[Juillet 2007] Puzzle - Cancerso

Puzzle - Cancerso

Après les poèmes de Petimuel, engageons-nous sur les nouvelles classiques. Et quand je dis classique :

Cela faisait trois jours que l’ordinateur était allumé. Trois jours qu’il travaillait d’arrache-pied sur ce projet. La fin était proche. Il n’était pas question d’abandonner, pas si près du but. Ses doigts pressaient nerveusement les touches du clavier. Enfin, il termina son fichier.

Introduction classique, archi-classique, ça manque de quelque chose. "Trois jours", c'est juste pour la forme, c'est comme "un long moment", et puis, pour un JdREMM, trois jours, ce n'est rien. "La fin était proche", là aussi, aucun sens (puisque "la fin était proche" est plutôt pour l'apocalypse), c'est comme "il a beaucoup travaillé" ou "ça va commencer". "Si près du but" fait quasiment office d'insistance, qui n'a pas vraiment raison d'être, c'est juste dire "il aime son projet". Le "enfin", du coup, n'a pas de tension, c'est un marqueur de gâché.
Bref, absolument rien qui nous dise ce que sera le texte, ni ce qu'est le héros, ni de quoi on parle, juste un plan de film pendant que défile le générique. Et j'aimerais insister : dans l'introduction, il doit déjà y avoir tout le texte.

Mais ne m’en voulez-vous pas de vous avoir appris cela ?

Non, ça c'est une réplique de mauvais film, quand il n'y a pas un paragraphe pour expliquer les relations sociales, les regards, les expressions, les petits gestes qui sont autant de canaux de communication. On ne dit pas "ne m'en voulez-vous pas", on regarde la tête penchée, l'air gêné ou craintif, et on voit que l'autre s'en moque. Là, c'est presque comique.

Ce monde, c’était son jeu !

Tu ne connais pas la référence, mais je dois le faire, donc Yves Meynard, Comment ne pas écrire : "C'était une vampire !!!! (Vous ne vous y attendiez pas, ami lecteur ?)" Bien sûr que c'est son jeu, nous n'en doutions pas une seconde. Prends plutôt le temps de décrire sa figure blême, le ralentissement de son esprit, l'état semi-étourdi, les jambes flageollantes devant une réalité virtuelle, l'envie de vomir.

Mais tout d’abord, nous devons d’abord atteindre Tintimia.

Répétition de "d'abord", ou comment insérer une pause dans un commentaire.
Ce qui me fait penser qu'Armand parle comme un noble de robe devant Louis XVI au petit-déjeuner, et même chose pour Alex. J'aime les inversions sujet-verbe, mais là ça manque de maîtrise, donc attention.

la distance qui les séparait de leur séparait de leur nouvel emplacement.

Oubli d'effacer.

Alex fut soufflé.

C'est tout ? Une dizaine de lignes de dialogue, et puis juste une remarque de trois mots entre les deux ? DES TRIPES ! Quatre paragraphes de vingt lignes MINIMUM, rue, bâtiment, porte, couloir, fenêtre, ascenseur, livrée, tapis, colonne, bureau, habits, coiffure et regard ! Et ensuite, toutes les émotions humaines de l'incompréhension à la colère, par la surprise, le refus et la peur.
Je finirais par croire qu'il y a plus de dialogue que de narration, dans ce texte, et ça c'est une erreur de débutant.

Et puis Alice tombe vraiment du ciel. Pourquoi ne pas en avoir parlé en introduction ? Type disquette poussiéreuse, ou simplement un programme en arrière-plan, un vieux fichier qu'il remarque à peine ? Ou bien un nom qui lui revient quand il est aspiré. Ici, c'est comme si tu l'avais inventé sur le coup.

Alex n’était pas stupide, et accepta l’aide de l’entité informatique.

Dommage, je connais beaucoup de scénarios où Alex aurait envoyé valser son IA et passé cinquante-deux épisodes à trouver la sortie, en échappant aux pièges d'Alice et avec l'aide d'Armand qui par deux fois se retournerait contre lui. Mais bon, c'est une nouvelle, pas un roman.
Disons juste qu'Alex était pressé.

Bien, la sortie se trouve dans l’un des quatre coins, nommé Kavour.

Elle parle au concepteur du jeu, bien entendu qu'il connait Kavour. Là c'est assez "Capitaine ! Deux des huit moteurs du Cosmocaniche..." (le capitaine n'a ni besoin qu'on lui rappelle son grade, ni le nom de son vaisseau et le nombre de moteurs)". Toujours d'Yves Meynard, un article à lire et à relire.

Ainsi commença - et continua - la fastidieuse quête...

Pardon ? Non non non, pas de transition, surtout qu'elle n'a pas raison d'être. Si Alex avait envoyé valser Alice, alors là oui, mais ici ils prennent le taxi... La transition est à modifier d'urgence.

Quelle chance, s’exclama Armand

Oui, quelle chance, ou quel Deus Ex Machina, et quel intérêt surtout d'avoir balancé un changement du puzzle si à terme ça ne change rien.

Nous sommes dans un univers exclusivement marin, comme je pense que...

Tu es pardonnée, après tout l'intérêt du texte était de découvrir l'univers (dont nous avons loupé plus du 90%, mais peu importe). Il n'empêche, ce genre d'explication ressemble à du Jules Vernes, sur la faune sous-marine dans "Vingt mille lieues sous les mers", avec une volée de noms scientifiques et d'histoires qui nous intéressent difficilement aujourd'hui. Bref, hors-sujet, hors de l'histoire et donc hors de ma vue.

Aucun risque ! Les lois de conservation de la matière ne s’appliquent pas aux univers virtuels. Il y a dans les profondeurs des fontaines qui compensent la perte d’eau.

Mouais... une explication plus géothermique aurait eu ma préférence.

C’est ici que j’ai créé le vortex qui t’a amené.

C'est ici qu'Alex devrait se mettre en colère contre Alice, puisque sans elle il serait encore tranquille chez lui.
C'est aussi ici qu'on sent la pauvreté du scénario, puisque de toute manière Alex allait mettre son jeu en ligne, et que de toute manière Alice allait vouloir le gérer, en tant qu'IA. Non, mets-toi à ma place, même Armand n'a servi à rien, mais vraiment à rien, il était là pour dire "bonjour" et même pour ça, il était inutile.

Alice et Armand étaient là pour accueillir son personnage.

Conclusion à peu près aussi passionnante que l'introduction, désolé, on n'a pas connu Armand, on a à peine esquissé Alice, et nous ne savons d'Alex que son nom. Qu'ils soient là ou pas, très franchement, ça ne change rien. J'ai vu des émissions de télévision plus intéressantes.

Donc les erreurs, nombreuses, très nombreuses :
- Les dialogues : stop ! A chaque fois qu'un personnage va parler, demande-toi si tu ne peux pas le dire par de la description, de la narration. Une suite de tirets, c'est lourd, c'est bon pour un script cinématographique, pas pour un texte.
- Les introductions, transitions, conclusions : l'introduction est là pour dire au lecteur ce qu'il va lire, la conclusion pour lui dire ce qu'il a lu (et ce qu'il pourrait lire si ça continuait, mais 'détail), et les transitions servent à boucher les trous de l'histoire parce que tu ne peux pas tout dire, donc lui dire ce qu'il n'a pas lu. Fais toujours très attention à ces instants-là, ils requièrent toute ton attention. Pas de "et ainsi la quête commença" s'ils vont juste faire du taxi.
- Les descriptions : il n'y en a pas. Bon, je suis méchant, l'environnement est bien rendu, et les lieux assez bien pensés, l'univers est intéressant. Mais on ne sait rien des personnages, rien de l'intérieur de la ville, ni même, à mon souvenir de la forme du taxi ou du bateau. Tout est hâtivement brossé, par manque de place ou par empressement de passer à la suite.

Et puis il y a l'histoire... pourquoi ne pas avoir dit que si Alex lançait son jeu, celui-ci, avec une erreur de programmation, allait bugger ou s'effacer, menaçant la survie d'Alice ? Ne pouvant l'avertir, elle finit par le capturer dans le jeu mais, honteuse de son geste, reporte la responsabilité de traquer l'erreur au chevalier Armand, ce dernier étant l'alter égo du héros / d'un tel du héros et / ou à avoir appris l'existence de l'IA.
Ici, beaucoup d'événements pouvaient facilement être évités, et le monde n'a été décrit que superficiellement. C'est très regrettable.

Quand tu dis ça, tu veux dire qu'on introduit déjà les personnages, les lieux... ou j'ai mal compris ?

Tu as mal compris.
Le texte parlera de quelque chose, mettons par exemple la découverte et les énigmes, alors il faut que dès la première phrase, ces idées de découverte et d'énigmes apparaissent.
Les premières phrases doivent dire au lecteur : "on va parler de ça". Outre d'attirer son attention.
Dire que "dans l'introduction, il doit déjà y avoir tout le texte", c'est plutôt dire que "tout le texte ressemblera à l'introduction".

Voici un exemple d'introduction, et ce que j'entends à ce propos.

Pour information, Cancerso est arrivée sur le podium du concours auquel elle a participé pour ce récit : www.siteduzero.com/#n14567

Félicitations Cancerso !