité de Karine à se battre réellement. Toutes mes craintes ont été vite corrigées, heureusement, et je me trouve stupide à présent d'avoir douté d'elle. Je dois aussi admettre que j'ai été assez près de ne plus pouvoir vous envoyer de message du tout, et cela aurait été dommage, car je ne pense pas que votre fille sache y faire avec les pigeons.

En somme, donc, je l'ai rattrapée au milieu de l'après-midi, parce qu'elle avait trop pressé son destrier et que la brume s'était atténuée quelque peu. Me voyant venir comme un fantôme, votre fille m'a chargé et prestamment désarçonné. Disons plutôt que je suis tombé par moi-même de surprise et un peu de frayeur, admettons-le.

Par chance, les arbres ne favorisent pas les cavaliers, et mon expérience a prévalu sur son audace. J'ai fait cabrer sa monture et je l'ai tirée de l'étrier. Puis nous nous sommes relevés et je lui ai répété que c'était moi, avant de parer son coup de lame à quelques pouces de mon visage. J'ai compris alors qu'elle m'avait bien reconnu, et qu'elle m'en voulait sans doute de lui avoir menti sur la brume, et de nous avoir fait prendre tout ce retard pour si peu de choses, raison pour laquelle elle m'avait laissé derrière et, à présent, elle passait sur moi sa rage. J'acceptais donc ses reproches et ses coups.

Ne sous-estimez jamais votre fille, et je ne dirais pas que je l'ai fait moi-même, mais enfin je ne pouvais pas me permettre de lever l'épée sur elle, pas si je voulais pouvoir vous revoir les yeux dans les yeux.

Nous avons donc bretté pendant plus d'une heure, à travers les bois et sous le regard de nos deux chevaux redevenus paisibles comme des anges. L'obscurité seule a mis fin au combat, ce qui n'était pas plus mal car j'avais misé sur la fatigue de votre fille et il s'est avéré que j'aurais cédé le premier. Quand la pénombre a nappé les branches et couvert les buissons, enfin elle a réalisé que la brume s'en était allée et cela a suffi pour que votre fille baisse son arme. Vous me trouverez mesquin mais je ne me suis pas excusé, offusqué que j'étais d'avoir esquivé de peu un sort pénible, et à la place je lui ai offert mes flasques de vin.

Vous m'en voudrez sans doute d'avoir laissé votre fille s'enivrer, mais elle tient très bien l'alcool et il ne tenait qu'à vous de m'envoyer un message catégorique à ce sujet.

Maintenant que le ciel s'est étoilé et que votre fille dort bien emmitoufflée dans sa couverture, moi-même en vous écrivant je cherche à nous orienter. Je vois bien le nord, mais je suis désormais quelque peu moin enclin à tarder dans ces bois, et je préfèrerais me fier à moi qu'à ces traîtres d'astres.

Puis je regarde votre fille, qui dort le plus paisiblement du monde, soyez-en assuré, et je me dis qu'elle a eu ces deux derniers jours tout son lot d'aventure, plus qu'il n'est raisonnable d'en dire dans une lettre. Sans doute en partant s'attendait-elle à tirer l'épée, mais maintenant que c'est fait, et contre moi de surcroît, je vois sur son visage le petit bonheur d'un enfant, et le souci de l'adulte chez qui les rêves prennent trop réalité.

Votre dévoué.

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il y a 7 ans 3 mois #21354 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet [Journal] Errance
Neuvième jour.

Avec tout ce qui s'est passé aujourd'hui, j'ai manqué oublier de vous envoyer cette missive, et ce n'est que le retour du pigeon, dépourvu de toute réponse, qui m'a rappelé à mes devoirs.

Vous rappelez-vous la rivière qui passe près de Beauclair ? Elle longe également les abords de la forêt de Blémont, et un bras s'en détache en ruisseau qui vient s'écouler dans les bois. Le ru n'est pas maigre, mais peut être traversé en deux enjambées et, petite merveille des temps, l'eau a rongé la terre autour en petite crevasse pour n'y laisser que de la roche et des galets. Votre fille a tenu à s'arrêter là pour faire boire nos chevaux, et a passé son temps à admirer les pierres plates, leurs couleurs et leurs formes.

Nous avons toujours bien assez de provisions, et cette fois votre fille a bien l'intention d'avancer, mais nous avons tout de même discuté de chasse.

Ce n'est qu'alors, en en parlant, que je me suis rendu compte de tous les petits détails qui nous entouraient, des branches brisées et des traces de pas dans la terre meuble, qui isolément ne vous disent rien et qui, même ensemble, ne sont guère que des agréments d'anecdotes de la vie animale. Mais enfin, j'ai laissé échapper qu'il pouvait s'agir d'une piste d'hommes des bois, autrement dit des bêtes, et votre fille en a conclu que des créatures maléfiques rôdaient dans les parages.

Nous sommes donc repartis sur la trace de ces viles créatures et j'ai hésité quelque peu à feindre de perdre mes repères, mais le mensonge n'apporte rien de bon. Aussi j'ai plutôt tenté, avant que nous atteignions un antre, moitié terrier et moitié grotte contre une élévation du terrain, où ces roches saillantes s'étaient entassées, d'expliquer à Karine que toutes les bêtes n'étaient pas mauvaises et que même, elles pouvaient servir les hommes.

Puis nous avons été pris en embuscade et je ne vous ennuierai pas avec ce broutilles.

L'important est que votre fille s'en est très bien tirée, et qu'elle a fait preuve d'une grande bravoure lorsque j'ai soigné ses quelques plaies. Trois fois rien, vraiment, puisqu'elle s'est relevée rapidement et a insisté pour que nous délogions les bêtes restantes de ce tertre. Ce que nous avons mis en oeuvre, en les enfumant.

J'avais affirmé que la fumée les forcerait à sortir, et je m'attendais pour ma part à ce qu'elles aient d'autres sorties par lesquelles elles nous échapperaient, et peut-être est-ce bien ce qui est arrivé. Mais enfin, comme rien ne sortait et que j'ai réalisé qu'il leur aurait été difficile d'avoir d'autre issue sans un véritable réseau souterrain, j'ai dû expliqué à Karine ce que je lui avais fait faire, et elle n'a pas eu trop à s'attrister sur le retour, puisque nous avons été pris en embuscade une seconde fois, où je dois dire que cette fois elle n'est même pas tombée de selle, et a plutôt bien pris le coup de lance.

Il va sans dire que nous ne dormirons pas cette nuit, et que j'écris donc à dos de cheval, content que ces derniers ne se soient pas enfuis sans nous. Votre fille somnole, aidée par les morsures de sa peau et du froid à ne pas tout à fait s'endormir, et je peux affirmer que demain, quand j'aurai trouvé le dernier fragment resté logé dans son corps, elle sera en pleine forme.

Votre dévoué.

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il y a 7 ans 3 mois #21356 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet [Journal] Errance
Dixième jour.

J'ai bien réfléchi à ce que j'ai pu vous écrire le jour passé, et il m'apparait qu'il est peu probable que nous ayons vraiment pu causer tant de tort qu'il me soit venu d'en décrire. Nous avons, après tout, découvert des créatures dangereuses dans la forêt de Blémont, qui auraient pu menacer les marchands ou les forestiers, et c'est ce que j'ai dit à votre fille pour l'encourager au besoin.

Non qu'il y en ait besoin. Vous devrez admettre que Karine, pour jeune qu'elle soit, se tire admirablement bien d'une situation qui n'a du reste rien de si inquiétante. Nous n'avons été attaqué qu'une seule fois peu avant la fin de la nuit, et n'avons plus été inquiétés depuis.

Il vient à mon sens que l'hostilité à laquelle nous faisons face est tout juste celle d'animaux poussés par quelque faim ou maladie. Qu'ils aillent sur deux pattes n'y change pas grand-chose. Tantôt la rage les pousse à attaquer, et tantôt la peur les fait fuir, et il semble que la peur prédomine désormais. Les rumeurs qui nous entourent et nous suivent à travers les bois sont le signe qu'ils n'osent plus approcher. S'ils avaient été quelque menace réelle, une flèche aurait depuis longtemps mis fin à notre chevauchée, et cela montre que votre fille ne risque absolument rien.

Alors certes, elle somnole sur son cheval, et je vous accorderai que le manque de sommeil et la petite faim qui nous tenaille doivent lui être des désagréments qu'elle n'imaginait pas en se lançant dans cette aventure. Et sans doute la piqûre des plaies sous sa paume doivent lui serrer les dents, mais elles sont l'équivalent d'un mal d'estomac après un bon repas. Dès que les bêtes auront cessé de nous poursuivre, je ferai disparaître tout cela sans peine, et vous rirez de cette aventure comme d'un gros chien qui aboierait à la porte de votre carrosse. Sachez que Karine ne pourrait pas aller mieux.

Il lui pèse sans doute beaucoup plus de ne pas pouvoir battre de l'épée et galoper dans les bois, et de devoir subir l'accalmie et les bruits alentours, qu'une quelconque douleur ou une quelconque faim.

Savez-vous, quand je m'approche d'elle pour m'assurer qu'elle se tient bien en selle, car enfin il serait dommage que par inadvertance elle ne tombe, elle me décoche un sourire aussi sincère que le mien. Nous sommes tels des chasseurs au milieu de notre meilleure chasse, et je lui dis qu'une chevalière ne s'inquièterait même pas, et elle-même assure qu'elle est tout à fait sereine, comme vous devriez l'être aussi. Il lui pèse seulement de songer à la fumée devant l'antre, et elle veut que je la conforte sans cesse pour lui dire que ce n'est pas pour cela que les bêtes s'acharnent, mais juste parce que ce sont des bêtes et que le maléfice les anime.

Au final les plus à plaindre sont nos montures, qui ne s'arrêtent plus pour rien et dont les sabots butent sur les racines et les fourrés.

Je pense que d'ici un ou deux jours, si nous ne sortons pas de la forêt avant, les bêtes nous laisseront tranquilles, et je m'intéresse désormais plutôt à la taille de la forêt, au temps et aux étoiles, pour savoir où nous emmener. Après toutes ces petites péripéties, Karine mérite un lit doux et chaud et une foule pour la complimenter.

Votre dévoué.

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il y a 7 ans 3 mois #21358 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet [Journal] Errance
Onzième jour.

Une nouvelle embuscade nous a surpris peu avant l'aube, et vous auriez été impressionné de voir Karine se redresser et donner de l'épée autour d'elle, si bien qu'elle a manqué enterrer son cheval sous les corps de ses ennemis. J'exagère, bien sûr, quelque peu mais enfin nous nous sommes dégagés de l'embûche et je l'ai entraînée jusqu'à une clairière où, si vous voudrez bien me croire, nous attendait la réplique exacte de cette roche couverte de mousse du côté de Beauclair. Nous avons été accueillis par cette vision et par celle de l'aube, et par de nouvelles créatures de la forêt qui ont fui sous nos coups.

Et voilà à peu près toute notre journée.

Savez-vous, à présent la forêt est tranquille et on ne croirait pas qu'il y avait eu tous ces combats. Là même où j'aurais juré que quelque corps avait roulé, il n'y a plus que l'herbe fraîche sous la pénombre du soir. Nos chevaux se reposent à l'écart, moi-même je suis assis sur la cage à pigeon, sous cette masse rocheuse, et j'ai l'impression d'avoir manqué un pique-nique auquel on m'aurait invité.

Quant à votre fille, après toutes ces émotions elle se repose. J'ai promis de ne rien vous cacher, et j'avouerai donc n'avoir pas réussi à lui retirer le dernier éclat de son corps, mais autrement elle se porte plutôt bien, toutes choses considérées, et je suis confiant que je la retrouverai fraîche et d'aplomb demain matin, quand bien même et pour une fois elle ne m'a pas dit de la réveiller de bonne heure.

Il faut dire qu'elle a le luxe de dormir, quand elle y arrive, là où je suis forcé de tenir notre feu allumé et les yeux sur l'orée. Pour toute la gloire que votre fille se sera taillée ces derniers jours, je ne peux m'empêcher de me dire qu'elle n'impressionnera pas grand monde, et je réfléchis à la tournure à donner à mon récit quand je le ferai pour qu'elle obtienne un meilleur crédit. Pour commencer, sans doute que je dirai que nous étions les chasseurs et non les pourchassés, et cet autel en sera l'excuse idéale.

À ce titre, et vous m'excuserez, mais j'ai recouru pour votre fille à quelque vieille médecine qu'on appellerait sans doute shamanique, à défaut de savoir comme d'autre la décrire, par défaut et parce que le lieu semblait propice.

Que voulez-vous, on ne me fera pas croire que deux rochers peuvent se ressembler autant à autant de distance et tous les deux avoir autant de mousse quand toutes les autres roches de la région sont nues, par la force du soleil tapant et de la morsure du froid en hiver, et personne ne me fera croire que cette clairière est tout à fait naturelle. Les piquets dressés, avec leurs décorations sauvages, sont un autre indice assez évident que, si ces bêtes sont plus que des animaux, alors elles voudront sans doute nous ramener ici et savez-vous, tant que j'y suis, je suis impressionné par leur don artistique. Elles enveloppent ces piquets avec des cordes colorées, je ne sais de quelle matière, et ces cordes ensuite sont tirées à terre. Vous penseriez qu'elles décoreraient ces piquets avec des prises et des trophées, mais à la place ce sont des fleurs et des bouquets fanés, desséchés non par le temps mais par leurs soins, de sorte que ces pétales ne fanent plus.

En tous les cas votre fille se porte très bien, et moi aussi je vous remercie, et dès qu'elle sera tout à fait remise je la sortirai de cette forêt.

Votre dévoué.

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il y a 7 ans 3 mois #21359 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet [Journal] Errance
Douzième jour.

Comme vous vous en doutez, votre fille s'est réveillée au milieu de la nuit et m'a forcé à lui céder ma place pour le guet. Vous seriez fâché contre elle, car elle était encore visiblement épuisée et pas tout à fait remise, mais je n'ai jamais su négocier avec une épée sous le nez. Et pour être franc, je n'étais pas en état moi-même de refuser un peu de sommeil.

Je me suis réveillé à midi, et j'ai vu Karine qui se tenait à quelques mètres, comme une statue, appuyée sur le pommeau de son épée de cette manière qui rend les instructeurs fous parce que la pointe de la lame est contre terre et que cela l'use inutilement. Je soupçonne qu'elle s'est assoupie ainsi, et je ne sais si c'est une bonne pensée de sa part, ou un oubli, mais elle ne portait pas sa mailles, dont je ne cacherai pas que de toute manière cette dernière ne doit plus protéger de grand-chose. Je suis resté encore quelques instants allongés, à cause du mal de tête et parce que je savais ce qu'elle voudrait faire aussitôt qu'elle me verrait réveillé.

Ce qui n'a pas manqué. Nos trois tentatives successives pour sortir de la clairière se sont soldées à peu près par le même résultat, et maintenant que nos ennemis des bois ont décidé d'user d'armes de jet, nous n'avons pas grand-chose à leur opposer.

Je me suis permis, pendant que votre fille pestait contre le sort, d'étudier un peu plus le ciel et les courants, et j'en ai conclu que nous n'étions en fait plus qu'à deux ou trois kilomètres des plaines du nord, où dit-on le blé est encore plus doré que par chez vous. À ce rythme nous risquons de manquer la saison, et de toute manière le temps s'est dégradé toute la journée, si bien que je ne serais pas surpris de voir la pluie tomber, mais je ne serais pas désintéressé de voir si la rumeur dit vrai.

Dans l'après-midi, comme ce petit siège ne prenait pas fin, et soupçonnant ce qui se passait, j'ai demandé à votre fille de m'attendre et j'ai contourné le rocher, et tourné vers le sud je suis descendu tranquillement à la lisière, que j'ai pu traverser, et je me suis promené dans les bois sans peine avant de m'en retourner. J'aurais dû être étonné, mais les bêtes ne s'amassent que sur trois directions, et nous pourrions sans peine nous retirer de ce côté-ci et repartir, c'est-à-dire, au sud et vers Beauclair.

Votre fille n'a pas été très réceptive à ma suggestion.

Je la crois contente d'être blessée, parce que cela lui donne une excuse pour serrer les dents, maintenant qu'elle sait qu'on la laissera fuir la queue entre les jambes, mais qu'elle ne peut pas faire un pas de plus en avant sans risquer un javelot en plein ventre. C'est à croire que vous-même avez ouvert votre bourse à quelque esprit des forêts pour l'empêcher d'aller plus loin, et s'il n'en était de leur rudesse à l'égard de Karine j'y croirais presque. Comme elle ne démord pas de son affaire, nous tenterons une quatrième et glorieuse sortie une fois la nuit tombée, parce que la nuit n'est absolument pas l'heure du règne animal, et nous chargerons à travers les rangs pour tenter d'atteindre les plaines. À ma décharge, j'ai protesté aussi vivement qu'il m'était permis contre ce plan.

Votre fille se prépare pendant que je termine cette lettre, et si son plan réussit et si je suis encore en état de tenir la plume après ça, je vous ferai part de quelque avis sur cet esprit de la forêt, et vous comprendrez pourquoi je vous ai répété que votre fille ne risquait rien.

Votre dévoué.

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Modérateurs: SanKundïnZarathoustra
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